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Full text of "Annual report of the commissioners of the District of Columbia"

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LE 


CORRESPONDANT 








PARIss —T IMP. SON RACOS EG COMP. BUR D'EAPERTH, L, 


er 


LE 


CORRESPONDANT 


RECUEIL PERIODIQUE 


Ca ee eee Ty 


RELIGION — PHILOSOPHIE — POLITIQUE 
— SCIENCES — 
LITTERATURE — BEAUX-ARTS 


TOME QUATRE-VINGT-ONZIEME 
DE LA COLLECTION 


BOUVELLE SERIE — TOME CINQUANTE-OINQUIEME 








PARIS 
CHARLES DOUNIOL ET G*, LIBRAIRES-EDITEURS 


29, RCE BE TOURNON, 29 


1873 


LE 


CORRESPONDANT 





LETTRE A M. LAURENTIE 


Monsieur, 


J’ai recueilli avec le soin le plus consciencieux mes souvenirs et 
ceux d’autrui, pour reconstituer ce qu’on a trop pompeusement ap- 
pelé mon discours. En le relisant, j’y ai trouvé la réponse la plus: 
netle et la plus péremptoire 4 vos questions. Il m’est impossible de 
voir ce que je pourrais y ajouter tant que vous n‘aurez pas changé le 
terrain de la discussion. 

Je me flatte que vous en jugerez ainsi. 

Je vais d’abord remettre sous vos yeux et sous les yeux de vos 
lecteurs l’analyse du marquis de Franclieu, postérieurement modi- 
fiée par lui, mais non retirée. 


Dans un discours ou, blamant M. le comte de Chambord d’avoir affirmé 
la nécessité du vote universel, il (M. de Falloux) avait ajouté que ces 
mots : pratique honnétement, étaient un moyen de relirer plus tard ce 
qu'on semblait promettre. — La thése de M. de Falloux, soutenue avec 
toutes les précautions oratoires possibles et cette habileté de langage qui 
se Joue de toutes les difficultés, a été celle-ci : | 

m. s€n. T. Liv (xci* DE La cottect.). 14" riv. 10 Avan 1875. 1 





6 LETTRE A M. LAURENTIE. 


a M. le comte de Chambord n’est pas de son temps‘... is 
« Il ne comprend aucune des nécessités de notre époque... ae 
« Nous avons besoin de son principe... | ghee aa OM es 
« Il faut hous‘ réuntir pour Tul ichposet le drapedutficolbre, Iw presideaee 
« préalable de M. le duc d’Aumale etune constitufidn’.. ’ eae 
« Ou bien... > aes. 
« L’héritier a droit ‘sux I'liéritage, il lui appettient avoir ‘don avis é 
«-dexercer tovte infaence sul‘ }x maniarede ledeipe villainy 6 123. | 
no bi aa ga oy teal 2 i ORT a 


ha A F Veyr, 


eo a soup ho zgfsaf oo 


pe e 4 \ 1 t ‘ . aN “4 oe” 4: i, fe . ty 
* Waintenant, movgiebr, voici ‘mes paroles. ie 
; eee { » , }ocopyed | 


oN) oe boas OB deol Obes 

ne Ae A en PL TS Oe CY 

“iia MOAN, Ge 1 cep eben 

ee 0) Oe CE 


Le yoila dong cong, ce'segret glen dHerrent! is ; 
Door fot oane ‘hod, "ap opp ya ge 2 


a Messieurs;: oe ae ee ee Pyne Pet payin 
a Je n'ai rien’ yous opperter, sinon lég imprésalot's Gu'detidps: fs 
impressions dun rural, d'un spectaYeur atten ‘a oique fointain, 
que la défaillance'de ‘ses forcés réifent loin dp vous, mais qui Sit 
sionnément intéressé ' tout ¢é' qui ‘vols ‘apite’ vous-hiémés, Stach 
constamment ses regards sur cette Assemblée, et patticuli¢rement 
sur la droite, parce qu'il voit en-efle le ‘stlut‘de ta France. Les in: 
pressions du dehdrs, attestéés pdr un témbih siege Reiveti uel: 
quefois n’étre pas inuliles. Un proverbe atléitiaid ft it Les abbrds 
empéchent de voir la forét; »:il én edt -q eluate de méhié én = 
litiqul ! queljweloid oémt gual Sont brigsegs dibs’ Peetioh-bit peihe 
se rendre compte de J'effet que leurs.actes peuvent preduird bree : 
tance. C’est whiqnement a ce titre que je puis répdadrd 8'l’dppel qui 
m'a-été adrésst, appeal que je ne'me sérnis pes permis dé | rovoquer, 
mais que je ne saurais refuser, daps 1&8" Condiian’s attitdbes ih TL 
m’est fait. ee eee 
« L’Assembléc-est ld ressource supréme du pays, quite pelt pas 
et ne veut passe fixer dans la népublique, parce qu'il ne Id’ ient ‘pes. 
pour une solution hormale et durable. Pour lui, 1a républiqie’ d¢f 
le synonyme de l’anarchie. Les républicains modérés né' sont point 
un parti, ils ne sont qu'une éeele; ils né dominent jamais til Jés fait 
ni les idées qu’fls prétendent représenter ; ils sont émportés par lit 
violenee, chaque fois que la violence est déchainée. Je le bhnstate 
comme un fait irrécusable; ear, pour mon compte personwel, je wai 
: cite 


1 Les guillemets sont de M. de Franctieu. var 


LESTRE A M. LAURERTIE. 7 


peint de grief contra Ja république : cest le seal régime qui m'ait 
permis de rendre 4 mon pays le peu de services que je lui ai jemats 
rendus. Mais ¢’est Ja sentiment public que nous devons chercher i ici, 
sans, écouter telje pu,telle de nos préférences, et le sentiment pu- 
blic n’est pas dontenx. II discerne, aveo un instinct profondément 
juste, que la république nous livre infaulsblement, soit 4 la démea- 
Gogie, seit au césaziame, et, selon toule apparence, 4 lalliance de 
lune et de Lantne, En 4952, neous, avons eu le césarisme né d'un 
mouvement qui voulait étre. copsarvatenr, et vous voyer od il nous a 
conduits! Jugez ce que serait, wa edsarisme né dans la rue et mmposé 
per l’émeute : ca serait le socialisme 4 ja fois le plus radical et le 
plus dangereux, parce qu'il aurait towtes les comvoitises de la déma- 
gogie et toutes les ressourees du-pouveir. Ne vous faites done pas la 
moindre illusion 4 ce sujet : la durée de la république aetuelle n'est 
que la veillée des armea pour la guerre civile la plus effrénée; et 
J'ai. tort-d’eppeler cela una-geerre civile, ear ce sera une jacquerie 
sauvage, une lutte sans loi, sana frein, sans merci, contre la civiti- 
mage tout entire. Yous ne pouvez donc demeurer longtemps dans 
ion aussi oa apo i a sd 

BX pas ( ys devez précipiter les solutions, 

it daly mh pe aclaepe a sera Jaissé pour les attendre ou 
lee, on ; J'affirme seulement que, dans tons les cas, 
TORS exes preparer le meiljenre ou plutdt la seule bonne, et y pré- 
paver: le pays; gcoutes la parobede Bossuet, enlevez 4 ta fortune tout 
peut lui emlever par prévoyanee et par conseil. Des gens 

es et forts d’un mandat tel que le votre ne doivent rien confier 
i: la hasard peut. ¢tre un sot ou un scélérat, et c’est une 
anetee, dovhlée dune ferme volonté, que ja France attend 














que je pays eroira que cette Assemblée peut lui apporter 
tion, et que, si ellela différe, ce n’est pas par irapuissance, it 
fu il se résigne encore et ne perde pas courage; mais le jeur 
oui en arriverait 4 eonclure de yos votes et de la division de la 
que Yous n’avez aneune solution en réserve, ce jour-la, ce 
find entre vous et lui, il vous délaisseratt pour se hivrer & 
rie qui, lui promettent, méme dans bes conditions les plus 
ment trompeuses, repos et stabilité'. 
\;@ Ainsi, qu’avant-tout la majorité ne se divise pas, qu’aucen ma- 
Ly, aucun mouvement d’humeur ne vous éloigne les uns des 
et ne fractionne le grand parti de l’ordre. 


Nie réunion avait lieu le 5 janvier, pew aprés le vote sur la proposition Desjar— 
ea propos de l’entrée des princes & PAssemblée, vote dans lequet Ia droite ac 
tait divisée. 





8 LETTRE A M. LAURENTIE. ' 


- @« Quant a Ja solution, quelle doit-elle étre? Elle ne peut étre, selon 
moi, elle ne peut étre, selon tous ceax qui sont réunis ici, que la 
Monarchie, avec la maison de Bourbon tout entiére, réconciliée et 
réunie, 

« Cette solution ne rencontre-t-elle d’obstacle qu’en dehors d’elle- 
méme? Nous ne parlerions pas sérieusement, nous ne parlerions 
pas utilement, si nous ne commencions par nous avouer & nous- 
mémes qu ‘elle porte dans son sein un obstacle, insurmountable j jas- 
qu’ici : c'est la malheureuse question du drapeau. 

« Ah! je comprends tous les sentiments qui bouillonnent parmi 
nous Ace seul mot, car ces sentiments sont les miens. Je suis wm 
fils de l'Ouest ; la supréme ambition de ma jeunesse a été de mourir 
obscurément pour le drapeau blanc, au pied de quelque buisson 
vendéen. Rien dans mon passé ne peut m’incliner vers les prm- 
ces de la maison d’Orléans; je n’en connais aucun, la révulution de 
Juillet m’a fermé toute carriére, comme a bien d'autres. J’avais, 
comme un autre, le gout légitime de servir mon pays; la révolution 
de Juillet a refoulé ce désir et m’a jeté & Pécart durant toutes les 
années de l’activité. Il n’y a pas la de quoi m’inspirer de |’empresse- 
ment, et si nous étions ici pour obéir 4 nos griefs intimes, je parle- 
rais plutot en adversaire qu’en ami. Mais je ne veux écouter aucune 
de ces voix secrétes, et je ne veux penser, je ne veux parler qu’en 
ami vrai et désintéressé de notre malheureux pays aux abois. 

« Ne voyant de salut que dans la Monarchie, el ne voyant la Mo- 
narchie que dans la-maison de Bourbon, je cherche uniquement a 
quelles conditions son retour est possible. 

« ll n'y a pas, 4 mes yeux, d’autre maison de France que M. le 
comte de Chambord et ses héritiers légitimes, les princes d’Orléans. 
Si quelqu’un songe & y substituter les Bourbons d’Espagne ou les 
Bourbons de Parme, je renonce & m’entendre avec celui-la; mais je 
ne crois pas que personne ici se place a ce point de yue. (Plusteurs 
voiz : Non, non, personne n’y songe.) 

« Nous sommes donc bien aacbari sur le point de départ; les 
princes d'Orléans sont les héritiers incontestables et légitimes de 
M. le comte de Chambord. On ne saurait donc leur refuser le droit 
de prendre souci de l’héritage, et de délibérer, avec le chef de leur 
maison, sur toute question qui l’intéresse. M. le comte de Chambord 
nest que le dépositaire et l'usufruitier de son principe : il l’a regu 
de ses ancétres, il le doit 4 ses héritiers ; il ne pourrait pas plus le 
frapper gratuitement de stérilité qu’on ne peut, dans le droit privé, 
compromettre le domaine qui n‘appartient pas & soi seul. Nous VOICI 
maintenant en présence de la difficullé. 

a M. le comte de Chambord s’est prononcé récemment pour le dra- 





LETTRE A M. LAURBNTIE, 9 


peau blanc; les priaces d’Orléans, si je suis bien informé, persistent 
4 croire que la France ne peut étre amenée 4 la répudiation du dra- 
peau tricolore, et que satisfaction serait donnée a tous !es souvenirs 
et 4 toutes les gloires, si nos antiques fleurs de lys venaient se poser 
sor le drapeau actuel. 

« M.le comte de Chambord peut-il se déjuger lui-méme sur une 
telle question ? 

« Personne, je crois, n’oserait nine voudrait le lui conseiller; pour 
mon compte, si j’avais 'honneur d'étre consulté 4 cet égard, je lui 
demanderais opinidtrément de n’en rien faire. Les princes d'Orléans 
regoivent de leur célé le méme conseil de leurs amis, et le représen- 
tant du principe de l’hérédité demeure séparé des héritiers. 

.« Nous serions donc enfermés dans une impasse inextricable, et 
le pays y serait enfermé avec nous, si tout procés en ce monde n’ad- 
mettait un tribunal, tout différend un arbitre. 

- « Ya-til un tribunal, y a-t-il un arbilre digne d’une si grande 
cause? Oui, c’est la nation elle-méme, non pas la nation confuse, in- 
saisissable, ignorante de l'histoire, accessible aux préjugés, quel- 
quefois méme égarée et passionnée par le plus vulgaire charlata- 
nisme, mais la nation éclairée, réfléchie , vraiment compétente, 
cest-a-dire l’'Assemblée Nationale, Assemblée la plus loyale, la plus 
sincéremént patriotique, la plus capable, en un mot, de donner une 
garantie égale au peuple el au roi. La, il ne peut y avoir amoindris- 
sement pour personne a se rendre aux veeux de la nation ainsi expri- 
més, & lui sacrifier, non pas un principe d’autorilé, mais un senti- 
‘ment intime et personnel. Quand les princes sacrifent quelque 
chose de leurs prérogatives nécessaires, ils portent préjudice au. 
peuple autant qu’a la royauté; nous le voyons, hélas!-dans l’histoire 
de }'infortuné Louis XVI, et ce n’est pas a Versailles qu'on peut l'ou- 
blier ; mais quand un roi ne sacrifie a la réconcilialion et 4 la pacifi- 
cation du pays tout entier qu'une consolation ou une satisfaction qui 
lui est propre, il ne se diminue pas, il ne s’affaiblit pas ; il se grandit, 
au contraire, il se fortifie, et il conquiert dans la reconnaissance 
publique le vrai prix, la vraie récompense de son abnégation géné- 
reuse. 

« Si, pour obtenir ce sacrifice, il faut résister 4 quelques entrai- 
nements, 4 des entrainements contre lesquels, croyez-le bien, j'ai 
peine 4 me défendre moi-méme, ayons le courage de résister. La 
vraie popularité, dans l’histoire, la vraie renommée appartient 2 
ceux qui ont su résister, 4 ceux surtout qui ont. su résister tour a. 
tour au peuple et au roi, parce que ce sont ceux-la qui savent rendre 
les grands services. Les parlements se sont honorés en remplissant 
ce double devoir, tantét en tenant téte & la sédition, fantét en 


40 LETIAR + M. LAURENTES, 


faisant retirer, sar leurs renjontnances, qu .saéme sur. leur) inyings- 
ble, relus Wentegistser,;mo,édit reyel, Methiqn.Molé nijtait.. pas ain 
grand orateur; ce n’était pas, comme le.ghanegligr.de |’ Hipital, yp 
grand hégiskntewn ; mais c/était, wm geapd. maractére, Un jour.i 3 dit 
Pagani i/o; Vous n’iveg pas-plus lawn, mun aalee JOUR tty 
Je vais. 4 la- Coury, jai difay da rene 35+, et, cake a api. gngs dui 
marquer.et lyj, ganden.aRe, idaus. tihistoize me, France. bt Me 
leshexhes ? Son, gouyenix, caviant bien paturellament.’ ta mAmeing, 
av. moment oa, Aarts seni) da Palais de dustiqny on. yall sail ‘mn 
face de.son. monument la stave de Renryer. On pent caer lamserip- 
tion. du' monument de. Malusharbes, parea (gay elle; a, ne |AMpoRAMte 
aviovilt, perce. quielle est éenite, dada main, d 80s rel- i phe ae 
della dignits reyale, ide, la: "main de Louis AYU; et quella "idole 
louange! Hécemés, pan; Ja pranae 20, SerNMeny ip: Aa, pearance 
jusquid aomast?.- Casein apparté dusem Rot -nurde tadne, tages 
dans ta prison, lascaepuney erin BL. de-wigomaleid Onthery qua pan 
auvaid jandais.ooenu.qon nest, $i, mtaxatt dorit,,ib iy agate 
lois, lignes, qui Gaient, pout. ainsi. ine qa. dayise de.,arisipgAie 
frangaispt: vr) Ma: vis.ivat aniReby mos, true ent.A; Dien, .mon.honuawr 
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pochen, dian: dortis. Ce:qina nbtis| devens fyk ently pt nati 
toutea, nod sugcoptiailitds, d'amanmpnopsns qeekid silences sire 
fond da :nos.cceurs, sun itomle blessures pernpnndile, ef.ja9e tis AUP 
cela. ndug savons: le faire ;qplarid, am apis da: juillet, a, prApOs POFRP 
dé. la ddulonrante question: gigas OGINRe 288, 20: MONO Ms LHD 
journal, i Union ,s'¢stieomplind-entrageries pluseulorisés pl 
considénés diesitza wots, none-avpas tered, COMTI Ley cone agAN Afr 
Vohement qui jour interdisnit demtyandresebnavs y. ATABS aPAAPALE 
mais iquand!.il s‘agit.de portend rapt da Soa DONE tip 
les ypréjages ‘shéme qui foreagoit Mi crepe nome HUA — 
bésation pblitique,!elet.qinuis sasqulte sboyt dn mands wenlstce 
écho deda voix dele :Vrdnos, et sapplier.& dew Zenons qiAmdiet 


LETTRE A WM. LADRENTIB. 44 


ehute. La' vérité, ‘fa -verité, clest a le premier tribut qu’on doit a 
Texil conithé aw'trote;! Ja véritd, ‘la vasitd; 'e'est la secours pour 
Poxib saninie’ wel te (réne:! Ta PEM a A 
ib ¢ Rewetibits) done! bdettdyadstion dit Urapdaes elle dst bien vieille, 
ile a deaudip UecupéM.! Berttyer) ty! 4 plus’ de-vingt ans, evil a 
huiss8'des' nutes cdnsidérables a'ce sujet: Ildisait-alots, et nous di- 
tba! id tons aude Tai As leonishlert ipaw-odite question eomme 
ANG Goes bn Tey eeat ane Yudstiod politique l'La-gloire du 
@rapéal bane? gith'la ‘dottlesie? Mais; iver’ ube insurmbntuble' opi- 
HIRCPELS, ‘tivde Lie hYddgle -diyporlomient; ne! netale portion: de la 
PPiheS' Void Werridhe laldrepedu Hate) Varcieh ¥egime ot ]'elfatou- 
Sear obritve dant F imapitiatien popubsire? eetompogne ridn n'est 
Le te me nea Hen 'sudeih’ ast'plud cebtain. /A ‘coup sir; M, le 
Hite Ge Chath bord n vet pat em ea prnid'ancion tégime; il le-prouve 
‘bidth pt 4a Veh Alalive dens 46’euHvayo witiversdl con fended ui ‘sevnit 
Spe -dtréexeaasie; vicle-eaffréke Universe) devait demiewrer orga- 
Ae}! ove iplltst Adsoryuriobs tebigh' dl Dest aujourd*hutl: Le -saffvage 
Selina Leb! quer Jet hpratiquet ‘csttethetitevcl; ettme ‘oxelusive- 
Wet $eS ftadeld! dydint Welds) avelelinattaiteyy ibllivre, dict & bref 
délai, la société publique & la merci des sociétés secrétess i'donne 
edaragics- mat sur- an prepriss A cous gH.ne possAdent rien. Vous 
seriex JaN5s,ROR PAS IR Bus BORER ee plys impradents des 


Kgislateurs, si, tout en respectant loyalement le suffrage universel, 
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Abb Seediite Pibliqts! Ne: wal lkeses pas! dire que'le ‘coup: diktat 
GP Teese n'a vedas! hae. pared qailevale até provolué pur: la 
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a pieliiee 4 ‘les thihir, dt -otleg-ne repoyssént point Ja main -de 
Minéiceletrs,quand cette ‘main se.tend:vérs.elles en amie, non 


13 LETTRE A NM. LAURENTIE. 


pour les opprimer, mais pour les élever graduellement, en propor- 
tion de leurs lumiéres et de leur honnéteté. | 

« Je vous demande pardon de celte digression; nous courons tant 
de périls 4 la fois que le champ 4 parcourir serait trop vaste, et je 
veux me borner au point capital. dont nous avons commencé 4 nous 
entretenir. | 

« La France s’effraye de l’ancien régime jusqu’a la monomanie, et 
c'est la ce qu’elle personnifie dans le drapeau blanc. N'irritez pas cette 
monomanie. bs 

« M. Berryer disait, il y a vingt ans, et j’avais ’honneur de dire 3 
cOté de lui : Il est possible que, au lendemain d’épouvantables catay 
strophes, le pays accepte et redemande le drapeau blanc; serait-ce 
une force pour la royaulé? Ayons Je courage de le dire : non! 4 
peine revenue au calme, la France ferait payer bien cher ce passager 
oubli de ses préventions invélérées. Au moindre mouvement d’hn- 
meur, elle ressaisirait le drapeau de ses préjugés, et en un clin d’eeil, 
une révolution serait accomplie. Si au contraire, par l’alliance deg 
fleurs de lys et du drapeau tricolore, vous avez définitivement récon- 
cilié la tradition et la société moderne, si yous avez symbolisé, d'un 
commun et irrévocable accord, cetle réconciliation populaire, la 
royaulé n’a plus contre elle que le drapeau rouge, cest-a-dire le dray 
peau du pillage, de l'incendie et du meurtre; alors, elle est invincible, 

« Nous disions cela il y a vingt ans. Hélas! les catastrophes sont 
venues ; ont-elles manqué d’épouvante, ont-elles manqué de clarté? 
Et pourlant le pays s’est-il rapproché du drapeau blanc? _ 

« J’entends dire : c'est la condition indispensable de cette autorité 
ferme et forte dont le pays a tant besoin [ 

« Je crois que c’est le contraire qui est vrai; je crois que ceux qui 
parlent ainsi marchent directement contre leur but. Rassurez la 
France sur les points ot elle a tant d’ombrayes, elle cessera de se 
montrer passionément inquiéte et passionément julouse du cdlé des 
institutions ; troublez son imagination, par un symbole qui n’a d’au- 
tre porlée que la valeur méme que lui préte l’imagination, vous la- 
chez la proie pour l’ombre, et vous conduisez le pays 4 exiger les 
garanties, les concessions Jes plus incompatibles avec le tutélaire 
exercice de l’aulorité. Un homme d’Etat a qui, certainement, la sa- 
gacité ne manque pas, me disait un jour : En France, plus on mettra 
le pouvoir a droite, plus il faudra mettre les institulions & gauche. 
Le mot était profond ; j’ai eu l’honneur de le répéter et de le com- 
menter 4 M. le comte de Chambord. Je vous demande en grace de 
bien y réfléchir vous-mémes, car le secret et la solution de bien des 
problémes sont la. 

« Les hommes que je combats avec tant de respect, et, qu’ils le 


LETTRE A NM. LAURENTIE. 13 


-croient bien, avec fant de regret, aiment 4 citer Henry IV. Assuré- 

ment, Henry IV a dit bien souvent: — Je ne céderai point & la 
Ligue ; — il lui avait porlé et ilen avail regu de rudes coups, et 
cependant, il a fini par compter avec elle, car il avait dit aussi : 
— La grande amour que j'ai pour mon peuple me rend tout aisé et 
glorieuxr. — Ce beau régne, le plus beau peut-dtre de notre his- 
toire, est, du premier jour au dernier, le chef-d’ceuvre d’une trans- 
action, d'une transaction donnant satisfaction aux catholiques, sé- 
curité aux protestants. Prenez l'histoire, dans tel siécle ou dans tel 
pays qu’il vous plaira, et vous ne trouverez pas une grande lutte 
sociale, une grande guerre civile, qui ne finisse par une transac- 
lion, et bien heureux les temps, bien heureux les peuples ou la 
transaction ne demande plus qu’a se résumer dans un simple signe 
éxtérieur. Plagons-nous, pour en juger, sur un terrain of nous 
goyons pleinement désintéressés de nous-mémes, prenons |’Autri- 
ché. Croyez-vous que si on allait dire & son empereur, qui se débat 
si laborieusement entre trois ou quatre nalionalités rivales ; — Les 
divisions, les hostilités vout cesser, si vous donnez 4 chaque natio- 
nalité, non une large part du pouvoir impérial, non telle ou telle 
de vos prérogatives essentielles, mais le droit de représentation 
sur le drapeau; — croyez-vous que l'empereur Frangvis-Joseph ne 
s’estimerait pas heureux d'un tel trailé de paix, croyez-vous que, 
eti le signant, il humilierait son sceptre? Croyez-vous qu’en France 
les partis, dans leur état actuel, ne soient pas presque aussi divisés, 
presque aussi ombrageux les uns vis-a-vis des autres que les peuples 
divers du vieux empire autrichien, et qu’un traité de paix définitif 
ne soit pas urgent? : 

« Maintenant, la consultation du pays parle souverain est-elle une 

Tonovalion ou une prétention révolutionnaire? Non. 
’ « De tout temps, dans toute la durée de l’ancien régime, la 
Royauté a toujours, sous une forme ou sous une autre, consullé 
le pays, compté avec le pays. Sans cela, elle eut été l’absolutisme 
pur, et elle n’a pas voulu l’étre, clle ne l’a jamais é1é. Aux 
Champs-de-Mai ont succédé les Etats-Généraux, aux Elats-Généraux 
les Parlements, et quand ces voix indépendantes ont élé, non pas 
‘étouffées, elles ne l’ont jamais été, mais moins attentivement écou- 
tées, on marchait vers 89. 

a Il n’y a donc pas plus de milieu aujourd’hui qu’autrefois entre 
Pabsolatisme pur, c’est-d-dire la volonté sans réplique du souverain, 
et fa consultation du pays. 

« Si quelqu’un connait yne troisiéme solution, j'en serai fort heu- 
reux; quant 4 moi, dans mon dévouement et dans mon patriolisme, 
j’en ai vainement cherché une autre. 

« Celte solution méme, quelque modérée, quelque raisonnable 


44 LETTRE AM. LAVRENTIB. 


qu'elle soit, arous ne-pounona y arsiver q’yn seul bond,et-sans tran 
sition:'One homme-ne passe pas imméediateamont de. la maladie .* da 
sarité, il traverse: nécessairemednt la canvalesdence; un. peunie.na 
passe pas non:plus sans transition .dq-lanarchie & Ja monarobie. ba 
cbnvalescdnee pst -una.loi on politique comme en- médecine ;..dntva 
Chanlos I‘f:et Charles H,iAngletenre.a,ou Olivier Cromwell, Bicherd 
Cromwell et Moncky en Finsee, apna te Terrenr et: le: 9, thengsidar, 
nous avonseu. le: Direotoize, t¢ Con: wlatiet,. Eanpirg..Je suis depotrier 
loin de reprocher 4. Assembite, de n’anoir pas,iaw pramien joun da 
son inauguratron ai Bordpars, proclamé. ta. moparthies i} .a (614: a8 
de sprendre compte, méme de loin, des immenses difaculas qui 
ont pesé sur vous et dicté ié¢ pacte ide, Bostemux, -paele quiine spies 
ontertda it: dsswrément pac la rapublique daguishe,etisubseptice, mais 
qui refusait: dlimpoddr sa lai menanchie ja hiqvidatinn ‘cl. par nonséh 
quent,:.l¢ ‘nesponsahilité d’ene: ei qn elle, a anait pes fate, Col 
Weta point. ele:d sigger te enuel/ivatté qui inutileit, agtra: tenri+ 
teire et ilifalldit - mu: moins seodastituer, les premiers éléments ad) 
ordre matériel, avant denfamer les plus haules queaticgs daVer, 
dre moral. OS sfonp eb th ob oq onputre fb ah ob 
. Aapourdhui ménte, ness, he sormmen ‘pas encora cartis ‘de la 
centalescence, et notisine devons ‘hrukques ancund srqnsitian. sit {i 
: to Cetté convalescenbe, cette tnansitaon, theaan Kem mes :samn blebs 
paride cours des Svénemdnts;: appebéd: dda ‘feprfsenter, My! lendno; 
d'Aumatd et Mo Thiers; athis tows deux: he end -pas aans excitas, de 
divers titres,‘ une cbrtaine ingtistudet::« ;;;-: 1D 4? Mpuilod zenrergaal 
“a M. Bhiérs! Yous sqvel tops, messieuns, qae.je kon: ai, janais- 
parké depuis: vingt agsisasila: plus:cordiale racbnnassance,: 4 ja dac 
lui dois: bién} car'c’estiac Ini; peuri la dhs ereide part, meenic dois 
les deux actes de pra qourie casridrd| ‘la netourdu, JouyensintPeatifel 
4 Komeret le retour: do: ta; tibertin denseiguemest, on Brange. Ouils 
quand fai-ve M. Thiers tila 1616 de afon -prye, Pai sand de mesog:' 
pérdnces cet Svénement; et Yainiévé pens hulle rdte. pe glue .grand,!; 
le plus originalided Histoine moderne, At.powvsit:,¢tne le. soul: Rom ms. ! 
qui ett sauvé un. pays seas-étrg pninoce ef sans.avoin |épée/ayhcets.:! 
Washington était général,'Monck littait qussin Banepaste:] Maal bins) 
unvpea; M. ‘Thiers seul,’ per lunique force de lintelligence,! en;i 
Punique.prandemndds -sérvices‘rendus, : était. artavp. a-digpopes dew, 
destinées. ;de:.s0a : pays,!. ét' hoitequill revensit.de ca, gsand. voyage! 
patrictiqae ot. H ayant. ¢té & led send toute notro, diplomatie pats: 
des grandes -cqurs del’Runepes ldraquitl rapportedt a laF range ceite c 
paix doulpureuse mais nécessaire, j’ayais esphnd qu ih ad: dovemerait;- 
a la pacification intdérieute commode peelfcation oxifriepps dine. 
l’a pas assez Youlu,-ousdu nioins ik ne Va;:pas asses fermemong tent: | 
el je né puis mé consofer, mor l’ami ancien et’ fidéle da. sa vane. . 


EETTRE A M. LABRENTIS. 45 


giire; qu’il-ait pré{éréile preailer-rang.aw: premier ride, et que 
fodvatit Mire ld sanveur desbn' pays, tl pareigse: se contehter anjour- 
Ghar #eMrele président d'une répubteque.équiveque: Est-ce attire 
pour ela’ >i faille dre snjusté on ingrat envers: tent: @immenses 
setvices 7 Dieu nous en garde} undis#] no adus.est--pasidéfendude 
toni ed dide & Mi Thiots lulsmame: ‘cuptre!les - pkégés qui’ Fehtod- 
rant, ot! daniétorer ow do toetifier|sa politique: Vous tiven, és omtre, 
toulla prévolr : utd attngad dela -démagogie, unc suiprisaida:cisa. 
Hines vowe'aves onfia'ef mous:atons tous: -prévoir obte, mtdrven: 
fiots Foltdroyante ‘deta Providence quiow appelle la itt)> ORT Rm a Ee 
1Un Bakbi toutes:ces hypotheses, que fbrez-vous3 Glest ici! qu’appa:- 
rat: be v6le possible do M:. lheuduc:d’ Aumate. Pty PO eigee tate Oe, Y fis 
-.ai Sab ibesety de vows ye péten que je ne conndis aucwn-des pri 
delainsigon d'Oeldaiy, qhe jow'si jormais'on t'hopautir d'imterrogur 
la perisée-d'aucun M ou, 8 que, pai consdquent, jong me porte gu, 
rantd'acidun d!/euk M. leat edst peitdish Jo phie¢leignée 
de nbs: cependant, s’id. prendit: des engagements id-‘Hobhetr; jly 
coattsib. tin menbrede td réukiow! News: proposes-vows la présisionce' 
de la République pour le duc d’Aumale? ) HOU OL 
cl obiesiveirnent en; view ne serait plascontesine i) dik pegsée, et 
il me sembleque psviens de pr oxplipeer bssez-cloirement sur da Reé- 
pebdigae;-poun qa'ducen: dowd ne poise e yintes echt Sgard, Ce que 
jetious! demande; c'est 2’ abord: de; craiien les: princes. d’Oniéens Don 
eh cntionns, wiais: pw sombres le dachmilis reyale | clést-.diagin en 
hommes politiques, en essa faméljprertoubie monde saas brir 
semperponie; d’apiéieres Mi? Pinters par ja perspective diult pas em 
aehat tens 1a monarelie! pabimtemention-diun prince, damélioter 
Midd ducid'A uttate,'s't en est hesbiw, pgc ial pérspective deMUThiér& 
Jeldate) bite qaut éxista du nliliew de: nets (quekqubs théoriciéns 
abietus qtd idrdientadresseran daorntal re mioche w an thoinme:poli- . 
tignep quand) lb:dui. disent): «Youd dtes sin polstique/ » ef quinine, 
djbent) janis ‘quidvec:|Iisdcent ge plus: Mipirican:s:0 Vous dtesibe-, 
bala. aust dvone qui sch: veprodhas adresse -ii ales: homints changés (de. 
faitoode' lapolitiqueiettixatenment priés: per 4e.pays ddyiter ces. 
faartish lopinidtves qui: bnt-aéfaJperdh tant-de-pouvoits eb provequé 
taut de-oatattiephes; } avout que ce depseqché ne m'eflta ya‘ pas pour 
vend, 80 Je wols:supplie do:lé mésher.iSeper'des-hommes politiques, 
dans }@ noble et juste acheptiondd ce mes ! Notro pays 7 est pas-asser 
che On: wrees “pour queéey‘sanslrien préjager d'avanog, vous 
apditedenit Helle paver dtaubune 1 ne pavddinérait pas alu con 
sdessteers, it nd pardomucret. pag aax:-hommes monarchiques, en 
Partidalive) silk sa'boomiiem &lamoncetersdes obstecies ow d:com- 
templed desruines, s'jls croqaidnt:aecemiplir leur mardat ew prolon- 
genes tadéfbinient lhngetsse ‘actuelle; en faisant échec & la Répu- 


/ 


16 LETTRE A M. LAURENTIE. 


blique parce qu’elle n'est pas la Monarchie, échec @ la Monarchie 
parce qu’elle n’est pas encore préte, en deca ou au dela de la fron- 
tiére. Je ne sais plus quel journal a publié l'apologue des deux vais- 
seaux, disant que si l'un portant M. le comte de Chambord venait a 
sombrer, Ja Monarchie survivrait tout entiére, mais que si le vais- 
seau portant la maison d’Orléans venait & périr, ce serait la Monar- 
chie qui périrait avec lui. J’écarte de toutes mes forces de telles 
hypothéses, mais je prends de cette cemparaison le seul point appli- 
cable 4 votre situation d’aujourd’hui : tout vaisseau porte un canot 
de sauvetage ; quel équipage, au milieu de la tempéte, s'est jamais 
avisé de briser le canot sur lequel i] pouvait se réfugier un instant 
pour gagner la plage en vue? Ce qui enivre un homme, ce qui ’en- 
traine aux excés de la personnalité, c’est de se senlir unique et de se 
croire indispensable ; n’exposez personne & cette tentalion, pas méme 
un président de république. 

a Je sais bien que les mémes hommes qui font, en politique, fi de 
Ja politique, ne reculent ni devant lidée des tempétes, ni devant 
l’imminence des catastrophes ; c’est au contraire dans la théorie du 
pessimisme qu’ils puisent leur espérance et qu ils cherchent leur 
point d'appui. Jose leur répondre que cette théorie serait coupable, 
Si elle n’était pas aveugle ; j’ose affirmer qu'elle est aveugle, car iln’y 
a pas un événement qui ne la démente. Non, ce n'est pas par un 
surcroit de démoralisation, ce n’est pas par un surcroit de calami- 
tés qu’un pays se reléve, surtout si une portion quelconque de ces 
calamités pouvait étre imputée au défaut de conduite ou aux arrié- 
re-pensées d'une des fractions du parti conservateur. C’est en mon- 
tant qu’on trouve M. le comte de Chambord, ce n'est pas en descen- 
dant ; le roi est au sommet des intéréts sociaux, c’est vers ce point 
culminant qu’il faut graviter sans cesse et fuire graviter le pays. Si, 
au contraire, nous laissons glisser le pays sur la pente qui descend 
vers l'abime, nous ne faisons que |’éloigner du but, nous ne faisons 

-qu ouvrir la carriére 4 de nouvelles aventures et a de nouveauxaven- 
turiers. L’histoire est 14, notre propre histoire, celle de tous les 
peuples en révolution est la pour le démontrer, et je défie tous les 
théoriciens du pessimisme de la démentir. 

« Enfin, ilest une derniére objection que je ne dois pas oublier, 
car elle a pris créance dans un trop grand nombre d’esprits. On ne 
veut pas suivre les voies de la politique humaine parce qu’on a foi 
dans les voies uniquement providentielles. Ces espérances, j’uime 4 
les nourrir au fond de mon cceur; quand le découragement me 
saisit, j'aime & me dire que le ciel n’abandonnera pas dans sa dé- 
tresse le pays des croisadus el la race de saint Louis, que le duc de 
Bordeaux a été salué, dés sa naissance, comme I’enfant du miracle, 
et que ce ne sera pas en vain. Mais comment se font les miracles ? 


LEITRE A M. LAURENTIE. 17 


L‘hisfoire de France en compte plus d’un ; plus d’une fois Dieu nous 
a conduits 4 une fin prédestinée par des voies extraordinaires, mais 
sans sortir cependant des moyens naturels. Quelle mission fut plus 
évidemment miraculeuse que celle de Jeanne d’Arc? et pourtant, 
a-t-elle fait la guerre en méprisant les lois de la guerre? Non: elle 
ne négligea jamais ni la prudence ni la clairvoyance naturelles ; elle 
tenait une épée 4 la main, elle se munissait d'une cuirasse ; elle ne 
se croyait pas invalnérable, elle a été blessée ; elle s'entourait des 
méilleurs capitaines de son temps, elle ne décidait rien sans les 
ednsulter, et elle ne dédaignait jamais de grossir ou de fortifier ses 
batailions. C'est ainsi qu'elle a délivré Orléans et fait sacrer Char- 
1&'VIl & Reims. Si, au lieu d’avoir une mission militaire, elle avait 
rece une mission politique, soyez surs qu'elle n’eit pas dédaigné 
divantage les conseils de la sagesse ‘et de la prudence humaines, 
qu’elle se fat entourée des hommes d’Etat aussi bien que des capi- 
tdines, et qu'elle n’edt pas méme négligé de grouper et de consoli- 
@r la majorité de son parlement. 

a Tout vous donne le méme conseil 4 vous-mémes, le naturel aussi 
Bitn que le surnaturel ; tout vous dit : Ne vous divisez pas, ne divi- 
sez ‘pas la majorité ; tout ce qui vous divise nous perd, car tout ce 
qu? Yous divise réduit 4 l’impuissance une Assemblée qui est unique 
ét supréme ressource du pays. C’est ce supréme intérét qui vous 
parle et qui vous presse ; ce n’est pas mon iniliative, ou ma préfé- 
retice, ou une vue personnelle, quelle qu’elle soit, c'est le péril, et 
—< titre, quelque téméraire que j’aie élé, pardonnez-moi. » 


Ya soirée se termina par un dialogue entre quelques-uns de mes 
atiditeurs et moi; les questions ne furent que trés-rapidement effleu- 
rées. Néanmoins, si mes interlocuteurs tenaient a la publicité de 
léurs paroles, je les prie de les rédiger eux-mémes et j’y joindrais 
mes réponses. 


Je n'ai pas besoin d’ajouter, monsieur, que je ne désavoue ni ne 
regrette une seule des paroles que vous venez de lire; tout ce qui 
s est passé depuis un an n’a fait que me confirmer dans ma profonde 
conviction. 

Maintenant, monsieur, j'attends de vous, 4 votre choix, ou un 
peu de justice, ou une nouvelle accusation de trahison, de convor- 
tise et de duplicilé. Dans une ou lautre hypothése, je vous prie 
d’agréer d’avance l’expression de mes sentiments trés-distingués. 


A. pE FanLoox. 
Angers, 2 avril 1873. 


40 Avnu. 1875, 3 


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La Révolution parcourait de’ plus en’ plus vie 8 Son cercle five Les 
hommes de 89, les grands réformiteurs'qui avaient introduit Peg 
lité dans la société et la fiberté dans I'Etat, jeoonstlanis’ ba les 
passé et n’étaient ‘plus que des fistodrated! La Fayette avait di fuir 
il expiait dans les prisons de’ T'Autriche ‘sUti ‘dévouement' a Ja cause 
de la liberté. Bailly était libre ettcore, mafs il'allait trouver bi Lob. 
dans cette ville qui'l’avait mis 4 sa téte, aprés ‘la prise de la hast 
tille, une prison dont il ne devait sortir que pour monter sur l’écha- 
faud. La république avait renversé, balayé tous les soiltiens de la 
monarchie constitutionnelle. Lés Feuillants n’éthient plus. Le’ pou-. 
voir appartenait’4 ceux qui, aprés avoir détruit Ja royauté, ‘avaient 
voté par faiblesse ou par calcul, par aveuglement oif par fureur, Ia. 
mort du roi. Mais le faisceau allait se rompre et les hostilités ‘éclA-" 
_ ter parmi les alliés de la veille. Si les plus modérés avaient la ma- 
jorité dans la Convention et dans la France entiére, ‘les plus» vio-, 
lents avaient leur appui dans la Commune et ‘dans la partie clive’ 
des sections de Paris. Dans la Convention meme, les modérés, les, 
Girondins avaient donné les mains & la crédtion ‘des = choses ¢ pi, 
furent l’4me et ]’instrument de la Terreur aa profit violets : Te 
Comité de salut public et le tribunal vévoluilfonnaire et. uand ils. 
s’alarmérent, quand ils voulurent éproaver leur forced an sein de la 
Convention en faisant décréter d’accusation Marat, te tribunal’ réyo= 
lutionnaire leur renvoya Marat aequitté, tiiomaphadt. Cietait le signe 
que leur ascendant avait pris fin.”’ " a ar 2 ae ae 

Dés ce moment, les Montagnards gagtieht de plus én plus dans la’ 
Convention, soutenus par les tribunes, qui y apportent ta Voix ‘du 


Piha? voyget a es a ae ec Tey tha, 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 49 


dehors en attendant l’émeute victorieuse. M. Mortimer-Ternaux a 
décrit ce progrés dans le VII° volume de son Histoire de la Terreur, 
ouvrage que sa mort a si malheureusement interrompu, au mo- 
ment ou il abordait son sujet principal. Les développements donnés 
4 Yexamen des volumes antérieurs Wie avaient réduits a n’en dire 
qu'un mot dans I’article q oF rey a bey consacré ici méme en 
4870. Nous aurions pu y A la méMe fermeté dans ses juge- 
ments, les mémes scrupules a ne les asseoir que sur les faits les 
mieux vérifjés ; ci pourtaet ily auneisqerge dfniprinatfons que au- 
teur parait ol négligde : ce sont les rapports de police adressés, 
jour par jour, au ministre de .Pintéfteur Garat. Ils ont été publiés 
par extraits dans un ouvrage quia paru l’année méme de la publi- 
cation du dernier volume de notre regretté confrére : Tableausx de la 
Révolution francaise - publiés sur-les papiers inédits du département et 
de la police seoréte de Paris, par Ad. Schmidt, professeur d'histoire 
a Yuniversité d’léena'. Ils ne ntent bene rien aux conclusions du pre- 
a A : mais 3 is aip DeatOn® Ada cognaizsenna des 616- 
mit a Mer oflumer-| fern nous.moantce jes choses comme ables, 
ft Aah vé : es, I Les rapport; de police, pgus, fonticonnattre.le milieu ow 
$.se.sont passées ;, ils nows.font.yoir ¢omme,le périd était conn, 
le) iin e mies iqné,. et comment le ministre de lintérieun qui, pré 
a tout, ne Git, rien, est plus,responsabla. encone, du résaltat qua, 
rér9 









mer- LN AUT | ne, Jen. accuse. Comme tputes.. ngs journdes 
9 sepa se ressemblent,, quielles se, préparent.de la. mare 
ai aed éyssissent. par les mémes raisons, il. na. ae pas senst 
ese aig auelanes emprenis.a coy capponts. Noug.y. verona des: 
a eae id ue, No ONS avons YUES ane a habit 4, des, époques plus. -nécens 
tes, ef quo, Si 'nqys ne changeons d:habjtudes, nous sommes destinds 
Voir. a , e ciene 
ald rival iv : ai ‘des den, partia de la-Gironde. at de la Montogee s‘en. 
Yenmai Sitritalt par Je fait espe, de. la, ai}nation formidable: ‘ofa 
il vaeah ac la Franee., ab ee Tn ee a 
ayec person tf famyention de énergie, qn’ elle a.déployéa. 
i = ger: On da pourrait, blamer aussi, justemend. des. pévils 
iene elle avait jeté le pays, Ge niétait pas.assez.de a lutte 
ae ne wey Lena fonire VAntniche, la Prusseet la Sandaigne:' 
at 





“On lo 


a guerne hb |’ Angleterre, (4."' féveiar, 4 703);-ont Yavait. 

laree, at Fapapne (7ymarsys, et en ,méme.tenaps -que-l'on.se-trou-: 

vail avo}n, a) ayant d'ennemis qua de ;voising, .quantlla. guerre 

miefiacait c cea dee points de nos frontigrgs, elle, dclatait a Vint 
belek ara AT SARE. le sypplice de Lonis XVI... 


vatican ke fexte priate bet-dutreye aint Atiftived pone f 
wh, se zine? ch 1, C., Seine), et jen ai corvigé les fautes sur plusieurs points, 


20 PARIS ET LA RRVOLUTION DU 31 MAI. 


Au milieu de fant de dangers, avec des moyens si bornés et une 
organisation si imparfaite encore, les revers étaient possibles ; mais 
dans celle fi¢vre ardente des partis, le moindre échec était rapporté 
4 la trahison, et le mal que l’on soupconnait 4 tort pouvait naitre de 
ces soupcons mémes. Nul doute que le nom de traitre, jeté& Du- 
mouriez par tous les clubs, ne Pait entrainé a trahir. 

La trahison de Dumouriez eut pour l’armée cette conséquence 
désastreuse, que les soupcons qu'on en avait eus par avance furent 
justifiés et que désormais tout général malheureux fut tenu pour 
traitre ;-elle eut pour la Convention ce résultat, que les deux. pastas 
avec lesquels Dumouriez avait également des relations s’accusévent 
d’en étre les complices; et I’heure de la crise en fut d’autant ia 
rapprochée. m 

C’est sur l’atlitude de Paris a la veille de cette crise et sur celie 

du gouvernement, que les rapports de la police nous donnent des. 
renseignements curieux et nouveaux. , a 

. Et d’abord disons ce qu’était cette police. ; 

Garat, successeur de Danton au ministére de la justice (10 octo- 
pre 1792), puis par intérim de Roland au ministére de l’intériewr. 
(23 janvier 1793), puis définitivement ct uniquement ministre de l’in- 
térieur (14 et 20 mars)‘, l’avait instituée pour s’éclairer sur les dis» 
positions des esprits dans cette situation singuli¢rement difficile::. 
Garat ne manquait pas de lumiéres par lui-méme, et il connaissait 
les partis. Il voyail, dit M.. Schmidt, dans le colé droit, « le génie de 
la république, seul capable de la sauver, de la créer, de l’organiser 
avec sagesse et avec grandeur ; » tandis qu’il voyait dans le cété 
gauche ou dans la Montagne « les passions de la république qui, si 
elles étaient ou seules ou dominantes, seraient capables de la per- 
dre (Mémoires de Garat, p. 71). Il reconnaissait que le cété droit, 
sur lequel la république « fondait ses plus belles espérances (p. 73) » 
faisait appel 4 « tous les honnétes gens de Ja France (p. 46), » tan- 
dis gue le cété gauche penchait « & appeler 4 sa défense les excés. 
du peuple (p. 49).... Il n’y a nul doute qu’il ne partageat absolu- 
mens les opinions politiques de ia Gironde, comme. il en partageait 
l'horreur pour les forfaits déja commis ou imminents de I’anarchie. 
On aurait donc pu croire qu’il serait son champion, son défenseur 
le plus acharné; et, en effet, tous ceux qui ne le connaissaient point 
profondément s’altendaient qu’il ne serait que le commis des Gi- 
rondins et le gardien de leurs intéréts. » 


‘ Gohier lui succéda, le 20 mars, au ministére de la justice. Les autres mem- 
bres du conseil exécutif étaient : Claviére, aux contributions publiques ; Lebrun, 
aux affaires étrangéres; een a la guerre, ou il fut, en avril, remplacé 
pdr Bouchotte. ss . . 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 WAI. 2¢ 


Mais Garat manquait de résolution pour combaltre le mal ot il le 
yoyait, et, ce qu'il y ade pis, il se faisait de sa maniére d’agir un 
systéme politique. « Il se croyait grand philosophe et il appelait sa 
faiblesse tantét circonspection et ménagement, tantot modération et 
neutralité (p. 45, 442) '. 

« Comme ministre de la justice, dit encore M. Schmidt, et mal- 
gré son horreur pour les massacres de Septembre, il n’avait pu élre 
poussé & donner lieu 4 des poursuites contre leurs provocateurs ; il 
sétait prononcé, a ce sujet, de maniére 4 ne pas rompre avec les 
Montagnards ; il avait représenté ce grand crime commeune suite 
nécessaire et fatale de l'insurrection du 10 aout, et prétendu que Ja 
revolution setile en était responsable. Lors du procés du rot, ils'était 
prononcé, d’un cété, contre le jugement et l'exéculion, mais del’au- 
tre aussi, contre l'appel au peuple. Le 16 janvier 1793, dans le 
compte qu'il rendit au nom du Conseil exécutif, de la situation de 
Paris, il avait ajouté de son propre mouvement: « Tout me parut 
« parfaitement tranquille. » (Moniteur, n° 20.) Dire, deputs ce temps: 
« Paris'est calme, » ou: «Paris est parfaitement tranquille, » c’était 
pour lui plutét un principe qu’une opinion. Il répétait cette asser- 
tion, méme au milieu des plus vives agilations et, comme ]’on verra 
per ia suite, malgré sa connaissance parfaile de tous les préparatifs 
de,désordres qui se faisaient 4 Paris *. » 

‘« Garat, continue le méme auteur, se mettait par principe, c’est- 
a-dire par faiblesse, entre les deux partis; il ne cherchait qu’a les 
rapprocher par des raisonnements tirés de la philosophie et de 
l'histoire. Si les Girondins sentaient la nécessité d’agir, de « met- 
tre promptement les fers au feu » pour prévenir les crimes et les 
malheurs dont la patrie paraissait menacée (p. 64), il les dissuadait 
de‘prendre des mesures fortes. Et s’ils lui reprochaient sa faiblesse, 
sa tenue douteuse, il insistait sur sa théorie que la « neutralité » 
était une « force, » et méme !a force « la plus rare de toutes » (p. 45); 
ou il se mettait 4 vanter son courage, en ce qu’il prétendait prévoir 
que des deux célés on tirerait sur lui; ou enfin il se retranchait der- 
riére.la fiction de son indépendance, en disant rudement : « Je pren- 
« drai pour guides ma conscience el ma raison, et non celles d’au- 
« cus homme sur la terre; je n’aurais pas travaillé trente ans de ma 
« vie @ me faire une lanterne, pour laisser éclairer ensuite mon 
« chemin par la lanterne des autres » (p. 63) *. 

Il avait pourtant autour de lui des ‘hommes qui ’aidaient 4 voir 
clair ; et cela nous raméne du ministre 4 ses agents. 


‘ Schmidt, Tableaux de la Révolution francaise, t.1, p. 118, 119. 


$ Ibid., t. I, p. 419, 120. 
5 Ibid., t. J, p- 422. 





92 + PARIS BTA AAYORUTION DU $4 Wal. 


Ce fat-dansila:soirée du. 40;moens, dans cette soirée. ou las Conder. 
ers et les Jacobins tentérent déja de réaliser le-complot qui Gud! aide 
pris avec: plus ‘de saceés le'54 meis'co fut alore que Garat! isdléeaud: 
milieu dé ces préparatifs de Pémeate; 'sentit le be8oin 'd’aveit! Sire 
les principaux points de Paris, des observateurs’ pout lhi‘rentite 
cémpte de ce qui se ‘passait '. Le mois suivant, il en fit une institu- 
{fon régulidre. Le bureau « @esprit public, » établi par Roland pout 
répandre par des écrits les principes de la Révolution, se transforma, 
sous la direction de. Champagnenx, lami et-le coopérateur de .Re- 
Jand, en hureau d’observation.* ; et Garat.choisit Jui-méme plysieura 
abservaieurs. Les agents.dent i &t choix, disons-le..4 sani douangey 
nétaient pas de ces hommes qui s’sppliquent.4 ne-voir.que- es que 
Jebr chef-souhaite qu'on Jui ‘dise. Its Yoyaient ce qui'se passaitsotes 
leurs yéeur, ‘et ils disaient'tout bonnement ce'qu’ils ‘vovaient.' Parmi 
éux; fi en est un quise'distingue surtout par son courage ét’'sa sit- 
cérits. Cest un dneien' avocat, ‘nommé Dutard, investi de ‘cettd 
charge le 30 avril *. Dutard n'est pas seulement pour son, ministreun 
agent, il est un conseil, et on peut dire le meilleur des amjs, puis: 
gu/il lui fait connaitre: la vérilé, méme quand elle , est désagréable. 
Il ne se borne pas 4.lui dire co.qui est, il-lui dit ae qual dudram 
faire ; et em-lui- oifrant. les. moyens' d-agirien connaissance de cause; 
il le pousse 4 l'action. Dans ia. lettre par laquelle-i} accepte'sa. migp 
sion, il expr¥me comment il'- la congort, et. montre'déya par un 
éxemple' Ue quelte thamiéte il. fe veut pratiquer’: se . b ye 
65 ae eo ies Pope pet Cheled athe, ety ys i ry Pr A ee te Bb ares 
“Je vais‘ donc'me livrer tout entier.el sans réserve 4 rétude dd la Hévolu- 
tion ; jene me bornerai pas 4 vous rapporter ce que jaurai vu ef erttendu * 
c'est la mécanique du métier qu’un simple valet remplirait aussi bien que 
be pretiier philosaphe.: Si j¥tate irestrdint a! cette opératibn,|jd vous wtoue 
gue Vidéd\senle:m'enterat peut, oo a ec eebont of oll 
9. H faut.sanscontredit que: j’énorce des faita': mihime differestia. faok 
inducer, ad mariman, differentiam, juris:;.... majs; il faut dugai.que.'jp xtic 
Sonne daprés les faits, que je: typagmette ce que j'ai senti plusot que oe 


que } ai entendu; il faut ay mojns gue je hire Jes conse: ores. 
Par exemple, hier, sp Prine det Beakis Pane Recah. oe acini. 
qui, par son moral, m’a paru étre un Brissotin ou un aristocrate, avait 
“quibre le atvet UA Jadot. Litiy avait thane’ but ld ‘ydede? dunt de 
Haatre, ét'pour'cel#’ il’ a' fat ‘s’Blever uid 'affarre ChUweYHente Mitre eal. 
Quand je vous wurais {hit un’ artféte ‘qu'un homutid ‘avait miarehe sur! ta 
on ’ Ba? ae Bina ae J ee me ee ee  aetee tN ae anys 
‘ 1 Garat, Mémoires, P- : ef Schmidf, t: I"; p. 135001! on ae fy 
£5 lig! Schrbidt, abH"p: ee ed TUS, Tie AL u 
3 Avec Dutard, M. Schmidt nortime ‘parriti'ces'observaféurs :'Terrasson| Histallé 
He & mai} Pebridve; le 185 butian (U6: my, e322) Beaudsmner ‘dl Blanigs' (id! 23 ; 
atone-Lamontagneyies24.) oto thos UP obtal eo top collitend ob chig Bus: 








PARIS ET -LA‘REVOLUTION DU 34 MAT. 3 


qabue d'an chien, et: qae.le mattre s’en étuif fidhé : 4 la lecture d'un sem- 
bisble:artiele, vons aiauries puveks dispenser suns ‘doule de sourire ou 
de sajtir un mouvement, d indignation contre le rédacteur. Mais si, au 
eqntraire, je vous dis': Je sujs arrivé ea. Palais de:l’Egalitg 4 3 heures de 
Vaprés-midi, dans quatre minufes j'y ai tout vu,: Deus cents aristocrates a 
pres garnissaient les allées dy jardia ou Jes cafés; il y avait peu de 
Jacobins, les aristocrates étaient silencieux, réveur's, paydissaient se con- 
cérter. Quelqués-ins un pey lettres ‘y raisonnaient sur fa politique, éle- 
tuient le peuple ad degré de contiance qu'il faut pour engager te peuple a 
vilér ‘aa sévours dé nos’ freres dé ka Vendée ‘d‘autres invitaienit les pro- 
pritaives a se-jeter en foale et: et masse dunis'lés sectidns, pour y régler 
Vexprit public et faive dds lois .d'administration:' H y avait bdaacoup de 
gens des départements, tanben:tmjfcnns :qu'en habil bourgeois, tant Bris- 
seins que. Jacobins. Ghaquy. apbservait.1A Vinstant, uoiprimeneut mala- 
dxojt foule la queug Ayn..ehian, de chien erie, Je meitre prend fait, et 
pour lui, tous le, mqnde accqyrt.. Le Jecabin, ayait ya grand sabre et 
Varistocrate ren avait point. Chagum rit, de la queye, hors eux, les querel- 
leurs, L’aristocrate’ fait dabord ‘bonne contenance, puis palit et puis 
# txelise: Celté scene est la centitme que j'ai vue dans le méme’ genre, elle 
_ tableau: Du vivatit dé'Capet, te Jatobix; en pareltle occurrence, aurait 
‘moult, ou du nidiits chase. 'Potttqudi, mné'direz-vous,’ uhe dduzaine 
Ge Tncobins/ont-ils falt peur! h deat ou:trois'cemts dtistdcrates? C’est que les 
premiers ont:an point de ralliement et queles autres tren ont point. C’est 
qie les arsstporates, soft enedre:divisis. entire euk. ‘ous: crient- contre les 
treore.,(de-.septembra) ; | quelques-yne' dps plus, neisonnables, veulent se 
reunir 4 la partie saine, de ta, Ganvention, | mais la majepre partie résiste. 
On la voit repasser dans sa téte toutes les anciennes querelles, les anxiétés 
de toute espéce; gn_la voit encore bavarder contre les Guadet, les Ver- 
i Fee PTL pe Caled sty 2 | Vs ee Oe ne pe es 
guiand, ete. (30 abril 98, Setihidt, ¢.1 p. 163. ty ft terete egy 
Coen ¢ mre Soe | sates rere | fb J | hetnatie tps Sarl tt ts Ute AD : : 
udigus voici, dis le-premier jews, en face des deux partis.qui sont en 
lutte : les modérés de toute nuance, devanus, madme-les -Brissotins, 
les \avistocrales, et les ennayds: ou: Jucoly its) el! Mow peutivoir par ce 
tiatgle exemple! of dst-le-nombre'ep ea est la foree: Deatard ne mé- 
rape pas! Tes -prenticrs ee GAcb¥e teins les 4utres!' il tte se fuit nubtitte 
: sof “4 i PaaS ‘ 2 i te taigsh Ty phobetdeaditee de po vie 
ae ee ee al why ie 
“HEE “I Pepe 2. US By Wisere cel Os tty Chai y as ge’ th Brfyd adece Tere ote 
i, Hexista, dif-il, dans la, clagse enragée une espéce d’hagymes qui sortent 
de. da Fike, of qui apres axojr.parconru uae carriére désardonnée finissent 
pay retomber, A.Bigdtre, Ces} yp adage.recu par, la mevle 4. 4.14.40 
Pitié & Bicétre. » Cette espéce d hommes n’a aucune sorte de conduite, 
elle mange 50 liv. quand elle a.50 Jiv., ne, mange que 5,liv., quand elle 
n'a que 5 liv.; de maniére que mangeant & peu pnds, tqujaqurs tout, ellen’a 
4 pew prés jamais rign, elle ng.ramasse Kiem Ye te 
-Depuis la Révolution, cetteiclaase ahpapcanpaoufiert ; cest cette classe 
quia pris la Bastille, qui a fait le 10 aout, etc. C’est aussi elle qui a garni 


a4 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


les tribunes des assemblées de toute espéce, qui a fait des motions, qui 
arempli les groupes, qui a.... qui n’a rien fait‘. » 


Mais qui fait les révolutions? Tous les conscils de Dutard 4 Garat 
tendent 4 les enrayer, en leur opposant l’union de ceux qui ont in- 
térét au maintien de l’ordre public. 

Jai signalé le double péril qui menagait la république 4 Yinté- 
rieur et au dehors; et il semble que le second aurait dd diminuer le 
premier, en tournant contre l’ennemi les soldats de l’émeute. Mais it 
nen est pas toujours ainsi, et les démagogues en font plus volon- 
tiers une occasion d’émeute : 


0 


Chaumet (Chaumette) a porté la parole, il a parlé en enragé. Les mots 
de sang, de carnage tapissaient 4 peu prés toutes ses phrases : « ll faut 
« que les prétres fanatiques nous servent d'holocaustes. » Il parle de tra- 
hisons : « Quelles sont les nouvelles qu'on nous a données des troubles 
« de la Vendée, de nos armées?... il faut que nous soyons ce que nous 
a étions au 10 aodt... Du sang! citoyens ; du sang!.,. Périssent quelques 
« hommes! il faut couper les bras pour sauver le corps, etc. » Ila proposé 
une proclamation 4 faire le matin dans tous les carrefours de Paris, com- 
mencant par ces mots : « Ciloyens, levez-vous, le tocsin sonne dans la 
« Vendée’, » 


Dutard constatait que ce discours, trés-applaudi, avail produit peu 
d'effet au point de vue des enrélements, et il en donnait les raisons - 


14° Il est rare que l'on soit effrayé du danger dont on n'est pas soi- 
méme menacé ; je veux dire, lorsque le danger est encore loin de nous. 
« Quel pays est-ce, se demande-t-on, que le département de la Vendée, 
« combien de lieues compte-t-on? — Soixante! — Ah! ils ne sont pas 
« encore 4 Paris. » 

2° Le peuple est las, et il sent bien qu'il n’est ici que le jouet des partis, 
et c'est malgré lui qu’il se livre 4 celui qui le flatte le plus. 
«5° Lepeuple tire les conséquences ultérieures qui peuvent en résulter... 

a Mais si, aprés que nous serons partis, me disait un garde national assis 4 
mon cété, si les départements voisins s’assemblent a Paris... 6,000 par-ci, 
6,000 par-1a, nous serions de belles gens*! » 


Le lendemain, il décrivait le mode et les effets de Ia proclama- 
tion : 


Hier, A deux heures, deux officiers municipaux, suivis d'un haro, vien- 
nent aux halles pour y faire la grande proclamation : « Parisiens, levez- 
vous! Parisiens , levez-vous! » Tous les trois avaient une physionomie 


‘ Dutard 4 Garat, probablement du 6 mai; Schmidt, ibid., p. 189. 
* [bid., 50 avril; Schmidt,.ibid., p. 164. 
3 Ibid., p. 165. 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 95 


proscrite. Le haro avait la yoix bélante, je m’approche avec quinze ou vingt 
personnes pour entendre les braves messieurs. Quelques-uns se détournent 
et ne veulent pas savoir la fin ni connaitre le résultat de cette procla- 
mation.. 

_ Une femme, l'une de ces marchandes de poisson qui bordent le chemin, 
s'écrie : « Oh! le diable les étrangle, sile mien y va! (elle parlait de son 
mari) ; ce qui fit rire beaucoup les autres. » 

Quelques autres personnes délibérent et disent : « Dans ce moment, 
on nous demande vingt mille hommes, dans peu on nous en demandera 
encore dix mille autres et plus, et puis cing mille, de maniére qu’on par- 
‘viendra a tout enlever, il ne restera plus personne. Il y a ici au moins 
deux mille gendarmes, qu’est-ce qu’ils font ici? Que ne les envoie-t-on, 
au lieu de faire partir les péres de famille? » Un autre disait : « [1 y‘a beau- 
coup de volontaires revenus des frontiéres, il en arrive tous les jours ; 
encore hier, 4 Ja barriére de Bondy, on en (a) arrété plus de 60; ils sor- 
tent par une barriére et rentrent par l'autre; ils volent largent des sec- 
tions et celui de la nation; que ne fait-on partir tous ces gens-la? r D’au- 
tres enfin : «A quoi nous conduit tout cela? nous avons toujours été trahis 
et nous le serons toujours‘. » 


Celte crainte de trahison et ce motif de garder Paris étaient un ex- 
cellent prélexte pour ceux qui ne se souciaient pas d‘aller 4 la guerre. 
Un autre observateur, Terrasson, disait de méme quelques jours 
. plus tard : 


Les faubourgs sont debout, mais pour écraser les personnes suspectes, 
si elles remuent, et non contre la Convention ! Néanmoins des précautions 
douces et adroites, pas autre chose. 


Et en post-scriptum : 


Les faubourgs-ne se recrutent pas, parce qu’ils savent qu’ils sont plus 
nécessaires ici qu’é l’Avandée (qu'en Vendée). Ils laissent Jes autres plus 
riches aller Ala guerre. Fux veillent ici et ils ne comptent sur personne 
comme sur eux pour garder Paris*. 


Un autre fait qui eut été plus de nature 4 émouvoir les Parisiens, 
c’est la motion que fit Guadet, au milieu des violences dont la Con- 
vention était menacée dans Paris, d’aller tenir séance 4 Versailles. 
Chaumette voulait y voir la perte de Paris; et, cherchant a échauffer 
les esprits, il s’écriait : 


« La Convention menace de quitter Paris! Autrefois nous avions la 
cour, les grands ; 4 préseut nous n’avons plus personte::: Sila Convention 


4 34 avril (lire 1° mai); Schmidt, tbid., P. 466, 467. 
* Terrasson 4 Garat, 12 mai; Schmidt, t. Ir", p. 241 (le texte de M. Schmidt 
est ici peu exact). 


PARIS EY LA REVOLUTION BU 31 MAI. 
quitte Paris, nous: sammies tows perdus; tuony-rons' tous, ‘it'ne vous'reste 
plus qu’a égorger vos-enfonts:,. Kh} qué déviendra: Paris? Je propose dbné 
que le Conseil général déclare que, si la Convention quitte Paris, Paris la 
suivra partout oti elle ira; que si ld Conventidn''s'en va & Versdifles; tout 
Paris ira aussi & Versaitles; qu’enfin Parise sé séparera’ jamais de la Con 


vention *.» © Ps eo 
vara seegany 


. Mais la Convention: était restée & a Paris. Elte o*était bonnde by faire 
évacuer les tribunes; et ce: prétexte: thanquait encore aut igita~ “ 
teurs. — a 

‘Une bonne occasion s ‘atatt offerte 4 eux naguére : c’est uand Du- 
miduricz avait’ fait défection. Les esprils alors élaient échauffés, , préis, 
4 tout croire, 4 tout faire; mais les Jacobins n’en avaient pas profité., 
C’ était le egs de rallier les.autres,. de faire entendre aux, pr priétaings, 
aux modérés de toute nuance, ge que, leur commandait lewr interdt 
hien..entendu.. Dulard presseat.Garat cegine: Se eR Rar Ag 

- eb yeagl 

Yous ne.risquez, plus rien, . lui disait-il, le parti jacobin, ast désarconaé, 
il est démembré,, il. est. déconcerté; , vous. ayez tout |e temps de preparer, 
les matériaux nécessaires et de remonter la machine au degré qe. vous, 
vaulez qu'elle soit... sn he pee 

Que, dés, aujapra’ hui, que. ds, cet, instant, la trampetie ie Ja reunion 
sonne chez fous les, propriétairgs, en, plus-graad, pambre passibles .aauR 
consolent le peuple; qu’ils. beléyent ax nourage; que les plys grands.6aca}, 
fies .soient daitsi; que l’or,.l argent, tes Lams traitemenis, de houte. RapACED 
que nien, pM WO Mol, ne sOMb GRANENG ici de oe Wphie snpells 

Que l’on fasse bien entendre 4 l'aristocratie combien ‘elle 3 intérét dase, 
réynir, & la, saine partie du,.peuple .qu.op. lui, explique a clajrement 
que, s'il arrive la Hill IMSUF TEC, . alle sera, moulue,.etiqu ine sem 
Sauvera pas un, seul? - 4, Ae ame ae Pettit cbs cere eustti: Go) etes sttod, snod 


‘Mais on ne fi rien; et dans’ celle i inaction, Ain po uvair Je jes hommes, 
de désordre gardaient tout leur ascendant sur la fdule. Qu’on en juge 


par cette scéne décrile par Jerrasson i.) toy sib cias'l : 


‘Mart edt Passb vers cinq’ hetres! dele’ MifeHds! ola W'ebt! Banik eh HA 
pour le faire passer. Qnelques voix ont eHil!¢ Vive Marat?! 4 bt UF tte 
pagné, le sabre nu a la main, sie a ‘4Vescalier d¢ ha terrasse , Nis--vis I’ 
trée de la Cohvehtion, Lail a dlit de reigalner le sabre. et on ta réligalngs. 


Le 10 mai, on proposait'aux Jacobints Wallet détriiré le presses) ae 
Brissdt. Oh ‘se préparait aux violéinces ; 'eE Yes hommés de Ipisir; Ye 
population. paisible allaient * jouir des t pegimices du ‘prinfomps' aut 


syd flue 
{ Dutard a Garat, 4 mai, ‘sid’ . ¥é68.- i eens OTe Ce Pry Be 1 ‘falls alot 
2 Ibid., p. 169, 170. . a 
s Terrasso a 'Garat, Wid., # inai, p: ggg Gh ab Jaoqyut soe dushb Jd 





PARIS ET:LA ABWOINTION DD 84 MAL. 91 


Champe-blyaéys at aun. Tuilenies. Cotte sécurilé dpouventait. Dutard, 
ehul ne s’effrayait. pasi moins de. la quiétude de son ministre : 
Bb eid Spiga ye OR ee a SE I Se car ait ' ; ' 
; Croyer-moi,. Ini, disgit-il, Jaissez 14 la wadtaphysique;.abandonnez V'hia- 
taire et las belles-Letines jusqu’'ace que je danger soit passé. Occupez-vous 
le moins possible des détails d’administration ; soyez tout entier a la tac- 
tique révolutionnaire. Il y a du travail pour quatre. Formez des comités de 
epnlérences dans ‘les divers points de.la- vile de Paris, et surtout conférez 
souvent avec vpn ohsernateure.. Rropeses:leur vgs doutas, .et ils les risen- 
dront. Ce que }’un vous aura dit, vous le proposerez 4 l'autre; vous verrep 
s'ls;sont d’accord, et s'ils ne Je sqnt, pas, vous ingerez quel, est celui d’en- 
utes qui se rapproche le plus de la vérjtq. Il n'est peut-étre que l’obser- 
ion qui puisse vous tirer d’affaire, et, par les moyens que Je propose, 
vous deviendrez observateur'vous-méme, | 
‘Hlér svit;'l'an de nds'enragés' (David; marchand de vin) a dit 4 la tri 
Vane! de ma séction : 4 On sait comment s'ést'comportée la Commune du 
10 aout. Cette fameuse journée, a ‘lacidtle nous devond rapporter notre 
liberté, se renouvellera, j’espére, avant peu. » 

‘Des'subtes, mordien, dés' sabres! Préparés tout pour'la dbfensive... Vdus. 
Gey dien pres de la victiire ; thais je vois & regret ‘qu'elle peat encore vous’ 
éehapper.: regs ee of ii os ee . 7 | 

S'il existe quelque organisation, des relations entre les' propriétaires des 
diwises sdctions, invitéz-les 4 ‘fa sur'veiltarice, @ la fermieté,au courage. 
Muutér pout méurit; ib Yat encete infeux midurir en‘défendant $a vie. In- 
Vitez-led ‘pareitlenient &' We pas ubsenter de chez eux le soir, ¥ sé priver 
dé promeriades, parce que je suis plus qu'assuré que ‘s'il se fait quelque 
pega si la faction se met en mouyenerts de sera, a coup Sar, a ces heus 


ns 

igiiae-complétement! tout! voted monde’; ‘qué chacuni ait-uin ‘sabre, ‘tin’ 
fUSiF, ded piktotets!! qu" au ihvindre Motvenient! au nibindrd ebiip dé tani? 
bour, tous vos commis, vos domestiques, vos parents éf‘atni§;' sans ‘en ‘ke 
cepter un, seyl, vieux et jeunes, soient sous les armes et dans leurs gec- 
edd Ube, ep BOHN CEE ET or 
San tts 0 gh iid fia od 

Si Paris était pour la Comniuté, tes dbpartemdiits’ étiieitt poirr Ti 
“4 reption,.et Garat y trouvait une raison de se rassurer en. ¢as 

Wenemen} utap Je détrompe : 


‘Vous me dites que les’ départements se porteraient sur Paris. Mais ob- 
servez donc que les départements ne sont pas A Paris; qu’on aurait le 
temps de tur, de massacran,.de -depauiler, ayant.que les départements 

sent fait. wn seul mopvem nt. }) ailleurs ce n’est.pas une chase démon- 

qu ils se porteraient sur Paris ;,car moi, je croirais au contraire pou- 

voir demoritrer qu'une grande paftie se réunirait aux Parisiens, par mille 
relations, par mille raisons d’intérét. (40 mai, qdid., p. 206.) . . , 


ry | iadu il. sep ha : 1; 1.)°. bts i . ‘yo ue 1 afi Eber? 0h, . 


t¢ alg athe | i] 


Et, dans son rapport du 13 maj aprés.dui aveir conte Lasgusante 


28 PARIS ET LA REVOLUTION DU 51 Mal. 


histoire de M. Saule, ancien « colporleur charlatan aux boites de 
quatre sous garnies de graisse de pendu pour guérir le mal aux 
reins, » depuis, directeur de esprit public et chef de claque dans 
‘les tribunes : 

Le peuple veut généralement la paix; un parti nombreux de propriétai- 
res est résigné, est disposé a faire tout ce qu'on voudra, et vous le Jaissez 
dans l'inaction, isolé, sans appui, sans soutien... 

Vous avez au moins dix mille commis dans l’administration, plus de 
quinze mille, 4 coup sar, chez les marchands, vingt mille propriétaires. 
Ghacun de ces propriétaires, s'il le voulait, pourrait dans trois jours dou- 
bler le nombre, en appelant un frére, un neveu, qui sont dans les campa- 
gnes ou les villes voisines... Les gendarmes qui sont ici parlent ouverte- 
ment contre la révolution jusqu’a la porte dutribunal révolutionuaire, dont 
ils improuvent hautement les jugements. Tous les vieux soldats détestent: 

-le régime actuel; vous avez les invalides. Que n’avez-vous, hélas ! La Fayette 
dans un coin de votre antichambre! Je mets en fait que dans deux jours il: 
mettrait la faction au point de ne savoir plus of donner de la téte. Allez, 
croyez-moi, choisissez quelque bonne téte pour exécuter; prenez pour vos 
comités des gens qui ont servi sous La Fayette. S'il n'avait pas eu le mal- 
heur d'étre marquis, Dumouriez, malgré son grand génie, n était pas pre- 
pre, dans la tactique révolutionnaire, 4 lui soigner‘ses souliers. Si les phi- 
losophes n’en sont pas d'accord, c'est du moins ce que vous diront tous 
des observateurs... 

Vous faites deux pas en avant, et bientét vous reculez de quatre. Ren- 
voyez vos avocats Vergniaud, Guadet, a leurs sacs et 4 leurs piéces ; ils n'y 
entendent rien, absolument rien. (13 mai, ibid., p. 216-217.) 


Cependant tout se préparait pour la révolution projetée. Le 12 mai 
au soir, Dutard avait dit 4 Garat : 

Ce moment est terrible et ressemble beaucoup a ceux qui ont précéde - 
le 2 septembre’, et il n’avait pas tort; car ce jour méme, les adminis- 
trateurs de police préparaient, comme le conjecture M. Schmidt, les 
arrétés qui furent ‘pris le lendemain par le conseil général de la 
commune : ) 


4° Organisation d’une armée révolutionnaire soldée, qui fera le service 
de Paris et sera toujours en réquisition. 

2° Désarmement et arrestation des gens suspects, selon un mode qui sera 
fixé secrétement. (Ibid., p. 220.) 


On armait Ja faction, on désarmait et on arrétait les autres : 
n étaient-ce pas les préliminaires d’un nouveau 2 septembre? Bien 


¢ Il avait écrit délier, et I'a effacé pour mettre soigner. 
* Rapport du 13 mai. Ibid., p. 212. 





PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAT. 29 


plus, quelque confiance que put donner at parli une commune ot 
l'on prenait ces arrétés, on préparait, pour diriger le mouvement, un 
autre conseil tout révolutionnaire (un comité central des 48 sections 
de Paris). (Schmidt, t. I, p. 225.) Dutard l’'annongait a Garat dans 
une letire énergique (44 mai), ot il lui tragait ce qu'il y avail & faire, 
et criliquait sa maniére toute platonique de faire: 


Trois écueils 4 éviter (et que vous devez, vous, mettre Al’ordre de tous 
les jours) : 4° prévenir l'insurrection instantanée ; 2° donner assistance et 
protection aux propriétaires, et les corroborer le mieux que vous pourrez; 
3° couper tous les fils de la coalition dans la ville de Paris... 

Vous voulez gouverner le peuple par l’opinion, par la confiance, ajou- 
tait-il, « Il faut leur faire aimer, » me dit-on quelyuefois... Quoi? Ce qu’ils 
n’aiment pas du tout. Et, en effet, quoique j’adopte entiérement le prin- 
cipe qu'il faut, autant qu’il est possible, inspirer de la confiance au peu- 
ple, de l'amour pour les lois, les lui faire aimer, dois-je également con- 
venir que ce principe est applicable au cas présent, 4 I'hypothése actuelle 
d’an parti qui détruit, qui dévaste tout ce que l'autre peut faire? Je crois 
que je ne dois pas en convenir. 

Hl faut nécessairement que ‘la force et l’opinion aillent de pair et s'ai- 
dent mutuellement ; sans cela, point d’institutions politiques. 

Or, voulez-vous connaitre les moyens pour éviter l'insurrection? 

Je vais vous les apprendre par ce que fait la faction elle-méme. 


Et il montre dans toutes les sections les sans-culottes occupant les 
comités de surveillance, siégeant au fauteuil ; ordonnant }'intérieur 
de la salle, disposant les sentinelles ; ayant cing ou six espions soldés 
& 40 sous, hommes 4 tout entreprendre, et dont le moindre office 
était d’établir des communications entre les sections : 


De maniére que si les sans-culottes d'une section ne sont pas assez forts, 
ils appellent ceux de [a section voisine. C'est ce qu’a fait ma section avant- 
hier soir, ajoute Dutard, et ce qu'elle a arrété solennellement hier soir, 
comme mesure de sdreté générale. 


Et il recommande & Garat d’avoir aussi, pour tenir les autres en 
&chec, des hommes 4 moustache. — C’étaient eux qui faisaient la loi 
au palais de I’Egalité. 


Deuxiéme question. — Moyen de révivifier les propriétaires. Je n’en 
connais que deux : le premier, c’est l’observation de la loi, que vous ne 
devez pas souffrir que l'on enfreigne aussi grossiérement sous vos yeux; le | 
second, c’est de rajuster les propriétaires, de telle maniére qu'ils ne se sé- 
parent pas. 

Pourquoi tous les. hommes de hon aloi ne se concertent-ils pas les uus 
ayec les autres, ne se forment-ils pas un rempart réciproquement ? 

Tout ce qu’ils feraient deviendrait encore inutile, si la Convention ne. 


30 PARIS ET PACREVOLUTION BU Sac MAL: 


fait ‘pay sor devoih, ‘st- elle ‘rle réphime: pas’ Pabue que’ les’ tribes ae sti 
veillance font de dutorité qui lear estconléd. | vo dud 

. Mais disong le mot, atdisohsyhebiean ta faction stentend bbaucoup il 
en révolution et se concerte beaucoup mieux quela Convention... .11.. 

La Convention fait de grandes phrases, se refére tout eunere aux dépar- 
teens, &..jome sais qui.: et on a a ie RR Oe 

Et voulez-vous savoir ce que;'sous anatre jours, il va Thi arrived? ld 
voici : ts EL) 

' La faction vient ‘ former um comité ccairal des commissaires des hr 
rante-huit settions qui doivent se. réanir 4 l'Evéché peur correspondre! 
avec toutes les seetions et la Commune de Paris. 

Les comités de surveillance vont désarmer iun aun toutes les persomes 
qui leur paraitront suspectes, c’est-d-dire la moitié de lacy 


_ La, yous'pertles. Fequilibres +; + ts 2 an 
.,,Jls-emprisommeront, je. premier individu: rei. sneat de prin, aciGinn 
pas.:, we, Marat! | in et oe Sastre: 


A mesure qu ‘if arrivera des Hommes dans Paris, ‘ils seront bien visitég,j 


bien examings, et S ‘ils ont sie ie faudra, i ils Linaiianin la fc 
tlon. (Yoia., p.2 fi 25.) 


pa eae Vee Gel ye Moatet ate -anen bag 


‘continue : 7 | ao ag 


ol tf aie Me ty a ee | al opr restge oer I’ iy yf? 


smotaténe bene Ia Conlon one lind: Se ke, INES 

“Elle s'étabHt'dd deux mantiérds’! par'‘les tonit8s révoluttiotinaites: ét par! 
la force armée. 

“i Von vient 4 former Varmée révolitiorinaire proposée par Nobéspierye, 
c’est certainement bien établir uné coalition. Or, Ia voir commencer ou da 
voir comiplétée, c’ést pour ta faction a’ peu pres la méme chose (et je suis. 
parfaitentent dé son avis). 

Je présume que la Convention ‘toit se Yeperitir de'‘n‘avoit pas ‘adopté 1és" 
eet ridicules de Ja Commune ef. dy faubourg Sajnt-Antojne, qui con 

ht, Pun, a faire partir principalement les commis des marchands, leg 
clercs; et l dntre, lés: prétres, ‘les célibuthtres’ des Bureauy et les’ aétittote! 
naires ‘des huit et vingt mille*. Ab! si elle avait adopté cefte mesure, elle 
tombait debout v une ‘bonne fois. Lorsqu’ ung armée de ces. braves gens ett, 
été forme exercé 4 pendant deux, jours, seulement, j je. ne Sals pas gui, 
se eu | ‘au dace ‘leur dire’: « Ou partez, ou posez les armes, tia ae 
p. 226.) 


Quélques ‘manifestations’ ainsi pu rendre force, au parti mo- 
déré dans la Convention, si elles. avaient été sontenus. Telle ayaity. 
eer) a 
‘La pétition. des huit. mille est la. natitian dirigée pontre le camp sous Parts avant: 
le 20 juin 1792; celle des vingt. mille Ja pétition comtsn.lus ewcés de cette journée. * 
Le 20 octobre 1783, l¢.Consed général. de la Commune ordonna de publier les noms 
des signataires comme liste de suspects. Voy. et Bon Diurnal & cette date (ou 
Dauban, ‘la: Démagégie'en-1196 & Paris, 'p. 4H) -et Mortimer-Termans,! la “Terréur, 
tell, p. 8. ae 


PARIS; BE; LA, REVOLOTIQN , BU; $1 MAL, be | 


été, dans. leg premiers jours de. mal. (le.5) l'adresse dela section Bon- 
Conseil’. Telle fut, le 14, -adzesse pnésentée pan.les dépulés extra- 
dé Bordedux, en réponse ‘aux: demandes: de proseriptibns 
dirigées contre: Peeeninee | ae 
Th ab Fist cee gt ed mo 
islateurs, quel horrible cri vient de retentir. -Jusqa'aax : extuémainés de 
lairépehliques (Trois cents. nepaéseptants-du peuple voués &la-proseriptidn, 
vingt-deux 4 la hache liberticide des centumvirs!... Convention nationale, 
Papisiaon jadia.si flere etsi grands, sauver-mous-de ia’ guerve civile!... Oui, 
naus Argaviaang sug-le-chanip la mowié de notre garde nationale; nous nous: 
élancons sur Paris, si un déeret vengeur neaous arréte, et nous jurons = 
a cai a ou.de péris-sar leur: tombeau! 


i! t 


L’adresse regut les félicitations ¢ du président BoyorsFontréde et, 
malgré les niurmeres de le Montagne, tx Gonvention décréta qu’elle 
serait imprimée, envoyée , dans les départements et affithée dans: 

7 1" oP page tea 2 Ce beh wag apart + 
“1g Ebddieate'tes ‘Bovdulaig Va‘abhéver ‘de’ terrasser la faction, dit. 
Dutard dans son rapport du 15; » et dans son rapport du 416 : 


Le peuple, dans ce moment, est si bien disposé, la faction est tellement 
abattue, que si j’avais six mille hommes, avec un valet d’écurie de La Fayette 
Pan 3 S HPS SOIAARHE, Jp Xoudrais me, rendre maitre de Paris avant hyit 
jou ef sans coup férir. 

ot fide wn net d‘écurie de LaRareties. car jl est certain que l'aristocratie 

pines é sds -privi eges, de ses sottises, qu'un aristocrate 
he anes ne, expédition pareille réyoltergit toutes les Ames; on le, 
séntiratt c comme Me bouc dans le bercail, comme les bétes a cornes sentent . 


le gite. qa loup dans, les bois. (Schmidt, Ibid. De 292-)) pow on 


suites ill iar babies at Datard: se’ ‘doulait bien que Garat ne liendrait ; 
atin CON compl led if $08 avis; il lui, dit dans ce miéme rapport; | 


We ‘avdua, ianctiémtent qu ‘en  combipant et vos moyens, et Jes me- , 
sites font vous faites usage, ae ne sais plus oti vous voulez aboutir. II me , 
fi oa ten dire aid Meétfon :' « Tenéz, voild tout; nous avons des’ 

nats! Hous ne vowlohs pus odlithire usagé contre vous; il n’ y aurait | 


; je, dq nous,r r 
acifea feel” nas mer Me taal ted ee here me la puntiiee, ns 
ethitnd et dene! jarndty soulthid Gu’ ékiste th tyraf'’ sti (melque dénomina- 
tion que ce puisse étre, et de ne plus souffrir qu’une poignée d’intrigants, sous le 
masque tu ‘patriotsme, écrase davantuge! les bons’ diteyens ot le pues ‘au des- 
potieme gqoptiiaire. » (On be: cael a Hasso reprises.) - 

CSihte az} ue PPG 9 "| Lt Brecon 5, Monit. ‘da 8) 


toh 


Sante da, emai Moniteu du, 46, Voy. Martimer-Ternaux, t. Vil,. P. 994, 





39 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


pas de courage de notre part de vous attaquer, lorsque vous n’étes pas en 
force. La force publique émane de deux principes, de la force légale et de 
la force armée. Eh bien, nous allons d’abord créer 48 comités de surveil- 
lance dont nous vous établirons les chefs, parce que, avec cette verge, vous 
donnerez Je fouet 4 toutes les personnes honnétes de Paris, vous réglerez 
‘esprit public, vous chagrinerez, vous vexerez tout ce qu’il y ade bons 
citoyens; nous voulons faire plus (car le sacrifice ne serait pas complet), 
nous voulons vous faire présent de notre force armée, en yous permettant, 
en vous autorisant & désarmer les gens qui vous sont suspects; quant & 
nous, nous sommes préts & vous rendre jusqu’a nos couteaux de poche.... 
Mais prenez-y bien garde, nous restons, nous, isolés avec nos vertus, nos 
talents, et si, manquant 4 la reconnaissance, vous osiez attenter a nos per- 
sonnes sacrées, nous trouverions des vengeurs dans tous les départements 
qui se réuniraient; et si les départements manquaient 4 ce qu'ils nous ont 
promis, ils verraient beau eux-mémes... » 

Et pendant qu’on tient ce langage 4 Paris, on crie sur tous les points de 
la France : « Tue! tue! assassine! guillotine! etc., » de maniére que, si la 
main de |'Eternel ne vient mettre le hola, je ne doute nullement que, par 
toutes ces manigances, l’on ne parvienne a faire égorger tous les Francais. 
Et je prouverai quand on voudra, que la probabilité sur ce fait a beaucoup 
d’analogie avec la certitude. (1bid., p. 252, 233.) 


Les manifestations dont j’ai parlé pouvaient avoir sur ceux qu’elles 
menacaient, l'un ou l'autre de ces deux effets; les abatlre ou les 
presser d’agir. Elles les avaient abaltus d’abord, au rapport de 
Dutard; mais il y en avait parmi eux qui se trouvaient, de leur 
nature, plus disposés 4 précipiter Pattaque; et on le put voir déja au 
club des Jacobins le 17 mai. Il y avait en effet, comme le remarque 
Dutard, deux partis aux Jacobins : 


Les gens instruits, propriétaires, qui pensent un peu 4 eux, comme mal- 
gré eux : — de ce nombre sont Santerre, Robespierre, et une grande partie 
des membres de la Montagne, — et les anarchistes, qui reposent en partie 
aux Jacobins, et principalement aux Cordeliers, dont Marat est le chef. 
(18 mai, ibid., p. 246.) 


Quand Thuriot, montant 4 la tribune, dit que le peuple avait, pour 
se faire justice, des moyens « grands, puissants, mais qu’on ne sau- 
rait avoir assez de circonspection, » les tribunes se récriérent d’indi- 
gnation : «Et Robespierre commence aussi 4 nous parler de pru- 
dence! Voila encore un Robespierre. » 

Et quelques voix criaient : « Le canon d’alarme! » . 

Lorsque Legendre lui succéda 4 la tribune: « Oh! pour celui-la, 
il ne nous donnera pas du Robespierre! » s’écria-t-on de toutes 
parts; et tous les applaudissements furent pour lui, quand se déme- 
nant a l'ordinaire, avec force coups de bras, il dit : 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 33 


Sila chose dure plus longtemps, sila Montagne est plus longtemps im- 
puissante, j'appelle le peuple, et je dis aux tribunes : « Descendez ici dé- 
libérer avec nous... » Ou m’a provoqué en duel. Ceux qui me connaissent 
savent que, par caractére, je ne suis pas homme a refuser une partie de 
ce genre; mais je me propose de déclarer a l'Assemblée qu’au premier qui 
osera me provoquer en duel, je lui bridle la cervelle au milieu de l’Assem- 
blée. (48 mai, ibid., p. 244.) 


C’était plus court, et c’était plus sur. 

Mais ce n’était pas dans la salle des Jacobins que les questions 
devaient étre sérieusement posées et résolues. 

La Commune avait arrété le désarmement et l’arrestation des 
suspects. Les administrateurs de police convoquérent a cet effet les 
comités révolutionnaires des sectionsa la mairie. C’était un centre, 
c’étaient des instruments d'action; et ]’on se sentaitde plus en plus 
pressé d’agir. 

Trois sections de Paris, celles de la Fraternité, de 1792, et de la 
Butte-des-Moulins étaient venues prier la Convention de réprimer 
énergiquement les complots anarchiques (18 mai). Barére, lui-méme 
avait, 4 cette occasion, dénoncé les projets formés contre la Conven- 
tion ; et sur sa proposition on cré.it une commission de 42 mem- 
bres pour entendre les ministres uu i tuiciicur et des affaires étran- 
géres et le comité de sureté générale, rechercher les complots, exa- 
miner les derniers arrétés de !a Commune et prendre les mesures 
commandeées par la stireté publique. 

La Commune et la Convention, ou plus particuli¢rement le comité 
central révolutionnaire et la commission des Douze, se trouvaient, dés 
ce moment, en présence. Dans le comité central, on proposait d'en- 
lever vingt-huit membres de la Convention et « de les faire dispa- 
raftre du globe, » ou autrement de les « septembriser.» Mais le maire 
Pache craignit de compromettre la mairie dans ces mesures violen- 
tes; et lecomité de conspiration se transporta a l’Evéché. Marino, un 
des administrateurs les plus violents de la police municipale, se 
plaignait qu’on n’edt plus l’énergie des 10 aodt et 2 septembre; 
Varlet, que «l’excés de son civisme » avait fait expulser des Jacobins, 
et qui, souffleté, comme un garde national lui demandait pourquoi, 
ayant un sabre 4 son cété, il ne s était pas, sur |’ eure, vengé de cet 
affront, répondait : « Un bon patriote doit savoir supporter une 
injure; » Varlet ne parlait plus que d’exterminer en masse les dé- 
pulés, les nobles, les prétres, les robins. 

Lv peuple ne paraissait en aucune sorte disposé 4 suivre ces éner- 
guménes. Dutard le constatait, et dans les loisirs que lui donnait ce 
calme de la rue, il se plaisait 4 retracer quelques tableaux de moeurs 
révolutionnaires ; c’étaient d’ailleurs des faits qui aidaient 4 con- 

10 Avan. 1873. ° 





- 


34 PARIS ET LA REVOLUTION DU 54 MAI, 


naitre l’état des esprits. Gomme il était au Palais de justice avec un 
Jacobin maratiste, attendant le jugement de Miranda, il y avait un 
vieux bonhomme pérorant au milieu de la foule. Ll disait : 


» ‘ . 
J’ai vu bien des fripons en ma vie, mais je n’en ai jamais autant vu que 


pendant la révolution. Allez, mes chers enfants, les poules qui crient le 
plus fort ne sont pas celles qui font les plus gros @ufs. Dés que vous ver- 
rez un homme qui s’élance dans les tribunes pour y haranguer le peuple, 
méfiez-vous de lui; pensez qu’il veut s’avancer et qu’il cherche a vous trom- 
per... Si j’avais été le maitre au 10 aout, j’aurais voulu fa're l’apurement 
de tous ces patriotes quine se sont dits tels que pour s‘emparer des places, 
et qui tous, autant qu’ils sont, nous ont perdus. Je leur aurais dit : « Vous 
étes patriotes, dites-vous ? Eh bien, je veux vous en croire; mais avant de 
vous donner aucune place, je veux que vous fassiez un noviciat de dix 
ans. Je vais prendre vos noms, comme vous étant signalés le 10 aout, et si, 
dans dix ans, vous justifiez par de bonnes preuves que vous étes restés sta- 
bles dans les mémes sentiments, vous aurez des places, et des meilleu- 
res. » 

Ce discours a été trés-bien godté par la majeure parlie des gens du 
peuple. Mon sacobin seul ne disait mot, parce qu'il n’y trouvait pas son 
compte. (17 mai, ibid., p. 236.) 


Pour multiplier les enrélements volontaires, on y avait joint des 
primes. Voici ce que produisaient les primes : 


Deux petits vieux hommes de Saint-Marceau (4gés d'environ quarante 
ans, et paraissant trés-désceuvrés, trés-pauvres) se concertaient ensemble 
4 cété de moi, L’un, enrdélé 4 une section, disait 4 l'autre : « Tiens, je viens 
de m’enrdéler ; on me donne 200 livres, et on m’en donnera 400 quand je 
reviendrai. Ma foi, je te conseille de faire de méme; c’est d’abord gagné, 
bien payé; avec cela on peut faire ses affaires. » 

L’autre ne se sentait guére de courage, et néanmoins les 200 livres pa- 
rajssaient lui faire grand plaisir. L’enrélé, voyant que son camarade faisait 
quelque résistance, lui dit 4 plusieurs fois avec réticence et un clin d’ceil 
affecté : « Vas-y toujours... nous partirons ensemble. » I! semblait vouloir 
lui dire: « Nous irons; mais on m’a assuré que nous en serions quiltes 
pour baiser le crucifix; 200 livres, bon Dieu, pour baiser un crucifix!... » 
Je crois beaucoup que mes deux baiseurs de crucifix partiront ensemble. » 


(Ibid., p. 258.) 


Ce n’était pas la, grace & Dieu, tous les volontaires, et Dutard 
pense tout autrement de ceux qui s’enrélaient pour autre chose que 
la prime. Témoin ses réflexions sur un fait qui Pavait frappé au mi- 
lieu d’un autre groupe of on déblatérait contre Miranda. Un petit 
courtier ayant pris la défense du général : « Qui étes-vous? » lui dit 
un enragé. Il lui répondit : 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAL. 35 


Je suis un canonnier qypi étais au siége de Mastreix (Maestricht}, qui ai 
servi sous Miranda, qui lai vu instrumenter, et ceux qui parlent contre lui 
sont des j... f..., ete. 

Je fais, ajoute Datard, sur cela deux remarques : 

ie Gest que ceux qui ont été aux frontiéres ont un ascendant particulier 
sur le peuple, ef qu'un cent de ce’ hommes, un peu bavards, mais bien 
intentionnés, suffiraient pour régler I’esprit public a Paris. 

2° C’est que ces volontaires sont tous les ennemis des anarchistes et des 
aboyeurs des sections, et leur font trembler |’Ame dans le corps quand ils 
leur partent. Ils paraissent aussi fachés de ce qu’on a fait mourir le roi, et 
a cause de cela seul ils écorcheraient tous les Jacobins. (Ibid., p. 240.) 


La tranquillité des rues n’inspirait pas confiance 4 notre observa- 
teur, et 1] communiquait ses appréhensions 4 Garat. Il écrivait 
le 19: 


Le jour, Pheure, le moment of l'insurrection aura lieu sera sans doute 
celui ot la faction croit pouvoir utilement et sans risque mettre en jeu tous 
les brigands de Paris. 

Surveillez, et surveillez sans relache; que les réserves soient fournies, 
les patrouilles fréquentes et nombreuses. Que les propriétaires aient avis. 
de ne pas sortir de chez eux; qu'ils aillent 4 leurs sections, qu’ils y portent 
lesprit de modération, et qu’ils y soient stables comme des bornes jusqu’a 
la fin des séances. (Ibid., p. 254.) 


Mais il connaissait Garat, et il lui disait dans son rapport du len- 
demain : 


Yous m’avez accusé quelquefois, m’a-t-on dit, d’avoir des principes con- 
tre-révolutionnaires, et moi, plus impartial, je vous ai accusé de ne vouloir 
faire ni la révolution, ni la contre-revolution. Du quietisme tout pur, voila 
ce qu'il me semblait remarquer en vous il y a deux mois. (Ibid., p. 256.) 


Ii lui montrait que c’était le moment d’agir, et il lurdonnait pour 
modéle.celui que lui-méme prenait pour régulateur, La Fayette : 


Que ferait La Fayette, s'il était 4 Paris? 

Il appellerait, d’abord, des troupes de lignes ou des gardes nationales 
des départements, 6, 10 ou 12,000 hommes tout au plus. Il les caserne- 
rait, leur donnerait des canons et autres armes; il leur donnerait le titre 
de troupes de réserve, toujours prétes 4 marcher; elles seraient exercées 
du matin au soir, et des émissaires seraient répandus sur les places pour 
y prouver que tel jour est fixé pour leur départ. Elles seraient destinées, 
comme l'on m’entend, pour aller combattre les rebelles de la Vendée. 

La Convention décréterait un camp, sous les murs de Paris, de 20,000 
hommes. Tous les citoyens, depuis l’dge de 12 ans jusqu’a 70, seraient 
tenus, par moitié, d’y aller faire un service de huit jours... 


36 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAT. 


Une fois au camp et bien casernée, cette troupe, gouvernée par de bons 
chefs, ferait le service’ exactement; les évolutions militatres serafent son 
occupation unique du matin au soir. Vous prendriez chaque jour ‘dans ce 
camp 4 ou 5 mille hommes pour la garde de Paris. 

Qu'arriverait-il? Cest qu’d ta troisigme semaine, vous dé-lareriez que 
les 6 premiers mille hommes, formant l’armée de réserve, feraient la mere 
de la représentation nationale. 

C'est que, des cet ‘instant, la faction serait ee ieeeaea tout son 
crédit. Lo 

C'est que, pour détruire la faction, vous n auries pas besoin, comme les 
Geadet, les Vergniaud, de lancer des décrets d’accusation contre les fac- 
tieux (ne seraitrce pas tout a fait immoral et impolitiqua. de placer dans la 
tombe.de Louis XVI ces mémes hommes qui l’ont creusée? Marat dans la 
tombe de Louis XVI...!). Preneq-y bien garde, cet article, cette transition 
est importante. Que Marat vive, que Robespierre vive, que Chaumet vive.. 
Vous affligeriez trop le peuple, et il croirait facilement & la contre-révolu- 
tion, lors méme que vous protégeriez la liberté. (20 mai, tbid,, p. 257.) 


Et, dans son Bulletin de Paris du méme jour, if lui cite le procédé 
de La Fayette envers Santerre, qu'il avertit poor n’avoir pas 4 le 
pene _— . i 

Ehbien, djtes aussi 4 chacun des factieux : ‘ Cache-toi, coquin! » mais 
ne les tuez pas. | | 

Crest du reste Ja seule chose qu’il leur accorde, et il n'entend pas 
gu’on les laisse subsister a l'état de tactieux : 


Comment feriez-vous, item, me direz-vous, pour détruire la faction? 

Le voici! Le lundi de la troisiéme semaine, je mettrais 10,000 hommes 
sur pied. Dés les six heures du matin, 1a Convention’ serait "entourée par 
une troupe a toute épreuve. Ye ferais renforcer tous les postes de Paris ; 
600 hommes au moins s ‘empareraient de la salle des Jacobins et en 
défendraient approche 4 quiconque. Toute la rue Saint-Honoré serait 
bordée, depuis la place Vendéme jusqu'au Palais, d'une force a¢mée ; on 
laisserait un passage de Pautre cété dé ta tue. Des milliers' de pitrouilles 
seraient répandues dans es les reer sar fes phaces et les carréfours de 
Paris. 

Une preclamation, tirde a. 20,000 cxemphaires, serait distribuée gratui- 
tement dans les.rues. Klle serait courte, Anergique, Elle rassurerait 
i’hypothéque des assignats, la propriété de ceux qui ont acquis les biens 
da clergé. Elle aveurerat la nnerntts l'égatité, - nam des lois. (Ibid, 
p. 261.) : 


Le plan de Dutard supposait un ensemble de mesures que Garat 
n’aurait pas prises fort aisément. Mais le parti mouere 4 lui seul, 
bien conduit, aurait pu suffire : " 





PARIS BT LA REVOLUTION DU 34 MAI. eT 


Une question de fait que je voudrais traiter, si vous ne me V’aviez dé- 
f endu, ce serait celle si le parti modéré, pris partiellement et collective- 
ment, n’est pas plus fort, plus vigoureux, plus nerveux, et peut-éire en 
plus grand nombre que Je parti des anarchistes. (25 mai, tbid, p. 278.) 


Et, dans ce rapport méme, Dutard avait montré que les modérés 
étaient préts ; que, lain dese laisser désarmer, ils tenaient.4 monter 
leur garde, a faire les patrouilles, et que, réunis, ils ne craignaient 
‘ personne, qu ils étaient craimts. C’est celte force composée de pres- 
que toule la bourgeoisie de Paris (car, & Paris, disait-il, « pregque 
tous ceux qui ont quelque chose sont modérés, »)—c’est cette force 
qu’ilaurait voulu voir constituer avant tout. Jusque-la toute lutte lui 
paraissait prématuréc et dangereuse. Bien plus, c’était le vrai moyen 
de prévenir toute lutte ; et il yavait4 cela justice, prudence ct huma- 
nité : 


Que Ia Convention réfléchisse que la municipalité s’est mise presque en 
opposition 4 elle, Ia heurtée presque de front; que par les empiétemenfs 
sur l'antorité qu'elle a laissé faire 4 la municipalité, elle a semblé presque 
reconnaitre la légitimité de sa conduite ; qu’elle a elle-méme placé le peu- 
ple de Paris dans cette alternative si dangereuse, et qu'il est temps de faire 
cesser, qui était de savoir si c’était 4 la Convention ou 4 la municipalité 
que le peuple devait obéir. 

Vouloir donc frapper un grand coup, faire rétrograder l’opinion d’une 
pareille force, ce serait risquer le certain pour l'incertain; ce serait imiter 
l'ancienne cour, qui faisait un premier pas dans l’opinion publique la veille 
du jour qu'elle se proposait de faire quatre pas rétrogrades... 

Je ne consentiraj jamais 4 aucun essal, 4 aucune tentative de ce genre, 
que lorsque je saurai qu'une force départementale est dans vos murs, . 
et qu'elle aura demandé elle-méme ce que vous désirez. (23 mai, ibid., 


p. 279.) 


Le ministre ne fit rien, et la Convention ne marcha en, avant que 
pour reculer aussitdt et se perdre. Le 22 mai, la section des Tuile- 
ries avait député 4 la Convention, se déclarant préle 4 la défendre ; 
le 23, celle de la Fraternité la pressait de réprimer les conspirateurs; 
le 24, celle de la Butte-des-Moulins tenait un langage encore plus 
énergique contre la domination tyrannique de quelques scélérats : 


Faites un appel, disait-elle aux bons citoyens de Paris, et d’avance nous 
pouvons vous assurer que notre section ne contribuera pas peu a faire ren- 
trer dans Ja poussiére les insectes venimeux qui vous entourent et vous 
menacent. 


Et Vigée, au nom de la commission des Douze, venait dénoncer le 
complot dont on avait saisi la trame, proposant, comme mesure pré- 





38 e PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


himinaire, un décret qui avait surtout pour objet la force armée de 
Paris ; décret qui, malgré la Montagne, fut adopté. La commission 
ne (devait point s’en tenir la. Ge méme jour, Hébert, pour donner le 
change sur la véritable conspiration, avait publié dans lenuméro 239 
de son Pere Duchesne : ! 


La grande dénonciation du pére Duchéne; A tous les sans-culottes des 
départements, au sujet des: complots formés par les brissotins, les giron- 
dins, les rolandins, les buzotins, Jes pétionistes et toute la f.:. séquelle 
des complices de Capet et de Dumouriez, pour faire massacrer les braves 
montagnards, les jacobins, ln commune de Paris, afia de donner le eoup de 
grace .a la Jiberta, et de rétablir la royauté. Ses bons avis eux braves béros 
des faubourzs, pour désarmer tous les viédases qui pissent le verglas dans 
la canicule, et qui, au lieu de défendre la république, cherchent a allumer 
la guerre civile entre Paris et les départements. 


La commission lanca des mandats,d'arréts contre Hébert et aussi 
contre Varlet, Marino el autres principaux meneurs. du comilé cer- 
tral. Frapper Hébert ,-o’dtail s’attaquer a la Commune, dont il était 
membre comme substitut du procureur. Cette déclaration de guerre 
allait-elle étre soutenue, et quel en devuit étre le résultat? 

Dutard nous dit l'impression que cet'acte dé vigueur avait faite sur 
le peuple: 

On vient de m canprenie: dit-il, que lui et six autres sik en tat d’ar- 
restation. Or, voulez-vous savoir ce que le peuple dit 4 l’égard de ces 
aboyeurs subalternes ? « Eh ‘bien, tant mieux, ils ‘nous embétent; on fait 
fort bie de kes f... dedans; si on les y meltail tous, peut-étre qu'ils nous 
laisseraient tranquilles et que les affaires en iraient mieux. » J’en excepte 
pourtant la gent soldée ou philosophe. 

L’esprit du peuple est des meilleurs, frappez vas coups avec mesure, 
évitez le sang. Le parti d’ Hébert pourrait soulever le peuple. Je crois ce- 
pendant qu'i] ne s’y déciderait qu’ aux extrémes. De lindulgence! Mais si 
on pouvait le retenir quelques jours, e¢ela opércrait un grand bien. 

It est bon que vous sachiez ce que, dans uhe circonstance telle qae crthe 
ol nous sommes, il se passera lorsque Hébert sortira de prison.ou des are 
réts : c'est qwil sera tout honteux; il-voudnait inutitement. sitnuler |’en- 
ragé, le peuple ne I’en oroirait plug. Jest une espéae de maarque d'infamie 
gravée sur le front de quicenque est frappé par la loi, et qui, aprés avoir 
déployé une jactance ontrée, finit par ¢chouer ef se montrer le plus fai- 
ble... Le pauple hait la faiblesse autant que la poltronnerie. Lorsqu’ un _ar- 
bre est abattu, tout le monde court aux branches. , Je ne sais si je me fais 
entendre. (Ibid, p. 300.) 


Ce n’est pas qu'il soit pour une guerre d’extermination, tant s’en 
faut : 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 39 


@ 

Laissez subsister encore la Commune, le Département et les Jacobins. Le 
sysléme que shed selina adopter vous en fait une loi. Un chasseur prend 
un oiseau de prote:: il lé resarde, il Texamine; voila un animal qui est 
rare et curieux, se dit-il 4 lui-méme. Mais il est dangereux, lui dit-on. Eh 
bien, dimiauons la force da ses ailes, coupons lui Jes serres, et raccourcis- 
sons-lui le bec. Ainsi dit, ainsi fait. L’oiseau conserve encore de la force et . 
veut prendre mal ; il déchire tout ce qui l’approche. Mais 4 nouveau cas, 
nouveau reméde. Le chasseur fait alors usage de ja lime et des ciseaux. 
Que fait Yoisau? Il finit par s’apprivoiser et reste tranquille. C’est ainsi 
que }'ea ai élevé quelques-uns. (Ibid, p. 301.) , 


Hl approuvait le décret de la veille. 11 ne demandait plus qu'une 
chose pour rendre coeur aux bons citoyens intimidés par les factieux 


de la Commaone : 


ll ne manque plus 4 la Convention que Wétablir une commission (ce 
qwelle devrait faire dés aujourd'hui) pour surveiller les opérations des 48 
comités révolutionnaires et de la Commune. Yous produiriez unt si grand 
bien que, dans'nds séttions, les meilleurs citoyens ont encére peur d’étre 
emprisonnés et désarmés, on n'y parle qu’é contre-ceur. (25 mai, ibid, 
pb) | aaa 

On. veit parces. citations de quelle maniére cet, homme, qui vivait 
par étal au milieu du peuple de Paris pour l‘observer, envisageait la 
situation et Ja conduite 4 tenir. Ii n’aurait pas conseillé l'arrestation 
d'Hébertyil ne‘creyait:pas.qu’on.Je pit retenir longteraps en prison 
sans risquer une lulte oaverte, et il. n’était pas pour la lutte : il vou. 
hit que l'on: fit non pas violent, mais fort. Il. croyait qu’on pouvait 
éire fort par la réunion des modérés, et que celte union soffirait 4 
prévenir tout conflit, & triompher sans effusion de sang. La question 
dlant engazée, il était d’avis qu'on trouvdt'un moyen honorable pour 
renvoyer Hébert, avant qu’on pardt céder aux réclamations de la’ 
foule ‘. Renvoyé sans coutrainfe, jl sortait humilié; délivré sur les 
instances du peuple, il sortait triomphant. she | 

Cette maniére d’agir.était-ulle possible? Si Hébert était, accusé de 
complot, pouvait-onle relacher avant que l'alfaire edt été éclaircie.? 
Et sé on le'retensit, pouvait-on ajourner ces réclamations populaires 
dirigées par la Commune? Il était, on le voit, bien: difficile que la 
Corrreftion trodvat fe moyen de telacher Hébert « sans se déshono- 
rer, » comme le voulait Dutard; et, en effet, elle ne le trouva point. 

Le 25 mai, elle avait recu l'adresse des 32 sectionsde la Commune 
de Marseille contre «les fureurs des Catilina modernes et I'hypocrisie - 
des Jacobins. » Le méme jour, elle recevait la députation de la Com- 


§ Voyez son rapport du 27, p. B45. 


0  , - PARIS ET LA REVOLUTION DU 81 MAI. 


mune de Paris, veriant dénoncer « ]'attentat commis par la commis- 
sion des Douze sur la personne d’Hébert, substitut du procureur de 
la Commune. »'Le langage insolent de celte dépulation provoqua de la 
part du président Isnard la réponse ‘oti se: trouvait cette phrase. fa- 
meuse : - es i 


Sé jamais la Convention était avilie; si jamais pay une de ces insurrec- 
tions qui, depuis Je 10 aout, se renouvellent sans cesse, et dont les magis- 
trats n’ant jamais averti la Convention; si par ces insurrections toujours 
renaissantes il arrivait qu'on porlat atteinte 4 la représentation nationale, 
je vous le déclare, au nom de Ia France entiére, Paris serait anéanti. Bien- 
tét on chercherait sur les rives de la Seine si Parts a existé. (Ibid, p. 308.) 


' De ftelles parolés n’étaient pas faites pour désarmer la Commune 
de Paris. Trois sections .s’élatent prononcées contre les factioux : 
seize vinrent avec impudence réclamer Je. « magistrat de la Com- 
mune. » Lacommission des Douze avait mts Hébert en prison : dans 
les sections on demandait le renvoi des Douze devant le. tribunal ré- 
volutionnaire. i ca so 
C’est le moment ot: ta Convention devait déployer sa résolution et 
sa vigueur, car elle ne pouvait abandonner sa‘.commission sans se 
livrer elle-méme; et pour se déferdre, it faHart quelle pat. compter 
sur leconcours énergiqueda pouvdir exécotif. Bile comptartsurGarat. 
Garat était averti du‘ périt de PAssemblée. Il en. était: avertipar un de 
ses observateurs (Dutard, sans doute}. It-en- convient hui-méme dans 
‘ses Mémoires. Dans une conversation avee' RabautSaint-Klieane, un 
des membres de Ia commission des Dowzb, -il n’avait. pas dissimulé 
ce qu'il pensait de‘la conduite de la commission, Il y avait -impru- 
dence'tt danger, selon tui, «'d Iaisser' 4 1a Commune la disposition de 
toutes les forces deParis et a fatre arréter !’un-des:officiers munici- 
paux' presque dans son ‘sein: » —' «-Owm'amontré d.la commission, 
_ ajoutait-t-il, un passage affrewx d'une feuille'd’ Hébert... mais ae pas- 
sage, qui est affreux, nel’est pas: piws que. cént- passages de.ce Marat 
qu'un tribunal vient-de renveyer la téte couronnée dedauriers. Sans 
 Goute, si nous éfions sous le‘régne des lois, Marat devrait-dtre au 
‘ moins ot'vous aver mis fébert; mais creyez qu’il est trop dangereux 
de mettre Hébert ‘4: ’Abbaye, quand Marat est dla: Conventian. Hl y 
a quelques jours; les geris raisonnables, '‘les-sages.ct bons amis de la 
liberté prenaient le dessus dans les. sections:; depuis ces arrestations, 
les hommes violénts, les furteny ont repris leurs emportementsel leur 
ascendant. {ft faut que ta loi commence par avoir la force. Vous l’avez 
donnée 4 laCommune, retirez-la-lui dowc, si veus ne voulez pas que 
la force, au lieu de rester 4 la loi, reste a ja Commune. Avant de 
faire de grands actes de gouvernement, il faut‘avoirun gouvernement; 





PARIS ‘ET LA RHYOLUTION DU 34 MAI. 41 


etce moment ot: vous dtes'en majorilé serait mieux employé 4 orga- 
niser en silence, et-sans jeter l'alarme dans le camp ennemi, la puis- 
sance‘exéoutrice avec laquelle vous mettrez anx pieds de la loi ou 
sous: ses prods tous les brovillons et tous les scélérats. » Et Garat 
dit que, le lendemain, il tint le méme langage a Fonfréde, autre 
membre de la commission des Douze. 

M. Schmidt, en citant les déclarations de Garat dans ses Mémoires, 
¥ joint cette réflexion : 

«Rabaut et Fonfréde auraient bien pas tlendne Jomaque Garat prit 
la parole dansla Convention, Je 27 au soir, qu ‘il tiendrait encore une 
fois ke méme langage; qu ‘il conseillerait l’Assemblée, sinon de 
casser la Commune et les comités révolutionnaires des sections, au 
moms de « retiver la force & la Commune » ef d’organiser une « puis- 
sance exécutrice assez forte pour dompter tous les brouillons et tous 
les. ectlérats’; » qu il prétendrait que.« Marat devait, élre, au moins, 
oii l'on ayait mis Hébert ; », et, enfin, qu’il désignerait. aussi claire- 
ment, dun edté, lea a. gens. raisoanables, les sages et bons amis de 
laliberté, » et de ‘l'autre, les « hommes violents, » et les « fu- 
rieux, » les # brouillong ». ef les.«.acélérats. » Sans donte, il au- 
rait eneouragé par la, lecdté droit.’ prendre des mesures de vigueur, 
il-aurait pitovog nd ses applandissements les. plus, vifs et les murmu- 
res ies plus violants de la partie gauche.. 

«Mais il n'aimait pas les murmures; i) craignait les furieux; il 
ne brilait pas de. s’exposer légérement aux dangers que pourrait lui 
perter leur fuveur; Il fit don¢ aulrement;.il tint, comme |’on sait, 
un langage préaque diamétralement opposé a celui qu’i] avoue avoir 

tent le-matin et la veille ; ef, quoigu’il effleurat doucement quelques 
-q&ilés qui ne.pouyaient ni satisfaire, ni blesser personne, i] parvint 
auiant 2 provoquer |l’étonnement et la consternation parfaite de la 
partie drdite, quiilréussit 4 faire retentir la salle des applaudisse- 
ments envagés de.la parlie.ganche et.des tribunes. Garat, dats son 
disceurs, dissintule et. necéle mizaculeusement les dangers « réels, » 
dont il était, Ja vetlle enoore; « trop.sir... ».Le danger n'est absolu- 
ment rién'; ous s'il ¥ a du danger a craindre, ce n’est nullement de 
la part -de'la « multitude, » mais, seulement de la part des « aristo- 
crates. » Tout ce qu'il y a, selon lui, de danger réel, c'est l’existence, 
te'sont les-qualités et les procédés de la. commission des Douze. Il 
Vaecuse (vis a.wis dea passages « affreux » d'Hébert) d’avoir « tant de 
délicatesse;;:m il .lud reproche d’avoir. « limagination frappée ; » il lui 
impute des d erreurs ancomprébensibles et grandes.; » il condamne 
ses inembses:de ce quils. croient.devoir montrer « un grand cou- 
rage» et devoit « -monrir. Peer sauver la république. » (Schmidt, 
ibid., p.-54 9-520.) 


42 PARIS ET LA REYOLUTION DU 31 MAE. 


Ce discours inaitendu jeta le trouble dans Assemblée. La Monta- 
gne triomphait sans avoir méme eu 4 combattre. Eu ce moment 
méme une députation de vingt-huil sections de Paris étant venue 
demander la mise en liberté d'Hébert et la suppression de la com- 
mission des Douze, Lacroix convertit ces demandes en motions, et Ja 
Convention les adopta. of 

Un pareil vole était une abdication et ne pouvait étre leffet que 
d’une surprise : le lendemain, 28, sur la proposition de Lanjuinais, 
le déeret supprimant la commission des: Douze fut rapporté par 
279 voix contre 238. La commission élait donc rétabhe; mais il edt 
fallu lui rendre son prestige; et toute son autorité était détruite par 
la libération d’Hébert qui, 4 son tour, rentrait triomphalement dans 
laCommune. s 

Cefle concession arrachée aux, Girondins ne prévenait pas la lutte, 
Danton, dans cette séance méme, en avait donné le:signal. Engagée 
sous de parcils.auspices, elle ne pouvait que,tayrner ay détriment de. 
la Convention. ie 


Nous sommes 8 la veille @’une révolution qui va faire passer la 
Convention nationale de sa période d’agitation et de combat, 4 sa pé- 
riode d’asservissement muet. Les rapports de Dutard sur l'état de 
Paris sont d’un vif intérét. Il signale déja dans le rassemblement 
du 27 Ja personnel ordinaire des rassemblements : " 


Je dois, dit-il, vous faire ici une observation, c’est que, sans les modérés 
et les aristocrates, le rassemblement edt été absolument nul. Je vous lai 
dit, le peuple, les sans-culottes sont mille fois plus raisonnables et plus fa- 
ciles 4 conduire que les gens comme il faut. Si vous n’employez 4 l"égard 
de ces derniers le fouet et les verges, vous ne parviendrcz jamais a les ré- 
gler. Il faut les traiter & coups de fourches; vous n’en viendrez jamais & 
bout; il faut absolument les traiter comme des anes. Car, je vous le de- 
mande, n’est-il pas scandaleux que, dans des moments orageux, on apef- 
coive vingt modérés qui entoureut un-enragé, l'écoutent aitentivement, et _ 
paraissent, par signes et par gestes, approuver tout ce qu'il dit, sans qu’au- 
cun ose le contredire? Une fois qu’ils y sont, il n'est plus possible de les 
en arracher... r 

Otez les vingt modérés : un ou deux aboyeurs, mettez-en quatre si vous 
voulez, restent tout seuls; ils sont sans force et se décidcraient a s‘en aller, 
crainte d’étre arrétés. - . 

Si, au contraire, tous ces gens-la restent, il n’en faut pas davantage pour 
fixer, pour arréter tous les passants; chacun croit apprendre’ quelque’ 
chose de nouveau. Les modérés viennent observer les enragés, et [es en- 
ragés observent les modérés. La nouvelle court par tout Paris ; chacun ‘est 
curicux, tous les désceuvrés d’abord accourent, puis les motionneurs d’ha- 
bitude, puis les ouvriers quittent leur ouvraye. Le rassernblement est fait 
en un clin d’ceil. (Bulletin du 28 mai, ibid, p. 323.) 


PARIS BT LA REVOLUTION DU 34 MAL. 43 


i montre & quoi, en'ce jour méme, ces rassémblements auraient 
pu aboutir: © | 1 


; He 4 ‘ { i ae ee : 

La Convention, dit-il, a couru hier de plus grands risques qu’on ne pense; 
car si une ou deux sections s‘étaient portées en force A la Convention, il 
n’en fallait pas davantage pour l'anéantir, parce qu’elles auraient attiré toute 
la populace ; et la faction au moins subalterne n’aurait pas manqué de se 


montrer (Idid, p. 324). | 


Ea: présence. des périls imminents de l’émeute, Dutard recem- 
manie.a Gagat une anme forl aimée dela police dans tous les pays : 
le baton (le.casseéte n’est qu'un naccourci du batow) (ibid., p.325): 


Lorsque je vous ai parlé des bdtonniers, vous avez vraisemblablement 
trouvé mon idée creuse et dépourvue de sens. Quoi! cet homme, qui se 
ditle grand partisan des sans-culottes, ose proposer de les conduire par 
le baton! Et mais oui,'le baton ; ce n'est pas seulement aux sans-cuiottes, 
je veux auvsi qu’on en donne auk médérés, et aux aristocrates surtout, au 
lieu de les guillotiner. tol 

Il faut que j’explique mon invention. | 

If est de fait que la force armée, A Paris, est nulle... 

If est de fait que si 50 femmes se jetaient sir une patrouille, elles sau- 
raient toutes d’avance qu’aucun n'oserait les frapper avec le sabre, avec’ 
la pique, ni avec ‘aucune arme offensante. : : 

Il est de fait que vingt modérés entourent quelquefois-deux ou trois 
aboyeurs, et que les premiers sont comme forcés d’applaudir aux motions 
les plus incendiaires... ' | 

li est de fait que l’on peut donner de bons coups de baton sans exciter 
la guerre civile, et qu'un coup de lance Ja déterininerait infailliblement... 

Il est’ de fait enfin qu’un aboyeur sera trés-eirconspect 4 cété d’un ou 
de deux hommes en veste et'en pantalon, munis d'un bon baton, et 
qu'une patrouiile armée de piques et de ‘fusils ne fait que Yaigrir, et lui 
sert de prétexte pour senhardir dayantage. (29 mai, ibid., p. 533.) 


La crise finale était prochaine. Un mot recuéilli, non pas direc- 
tement,, il.est vrai, par Perriére, cotlégue de Dutard, pouvait faire 
craindre qu’elle ne fut atroce. Le comman:aut de la section des Sans- 
Culot{es {ci-devan! des Plantes), s’adressant 4 un homme assis dans 
sontombereau: _ 


As-tu de l’ouvrage, mon ami? — Mais pas mal ! — Oh! je t’en donnerais 
de meilleur dans quelques jours; ce n’est.pas du bois, mais des cadavres, 
que tu transporteras dans ta voiture. — Eh bien, eh bien, c'est bon 
(répond le manceuvre d’un ton demi-ivre), nous ferons comme nous avons — 
déja fait le 2 septembre ; cela nous fera gagner des sous. 

Le nom de ce commandant est Hanriot '. 


! perriére & Garat, 29 mai, n° 6, ibid., p. 335. 


‘ 


44 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


Deux jours aprés il était nommé commandant général de la force 
armée de Paris! 

La conspiralion siégeait en permanence a l'Evéché, et la commis- 
sion des Douze n’en fut instrutte que le 29; mais les hommes de 
rEvéché n’étaient, pour ainsi dire, que le personnel de la conspira- 
tion. La pensée qui l’avait concue, qui l'organisait, qui Vallait faire 
mouvoir, s’¢lait recueillie plus en secret, et la commission n’en sut 
rien. 

Dés le 27, on avait pris la résolution d’agir. On créa un pouvoir 
exécutif, un comité secret. Pour donner 4 leur institution plus de 
force, on voulut les nommer en assembiée générale, et pour cette fin 
on adressa des convocations aux sociétés populaires. Le 26 au soir, 
l’assemblée se réunit, mais elle ne se reconnut pas suffisamment 
compétente el nomma une commission des Six, chargée de convo-- 
quer une assembiée qui aurait pouvoir de prendre les mesures 
d’exécution. Le 29, nouvelle réunion de commissaires 4 l’Evéché, 
représentant 53 sections de Paris; ils nomment un comité de neuf 
membres, a 1a téte desquels fut Dobsent. C’est ce comité qui prépara 
tout pour la révolution'. 

Garat le sut le méme soir, entre onze heures et demie et minuit ; 
il en avertit le Comité de salut public; il courut chez le maire. Mais 
Pache crut ou feignit de croire qu’il ne s’agissait que de la pre- 
mitre assemblée, de celle qui s’était déclarée incompétente. Garat 
se rendit aussi, nous dit-il, 4 Ja commission des Douze; mais elle 
avait changé de local, et le ministre ne s'inquiéta pas davantage de 
la chercher ailleurs. 

La journée du 30 sembla donner un démenti aux appréhensions 
que l’on avait concues : elle se passa dans le plus grand calme. 
« Gest, dit M. Schmidt, que l’on se recueillait pour agir le lende- 
main; » mais c’est aussi la preuve que la révolution méditée était 
bien peu populaire. Si la multitude eut été animée de l'esprit qui 
conduisait les conspirateurs, rien ne l’aurait pu contenir ainsi 4 la 
veille de l’exécution du projet, et surtout un jour de fate; car le 
jeudi 30 était un jour de fete, la Féte-Dieu; et les rapports de Dutard 
nous montrent combien cette féte était encore dans les habitudes du 
peuple de Paris, méme des Jacobins, des sans-culottes. 

Dutard west pas un dévol; c'est un politique, et c’est a ce titre 
que, dés le 25, il disait 4 Garat : 


La Féte-Dieu approche : rappelez-vous que c’est & cette époque que 
Péthion, le dieu du peuple, fut accueillid coups de pierre par les sans- 
culotles des Arcis, pour avoir déclaré dans une ordonnance qu'on serait 


‘ Schmidt, t. I*', p. 537 et suiv. 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 45 


libre ce jour-1a de travailler ou de ne pastravailler; qu’ala méme époque, 
lossans-culottes de Paris délibénéront. pendant qaelques jours, s'ils devaient 
ou non lapider Manuel, pour avoir osé imprimer qu’on serait libre de 
tapinser Ou: non; que ¢¢ jour-l4: des hommes qui, par .opinidtreté ou :par 
irréligion, pW ayajent pas tapissé, regureat de bons eoups.de baton... . 
Jene sais si c'est fanatisme de la part d'un peuple, qui.veut unanime- 
ment une chose qui lui fait plaisir, qu'il désire, et & laquelle il est attaché; 
ou si ce n'est pas une infamie, qui tient de la stupidité ou de |'aveugle- 
ment, de la part du représentant de ce méme peuple, qui contrarie abso- 
lument tous ses gotts, ses penchants, dont cent années de révolution ne 
sauraient te delivret. ([did., p. 302.) - 

La Féte-Diew se célébra en‘effet, mon pas’ avec la pompe d’aulre- 
fois;:mais fa‘ procession sortlit dans quelques paroisses. Il est cu- 
rieax de voit la description qu’en fait Dutard et les impressions qu’il 
en transmet-d son ministre: (© = ' ¢ . 

‘Jai pris, un. qengé drenviren das. heures; mes ‘premiers regards se 
sont poriés, vers les processions et les. cénémonies.du jowr. Dans: plusieurs 
églises, j’al Yu beaucoup de pelit peuple et. surtout les épouses dys saps- 
culottes. On avait fait la procession intra-muros, etc. ee oy 

Jarrive dans Ja rue Saint-Martin, prés de Saint-Méri; j'‘entends un tambour 

et j'apercois ne banniére. Déja, dans toute cette rue, on savait que Saint- 
Leu allait sortir en procession. 'Yaccours au-devant, tout y était modeste. 
Une ‘douzaind de’ prétres; a'la téte’ desquels était un‘ vieillard respectable, 
le doyeii, qui porlait te rayon sous le dais. Un suisse de borine mine précé- 
dait de eortége; une: force: armée-de douze volontaires 4 peu prés, sur deux 
rangs,: devant :ef ee une popwane atsés nambreuse suivait dévete- 
ment. Tout le long de la rue, tout le monde s'est prosterne ;: je-n'al pas vu 
up sepl bonne qui ait.dt¢ son chapeau. Ky. passant. devant le carps de 
garde de la section Bon-Conseil, toute la force armée s’est mise sous, les - 
armes. - hee hy dae, SE tn OE a a oe sos 
Téatais ‘chez un imarchand, au milieu des Halles, quelques moments 
aprés. Le iambotir qui précédait et ceux qui suivaient ont annoncé Ja pro- 
eessibiy. ‘Ah Y quel a été l’embarrds de toutes nos citoyennes'de 1a halle ! 
Eilés' sé stint cbncertées a instant pour examiner's fl h’y aurdit pas moyen 
detapisse# avant que la procession ‘ne passe: « Quand on ne meitrait qu'un 
drap, ¥ etiacone.aurait volontiers' mis son-tablier ; une partie se sont pro- 
sternées.id’avauce.& fenaux,-et- enfin; lorsque le Dieu.a passé; toutes 4 peu 
prés se sont -prosternées 4 ganoux;. des. hommes,en ont fait deinéme. Des 
Jparghands se sant mis 4 rdder devant chez.eux; d'autres ont,tird das coups 
de fusil : plus de cent coups ont élé tires. Tout le monde approuvait la 
cérémonie, et aucun, que J aie entendu, ne l’a désapprouvée. 

Gest un,,tableau bien frappant que. celui-la. La présence d’ua Dieu de 
paix, de ngtre ancien maitre, qui n'a pas cessé.de l'étre, a porlé la conster- 
ration dans tous,les esprits. Gest 14 que l'observateur a pu dessmer les 
physionomies, images parlantes des impressions qui se sont faites si vive- 





46 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI, 


ment sentir au fond de l’4me des assistants. J'y ai vu le repentir; j’y ai vu 
le paratléle que chacun a fait forcément de l'état actuel des choses avee 
celui d'autrefois ; )’y ai vu la privation qu’éprouvait le peuple par I aboli- 
tion d'une cérémonie qui fut jadis la plus belle de I'Eglise. J’'y ai va les 
regrets sur la perte des profits que cette féte, et autres, valait 4 des mil- 
liers d’ouvriers. Le peuple de tous les rangs, de tous les Ages est resté 
honteux, silencieux, abattu... Quelques personnes ayaient les larmes aux 
yeux ; les prétres et le cortége m’ont paru fort contents de l’accueil qu'on 


leur a fait partout. 
J’espére que vous ne laisserez pas cet article sur votre chemindée. (Bul- 


letin de Paris, 30 mai, ibid., p. 330). 


. Le soir dece méme jour, tout se.prépare pour la journée du lende- 
main. A la Convention, Lanjuinais dénonce la conspiration de l’E- 
véché et le silence du ministére; 4 l’'Evéché, les commissaires des 
33 sections prennent tout a leur aise leurs mesures, et le direcloire 
du département convoque, pour le lendemain matin, les autorités 
constituées dans la salle des Jacobins, pour étre prét & seconder le 
mouvement. Quant 4 la Commune, elle semble ne s’étre réunie que 
pour déposer, 4 la premiére réquisition, ses pouvoirs entre Jes mains 
du comité révolutionnaire qui va entrer en scéne. Lorsque le maire 
Pache, envoyé avec six commissaires a l'Evéché, en revient, ‘disant 
que les ciloyens réunis en ce lieu se sont déclarés en insurrection, le 
conseil de la Commune passe 4 Pordre du jour, « en attendant le 
voeu des seclions. » 

Et il attend jusqu’a six heures et demie du matin que les commis- 
saires de la majorité des sections viennent lui signifier que toutes 
les autorités constituées sont suspendues, qu’ils ont recu des pou- 
voirs illimités pour siuver la chose publique. Sur cette déclaration, 
Chaumette requiert le conseil de remettre ses pouvoirs au peuple 
souverain; et les commissaires se forment en nouveau conseil gé- 
néral provisoire, sous la présidence de leur orateur Dobsent. En 
méme temps, Henriot est proclamé commandant général provisoire 
de la force armée de Paris. 

La Commune légale a cédé la place ; le directoire du Département, 
réuni dans la salle des Jacobins, fait acte d'adhésion. Mais que 
fait-on du cété du gouvernement et de la Convention? Garat (qui a 
recu un billet de Dutard, sans doute) est venu avertir le Comité de 
salut public, et se propose de se rendre de méme 4 !a Convention, 
qui est alors en séance. Lacroix (de l'Eure) l’en détourne : il ne faut 
pas aller jeter Palarme dans |’Assemblée avant de s’étre bien assuré 
des faits ; et Garat se rend & son avis. Il va donc non a Ja Convention, 
mais 4 l’Hotel de Ville, ok Pache, qu’il rencontre suivi de dix a_ 
douze hommes ayant dans leurs gilets autant de pistolets que de 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAT. 47 


poches, lui dit a voix basse : « J’ai eu beau faire, la Commune et le 
Département sont-en insurrection. » (Schmidt, t. I, p. 561-365.) 

C’est quand le toesin sonnait depuis trois heures, que la générale 
était battue dans les rues et que déja tonnait le canon d‘alarme, que 
le ministre de l’intérieur, se présentant 4 la Convention, lui dit : 


Je ne puis dissimuler a la Convention qu’il existe une grande agitation 
dans Paris... Une assembiée composée de commissaires des sections, d’élec- 
teurs du 10 aout, etc., s'est tenue cette nuit a I'Evéché et paratt avoir 
donné l’impulsion 4 ce mouvement. La cause de ces troubles est la réinté- 
gration de votre commission des Douze; on l'accuse d’avoir calomnié Paris, 
d’avoir fait incarcérer arbitrairement des magistrats, d’avoir formé le pro- 
jet d’opprimer les patriotes... Tous les citoyens sont en ce moment sous 
les armes dans leurs sections ‘respectives.,. Les patrouilles sont trés-nom- 
breuses et se fant.en bon ordre. (Ibid., p. 567). 


On peut voir dans le livre de M. Mortimer-Ternaux et dans l’His- 
toire parlementaire le tableau de cetie séance de la Convention'. Valazé 
demande l’arrestation d’Hanriot, qui a fait tirer le canon d’alarme; 
Thuriot et Danton, la suppresion de la commission des Douze que le 
ministre lui-méme a parurendre responsable des troubles ; Vergniaud. 
propose qu'on déclare que les sections de Paris ont bien mérité de 
la patrie : humiliation gratuite ; ce n’est point en s’inclinant devant 
une insurrection qu’on Ja désarme. Barére proposait 4 son tour de 
supprimer la commission des Douze et de mettre la force armée aux 
ordres de la Convention, quand Lhuillier, procureur syndic du Dé- 
partement, entrant dans l’Assembleée a la téte des autorités constituées 
et des commissaires des sections soulevées, vient lui signifier les 
volontés de l’insurrection. Le mouvement qui venait d’éclater était, 
disait-il, une insurrection morale : 


Nl est temps enfin, ajoutait-il, de terminer cette lutte des patriotes contre 
les forcenés; la raison du peuple s’irrite de tant de résistance; que ses 
ennemis tremblent, sa colére majestueuse est prés d’éclater! qu’ils trem- 
blent! l’univers frémira de sa vengeance ! (Ibid., p. 368.) 


Et il demandait un décret d’aceusation, non-seulement contre les 
membres de la commission des Douze, mais contre Isnard, le président 
aux paroles malheureuses, contre Brissot, Vergniaud, etc., ce qu'il 
appelait les royalistes (la plupart avaient voté la mort du roi). 

En présence de ces demandes soutenues par !a force armée d’Han- 
riot, la Convention cruts’en tirer 4 bon marché en votant la suppres- 
sion de la commission des Douze et en assurant 40 sous par Jour, tant 


‘ La Convention, depuis le 10 mai, siégeatt aux Tuileries. 


48 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


qu’ils seraient de service, aux ouvriers qui avaient pris les armes 
pour lui imposer, la plupart sans la connaitre, la volonté de leurs 
meneurs. Et ces hommes armés n’avaient pas concouru seuls au suc- 
cés de la journée. Dutard nous a dit de quoi se composaient les ‘'ras- 
semblements. Le tocsin, le canon d’alarme n’avaient pas peu contri- 
bué & recruter les curieux dans {tout Paris, et le plus grand nombre 
étaient les modérés! Les modérés pouvaient donc revendiquer la part 
principale dans le résultat de cette insurrection morale qui fut le 
commencement de la Terreur’*. 

La Convention élait moralement frappée; mais la révolution n’était 
pas consommée, et Dutard ne désespérait pas encore : mais il avait 
dit au ministre son sentiment sur la maniére dont il avait usé de ses 
avis; et dans son rapport du 4* juin, il le fortifiait d'un mot quil 
avait recueilli dans la rue, non sans y joindre un dernier avertisse- 
ment : 


Ce n’est pas les connaissances ‘qui vous manquent, mais c'est la fer- 
meté et le courage; il n'y a pas une heure qu’en passant au café du Caveau, 
j'ai entendu un jeune homme de beaucoup d’esprit qui vous accusait aussi 
di méme deéfaut. 11 lisait le journal, et quand il en a été a la suppression 
de la Commission des Douze : « ‘est du Pache,... du Garat tout pur,... 
des terreurs paniques!... » 

Je conviens qu iil n’est pas de plus embarrassé que celui qui Went la 
queue de la poéle, et qu'il est trés-difficile de déterminer juste la ligne 
jusqu’od il faut aller et celle ou il faut s’arréter; mais enfin il faut une 
bonne fois prendre une détermination : tant va la cruche & l'eau qu’a la fin 
elle y reste. (Samedi 4° juin, ibid., p. 373.) 


Il voyait juste; ce en quoi il se trompait, c'est quand, se faisant 
illusion sur l’attitude relativement calme de Paris le 4% ‘juin, 11 
croyait qu'il était temps encore d’avoir dans Paris une force armée 
qui protégeat la Convention nationale, ou de relever l’ascendant des 
modérés dans les sections. Les modérés étaient irremédiablement 
battus ; il ne restait aux autres qu’a recueillir les fruits de celte dé- 
faite. « Vous n’avez qu'une demi-victoire, disait le Pére Duchesne, 
tous ces b...... d'intrigants vivent encore. » 

Le 2 juin compléta la journée du 51. mai. : 

Quelle fut la part des meneurs et celle du peuple dans cette jour- 
née, comment la garde nationale vint seconder par sa présence une 
révolution qu'elle eit désavouée si elle ‘er: edt pu connaitre le but, 


4 Il n’y en avait pas moins parmi ceux qui prirent les armes. « Pendant tout le 
jour, dit Beaulieu, la Convention fut entourée de 20,000 4 30,000 hommes, igno- 
rant, Ja plupart, pourquoi on les avait rassemblés. (Les Souvenirs de l'histoire ou 
le Diurnal de la révolution frangaise, a la date du 34 mai. Ed. Dauban, p. 209 ) 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


c'est ce quon peut voir dans les récits les plus autorisés du temps. Le 
conventionne! Meillan atteste comme: Beaulieu que ta plus grande 
partie des citoyens armés pour: cemer la Convention ne savaient de 
quoi il était question, et étaient placés de maniére a n’en pouvoir 
rien savoir : 

« La Convention, dit-il, était bloquée ; quatre-vingt mille hommes | 
armés entouraient les Tuileries. Cent soixante-trois bouches a feu, 
des grils et du charbon pour faire rougir les boulets, tel était l’appa- 
reil avec lequel on. venait dicter des lois & la représentation natio- 
nale. On croirait & ce récit. que tout Paris était armé contre nous. 
I n’en était rien. De ces quatre-vingt mille hommes, soixante-quinze 
mille ignoraient pourquoi on leur avait fait prendre les armes. Loin 
de nous attaquer, ils nous auraient défendus ; mais Hanriot les avait 
placés dans l'éloignement, hors de la portée de nous secourir. Ill 
nous avait cernés immeédiatement avec sa troupe d’élite, la seule qu’il 
edt introduite dans les dépendances du chateau. fl l’avait séparée 
de la masse des Parisiens, d'un cété par l’enlévement du Pont-tour- 
nant, de l'autre par une cléture en bois qui séparait le Carrousel de 
la cour du chAteau. Il résultait de cetle disposition deux effets im- 
manquables : un, de donner & lentreprise de quatre 4 cing mille 
bandits l’apparence d’un mouyement général’du peuple; lautre, 
de neutraliser ce méme peuple pour l’empécher de croiser 1l’entre- 
prise’ D 

On sait comment la Convention, ainsi cernée, essaya cette sortie 
solennelle, conscillée par Garat le 27 mai, et qui n’aboulit qu’a lui 
faire voir & quel degré elle ’étail désormais captive : triste revers de 
la journée ot Louis XVI, voulant éprouver s'il était libre, avait tenté 
la promenade de Saint-Cloud ! Garat ne fut pas plus heureux quand, 
poor ramener |l’Assemblée a |’union, il proposa que les principaux 
membres des deux partis se sacrifiassent par une retraite volontaire : 
proposition digne de sa politique de bascule, qui le livra aux risées 
de la Montagne. Barére aussi proposa Vostracisme, 1 mais seulement 
pour les modérés?. 

Ce ne fut pas un ostracisme, ce ful la proscription du parti modéré 


‘ Cité par M. Dauban, la Démagogie en 1793 & Paris, p. 218. — C'est le méme 
jagement que porte Sébastien Mercier, dans son Nouveau Paris: « Pendant tout le 
joor, la Convention fut entourée de 80,000 hommes, ignorant, la plupart, pourquoi 
on tes avait rassemblés. La Convention, cette puissance formidable, qui avait fait 
ja faute inconcevable de donner la force armée 4 son ennemie, n’était plus qu’un 
corps atlénué, a qui il ne restait aucun moyen de résistance. ll n’y a pas de doute 
que si les véritables citoyens de Paris, qui étaient alors sous les armes, eussent 
été instruits de toutes les ruses machiavéliques, cette journée ne se fit terminée 
d’une maniére différente » (ch. ccv1, t. Il, p. 255, édit. 1862). 

* Voyez Schmidt, t. I", p. 378. 

10 Ava: 1873. 4 


50 PARIS ET LA REVOLUTION: DU 31 MAI. 


qui l’emporta par les décrets rendus dans. cette journée contre les 
Douze et les Vingt-Deux, c’est-a-dire contre les membres de la com- 
mission attaquée et les principaux Girondins. 


Aprés le 2 juin, Garat ne pouvait plus se faire illusion sur les ré- 
sultats de sa politique. « Il écrivit ce soir méme sa démission, » dit 
M. Schmidt; mais on le retint. Son chatiment n’aurait pas été com- 
plet, si on ne l’cdt retenu au pouvoir pour sanctionner, en quelque 
sorte, par sa présence la persécution de ses amis. Il reste donc et il 
garde sa police, et Dutard continue de lui faire ses rapports sur 
Paris, sur les périls de la situation et Jes moyens de salut: il y voit 
plus de périls que de moyens de salut. Si des diversités dans les aper- 
cus, des fluctuations dans les espérances, des contradictions méme 
dans les conseils sont pardonnables, c’est surtout 4 une époque aussi 
troublée, quand les choses se présentent sous des aspects si divers, 
quand les esprits dans le peuple lui-méme subissent le contre-coup des 
événements, et que les faits sont recueillis, commentés jour par jour, 
sans qu’on puisse corriger l’impression de la veille autrement 
qu’en paraissant y contredire. C’est principalement aprés le 31 mai 
que l'on peut signaler ces inconvénients dans les rapports de Dutard. 
Il n’a plus, il n’a jamais eu grande foi en la puissance de la philo- 
sophie (Garat étaif un philosophe). Il ne croit plus qu’au sabre : 


Les philosophes, dit-il ironiquement, veulent tout gagner par la persua- 
sion... Bientét, suivant eux, il faudra et il suffira de porter au combat, au 
lieu de canons, une édition complete des ceuvres de Machiavel, de Montes- 
quieu, de Rousseau, etc., et ils ne font pas attention que ces hommes, 
comme leurs ouvrages, n’eussent é!é et ne sont encore que des sots a cété 
d’un coupe-téte muni d’un bon sabre. 

Il est clair qu'il faut éclairer le peuple; mais au moins faut-il n’em- 
ployer pour la défense d'une constitution et des lois que les hommes qui y 
ont intérét, n’employer pour la défense des propriétés que ceux qui en ont; 
ou si vous admettez des gens qui n’en ont pas, il est encore évident qu’ils 
ne voudront pas et qu’ils ne devront pas les défendre... 

J’ai vu hier matin quatre hommes comme il faut, qui ont disserté long- 
temps, sans oser s’expliquer trop sur la derniére affaire. L’un d’eux a sorti 
de sa poche une feuille pour prouver, le livre d la main, que c ‘était illéga- 
lement qu’on avait mis en état d’arrestation les trente-deux. 

Les observateurs, les philosophes, les grands raisonneurs, ont la gueule 
béante; ils bdillent comme des poissons... 

Je les démonte, quand ils veulent me parler, ces grands raisonneurs. 
« Ouest votre sabre? leur dis-je. Vous n’en avez pas, eh bien, taisez-vous 
donc. » (Jeudi 6 juin, idid., t. Il, p. 4.) 


La question tranchée 4 Paris par la mutilation de la Convention 
pouvait bien ne pas |’étre sans appel. Les départements n’étaient 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 54 


pas encore, habitués 4 recevoir de la capitale les révolutions toutes 
faites. On avait protesté en Normandie, en Bretagne, a Bordeaux, a 
Marseille, contre la violence que, dés l’ouverture de la Convention, 
les factieux de Paris semblaient vouloir faire aux représentants de 
la France. Quand ces menaces venaient de s’accomplir, courberait- 
on la tate en silence? Rien ne le faisait croire. Tout annoncait le 
contraire. La résistance se préparait dans tous les principaux cen- 
tres des départements; et il faut le dire, le peuple de Paris, étran- 
ger en masse au coup de main du 31 mai, qui l’avait moins fait 
que vu faire et laissé faire, n'était pas disposé a soulenir une guerre 
civile dans intérét d’Hébert, de Chaumette et d'Hanriot. 


On m’a assuré hier, écrit Perriére, un autre observateur dans son rap- 
port du 17 juin 4 Garat, que la section de Bondy a pris un arrété par le- 
quel, si des départements se portaient sur Paris, tous les habitants de 
cetie ville, excepté ceux nécessaires pour garder les postes sans arnies, 
tous les corps constitués 4 leur téte et les Juges de paix avec des rameaux 
dolivier 4 la main, iraient 4 dix lieues les recevoir et les embrasser, bien 
résolus de ne donner ni aux ennemis du dehors, ni a ceux de I'intéricur, 
Ja douce satisfaction de voir couler le sang francais et de laisser plutét les 
chefs de parti se dévorer entre eux que de se batfre pour un seul. Cct 
arrété porté 4 toutes les sections de Paris a été recu de toutes avec trans- 
port; on serrait les commissaires en pleurant, et, contre l’ordinaire, on 
voulut qu’ils assistassent a la délibération qui avait pour objet leur propre 
arrété ‘. 


Les vainqueurs avaient maintenant & faire face aux dangers de la 
situation : dangers accrus; car avec la guerre étrangére dont les: 
suites n’étaient pas moins 4 redouter depuis qu’on suspectait tous 
les généraux, il y avait 4 songer aux éventualités menacantes dune 
guerre civile bien plus étendue que la guerre de Vendée. Pour la 
guerre étrangere, il rfe fallait pas compter beaucoup sur un redou- 
blement de zéle 4 s’enrdler dans la ville de Paris : 


J'observe qu'une leyée, quelque peu considérable qu'elle dit étre, se- 
rait bien difficile dans ce moment. Tous disent : « Levons-nous! » et c'est 
pour cela qu’aucun ne se léve... Les Jacobins disent : « Nous sommes les 
lumiéres et les apétres de la république; si nous partons contre les enne- 
mis, nous ne pourrons plus instruire, détromper, surveiller ni ranimer : 
donc nous devons rester 4 Paris. » Les Cordeliers tiennent aussi le méme 
langage; les nomophiles, etc., etc.... Le tocsin, la générale n‘effrayent 
plus : le canon d’alarme ne peut plus faire son effet, le Parisien est 
assourdi ?. 


1 Perriére a Garat, n° 19. 17 juin, tbid., p. 65. 
* Julian (de Carentan) a Garat (probablement du.43 juin 1793), ibid., p. 32. 


59 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


Quant ala guerre civile, c’est tout au plus sion se croyait sir 
d’empécher qu’elle n’éclatat. La Commune victorieuse croyait avoir 
hesoin de se garantir sa victoire en désarmant tous ceux sur lesquels 
elle ne comptait pas. Il y eut bien quelques nobles velléités de ré- 


sistance : 


On m’‘a raconté aux Halles, ce matin, qu'un capitaine chez qui on était 
allé pour lui demander son fusil avait admis chez lui la force armée. On 
entre dans sa chambre; son fusil était 4 cété de la porte. Lui s’est tenu au 
milieu, au travers d’une table sur laquelle reposaient une paire de pisto- 
lets et un sabre. — « Votre fusil.— Mon fusil!... Le voila, vous pouvez : 
prendre ; mais je previens que le premier qui porte la main dessus... 

Ces messieurs se sont retirés paisiblement, et on assure que cet hone 
courageux est gardé a vue!. 


Malheureusement parmi les chefs, les meilleurs donnaient leur 
démission. Témoin ce commandant du Contrat-Social, bataillon dont 
Dutard faisait partie : 


J’avais invité le capitaine de la compagnie a l'Assemblée, tous mes cama- 
rades, pour aller en députation chez lui; mais je crains tout comme eux 
d’étre mis en état d'arrestation. 

Voila, messieurs les constitutionnels, Jes beaux fruits de vos grandes me- 
sures révolutionnaires. Si vous n’en étiez vous-mémes les dupes, je serais 
tenté de croire que vous vous entendiez avec les factieux pour opprimer 
les honnétes gens, lorsque vous avez établi, ou du moins maintenu si long- 
temps les comités révolutionnaires. Il est plus clair que le jour que ce 
sont eux qui ont abattu le courage des gens les plus honnétes. (Ibid., 


p. 6.) 


Chose curieuse, aprés la révolution qui venait de marquer le com- 
mencement de la Terreur, 4 l’octave de la Féte-Dieu, la procession 
sortit encore dans quelques quartiers de Paris. A Saint-Eustache, 
comme plusieurs personnes avaient déja tapissé, le curé alla pren- 
dre l’avis du Comité révolutionnaire qui refusa; mais : 


Vers cing ou six heures, les dames de la halle s’y sont portées en foule. 
Elles ont demandé au curé des explications. Le curé les a renvoyées 4 se 
pourvoir vers le comité révolutionnaire ; et, aprés avoir été traité comme il 
le méritait bien, il (le comité) a délivré une permission, et la procession 
s'est faite sans tambour ni musique 

Dans le faubourg Saint-Marceau tout était tapissé, et les Gobelins ont 
étalé comme a l’ordinaire les chefs-d’ceuvre de Vart. On en a excepté ce- 
pendant les attributs de la royauté; mais ona pu prévoir que les traits de 


4 Dutard a Garat, 6 juin tbid., p. 6. 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 54 MAI. 53 


I'Histoire sainte ne pourraient que plaire au plus grand nombre, et ils ont 
été mis en évidence. (bid., p. 91.) 


Dutard ne renongait pas 4 l’espoir d’une réaction, réaction qu'il 
eit souhaitée pacifique : il eit voulu modérantiser les enragés par 
les honnétes gens, et, chose plus singuliére, il semble qu’il ne déses- 
pérait pas encore de Garat: 


Je vous le répéte, monsieur, les choses sont pleines et entiéres; vous — 
avez en main des moyens plus qu'il ne faut, mais il faut s’en servir vigou- 
reusement. 

Ici sont des députés de Marseille ; eh bien, retenez les commissaires de 
Marseille, ceux d’Angers, etc. Le Havre en a envoyé un qui est plein d’es- 
prit, et qui connait M. Lanjuinais; eh bien, invitez M. Lanjuiuais a le re- 
tenir; c'est un homme qui est bouillant, qui parle avec force, qui a des 
movens. 

Ici sont des officiers ou volontaires des départements; eh bien, n’en 
laissez échapper aucun de ceux qui aiment l’ordre et la paix, quand vous 
devriez les solder 4 12 liv. par jour. Appelez-en le plus que vous pourrez, 
et ne craignez rien de la part du peuple. (7 juin, ibid., p. 12.) 


Il ne se dissimulait pas le péril si la lutte s’engageait entre Paris 
et les départements; la Commune pouvait faire appel a tous ceux 
qui ont intérét aux troubles : 


Toute la canaille qui est dans les environs de Paris accourt au moindre 
coup de tambour, parce qu'elle espére de faire un coup lucratif. J'ai vu, 
ces jours passés, des gens de Versailles, de Neuilly, de Saint-Germain-en- 
Laye, etc., qui étaient ici 4 demeure, par Podeur alléchés (ibid.). 


Mais il croyait encore pouvoir compter sur le vrai peuple de 
Paris : 


Un homme instruit, un philosophe, voulait me soutenir derniérement 
qu’a Paris il n'y avait pas le sixiéme de la population qui edt quelque 
chose. Je crois, au contraire, qu'il y a ampleiment les deux tiers qui ont 
quelque chose vaillant. Je comprends dans cette classe ceux qui lui sont 
tellement liés que, quoiqu’ils n’aient rien, ils ne peuvent ni ne veulent rien 
piller, rien voler. (Ibid., p. 13.) 


‘ Le manuscrit porte a tort vendredi 7 mai, au lieu de vendredi 7 jun. — A la 
date du 17 juin, Dutard écrit encore 4 Garat : « Hier, en passant aux Halles, j'ai 
vu, dans l’une des petites rues transversales, un préitre qui portait le viatique 4 
un pauvre homme. Six hommes armés, bons sans-culottes, et tout a fait de la 
derniére classe, lui ont fait les honneurs. Ils l’ont accompagné jusqu’a la porte, et 
ont fait sentinelle devant la porte, pour l'accompagner encore quand il sortirait. 
Tout le monde, de trés-loin, s'est prosterné 4 genoux. Je me suis agenouillé 
comme les autres. Ces pauvres gens, malgré la philosophie et l'intrigue, main- 
Gendrpnt leur bon Dieu et leur liberté. » (Ibid., p. 63.) 


54 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


Et il reprenait confiance en voyant quelques sections résister au 
désarmement qui allait tout livrer 4 la Commune : 


Le désarmement continue a se faire dans plusieurs sections. II fait de la 
peine & presque toutes les classes des ciloyens, pauvres et riches. La section 
des Halles est une de celles qui a le plus désarmé. Je crois cependant qu'elle 
a arrété que le désarmement de chaque citoyen suspect serait discuté en 
assemblée générale. — L’un de ses membres les plus estimés de la faction 
était d’avis, et a proposé d’arréter, que l'on ferait revenir des frontiéres 
tous les volontaires qui y sont pour composer la force armée de Paris. 

La section de la Trinité, rue Grenéta, a arrété qu’elle reconnaissait qu’il 
n'y avait point de gens suspects dans son arrondissement. 

Plusieurs autres sections, m’a-t-on dit, ont pris des arrétés 4 peu prés 
semblables pour empécher le désarmement. 

Celle de la Butte-des-Moulins a pris des arrétés pour faire mettre en li- 
berté plusieurs de ses capitaines mis en état d’arrestatiou. 

J'ai rencontré, en venant ici, Dayroland, du CGontrat-Social, avec le com- 
missaire de police Montvoisin. Dayroland tient bon et a du courage comme 
quatre, mais il n’est pas secondé, il est presque seul. Il m’a dit: « Si dans 
chaque section il y en avait seulement quatre comme moi, nous les méne- 
rions tous. » Il m’a fait de grands reproches de ce que je ne m’étais pas 
joint a lui. (Ibid., p. 13.) 


Il y a des moments ou ses illusions se dissipent. Il écrit le 11 : 


Donnez-leur un bat, seigneur, et vous aurez des Anes. 

Les bourgeois de Paris, les marchands, les propriétaires, en un mot, 
persévérent dans leur avarice, dans leur insouciance, dans leur égoisme. 
On les voit généralement toujours également occupés de leurs affaires par- 
ticuliéres et rarement des affaires publiques. I] est une remarque 4 faire, 
c'est que les marchands de vin, yui sont presque tous aristocrates dans le 
sens qu'on l’entend dans ce moment, ne sont jamais plus occupés et ne 
vendent jamais tant que les jours de révolution ou d’insurrection du peu- 
ple. Aussi les voit-on chez eux avec deux, trois, quatre garcons : « Com- 
ment quitter, lorsqu’on a tant de pratique? il faut bien servir le monde; 
qui les servira, si moi et mes garcons nous nous en allons? » Ce qui se 
passe dans une rue se passe en méme temps dans toutes celles de Paris. 
Quand parviendra-t-on a tirer parti de ces braves gens-l4? C'est lorsqu’il 
n'y aura 4 peu prés plus de ressources, et qu’alors, forcés de fermer bou- 
tique, vous verrez toute la classe occupée, réunie en masse, faire complé- 
tement la loi 4 celle qui ne lest pas. (Ibid., p. 19.) 


Ii ne se méprend pas davantage sur les dispositions du peuple a 
Végard des vaincus. A propos de la translation du duc d'Orléans au 
fort Saint-Jean & Marseille, et des applaudissements du peuple a 
Parrivée de cette nouvelle 4 Paris, 11 dit : 


Péthion subirait le méme sort, que toutes les classes du peuple y ap- 
plaudiraient encore... De maniére que le vertueuz Péthion, quia voulu ou 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 55 


n'a pas voulu servir le peuple, mais qui du moins a été l’idole du peuple, 
se trouve regardé par lui comme l'un de ses oppresseurs... C’est une bien 
vilaine espéce que l’espéce humaine. L’aristocratie méme subalterne (la 
bourgeoisie) ne s’intéresse pas plus au sort des 32! que s'ils étaient des 
bétes fauves qu'on edt réencagées aprés qu’elles se seraient échappées. On 
répéte, par exemple, le discours de Desprémesnil 4 Péthion, lorsque le | 
peuple l'assommait de coups sur la terrasse des Feuillants : « C'est ce 
méme peuple qui me portait en triomphe, il y a deux ans, qui :n’assomme 
aujourd'hui! » 


Joignez-y cette observation qu’il fait un peu plus bas : 


Une remarque ‘importante que je ne dois pas omettre ici, et qui peut 
vous faire éviler l’écueil o& vous pourriez tomber! Le peuple en masse a 
un certain respect pour la représentation nationale comme seul point de 
ralliement; mais il a peu d‘égards et de déférence pour les membres qui 
la composent, de maniére qu'il lui serait indifférent de voir tomber le 
glaive judiciaire sur la téte du plus honnéte homme ou du plus coquin de 
la Convention. Guadet, Péthion, Brissot et autres ne trouveraient pas trente 
personnes a Paris qui prissent leur parti, qui voulussent méme faire la 
moindre démarche pour les empécher de perir. (lbid., p. 57.) 


Et cependant il ne croit pas au triomphe définitif des gens de la 
Commune : 


Depuis deux jours les groupes ont repris; soit les enragés, soit les mo- 
dérés, ils ne peuvent se contenir dans leur peau. 

Les enragés voudraient encore faire les méchants, mais ils ne sont pas 
secondés; ils paraissent vouloir qu'on fasse le proces aux trente-deux, 
mais 4 condition qu'on les guillotinera, car sils pouvaient soupconner 
qu’on les remit en place, la petite faction hasarderait d’en faire justice 
elle-méme. Je crois que ce sera leur rendre beaucoup de services que de 
les laisser ot: ils sont, en attendant des forces ou de nouveaux événements. 
(Ibid., p. 36%.) 


Et il croit toujours que la force serait aux modérés s’ils voulaient 
agir de concert : 

Une observation générale que je crois devoir placer ici, et qui est pro- 
pre 4 vous rassurer, c'est qu’é regarder en somme la ville de Paris, Je 
trouve que le parti modéré, avec ce qui lui est attaché, est beaucoup plus 
nombreux et plus fort que le parti enragé. Du gros banquier au boutiquier 
détaifliste, du boutiquier a l'artisan et au rentier, il s'est fait une gradua- 
tion qui forme une barriére insurmontable pour la faction. 


‘ Les Douze et les Vingt-Deux, dont deux faisaient partie des Douze. 
* Jeudi 45 juin, onze heures du matin. Dutard a écrit ; jeudi 11 juin; erreur de 
plume, causée par le chiffre qui suit. 


56 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 


Il est d’observation certaine que, dans les sections les plus enragées de 
Paris, le modérantisme y domine si fortement que les modérés l’emportent 
4 chaque fois qu'ils veulent s‘en donner la peine. Si tous les marchands de 
vin et les rétisseurs de Paris fermaient boutique 4 la fois, les garcons qu’ils 
ont chez eux étrangleraient tous les factieux. Rappelez-vous que, lors du 
dernicr enrédlement, dans la section des Halles et celle de Bon-Conseil, les 
enragés ont été forcés de demander grace. (Ibid., p. 37.) 


Mais qui pourrait encore rallier les modérés? Un seul homme, 
celui qui par un bizarre contraste reste encore au pouvoir quand 
ses amis sont tombés (il est vrai qu’il n’a pas peu contribue a leur 
chute) : c’est Garat. Dutard cherche 4 éveiller l’émulation de Garat 
en lui donnant l’exemple de ( haumette. Chaumette a grandi dans 
son esprit par le succés. Ce n’est plus ]’énerguméne que |’on a vu, 
c’est un politique, presque un philosophe : 


Voici mes réflexions sur le réquisitoire de Chaumet, que je n‘ai pas 
trouvé aussi enroué qu’d l’ordinaire, je dis plus en qui j'ai cru remarquer 
de la dignité et de la philosophie. 

M. Chaumet porte son ambition 4 devenir chef de la faction. Il n’a pas 
encore tous les talents requis, mais il a du caractére. 

Chaumet confraternise avec les deux factions, haute et basse, jacok ite 
et cordeliére, et il s’occupe sérieusement 4 réunir toutes les deux 4 une 
seule pour se faire un grand parti. 

Il les a tenues divisées jusqu’d ce jour, parce que pour le coup de main 
if avait plus 4 espérer des Cordeliers que des Jacobins ; i] vaut mieux étre 
maitre qu’étre valet : « Les Cordeliers, dit en lui-méme Chaumet, sont 
moins lents, moins réfléchis sur l'emploi des moyens dont ils font usage; 
quand il en sera besoin, et lorsque je le jugerai nécessaire, je n'ai qu’a 
donner un coup de sifflet, et j’aurai 4 l'instant une armée de Cordeliers 
aux bras bien potlus; ils ne font pas de métaphysique, eux, mais ils frap- 
pent fort, ils sont préts 4 tout hasard:r. » 

C’est ce que nous avons vu dans la derniére insurrection ; il était tacite- 
ment défendu a aucun Jacobin de proposer aucune mesure de modération, 
a peine d’étre regardé comme suspect et d’étre 4 l’instant destitué. 

L’insurrection une fois passée, et lorsque M. Chaumet a eu fait ce qu'il 
voulait faire, ila cherché a rallier les Jacobins un peu divisés d'opinion 
entre eux. [I a, dans les sections, cherché 4 intimider les uns et 4 rassurer 
les autres; il voudrait actuellement, par la crainte ou par l’intérét, réunir 
tous les partis pour prouver aux départements que la derniére insurrection 
a été le fruit de indignation de tous les citoyens de Paris. 

Ce petit bonhomme-la ne manque pas de talent; du moins, il s’entend 
fort bien en révolution, (42 juin, ibid., p. 25.) 


Mais Dutard suppose-t-il que Garat puisse avoir la pensée de lutter 
contre Chaumette? et sérieusement croit-il que les modérés soient 
encore une force? Il y a bien des patriotes qui, par déception ou par 


PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 57 


dépit, se tournent vers les modérés. Mais combien y a-t-il de modé- 
rés qui relévent la téte et osent parler encore? 


Si vous parvenez 4 réunir sur cinquante mille modérantisés seulement 
trois mille, je serail bien étonné; et si sur ces trois mille, il s’en trouve 
seulement cing cents qui soient d’accord et assez courageux pour énoncer 
leur opinion, je serai plus étonné encore. Ceux-]4 par exemple peuvent s'at- 
tendre d’étre septembrisés. (48 juin, ibid., p. 70.) 


Dés ce moment, Dutard n’essaye plus de pousser Garat 4 l’action. 
Il observe toujours, il raisonne encore; et ses observations ne sont 
pas plus favorables aux Jacobins; temoin ce qu’il dit d'un des mem- 
bres du Comité révolutionnaire de sa section, expulsé par des gens 
qui ne valaient pas mieux que lui: 


J'ai été scandalisé de voir ainsi expulsé, vilipendé par ses dignes collé- 
gues le citoyen David. ll a inille titres qui lui donnent droit a la gestion de 
la chose publique : 1° il est marchand de vin et il est presque toujours 
soul; 2° etc. (16 juin, ibid, p. 55.) 


fl n’a donc pas grande estime pour les soutiens du régime nouveau; 
il n'est guére plus grand admirateur de ses fétes, témoin ce qu'il 
rapporte de la féte civique des Champs-Elysées : 


Je n’ai vu de la vie rien de si triste... tout le monde, pauvres et riches, 
hommes et femmes, étaient calmes et paraissaient dégottés. Je n'ai pas en- 
tendu un seul cri de : « Vive la nation, vive larépublique! » Le peuple a vu 
passer le cortége a pen prés comme il regardait passer jadis un convoi fu- 
nébre. , 

Dés le commencement, une femme toute déguenillée, grosse Margot du 
nombre de celles qui portent la hotte 4 la halle, s’est mise a la téte du cor- 
tége, derriére la cavalerie; les gendarmes ont beaucoup ri, mais ils n'ont 
eu garde de la déplacer, parce qu’elle avait une cocarde et un gros bou- 
quet. Elle servait beaucoup 4 embellir la feéte... 


Quant au général qui présidait 4 cetle féte, voici le portrait qu'il 
en fait : 


M. Hanriot est une espéce d’artisan de bas rang, qui m’a paru avoir été 
soldat. Sa taille est de 5 pieds 3 pouces tout au plus. 

lla & peu prés 40 (ans). ‘ 

Il a une figure trés-dure et grimaciére; il fail. de ce genre de grimaces 
qui désignent un vilain homme : coléreux par caractére, un peu réfléchi 
et trés-grossier. | 

Quand il parle, on entend des vociférations semblables a celles des hom- 





38 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 


mes qui ont eu le scorbut ; une voix sépulcrale sort de sa bouche, et quand 
il a parlé, sa figure ne reprend son assiette ordinaire qu'aprés des vibra- 
tions dans les traits de sa figure; 11 donne de I’ceil par trois fois et sa figure 
se met en équilibre. 

Il m’a paru n’avoir fréquenté que des hommes désordonnés; je suis sir 
qu’on trouverait en lui l'amour du jeu, du vin, des femmes, et tout ce qui 
peut constituer un mauvais sujet. 


Il ajoute quelques trails qui montrent en quelle estime était le 
personnage et achévent de le peindre: 


Le cortége a donc défilé devant le général Hanriot... 

Un jeune homme, 4gé 4 peu prés de 24 a 9% ans, mais quia servi, a re- 
fusé de saluer son général, il a défilé en reculant, et lorsqu’on lui a observé 
qu'il allait passer devant le général, il a répondu a sa troupe : « Allez tou- 
jours. » 


M. Hanriot a rassemblé son élat-major. I! a demandé, avant de partir, un 
cavalier pour lui donner des ordres; et, aprés les lui avoir donnés : « Don- 
nez-moi la main, » lui a-t-il dit. Le gendarme a voulu tirer son gant. 
« Donnez-moi la main, la main tout simplement; » et d'un air de confra- 
ternité et en méme temps de protection: « Va, mon ami, va. » (24 juin, 
ibid, p. 85.) 


{i montre le progrés de la désaffection dans le peuple : 


Les femmes de la halle, sauf quelques-unes qui sont soldées, ou celles 
dont les maris sont jacobins, jurent, pestent, sacrent, maugréent, mais 
elles n'osent pas parler trop haut parce qu "elles craignent toutes le Comité 
révolutionnaire et la guillotine. Ce matin, in’a ajouté le marchand, j'en avais 
4 ou 5 ici. Elles ne veulent plus qi’on les apyelle du nom de ciloyennes. 
Elles disent qu’elles.... sur la république. (Méme jour, ibid., p. 87.) 


Il montre méme l'isolement ov sont retombés les enragés. Si les 
modérés ne sont plus en état d’agir, il aime 4 croire qu’ils pour- 
raient résister 4 de nouvelles entreprises : 


Les aboyeurs de la faction paraissent désirer J’abolition de la perma- 
nence des sections ; ils s’en expliquent méme et disent que l'aristocratie y 
remplit partout les assemblées ; qu'il nest plus possible d'y rien faire. 

Il est certain que, pour peu que les modérés tiennent bon, il sera bien 
difficile qu’aucun événement frappe Paris. (Ibid, p. 87.) 


Il fait voir aussi d’ot peut naitre la réaction et jusqu’o elle 
pourra aller sous le régime qui s’intronise : 


Une idée essentielle, dpnt on ne vous a peut-ttre pas fait part et que vous 





PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 50 


n’avez peut-étre pas eue vous-mémie, c’est que le premier des citoyens qui 
ne fait pas bien ses affaires est d’ abord mécontent, bientét il est modéré, 
et linstant d’aprés aristocrate, et puis, et puis presque en méme temps 
contre-révolutionnaire ; de maniére que ce n’est plus Il’intégrité de la Con- 
vention que cette partie du peuple demande, mais bien un roi, et l’ancien 
régime si vous voulez. (24 juin, tbid., p. 80.) 


. Et ce qu‘il a observé chez les autres, il le prouve en quelque 
sorte par Jui-méme. Ce défenseur de la république, ce Girondin, et 
plus que Girondin, parlera presque comme un royaliste : 


Le malheur des Francais a daté du jour, non pas que Louis Oapet a été 
guillotiné, mais bien du ] jour qu ‘ila été décrété qu'il serait jugé. Mais que 
pouvait-on en faire? quoi en faire? l’avoir laissé au Temple. I avait lui 
seul plus d’influence sur |’esprit du peuple que n’en a jamais eu toute Ia 
représentation nationale. (Ibid., p. 54.) 


Au dela du 25 juin, il n’ya plus de rapport de Dutard 4 Garal. 
Garat l’avait-il remercié? commengait-il 4 trouver ses rapports com- 
promettants? 

Mais Garat lui-méme, malgré tout ce que lui devait la révolution 
du 31 mai, se trouvait mal 4 l’aise entre Danton et Robespierre. Il y 
a des services indirects dont les factions ne gardent pas de recon- 
haissance ; des auxiliaires dont elles ont hate de se débarrasser. Ga- 
rat suspecté, harcelé, un peu poussé dehors, donna enfin sa démis- 
sion le 15 aovl; et personne ne le pressa de la retirer. 

Quant 4 la ville de Paris, ot la mollesse et la désorganisation des 
modérés, trahis d’ailleurs par la faiblesse et les hésitations du gou- 
vernement, avaient laissé quelques audacieux accomplir une révolu- 
tion nouvelle, elle est jugée comme siége d’assembliées souveraines 
par un homme qui n‘attendit point pour cela iia sacs de beau- 
coup d’autres révolutions : 


« La France entiére, dil le conventionnel Mercier dans son Nou- 
veau Paris, aura constamment 4 reprocher a Paris, la victoire de 
Paris seul sur la France, lorsque 30,000 hommes armés enveloppe- 
rent la Convention, déclarérent traftres & la patrit les défenseurs de 
l'ordre et des propriélés, et demandérent leurs tétes. Le rapporteur 
de la commission des Douze allait nommer les véritables complices 
de Dumouriez; les assassins, les brigands, les fauteurs de l’anarchie 
allaient éire connus; Je triumvirat de Danton, de Marat et de Robes- 
pierre n’aurait pas cu lieu; les décemvirs nés 4 la suite du trium- 
virat n’auraient pas épouvanté la nation et histoire de leurs auda- 





60 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 


cieux forfaits. Dangereux exemple’ d’une minorité qui a sous sa 
main, dans un petit espace, ses protecteurs et ses appuis, toujours 
plus forte qu’une majorité dont les soutiens sont dispersés et comme 
perdus sur un vaste territoire tel que la France... 

« La grande louve, la jacobiniére, eut donc son infernal repaire 
4 Paris; on la mettait en mouvement 4 l'aide des sociétés popu- 
laires, et aprés que ses aboiements avaient jeté au loin la terreur, 
on faisait adopter les projets les plus monstrueux dans le sein et 
dans le choc des émeutes. Partout ailleurs la Convention nationale, 
forte par elle-méme, n’edt pas succombé, et avec elle la nation 
entiére. Dés qu’on eut trouvé l'art de commander 4la minute uné 
insurrection parisienne, il n’y eut plus de liberté pour nous, et la 
tyrannie décemvirale fit assassiner en grande pompe et décima & 
volonté les législateurs et les particuliers'. » 


H. Watton. 


‘ Mercier, Nouveau Paris, ch. ccxuiv, t. II, p. 380-382. 


LE THEATRE DE QUINAULT 


ll y a de ces esprits d’ élite, de ces génies privilégiés qui s’im- 
posent, pour ainsi dire, et qui, entrant de plain pied et sans dis- 
cussion dans la postérité, gardent éternellement la place qu’ils ont 
prise dés le premier jour, et paraissent méme, contrairement & 
loptique des objets matériels, grandir de plus en plus 4 mesure 
qu’ils s'éloignent. Les exemples en sont fréquents dans notre littéra- 
ture. Tous nos grands écrivains, ou presque tous, ont été proclamés 
grands de leur vivant, ont emporté le témoignage des meilleurs 
juges; et notre gout toujours si sir, malgré sa promptitude, s est 
piqué 4 juste titre de ne point attendre l’avis des siécles. Mais ce 
gout s’est trompé ou s’est laissé surprendre dans des sujets moin- 
dres ; il a eu le respect des grands critiques, comme il avait l'amour 
des grands écrivains. Certains jugements ont été pour lui paroles 
d’Evangile, et il n’a pas toujours su réagir & propos et faire casser 
un arrét injuste, méme quand il avait sous les yeux et dans les 
mains les preuves vivantes de l’injustice. Si aucun génie supérieur 
n’a été réellement méconnu en France, des écrivains de mérite, et 
qui viennent les premiers aprés les maitres, que dis-je? qui quel- 
quefois sont des maitres eux-mémes, ont été objets de mépris et de 
risée, et, malgré toutes les réclamations, malgré toutes les prises 
darmes tentées en leur honneur, n’ont pu reprendre aux yeux du 
public Ia place dont des arréts iniques les avaient fait descendre, et 
qui, en définitive, reste la leur. 

Quinault est certainement un des plus frappants exemples de ce 
que nous avancons Ia. Il avait débuté trés-jeune au thédtre, et avec 


62 | LE THEATRE DE QUINAULT. 


beaucoup d’éclat. Toutes ses piéces, tragédies ou comédies, avaient 
été accueillies avec une faveur marquée. Il était devenu l’auteur & 
la mode; if offusquait par ses succés la vieillesse du grand Cor- 
neille, et avait été proclamé le poéle de l'amour bien avant que 
Racine ne se fit révélé. Il suffisait qu’une piéce fit de Quinault, 
pour qu’elle eit l’appui du beau monde, et surtout des femmes. 
Nous ne faisons allusion ici qu’a la premiére partie de sa carriére 
littéraire, car i] renonga momentanément au théatre, quand 11 était 
encore en pleine possession de la vogue, et cela pour complaire 4 une 
jeune veuve qu'il aimait et qui ne lui accorda sa main qu’a ce 
prix. Ce ne fut que plus tard, aprés quelques années de silence et 
d’inaction qu'il s’associa avec Lulli, et qu’il écrivit ces incomparables 
opéras qui ont survécu a la musique & laquelle ils devaient, suivant 
Boileau, toute leur vie et toute leur chaleur. 

Puisque nous avons prononcé le nom de Boileau, 1! nous faut 
d'abord reviser le procés qu'il a intenté & notre poéte, procés qui a 
été perdu par Quinault en premiére instance, mais dont |’injuste 
arrét,a été cassé en appel. Une partie du public lettré ne connatt 
gucére pourtant aujourd'hui Quinault que par les immortelles épi- 
grammes du célébre satirique. 


Si je pense exprimer un auteur sans défaut, 
La raison dit Virgile et Ja rime Quinault. 


C’est le premier coup porté, c’est aussi celui qui fit le plus de mal, 
car il est certain que Quinault n’est pas un auteur sans défauts, et 
lépigramme a pris tout de suite de cette circonstance un air de jus- 
tesse et d’impartialité. Elle se trouve dans la satire II, qui est de 
1664, et qui est dédiée 4 Moliére. L’année suivante, Boileau, non 
content de ce trait perfide, revint 4 la charge dans la satire III, qu’on 
désigne ordinairement sous le titre du Souper ridicule. Les convives, 
tout en causant, parlent des poétes les plus 4 la mode. Un campa- 
gnard, un beau parleur, relevant sa moustache et imposant silence 
a tous, dit entre autres soflises : 


« Je ne sais pas pourquoi l’on vante l’Alexandre : 
« Ce n’est qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre... 


(L’Alexandre de Racine venait de paraftre, et, quoiqu’il soit aussi 
un héros doucereux, Boileau, aveuglé par son amitié, le présente 
sous un tout autre uspect.) : 


« Les héros chez Quinault parlent bien autrement, 
« Et jusqu’a : Je vous hais! tout s’y dit tendrement. 
« On dit qu’on l’a drapé dans certaine satire 


LE THEATRE DE QUINAULT. 63 


Qu’un jeune homme...— Ah! je sais ce que vous voulez dire, » 
A répondu notre héte: ... « Un auteur sans défaut, 
« La raison dit Virgile et la rime Quinault. » 

« — Justement. A mon gré, la piéce est assez plate. 
« Kt puis blamer Quinault! Avez—vous lu l’Astrate? 
« C’est 14 ce qu’on appelle un ouvrage achevé. 

« Surtout l’anneau royal me semble bien trouvé. 

« Son sujet est conduit de la belle maniére, 

« Et chaque acte en sa piéce est une piéce entiére. 

« Je ne puis plus souffrir ce que les autres font. 

« — Il est vrai que Quinault est un esprit profond, » 
A repris certain fat..... 


Nl est évident que l’auteur en veut particuliérement a Quinault, 
mais aussi qu'il sait bien qu’il s’attaque 4 forte partie. Du reste, 
cet Astrate, dont il a si mauvaise opinion, est la plus remarquable 
tragédie de notre poéte; nous l’analyserons avec détail, nous en fe- 
rons des citations, nous reproduirons méme des scénes entiéres ou 
des parties de scénes, et le lecteur pourra se prononcer en connais- 
sance de ca 

On a dit que Boileau ne s était montré agressif qu’a l’égard des 
mauvaises piéces de Quinault, et que les satires ou il parle de lui 
sont autérieures 4 tous les opéras qui ont fait sa gloire. L’opinion 
de Boileau ne fut nullement modifide par l’apparition des opéras. 
Nétait-ce pas encore Quinault qu’il avait en vue, quand, dans la sa- 
tire X, il rappelait avec mépris : 


abies Ces discours sur l'amour seul roulant, 
Ces doucereux Renaud, ces insensés Roland, 
Et tous ces lieux communs de morale lubrique 
Que Luili réchauffa des sons de sa musique? 


Dans son dialogue des Héros de roman, il s’est attaqué par deux 
fois a Quinault, et cet acharnement est tout a fait significatif. Du 
reste, le premier trait qu’il lui lance est charmant et trés-juste. Plu- 
ton demande a Diogéne : « Quelle est cette femme que je vois qui 
arrive ? 
DIOGENE. 
Ne reconnaissez-vous pas Thomyris? 
PLUTON. 
Quoi! cette reine sauvage des Massagétes, qui fit plonger la téte 
de Cyrus dans un vaisseau de sang humain? Celle-ci ne pleure pas, 
jen réponds. Qu’est-ce qu’elle cherche? 


THOMYRIS. 


« Que l’on cherche partout mes tablettes perdues ; 
« Mais que, sans les ouvrir, elles me soient rendues. » 


6k LE THEATRE DE QUINAULT. 


Ce sont les deux premicrs vers que prononce la reine Thomyris 
dans la Mort de Cyrus, une des plus. mauvaises picces de Quinault, 
écrite dans le style des hérgs de mademoiselle, de Scudéry, et, nous 
le répétons, la critique est. aussi juste que fine, Mais-le second trait 
nous semble mojns heureux ef ne lag pas seloninous. fi faut: iter 
tout le passage. , | 
| PLUTON, 

« Quel est ce grand iqnogent.qui s en. ya des. derniars, et qui a ia 

mollesse peinte sur le visage? Gamment. as aeoadl : 


,,  ASTRATE..: 
Je m’appelle Astrate. ,, ; 
_ PLUTON,,. 
Que viens-Lu chercher ici? » 
| acs ae 
Je veux voir Ja reine. oth ee ee. 
PLUTON: 


Mais admirez cet impertinent! Ne diriez-vous pas que 4 "ai une 
reine que je garde dans une hbopite, et que Je montre a tous ceux qui 
veulent la voir? Qu’es-tu, toi? As-tu jamais été? . . 

|, ASTRATE, 
Oui-da, jai été, et il ya un historien latin qui: ait de moi en pro- 
pres termes : 6 Astratus vicit. Astrate a. neces 
,PLUTON,, 
Est-ce la tout ce qu'on trouve de toi dans histoire? 
ASTRATE.. 

Qui, et c’est sur ce bel argument qu'on a pomposd. une tragédie, 
intitulée du nom d’Astrate, o les passions tragiques sont maniées 
si adroitement, que les spectateurs y rient 4 gorge déployée depuis 
le-commencement jusqu’a la fin, tandis que moi j’y pleure toujours, 


ne pouvant obtenir que l’on m’y ee une reine dont) je suis pas- 
sionnément épris. » : | 2 a. % 


Astrate est amoureux de la reine, et la demande a tout le monde, 
lorsqu’il est dans son palais. I n’est pas plaisant du teut de la lud 
faire demander 4 Pluton, qui a, raison. de hai répondre: qa’il n'a 
pas une reine dans une botte pour la montrer:au: premier venu, 
tandis que ceux auxquels Astrate s’adresse dans la tragédie ne sont 
nullenient en droit ‘de lui répondre cela. Asfrate est un-sujet d'in- 
vention. Boileau raille Quinault d’ayoir traité un sujet qui n’est pas 
historique. Mais Corneille avait plusieurs.fois déja dontié l’exemple 
de semblable licence, et dans des ceuvres justement applaudies. La 
tragédie d’Astrate obtint un trés-grand succés, non-seulement dans 
sa nouveauté, mais toutes les fois qu’on la remit au théatre, et il est 


LE THEATRE DE QUINAULT. 65 


encore impossible aujourd’hui de la lire sans intérét. Il est donc 
souverainement injuste de prétendre que les spectateurs y riaient a 
sorge déeployée. Du reste, c’était un parti pris chez Boileau de n’ac- 
corder 4 Quinault aucun mérite, méme celui qu’il était impossible 
de lui contester. Il le cile encore, dans la satire IX, parmi Jes au- 
teurs le plus justement oubliés, et il le cite le dernier aprés une 
énumération des noms les plus ridicules ou les plus profondément 
inconnus. Enfin, comme pour se résumer, et afin qu’il n’y edt 
aucun doute sur son opinion définitive, il a dit dans sa correspon- 
dance, 4 un moment ow toutes ces querel!es semblaient apaisées : 
« Je ne veux pas offenser la mémoire de M. Quinault, qui, malgré 
tous nos démélés, est mort mon ami. ll avait, je l’avoue, beaucoup 
d‘esprit et un talent particulier pour faire des vers bons 4 mettre 
en chant... Mais pour les autres piéces de thédtre qu’il a faites en 
fort grand nombre, il y alongtemps qu’on ne les joue plus, et on 
ne se souvient pas méme qu’elles aient été faites! » Or, c’est de l’au- 
teur d’Astrate et de la Mére coquette que Vimplacable satirique 
parle ainsi! [l n’y a d’autre moyen de lui répondre que de faire 
connaitre ces deux piéces, dont la premiére est certainement une 
des belles tragédies de l’ancien répertoire, dont la seconde est une 
comédie qu'il faut de toute nécessité ranger au nombre des chels- 
d’ceuvre, écrifes toufes deux dans une langue facile, claire, har- 
monieuse, qui n’était déja plus celle de Corneille, dans une lan- 
gue plus moderne, plus neuve en quelque sorle, et qui donnait 
le ton & l’exquise douceur de celle de Racine. Il est inconcevable 
que Boileau ait méconnu ces qualités de style, ou que, du moins, 
Racine ne les lui ait pas fait remarquer. Mais ce dernier n’était en 
1665 que l’auteur d’Alexandre, et peut-étre n’était-il pas apte en- 
core 4 discerner les bons endroits ot Quinault lui enseignait le 
langage de la véritable tendresse. 

Quinault porta longtemps le poids des attaques si rudes et si sou- 
vent réilérées du législateur du Parnasse. Il vivait toujours dans 
lestime des connaisseurs, mais il était mort pour le public, et bien 
mort, croyait-on, ayant élé tué par le ridicule. A cette époque, on 
mourait encore en France de ce mal-la. Il fallut que Voltaire se fit 
un devoir de remettre en honneur le doux poéte, car ce fut maitre 
Arouet qui, le premier, et en toute circonstance, se déclara son 
champion. Voici ce qu'il dit dans le Temple du Gott : 

« Despréaux, par ordre exprés du dieu du Gout, se réconciliait 
avec Quinault, qui est le poéte des graces, comme Despréaux est le 
poéte de la raison. 

Mais le sévére satirique 
Embrassait encor en grondant 
40 Ava, 1873, 5 


65 DY WREAPRE: DE NQHINAUOT. 


a fi ot Cel aimahte ptitendredymquby tyler satya geatyge 2 tre, 
yeep tie 11 Quislui, pandonnay, ani rapty. iy oy. +, recy sterevetegtiatod Pesca 
se 8s ‘ony ore es tooggises ot a eT a oe Ly eee Gs : Wife a nein es 
“Ye He me Péconcille point avec vous,  dissit Desi caux, que 
op(it® 6 4a eg rT) ee rn TL OeEEES COMED SIN DOME E S| er pitis Cert ig. 
vous ne conveniez qu'il’y a‘ bien des" Fideurs dans'tes operas ‘si 
Le eer oa eine a i‘ s P hb “le oe ae ee pate roy ’ ‘1944 Hytat 
afréables. — Céla peut tre, Aft Vainadlt, ‘mais’ cdnvehes 'Ausst que 
‘ 4g ‘6 ‘fe, *, fait | ys ae aoa re bath SEE ore (' Pa | 
vous n’eussiez jamais fait Alys _Armide. 
\ 7 : aof 3 oho hg Re at ee ee le- etyrptead be tebe Mane apeayl> 
A eee cs Dias Vos striipulddsos Heautésy 56 | soo didibee fay sduace 
eta oo tot Sopez rnai; -priicisy naaorinables heey whey city! Ndite gy, 
cola any etal Que vos e¢rits Solent respectas : | eanep tot GE Ge bebe 
Mais permettez-moi d étre aimable. » 


LGU Micns POT Meebo pe tests oe 


VU{}i tout. Vdliaire t’oke''prodifie:Ytie'les Upéras pouk tédoticliter 
lés deux'adversaires. Tl’ést. vrai’ qu'il ‘pése ‘ici’ toutes ‘ses pr 
qu'il Y8tudie’4 ne rendre que des jubements sans''appél. Hl fat plus 
hardi' dins te négligé ‘de'1a corfespordance,idang | S'ténibrités' ad 
la cofivetsation, et ndus potirrions citel hiaint’ endrdit ‘of Il se 
platé a réhubilifer ¢omplétement” Quindult, & prodlimer' Je Thétite 
incontestible dela Mére cbquette; et & signalér Tes belles stbnes de 
l"Astrate entrdé le héros ‘et Sichéd.'” ~ ype ” ee “stata sane 
“Nous autons surtout pour’ but,’ dans cétte étude,''de faird con- 
nate cés deux pidcds, et de prouver chitivant Heine! Qamaull avait 
déji fait briller dans la’ tragedié ef dins' la comi¢die Yes’ quulitég 
qui devaient!faire sa ploire'daris lopéva. "Nous avons choisi- tes ddte 
ouvrages de' préférence 4 tous Ics autrds, car ils Sant cértdiicimertt’ 
les meilleurs ‘et ‘les sels qli soienf dighes d*ttre miadinterius'a 14 
seéne': oe ae a ee ee Ete baauy fs Es TT i, cles iag ies 
peer a ape asp yg onl ein le by erp aes 
se pt tye Noe ghee’ dal Jad TU". fo i ' aoe een rieny (oud e 
Go et he Ct. eed eg tae ato) peg ged dears. 
he, tinge oleae ot Me a piteeee en cog Daren pete 
ee Sey he heen deat mas  eipot ait Wys; SU ft 
Onc lit).en téte de Médition da Théatrécomplet'de Quinault, publibe- 
en 4739, une! assed longus préfacd: qui! ala ‘prétertion de phitér: 
plotot-du pegte que de Phomnte: C'est: uri! travail fort: thal fagty'od 
abondent les dissertations: inutiles: (Liguteur essuye; ‘entre dutrées- 
choses, ide blanchir Quihatitt‘du repreché qu’ or lui faisait diétve le. 
fils d’un boolanger, et-U'avoir servi dhez'le poste Tristan 2 Hermite}. 
a-titre:de valet. Qaingult était bie Je ‘fils dun bowlangen, “estlwn: 
fait cotistaté par sori: acte da naissinga; et! il n’y a pas: al cnlrougir: 
pour: lui.: Mats comme: flinfavait quehult ans quand il-chtva obtes 
Tristan, qui le pril envamitié:et -quilui enselgna: tes régtes db ta: 
poésie, il est probable qu’it n’était- puéte: propre encore 4 rendre les: 
services qu’oh uttend: d’ua:domeslique.a pages..'Les ehesct: pbe- . 


LB DHRATRE: DE IQUINAULT. 67 


vent s'expliquer plus naturetiement.: tristan. avait ‘un fils qu’il ai- 
mail tendrement, qui avait hérité d'une’ certaine fortune laissée par 
sa mere, eb, quit; faisait, ele yer aN, Heaucoup de goin. Il prit dans 
sp.mnaisOn le Jeune Quinaalt p f donner & cefils un émule, un com- 
PAgngD,, UR TPH, comm? PR isait,alors, et il s’atlacha tellement 
a lui, que, plus tard, quand il perdit ce fils si cher, i] reporta sur 
Quinault toute sa tendresse palernelle, et exigea méme que le jeune 
poéte vint s établir de nouveau chez jus.et ne le quitlat plus. Mais 
n'anticipons pas. Quinault avait’ &peme dix-hutt agg, lorsqu’il com- ’ 
posa sa premiére piéce de théatte, tes Rivales, ‘dort Tristan fut si 
salisfait, qu’il ne craignit pas de la présenter aux Ccomédiens comme 
élant de lui. Js en, furent epchantés de leur cole, et lui en pffrirent, 
cent eeu, (eta alors; la méthgde sunvie entre les comédiens ef les , 
anlepras Oa.convennit dug, prix.une fois payé,, et les gomédiens | 
sans que l’auteur ent, Me rien a préfendre sur jes, béntlices réalisés, : 
Qn assure que, aa risian cruf.deyoir déclarer aux comédiens de. 
hotel de Bourgogne Hue da: piPag n’élajt pas dg lui, mais dun tous: 
jeune homme auquel il s’intéressait, ¢eux-ci n’en youlurent. plus, 
donner que. ginquante dqus au hiew de cent, Tristan, se récria,. Jes 
comédigns tut objectfrent que lanyre dup jeune homme: leur pré-, 
senlait, moins de, garanies de guccés. que Leeuyre d'un. pote agr. 
clamé , bt, apes.bien des déhate,,if fut enfin conyeny que. le jaune 
anteyr tqueherait le peuviéme des repeties que Tevgit-la piéce,, Tell 
est, assure:{-on, Fgyiging de ges droits d’aulenr, qui ont sauypgardé. 
les intéréts de quelques hommes de génie, et qui ont fait réaliser de. 
nos jours de si beaux bénéfices 4 quelques hommes de talent. © 
Quoi qu’il en soit, les Rivales eurent un grand succés; elles rappe- 
laient bien par l’intrigue une piéce de Rotrou, qui avait beaucoup 
réussi quelques années auparavant, mais elles s’en distinguaient 
par un style plus facile, déja fort agréable, et qui accusait tout de 
suite; un éorodints Tristan: tus: rand du. pésaltat, et et :jouit: dniwe- 
relable péresulia Géndreuse lagpatttude suimtde fort pris les:Rivales 
et exupurta.tes) saéiies suffrages. La. yogue'se décdgra poyr-le now-, 
vel autenri;.31 donna pidce:sut piéed, at ne marahe plus que de suce 
cés on. siccds, Nous davons {duselots nous. hater. de: dire. que les trar 
ghdies: dé Quinault renchéxirent. engore, sur la tendresse.alors & Ja 
mode, ek que, douile au gouldyjaur,iline eoniribaa pas peu a-affe- 
miper de. plas ea plysile théatne.. Ses héres-n'ont. jamais diantce af- 
faire qua é étrdamourens j ils nayiguant en pleine eau.surle fleutedu. 
Tendte,.méeme-ceux, qui.ant anquis dans Phistoire Ja:phisifier xrenom. 
de. fos pgH6,; Cet sar epee que posta surtout la oritiquaide Beis: 
lepu, et omiessobligg de.cenyenis: qib eWe Krappa :juste. Gepesntant. 


68 ‘LE THEATRE DE QUINAULT. 
Jes amoureux de Racine sont’ de la 'méme famille; il ya tine! rudnte 
sans doute, mais s’ils paraissent un peu plus raisotidables;‘ils ne 
sont certes pie beveup plus historiques. L’amitié, ‘cofame ‘tous 
l’avons dit, aveugla Boileau, ou, dy moins, Ie fit bere eh 
Voltaire dans son Temple du Gott, devait rejeter contre’ ‘Racine’ ‘le 
reproche si constamment adressé '& Quinault par ‘sori tértible en- 
nemi. Parlant des héros de Racine, Voltaire'ne dit-il pass eeu 
Se i att as a de p beg ages 
“Hs ont tous ‘le méme'niérites 6 ps th pa 
Tendres, galents, dopx et:diserets;.,..). 0. cicen aor or 

Et amour, qui,marche leur suite, . 
Les croit des courtisans francais? — 


renee ea Gy 
Mais Voltaire ne réfléchissail pas qué’ tous ses Héros, ‘a lui, sont exac- 
tement taillés sur Je patron de ces héros amoureux dont '‘il’'se ino- 
que. C'est que les poétes, ef surtout ‘les poétes dramatiqnes, ‘soitt'do- 
‘minés, sans $’en apercevoir eux-mémes, par le gotit'da temps dv ils 
écrivent. Leurs qualités leur appatliennett plus en propre que leurs 
défauts; ceux-ci leur sont presque toujours imposes : ils tiennent 
les autres de Ia nature. | 
Tristan "Hermite, tout en s’associant de cteur ala gloire de son 
jeune disciple, ne se laissa pas éblouir cependant,,. et l’engagea sa- 
gement a choisir un état: Hl le fit‘entrer chez um.avocat au conseil, 
comme qui dirait aujourd’hui chez wn notéire ou' cliez un avoué. Les 
poétes sont en général gens assez raisonnables et susceptibles de 
donner de bons avis, quand il s’agit des autres; ils ne sont tout a fait 
fous que lorsqu’il s’agit deos-astines, Quinault, sans cesser pour cela 
de se livrer 4 son gout favori, et sans produire moins d'une piécé en 
cing actes et en vers chaque année, dcquit pourtant assdz dé ton- 
_ Maissance des affaires pour exercer avec succés son petit etnploi ‘et 
rendre a ses clients de vérilables ‘services. On raconté qu’s ‘cétté épo- 
que, ayant été mis en rapport avec un riche marchand dé'Paris que 
des associés malhonnéles commeéncaient & inquicter, i! parvitit, tion 
sans peine, 4 déjouer leurs mauvais desseins. Ce miarchand, qui'l'ap- - 
préciait comme homme d’affaives, et qui Yadmirait én méine temps 
comme poéte, avait une femme jeune ét belle. Quinault fut admis 
dans Icur intimité. Quels rapports 8’établirent peu a pew ‘entire lui et 
Ja belle marchande, c’est ce que nous croyons ihutile'de rebhéercHer. 
Ce quil y a.de certain, c’est que Je mari éfant mort pir la’ stite, 'Qui- 
nault épousa la veuye, qui lui apporta ‘en dot’umeé ied Sabah 
Ce ne fut pas seulement, du reste, aux’ matis qui dvdient de joes 
femmes qu'il prodigua les lumiéres qu’il avait acquises ‘dans Tétude 
des lois et dans Ja pratique du droit. Lorsque Tristdh Hermite vint 
4 perdre son fils, les parents de sa femme lul infentérent uh‘méchant 





LE THEATRE DE QUINAULT. 69 


pinets, pour des comptes.qu’il devait rendre. Qujnault se chargea 
de Jiaflaiga, [lassista de.son experience et de ses conseils, et Tristan 
Gant Jombe malade par suite des inquiétudés que lui causaient tou- 
tes ces, acasesrier. son jeune ami vint s’instal[er ‘son chevet, passa 
rés,de lniles jours,et les nuils, le soigna comme le fils le plus ten- 
ie A cateate la douceur de ‘lui rendre: a la fois la sanitéet la trani- 
quillité d’esprit,.C gst alors qu’jl quilta son avocat pour aller loger 
chez Tristan. La chronique ajoute que le vieux poéte reconnaissant 
étant mort peu de temps aprés, Jaissa. a Quinayst de quoi se conso- 
ler. Nous avons étudié avee:quelque déiail la vie de Tristan 1’Her- 
mite; nous savons qu'il ‘mburot pauvre,; el qu'une épigramme du 
temps disait qu’il n’avait pas méme pu laisser un manteau a son 
meilleur amy. Mais niest-ce, pas ainsi qu’on écrit Vhistoire? Le noir 
eble blang, opt, cours ¢galement, sans qu’on daigne prendre seule- 


ment Ja peine d’adqucis un pep les disparates. ’ | 
. ep pe, dut Ven 1666 .que, naire poéle se maria, qu’il épousa la 
bolle squve ai aimait ; if.en, et cing filles. dont il a dif plus tard 
Ls | nc 
palvua, 1 lept, avec peu de bien, un terrible devoir > : ‘ 
is pee sentir pressé d’étre cing fois beau-pére.: *  *' 

* = 09 T I Qed?! einy‘aetey devatit nolaire ! - t 
cries f°, Vine Poue-eing filles quiitfaut pbudvoir?:. - 2. 
Lorn ca v0 ciel! peptton jamais aver. i.. 
Colbie Ppa pbs Sicheux afaipes 


10 ret Se oe ay eat, ge. Vga aye Gy Ge A . =o ; 
Nous avons. vu, quon .prétendait. que cétail sa femme qui lui avait 
imposé, comme, condition de leur mariage, ! obligation de renoncer 
au thédtre ; celle. supposition est fort admissible. Au dix-septiéme 
si¢cle, ja bourgeoisie avait, encore plus que la noblesse, de ces scru- 
pules, religieux, et lon. sait que la femme’ de Racine ignorait jus- 
qu'aux gos des piéces de son mari, Mais il est 4 croire aussi que 
Quingylt fut an peu distrait de Ses. occupations favorites par les nou- 
yelles, gt fae gar qu'il exercait. Il avait acquis une charge 
daudueur, des cena sajt? ces messieurs les audileurs, qui 
Hayaient point lgiss fe fing, op difficultés pour admettre datis 
leng ia eli un.simple faiseur de comédjes, tui avaient’ peut- 
etre imposé Ja condition tacjle de ge plus récidiver. A cette occasion, 
qui. Rous, sqil,. permis, de raconter,, en passant, une assez piquante 
aneedate, Qui ulf,, ayant donné un grand diner 4 toute 1a compa- 
OME. -apssi ta. ypenes au théd(re pour lui faire entendre une 
de.ses pieces, gu pi jqnajl alors. Tous ces messieurs étaient en robes. 
[ous HONsA diet ane le respectable agsistance! Ils ne savaient trop 
dahord qnelle gontenance faire, sils devaient partager les émotions 


70 LE tHEATRE DE GUtNAUET. 
Ae” Bae Nhe iat, Suey. Cap la! os Te ee, ne ; 
du pubjic ou bien garder Jeur quani a eitx; rhafs enfin ‘its ‘prirent 
leur parti, et comme ils virenf que iout le, mondé applaudissait’, itg 
se mirent 4 applaudir ayec tout le mdndd.' C'est Mdliéré qui‘edt été 
heureux Asemblable fete! © Fe 
Quinault fut, dit-on, trés-exact 4 remplit sa charge.‘ Totitefots'il 
se laissa séduire et ramener’'au thédtre par'Lulli, qu] he trouvait pas 
d’autre podle a.son gré. Son talent, pour cortiposer des vers propres 
a dtre mis enchant, était déja reconnu et tonsacré. C'ést lui que Mo- 
liére avait chargé d’écrire lés 'infermédes de‘sa Psyché. Lulli ¥ éfant 
adressé 4 Ia Fontaine pour avoir un opéra, ét celvi-ci ayarit eorhposé 
une pasforale de Daphné, dont les ‘vers n’agréérént' pas du ‘tout au 
musicien, il en résulta une grosse affaire qui'passionna la ¢our'ef ‘Ia 
ville. Quinault, qui avait 66 nommé de l’Académie en 1670, et qui 
était fort bien vu a la cour, fut sollicilé de toutes parts, et meme de. 
trés-haut, et finit par céder aux instances de son ami; il s’engagea & 
lui fournir, chaque année, un poéme lyrique en cing actles pour la 
somme de quatre mille livres, ppix débattu et convenu d’avance. 
Peut-étre ce prix, trés-élevé pour ’époque, contribua-t-il a faire ces- 
ser les scrupules de madame Quinault. Toujours est-il que c’est a cette 
circonstance que nous devons ccYte suite d’ceuvrés‘charmantes, d’o- 
péras inimités ef ininiitables, dont, en dépit des ‘prédictions de Bot- 
leau, les vers faciles et harmonieux ont survécu’ & la musique dé 
Lulli, et vivront autant qué Ia langue frangaise. © ~ 
De néuveaux scrupules religieux, mais ceaxld: tout personnels, 
arrélérent celle. seconde course de Quinault, au moment ot it venait 
de produire Armide, son chef-d’duvte. Pour expier ses erreurs pas- 
sées, il entreprit un poéme sacré sut la destruction de: Phérésie, — 
dont on a conservé les quatre prethiers vers‘: " "Ui ol 
Je tai que’ (rop:chanté ley jeax.etles-amoursgi ido. tide ot 
‘ Bar un ton:pios sublime, il fayt.noug faite entendpe., 9, i. 
af oe TOUS CIS A TOME UT oe A: So, ge 
oa .., ,. Et yous dis adieu'pour toujours, - eo 
Ea maladic ne Jui permif pag de pdursnivre’ son’ dessein ;’ elle s’ag2 
grava lientét par'‘les terreurs qui Vassaillirent, par les remords-exas 
gérés sans doutd que lui causaient’ses Péchés de jeuneste, ot il ttiou, 
rut 4 l'4ge de cinquante-trois ans, dans des éciitiments qui lui furent 
~ communs avet tous ses contemporditis de 'parife;: et ‘qtil'sont ‘canted 
plus ‘consdlarits et plus ‘ribblés qué céux doit quélqwes Hommesde 
leltres, fort en'vue, oft cru tout récemment ‘encore devoir {give ote 
lage 4 leur fit'de mort. 'West-it donc ‘pas acquis'aujodrd’ hui pout 
tout le’ monde, que 'Thomme vie petit’ janis ‘selever aesez haut ext 
Pye HF Sab dy te of Tye Gt 


Ly 
it 


fMmourant?’ ‘" me aster 2 ce pe 





: AE REAR DE, QUISAuLT, " 
Quinawlt était, grand. bien fait ; des yenx hleus languissants a fleur 
de whe, au Ue Ip front Aleve, iseqovel uni. Nous ex- 
trayops.ces doux lignes d’un portrait beaucoup plus long et que nous 
avons tout lieu de croire exact, puisqu’il est tracé par un contempo- 
rain, sans nous arréler 4 un autre portrait fail par Furetlére, et 
dont Ja, haime semble avoir broyé les’ couleurs, Quinault s’exprimait 
avéc facilité, a. if parlait et écrivait fort juste, » dit le méme témoin. 
Nous, ajouterons, d’aprés des renseignements recueillis ca et 14, qu’ 
dait, du, epmmerce,le plus sur et le plus agréable, qu'il disait dy 
hien de.tqul le mond ,méme de ses rivaux, et qu'il n’en voulait & 
perspnne,, pas méme 4 Boileau, pour qui il affectait en toute rencon- 
ie beaucoup de considération et d'estime, et cela sans bassesse. 
Majs apnés,naus dtre occupé.de l'auteur, il nous fayt maintenant 
ahorder, Vexamen de ses onvrages. =, 
Regie IG age stone fe 
Ae Wii a s ae ae, ne a 


tory sai 1 er i ; 
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wfieorq, [eqs thee de eis i aay, ae of gets =P hes a he ky : ; 

Nous) axons wn. que, teut en abtenant les applaudissements du 
prblic, el.aa.ne remportamt jamais que des victoires, notre jeune 
pele nianat dabord que trop jnstifié les, sévérités de Boileau 4 son 
égard. Ses comédies, faciles ef agréables, mais jel¢es.toutes dans, un 
moula. wes Manquaient d’observation -et. de profondeur ; ses tragé- 
dies, éeriles; Van style clair, abondant ef déja trés-épuré, | ecleasal 
lontes par la puérilité.de V'invention et par un excés de fendresse qui 
allart, jusquia Ja,fadeur. La note, juste de |’amour,sonnait bien de 
temps en temps par-ci, parla; mais Ja galanterie envahissante ab- 
sorbait tout. C’est dans une piéce, trés-défectueuse encore comme 
invention, mais dans-laquelle, lai donnée une fois admise, éclatent 
des beautés réeltvs'et dun gente nouvoatr; e’est dans le Faux Tiberi- 
nus, piéce qui fit courir tout 'Paris'et‘qui conserva trés-longtemps 
sa vogue, que Quinault donna pour Ia premiére fois la vraie mesure 
de-te qa’ il pousait faire. Toute la pidce repoae sur une ressemblanca 
romanenque et.impossible, Tibérinus, rol d'Albe, a été tué dans un 
combat, xt unde.ses géndraux a l'idée de faire régner A sa place, et 
spam teiméme Bom. san, propre, fils gui avait avec le roi une ressem- 
blepoe singuliire, Il xanand pour celale bruit que Je roi, par suite des 
chainde, que lyi,ingpirajt;ce,jeune homme, J'a fait mettre ‘4 mort. 
An mement oy‘commende |'action, c.est Agrippa, c’est-a-dire le faux, 
Tehérinus: quirpgna, et nous as3istons a toutes les élranges complicae 
hong que.compone ype subshitytion pareille. Ainsi la sceur d’Agrippa 
reproche au faux Tibérinus la mort de son frére, et Lavinie, princesse 


LE THEATRE DE QUINAULT, 
du sang royal, qui aimail ¢e frére an,seoret, sans jamaisle lui avoir 
laissé soupconner, fait éclater ses. septiments Mevant ‘celni,,qu'alle. 
prend pour son assassin, de fagon qu'il’ a Ja dgueepr, d’enfendre,.au 
milieu des reproches ef des malédictions que ,prayoque son crime 
supposé, des aveux qu'il n’avail jamais osé réver, pour lui-méme.. UU 
y 4, nous le répétons, un mérite réel dans cette piéce, qui se. lit pny 
core avec un certain intérét., Quelqués vers bien, ey falar irésr 
bien frappés et Irés-nafurels, révélentle poéle dramatique., Elie.nous 
a rappelé!’ Héraclius de Corneille, qui ne parut queheaycoup plus lard, 
et il est certain que Corneille, qui avait tant pesfé contre le sycces de 
Quinault, n’a pas dédaigné ici de Pimiter, Mais en somme,.ct, malgré 
la valeur relative que nous lui accordons, le Faux. Tib¢rinus, mangue 
trop de cette qualité si nécesgaire' aux belles ayvres, ta simplicité. . 
Le sujet de )’Astrate est beaucoup moins egmplique,, beancayp 
plus vrajsemblable, du moins, et accuse, un -énorme. progrés dans Ja. 
manieére de I’auteur. Les fréres Parfait disent dans leur Histoire, que 
c'est une des tragédies les. plus inléresgantes du répertojre du Théa- 
tre-Frangais ; ils sé faisaient,, en. sexprimant Ainst, l'échy des, bons, 
juges, qui, malgré le formidable arrét dp maitre, du Parnasse, ren- 
daient justice au chef-d’ceuvre de Quinault, Pour bien camprendre le 
mérite de cette pidce, il faut se reporter d’abord al’époque.de son.ap- 
parition. Les fréres, Parfait la font reprégén{er en, 1664, nous ne saz, 
vons pas pourquoi, car il est.acquis, au coptraire,. qu'elle fut repré- 
sentée en 1665. Ici les dates sont fort importantes, En.1665, Ragine 
n’avait encore fait joucr aucune de ses piéges, pas méme les Freres 
eqynemis. Or il est impossible de lire |’ Astrgte ct de n'Aire point frappé 
de la clarté, de I'élégance de, la versification, du, mérite, presque 
racinien dy style. C'est dans l’Astrate que Racine pul prendra des 
legons pour former son style de tous les jours, sj,)’on peut parler 
ainsi, tandis que c’est aux belles piéces de eerie dat demandait 
le secret d’un style plus fort et plus véhément. Mais, malgré cela, ou 
plutat & cause de cela, l'auteur d’Andromagye devait, dire natprelle- 
ment hoslile 4 l’auteur d’Armide., Un homme.da génic o'aime. pas.a 
ressembler 4 quelqu’un qu’il estime inférjeur a, lui. Puis, les deux, 
grands poétes officiels du siécle nouveau, hes. deyx gélébres amis ey- 
rent encore par la suile un autre motif de sourde, jaloysie contre 
Quinault. On sail avec quel apt délicat,, avec quelle yerve {pujours 
préte et inépuisable, il variait les louanges de Louis XIV dans les pro- 
logues de ses opéras. Racine ct Boileau étaient coprlisans +, rlui-ch, 
jusqu’a la rage, celui-la jusqu’a en maurir,.. Ils ne papvajent,. dans 
les épanchements de leur intimilé, tre favorables a un paéle qui mar 
Diait si bien l’encensoir,, et quien faisait sorlir des parfums si doux 
ef. si pénétrants. 


Portpetiploae fat fo feos cern betotie foe ane 


LE THEATKE DE OUINAULT. 3 

Le gtd 'réproché' que faisdit Boileat 4 la pigce qui nous occupe 

) edmind nous Tavons Vu; sé réduire i céch : Astrate n’est qu'un 
sujet dé pure invetitions bh ne sajf‘rien dé ‘particulier sur Astrate, 
rit, si ce n’est qu’AStrate a'vécu.’ Nous Tui'ayons répondu, en pas- 
sat, que'les sujeéts d’invéention peuvent élre ‘trailés au thédtre tout 
aussi Hier ‘que les stjets historiques; ct rious ajoulerons ici que Vhis- 
loifé‘est trop’ souvent le pfétexfe et non Ie sujet de la tragédie. Pour 
ne parler due ae YAndrothagie de Racihe, n'est-il pas clair que le 
triple afnour'd'Oreste pour Hermione, de Pyrrhus pour Andromaque, 
et @Herititone pour Pyrrhus est de pure invention, ‘sinon par le fait 
méme,‘dd moins par la’ maniére dont il ‘est traifé? Les héros et Tes: 
hérofites''de cette pidce ne sonf-ils pas simplement des Francais et 
des Fraticaises élevés dan§ le culte de lantiquité et revétant leurs 
sentiments moderneés de Souvenirs classiques? Oreste, tout poursuivi 
qwifest par les Furies, n'ést-il pas plutot le précurseur de Werther 
et de Ret# que te vrai'fits du roi d'Ar¢os? A’ Dieu ne plaisé que nous 
ayoris Pinfentidn de ‘ditinuer le ihérite de Racine, de lui faire une 
msitaise' chicane a propos de ld‘couleur Jocale dont on a tant abusé 
depuis, ‘ét dot il n’usait'et ‘he ‘vdatait user qu’avec sobriété! Nous 
avons dit ailleurs que c’eSt une nécessité du’ poéte dramatique d’as- 
simafler dans une cettaine proportion, les héros des siécles passés 
aux hétos'du siécle pour lequel il éerit, ‘qu'il n'est pas mauvais que 
les’ Girees'et ‘les Romaitis'de Corneille ‘et de Racine soicnt quelque 
ped Francais, et que, s"ils étaiént’ Grecs et Romains seulement, ils ne 
nous toucheraient guére. La'n’est pas la question. Nous reprochons 
sitiptement & Boilead d’avoir eu en cette circonstance deux poids et 
détix mesures ; en u'mof,' de'n’avoir pas pesé |’ Alexandre de son 
ainj'dans la balance Tigide of il pesait l’Astrate de Quinault. 

Miis commencons lanalyse détaillée de la piéce , qui est intilulée 
Astiate; rot de Tyr, Ue } 

Une jeune princesse, nommée Elise, est devenue reine de Tyr par 
suite d’imé usurpation. Son pérc, qui 4 détroné le roi légitime, lui a 
constili@ en mourant, potir consolider son pouvoir encore contesté, 
d‘épousér Agésior, printe du Sang’ royal, et ‘qui a aussi un parli dans 
Etat: Les deux familles Tes’ plus’ puissantes ainsi réunies pourront 
fadlemenit tenir téfe 4 toutes les enfreprises. Mais Elise dime Astrate, 
jemhe-hdinmd brave, charmant, plein @'avehir, qui s’est ‘déja signalé 
cbtithé Tes eninémis de Sa'scuverdine, ct qui vient de l’affermir sur le 
troite par ahe éclatante victotte" Ndénor découvre que, de son cété, 
Astrate diine la reihe;' mais; domme il ést sdr'd’épouser Elise, i! dé- 
daigrie dé le. punir et ne laisse pas de protéger toujours Sichée, 
qu'én ‘croit' plré d’Astrate et qui pouvait étre suspect comme par- 
tisan de l’ancien roi. C’est & Sichée lui-méme que la reine apprend 


14 LE) THEATRE DB QUINAUAT. 


qwelle yeut épeusar.son fils,.et, comme .il-n:accugille, pas cette. dé- 
claration, avec ’anthougiasme auquel elle. saltendait, elle est obligge 
Geluidire;, tt tee tt et a 
aioe. «oS hake étre _ — soyes a pea phe ere: a a 2 ae 
: d | 
Blle x ne:se, fait, du raste,. augune ‘llusion. 1:6 ‘est! par le cxime. quielie 
nagne : le-vieux-roi -Iégitime et, ses deux. fils,ont ¢16-inmmolds‘’ ses 
intéréis; un troisiéme fils qui leur survil. et qui lui est échappé, 
doit étre immolé.de.méme,,. et ceal . ue vauenmuailacts Lous. S68 SAAS 
tendront désormais. ee ee a 2 ee eee oe ae (a 
hd Mon destin me demande encor cette victime. ae 
' "* "Te sort de ma maison, plus fort que mes soulaits, 
ee ee a nneeence ef m'énahaine attik’ forfats. : ayy 4g) 


si or ae wees 
: On idiea eaaa ‘doute. qu’ “il est. assez, singulien quane jeune, reine 

dont la sceptre east teint de.saag, et qui comprend si. bien Ja négessité 
des. crimes. politiques, $e soit, prise, Cun. amour vertuepx pour. un 
homme,que, le.sort,a. fait. nailre dans Up Fang: Anforiews, QUOKYR-|pxAs 
tout. Sichée.goit:.un, des prigcipaux seigneurs. de sa, cur. Mais,il.en 
est ainsi dans. toutes les tragédies.;4 7. esi-ce, pas aussi lq coprs Ra- 
turel.des choses d'ici-bas?. Las.crimes politiques sont d’yne essence 
particuligre ; ila n’empéchent pas les_rojs de dormir.et de vaquer a 
leurs affaites..C’ast dans la.tragédie, surlout que. jes minisizes, seuls 
$ont respansables,.et que le. regune os se.déplaie dans 
toute sa rigueur. ae et, a 

; Au-second acle, ka reine est seule avee Sa confidente. Elle aenyoyé 
consulter. dans ison temple Jupiter. Amman, jet voici la. aia we 
sherk ugh ial: “Gaeta, wit te: ae 8 Sati ana acces Aree ees 


7 eae ee, 1, ie 
; : “Reine, ne cherche'p pas ‘dilleurs que dans ta dour’ es Peee ty 4 


' L'etinemi que 1é' ciel pour ta perte'a fait naitre: as 
‘+ ‘Lheure fatale approche of tu dois besaawiees probe eae ota, 
Mais. il pemeRhreuey at Vempire ef lejoar. .) gre eras tage 


La confidente se désole en entendant celté prédiction sinistre, et elle 


dit 453 wiles ait Te ae oh ar en een ee 


t ** 45 yard 


‘ !  daoi !: volis voyer ‘1ey dieuk! prats’a vous boodblét} fd ea ec 

if nen teeta ae boobs Jr : oP ro! st, Ottyeboe al 

Wee: se ee fo, "ELISE! site dip ao af 
Que. sertal de ‘rember 

let S‘il est’ vrai qu’au ciel ma perte soit écrite, a 

_Doiit en crathdre le coup, haa pate re Tent fe ie 

‘ th na Id 

ixtataciese d’Bilist se développe tived up éclat: tout cornélian:.: Sa: fer- 

mefé ‘ne |’empéshe. pas cepriedant diaimemAstrate, de,Vaimar amir 


Shi". bey i Dh 


‘£8 /THBATRE DE OUFNADET. [3 


qaaen ef fuses lo falblesve: Mais le pénérogité aA péiior qui sur- 
vidtit ot: q tai hai’ déutove quill laisse Nhre ‘de sé prononcer! qlt’il ne 
veut rien devoir 4 la volonté derniére du feu roi, cette sén@rbsité 
ne laisse pas de |’embargagser.. Ele sait qu’ib a découvert l'amour 

u’elle a pour Astrate... Celui-ci se présente a son tour. Puisqu’il 

meép ener dutient lk rein’, "ilest naturet qu'il'cherche a la voit, 
qa] Jd-demiande A.toud ‘ceux qu’il rencontre. O'est’le contraire qui 
strait étonnant et bizarre. La critique ‘de Boileau porte donc en deta 
complétemeht a faux. Astrate ‘n’a pas revu son pére; if ne sait en- 
core rien, par conséquent, de l’honneur que la reme veut lui faire, 
du bonheur inespéré qui lui est réservé. Elise, avec une habileté 
toute féminine, qui est’ plus du domaine ordinaire de la comédie 
que de celui de Ja tragédie, lui arrache l’ayeu de son amour et se 
plait 4 lui laisser voir elle-méme 4 quel point il est aimé. La scéne est 
erxciewse; qtiviqué dépour'rue, dans cerlaines patties, de eetle con- 
venénce rhajdstuedse, de cette nnilé de ton que Voltaire admire tant 
che# Racine: Il serait interessant ‘pourtant de rapprocher cette seéne 
de ‘elle ‘d'Hippotyté avec Arivie dans: Phadre. ‘Mais poursuivons. Ad- 
trdte;'et artivant, a prévenu la feine qu'il serait bientdt, en mesure 
dé iii ‘faire’ cétinaitre sén detilier ennemi, ce troisiéme fils da ‘foi 
legifitne, ‘qu'il’ jure dé nouveau’ d’itmmoler de 6a propre maih. Oh 
voit ‘que, not-seulement il ést amourenx d'Elisc, mais qu'il est:en 
gained dh tidreirient' dévoué-aux intéréts de la nouvelle dynastid. 

"He trowieme bute’ est teas-beau, et ld scéne qui le‘termine estiad- 
mirable et des plus pathétiques qu’il y ait au théatre, Astrate, députs 
qgiifse'sait aimed; ptouve plus impérieusement encorele besoin de 
revdit'la teind. Sichéel’ én’dissnade & wots corverts, l’engage méme & 
s’éloigner en cherchant 4 lui faire comprendre qu'il ‘y‘a péral pour 
lui a demeurer dans le palais. Mais le jeune homme ne veut rien en- 
tendre, et s’adresse alors & Corisbe,. la confidente d’Elise, qui est 
dans ses intéréls, mais: qué lui-apprend avec tristesse que ses affaires 
ont pris une autre fite, que-la'reme a reva’ Apénor, qu'elle l'a ac- 
cpeili avee bonté, et a fini par, lui remettre elle-méme son anneau, 
he est préte 4 Lépdiser. Sur cela arrive Agénor. « Cedi 
vous que la reine aime, dit-il & Astrate : elle ne m’a confié son an- 
neau que pour miangager a, vous. le-donner ; mais il est 4 moi de par 
la volonté du feu roi, et je le retiens pour vous faire atréter. » Mais 
le capitaine des gardes auquel il s'adresse pour faire exécuter cet or- 
dre, et qui a récides ordres contraires, lui redemande l'anneau, le 
remet a Astrate, et,emméne,le prince dans Ie fort qui lui est assi- 
gné pour prison. Voila donc ce fameux incident de l’anneau royal 
deht Boileau’ sesh tant moqué! -H ept wai que Vinvdntida.a' quel 
kt those de Fominesque ctide pudril, mais Pexécution est -habile, 


16 LB THAATRE DB-QUINADLT, 


et ces deux scénes ‘doivent produire:de effet..a la représentalion. 
Sichée, qui est revenu'avec' le'capitaine des gardies| reste seul avec 
son fils et le détourrie plus que jamais d’aller rejoindre Elise. « Mais, 


sécrie Vimpétuenx, jeune, herame,,, 1 fant absolument que: ja. dy 
parle, Le complot qp’on tramait contre ella est découvert; jien tiens 
dans, mes mains tous les {jlg..Un, tel et un tel sont caroplices. - _ 
Mais te ‘sont mes amis! ‘dil Sichée.. — Qu}importe |.,. — - Et. SaNezr 
vous, mgn ‘fils, quel est ‘le chet de ce sudaeanel Non, — ‘Gest. mai. 
— Vous, mon pére!» +, 


st! a ae igh ray OEE Se 


{. ve , 7 « ’ 
a a ' Chic ah a Pails bey a ie ee 


a. 
Je me ‘fle au pouvoir des droits de la nature Meh isch ies we. coe 
Au premier des devoirs, ay ‘plus sacré et... eye 
_ | ASTRATE. | ; 
- - * Seigneur, contre! atiour neé'vots'fidz 4 Hen. eae Ne Sey 
oe Vemer: deniander grace, et nous Yatirtins sans: eine, ree de 
ay saad seigne@r, {y as dire foul-@ la pAine. . 7 
, fe Ure SBOE Et | Pie 
Ho trahip BION ; Sea mon. prince,, mes amis! aera 
lutot, ‘si vous l’osez, trahissez-moi, pion fi Is. 
; 'Perisez-vous que Vappat du rang qu'on yons présente, oe oe 
es cet infame prix, the! ebrrompe’ ‘ol mettente? oe’ 6 re | 
» Connshsser: mieux tha dois mien depertlémouyoir, 5 ou et 
Et } je n'ai pas de fils si cher que mon devoir. 
Jai juré de venger mon maitre légitime, 
De couronner son sang, de detroner le crime, | 
* tak add 
D‘affranchir mon pays d'un empire odicux, ; 
Ou du mbins de périr d'un trépas glorieux.’ 
Dans un si grand dessein je suis inébrantable.’ 
Il faut qu ‘enfin la reine ‘ou succombe ou m'accable, _ 
(Que vous voyiez ses jours ou les miens terminés, : 
Et c’est a vous a voir quel parti vous prenez. 


| ASTRATE, 7 Wy 
Entre la reine et vous je nen ai point & prendre, , 
Que celui de vowloir tour a taur vous défendre, «dia 
Vous garder l'un de I’ ‘autre, et toujours me ranger 


‘ 1” ; te 1 oe 


Qu eulement au. sera je danger. ee or eee 

aan ae a dabon ord ae Sat He eine . ee 

" Patdonn esij'y cours, PH ee NEN ree 

ae eo ‘doa ed tan 7 cle te ate beth te betobed aide feed 

Pe toy gt fal to. ton@uidi tl a indfube est venti peel by 

ot ‘y aN Nop igage toe ene nee a atbaog 
on oe aie ‘yes aitahas pal ecder Resane de mom-secowlts, yi clogs 

- 1, Seigneur, .etda,la.rping, an sartrapeher lesiquys! to sy 
7 Avec le mame soin que, cqmme amant déle, ere a i Se 

" Je vais ou fa sauvér, ou périr avec elle, a aeeuad 

Je saurai,'l'ayatit'mlse a ouvert 'dé Vos eéups! ee i 

' + Vous sauver comihe fds) pupegiraveciwaus. 65 et 


Je n’examine point, dans cette conjoncture, ) oa, oe 


LE TGatRe De GeINAUET. 1 

rele has- (Qus dodt vaihore du ‘ebderti Vamogr bala waturet: - 0! 

ret tuo 2 tSans Jugériqui des deux foit dtrd plus puissant, 

vat’. yc de Tegarde aps, perils, of coprs au plus pressant, 0. 
foute le Scétia! dir ‘éothmerichmentt' Ald fiti'!"det’ Rcrilede ce style, 
ding telte langiie’ ébrvectéi'ét' hdrmdiiduse, ‘Avec cette force et cette 
sirété‘do main.'Et voila’ ¢e qui, ‘selqn Boiléau, faisait rire les 'spects- 
leurs & gorge dépJoyée? Mais est-il névesvaire de réclamer et de s’in- 
digner? La critique Ia plus respectée, la plus autdrisée, est impuis- 
sante quand elle s’abuse 4 ce point, et n’a pas méme besoin d’étre 
combattue : la simple vérité est plus forte qu’elle. 

Au quatriéme acte, Bazore et Nicogéne, complices de Sichée, le 
pressent de faire apparaitre enfin, leur yéritable maitre, le dernier 
fils du roi... Sichée leur promef de les satisfaire, mais les prie de le 
laisser d'abord quelques moments sep) avxec.son, fils. La scéne est 
encore d’un trés-grand effet dramatique:.Astrate. presse 4 son tour 
son pére de lui faire connaltré Vennemi ‘de ta’ réiné, ydi est devenu 
son ennemi personnel a lui et dont #1 brile de répandre le sang, puis- 
qu’enfin il ne faut plus que cetté mort pour alfermir Je trone ot il va 
monter, et pour assurer a jamais la [ranquillité du royaume. Sichée, 
a bout de détours, .se.. rend .4.ses-instances.-et lui dit :-« C’est vous, 
cest vous-méme qui: étes: cet enneii.. Vous étes de: 81s du dernier 
rol. » Fae aes Se ee I Peep oth 

Un fils que je perdis,' dont jacelai la’ mort, | | 

Me donna le moyen d’assurer volre sort. |. 

Vous étiez de méme age, et tous deux dans l'enfance, 

Et son nom aisément cacha votre naissance. 

Soy, ASTRATEL ta r 

Qu’a jamais ce sccret n’est-il caché pour moi ! 

Ah! cruel, fallait-il, si je suis fils du rot, 

Pour me montrer la main qui fit périr mon pére, 

Altendre que l'amour me fa rendit si chére? ; 

Et ne Udviéd-vous pas, pout Ye bien de res jours, © 
; Ou m’avertir plus tot, ou ‘you's taite' toujours?’ _ 


"eats | 


La scéne se poursuit avec des développements d’une éloquence pas- 
sionnée. Enfin arrive la reine, qui, res{ée seule aveq son amant, 
fait un retour sur elle-méme, sur les sentiments qui l’ont dirigée, 
et lui apprend quae c'est. pour lui.seul, pour lui assurer un trdne, 
qu'elle a commandé le meurtre du roi légitime et de ses fils. Elant 
sur cetle pente, elte: instste raturellement: pour quail conjure les 
derniers périls, pour qu'il Ini désigne sen ‘dernier ennémi, puisqu’'il 
s'est vanté de l’avoir découvert. fl se nomme. Cette scdne est au m- 
veau des autres. L’jndérat croil avec la pitié. Elise dit alors 4 Astrate 
de se venger, de venger son pére:et ses:fréres. Il s'en‘défend et lui 
répond : e MUTT er hate yet oe 


" ae ee : 


718 LE THEATRE BE QULNAULT. 


De l'amour.et de. moi que:pent craindra.wotce Ame? .. 
Contre votre ennemi vous pouver.taut, madame... «| 
Vous vouliez le connaitre, et je vous l’ai montré; ° 
‘iy «5, Vous cherehieg é le.perdre, et ja.vous Vai livré. tis! fey 4 
N’épargnez pas mon sang dans ce malheur extréme. 
Vous en aves besoin. es 


rf 
Por fy 


Eperdue, atterrée, elle ne revient % elle que pour le presser de nou- 
veau d'immoler celle qtii'a été le bourreau de'sa famille entiére. Le 
ciel veut qu'elle périsse par lui. 


' Seewch resale a 


"' ‘4° tft oracle assure, 1 fant qu'il staccompligge. "I oti f | 
Les dieux me l"ont trop dit’ pows’ oder ét ‘douter.!! fev cul) Lai] ( 
ASTRATE. 


L'amour est le seu! di¢u qu’fl en faut consulter, | 
Et sa voix, dans mon coeur s’éxplituiant’ sans obstacle, 
Vous répond do contraite, 'et vaut bieri'votre oracle: ‘' 
C’est le dieu qui me touché et me connail le mieux : 
Fiez-vous plus & tui qu’A tous les alitres dieux. 

S‘ils menacent par moi vos jours et’ votre empire, **"' 
Ils se sont abusés, jose les er‘dédire!’ = 5° 
Je prétends vous sduver'en dépit des desting.’ ©° | " 

re J 


On vient alors annoncer & la reine que'la révolte fait & chaque in- 
stant des -progrés,.que l’ennemi fatal .réservé. pour lui nyire a com- 
mencé par prendre pour premicre victime un prince du sang, Agé- 
nor, qu'on vient d’immoler, et que c’est elle qu'on tmpate le crime, 
de sorte que les partisans d’Agénor'se joignent maintenant a ceux 
du nouveau prétendant. Enfin une foule hostilé entouré ‘te palais. 
i 

Vous voyaz que des dieux l'implacable courronx. ., 

Veut que vous vous vengiez, Astrate, ef. malgré youp.. , 

Ecoutez votre sang,, bie: Eh 


' t boar, a, oD 
' 


’ i a ee eee pe 
« J’écoute mon amour!» s’écriert-il, et il la quitte powr’courir lui- 
méme repousser les rebelles. « me Te a 
Au cinquiéme acte, Elise s’entrétiént de ses malheurs'avec Co- 
risbe, sa confidente. Elle se réjouit d’étre aimée encore, mais elle 
sent (rop qu’elle n’a plus qu’a mourir, ef Corisbe essaye ‘en vain de 
Ven dissuader. Armveat-bient6t Siebée et ses‘ complices.'Sichée ap- 
prend 4 la reine qu’Astrate nest plus en état de pouvoir la défendre, 
qu’on s'est eniparé de hti, et qu’on Ya Wdsarme:' «' Ainsi tena a 
elle, je ne le verrai plus! Mais exaucez'ma dernitre pridre’:' em/pe- 
ehez-le de vouloir me suivre.a. te 
one ie : PY overdo cet te on a eda er 
Je sais Famour d’Astrate, et juga pan moieméme: 4, (: 
Qu'il est doux de mourir, quand.on perd ce qu'on aime. 


‘ t @ thot ft 


LE .WHRAIRE: BE UINAULT, 19 


Ce n'est pias quia! ses: jours que'je pronds intératy: | 
Et vous pouves: deg ‘miene user comme nee. md 


phceth ae oe a4 pY der gt faee gq r) ¢ 


Un grand bruit se faisant' entendre en te moment, Sichée lui dit : 


vt ms A es 
Mais je crains tout du peuple, et ce benzit kone. eee 
ELISE. 
14 * ry febon me laigse ensrepdg ; je sangice. quajefoi,.. 1 ..,,, 


1. 01 Pb je Satiglerai les, dieu, Jepeupla et mo po , 


Etelle s’éloigne avec sa suivante. =" EOP DEE ae ta gee Wg 1G 
Elle est & peine sortie, qu’Astrate accourt, élant parvenu 4 s’é- 
chapper des mains des soldats qui le retenaient.. + oe 


, Mais ou done est la reine? . 
Ah!:sij’ osais penser, qu‘ en cette extrémité , 
Deja, one sg, yie On euit, rien a? a 
1. SIQHER, 
La reine vit encor ;, mais enfin yaici Theure | 
Ou c'est, ne) aimer pas qy. ‘empécher quelle meure. ” 
Tous sont a limmoler. ee résolus, | 
On les retient, A peing, pt Je n’en_ réponds plus, 
, ASTRATE. 
, 1, {ae nq camnais que trep ce qui naus est fyneste. . 
"+" Répondez- moi de vous, Je vous réponds reste. 
Pour me rendre ici‘ maitre, annoncez qui ie suis. ee 
fob] Cb bo tet guns: phe te pe av oa 
a i Ne nous en Rater point, o’est, 09 que je be puis, .. 
BD coup, Sc: | ASTRATES 'y oo 
; ‘Guana done, réser'vez-vous de me faire connaitre? 
a nit D1 SERIO SICHER. ° oF i 
Quand j'aurai vu venger le sang qui vous fit naitre. 
ASTRATE. 
Mais saveaCvous quel prix doit attendre de moi -‘ 
Un gif barbare sein de votre trop te for?! 
Que, si pour me venger en dépit de mei mérhe ‘ten | 
Votre cruel devoir m’arrache ce que j'aime, 
a cay ny eb.deknd propre main, 0 Gi 
L’excés injurieux de ce zéle inhumain. . .: | i, 
2 F :,, SROBRE. " eee 
ae Bika mon maitre assez pour m’ exposer sans peina . 
“ALY 2bott Gadahys'd Loser’ servir au péril de sa haine; et 
sae Maas HOKO pha perte apsurde est, apreés'tous mes soins, ' Pe AR nM A 
v ‘ule 7 Logstine de = ae moon ri craint Je moins. 
ors “hy tl Nass! 
i ial au dises our: essaye ag 5 luer, _ comme Sichée par: 
vai, r en empecher, pein cigs Megas sok a 


s 


rae XN 2 


oo ee be ora 


Cruel, mon sang vous fait-ii’ fan — 
Si vous ne craignez pas de mvarracher le coeur? 
Que née: m’épiargiesvous par ow jé suis sensibfe? 
Ge n'est eee Teing ob Lai thort n'est 'horhible’; 


80 LE THEATRE DE QUINAULT. 


L'amour m'enchaine au: sort qu’elle doit ¢prouver:. 
C'est en elle gy'il fant Me perdre oume sauver..§ i 
Si vous aimez mes jours, cessez, mon cher Sichée, 


beg, 


De ‘poursuivre une vie 4 la mienne attachée.— me ane tay 
Vous n'avez que trop bith sighald votre ‘fol : FEE aes 
‘Servez-moi ‘commie amant platdt que vomme foi, 11; + “oy 

dae 4 Préférez,mon sang. propre au sang qui m’a [alt males aT ‘v 


Enfin la reine reparait et ainnonce elle méme a Astrate qu. “ai s ‘ost 
empoisonnée. 2 


| te Oe ae ee Vat 
ASTRATE. Lome rnabae bbs 
Qu’ on gherche « du secours!.. | 
isk 
Siete Venite en dérait reel 
A, Le poaon que pris porte mee oun tea. ae ee 
; ASTRATE, A Sichéo, |, en es eee 
Si c’est vous, yen Ja barbare ee SF eat ky he ee pel 
LISE ‘ 
Non, vous ne dévez Heri de mon trépas qu’ dmol. cee 
Fal cru devoir rioi-méme expier mon offense,‘ - BE ae 
. Vous offrir de ma main toute voire vengeamoe; 2. et. 
Mettre, ainsi votre sang AVCE vos faux d’accord, 6, toate 
Et sa pane sans rune au moins aprés ma aah 


ot onttte ss suite Jace be 


be jour avec vous det! 1 mabrait pu fhire etitie.. ike 
Mais sans trond’ et sans vous,'qod faire dd la vie? ee 
) a ee 
Se sentant défaillir, alle donne Yordre qu’ on Vemporte pour mourirc 
loin de lui, et pendant.qu:Astrate, éperdu, Larrdle ef se prévipite & 
ses genoux, elle expire dans les: bras de ses.suivantas, . 60 i .. +, 
Telle est cetle piéce qui par:ses qualités scéniques, par la: cen- 
duite, par l’intérét et surtout par le style, est un des. medlaurs titres 
de gloire de Quinault, et. qui, encore, aujourd’huj, représentée, par 
exemple, 4 une de.ces snlepnités ittaraines, organisces par .M. Bal+ 
Jande avec tant de succés, serail bien. susceplible. de captiver la pu- 
blic en lui révelant en quelque sorte un:auteur qui n'est plus guéne 
qu'un nom dans notre lillérature.. ain 


i e ] foe 
t A . oo t .| : oe 0 viuy Pa 


IV we 


Ce n'est point, au eontraire, sur le thédtre de la Gente, slest's la 
Comédie-Frangaise quenous voudrions voir'remeltré & 1x ‘sebne'une 
autre piéce d’un mérite tout a fait incontesté, une comedie qui sou- 
tient la comparaison avec les plus charmantes, et qui n’est'pas seu- 
lement un chef-d'ceuvre de Quinault, mais un chef-d’ceuvre de notre 


LE THEATAG DE. QUINAULT, 81 


thédire. Cette reprise:serait''d’autant: plas-opportime et désirable 
que la comédie de fa Mere’ coquette’ contient tin réle d’amoureux des 
plus complets qu ily ; ait, un role ‘aussi ‘passionné dans son genre 
que celui du Misanthrape, et que.le theatre de. la.rue Richelieu pos- 
séde justement un .acteur pour lequet il.sembde- avoir été écrit. 
M. Delaunay, si-séduisant' dans Je Menteur, sii remarquable danis la 
Métrom@gnie, devr it tenir 4 honneur de j jouer le role d'Acante. ly 
ferait valoi?’ ces’ dinhites dé passion qué le drame moderne a déve- 
loppées chez lui, et dont il trouve rarement l'emploi dans les comé- 
dies de l’ancien répertoire. 

ll est impossible que Racine n'ai pas senti toule Ia valeur de la 
Mere coquett¢, 11 ne, pouvait, méconnaitre des beautés qui sont de son 
domaine propre, ‘pour ainst dére;ef qui: devaient- nécessairement 
moins toucher Boileau. Celui-ci était tenu pourtant d'apprécier Vex- 
cellent style de la pidce, ét il’ ne I'a pas fait. Nous revenons done sur 
ce que nous avons déja ait, Sur.ce gui .peut.seul expliquer, sinon 
justiGer, la flagrante injustice... Quinault était.un rival des deux amis 
dans la faveur du raoaarque, et leurs sentimerits de poéles se ressen- 
laient beaucoup trop envers lat de lears sentiments de courtisans. 
On sait que Boriedu essaya contire vent et marée, et sans doute excité 
par une émulation. malsaing, de, faire wn prologue.dapéra (et quel 
prologue!) pour yenir' en. aide,4 Racine, que. measdames de Montes- 
pan et de Thianges, lasses, dit-il, des opéras de M. Quinault, avaient - 
décidé den cohiposer un. Eb ajdute : d'M.'Quinault s’étunt présente 
au Kok les Jarmies dux'ydua, et Lui a'ybat remontré Paffront qu'il allait 
recevoir s'il ne: t¥availlait plus ‘au’ divertissement de Sa Majeste, le 
rof, teuché de vompussion , déelara fiatichement aux dames dont j’ai 
parté qu'il we pouvait'st résbtidre 4 iui’ donticr ée déplaisir. riers 
relouradmes: donc,:M. -de'Ritine' et wroil' a notre premiér emploi... 

Et de Fut-trés-heuveux pour lii' et aussi‘ pdur Racine. Le'su jet choidi 
le Chutesde Phadlon, he powvalt: nidhaer. Yocdésion d'un triomphe 
au pedte ‘de! Bercnige ;' Ay‘ teivaillait ‘sans ardéur, il ne sé sentait 
pas sur son terrain, et il est douteux' qué; ihidme étanit bid fnspiré; 

il edt pu faire, non pas mieux, mais seulement aussi bien qu’ Alys 
ou qu’ Armide. Quinault avait des qualités propres au genre ou il ex- 
cella, qualités secondaires, si l'on veut, mais qu'il possédait au su- 
préme degré, et c'est ce que Racine et Boileau se sont toujours refu- 
sés areconnaitre. _ 

. ba. Mere, nequatte.Gt:heagcoup de beuit : sa: naissance. Il y eut 
mémadw scondala,, ua debat public entre. deux audeurs:cohwus, .ca- 
hale powe aeliticci.,nabale-poun ealuinta, ef onGn iniersention dumai- 
tredeg maitres, del’ omnepotent Louig XIN qui: fut forces de mattee 
le holaf Deux, dieres da deuxauleuss; portant chatune le méme ti, 

19 Avan 1873. 6 


83 LR THEATRE DE, QUINAULT., 
tre, furent jouges Je mame igur a Paris sur deux-théatres différents. 
La seconde piece élait de de Visé, en trojs.aeles ef en.vers,. et s'ap- 
pelait comme Iautre la Mere coquette, ou les amants brouillés; De, Visé 
prétendit et imprima qu’il avait parlé derson sujet. Quinault, et que 
celui-ci le Jui avait volé. Les caracléres, Vintrigue, cérlains détails, 
gont en effet les mémes ‘dans les deux pisces; il n’y.a.que le talent 
qui différe. Quinaull ne se défendit qu’assez fhibherment il allégua 
wil avait tiré son sujet d’une nouvelle espagnale.. e Visé riposla vere. 
fement, non toutelois sans ménager quelque peu sen. illustre cqn- 
current. Ll-est & croire que Quinault se passionna pour um sujet qui 
ne.lui apparlenail pas, el‘que, sa muse ]’ajgujllonnant, ikne put ré- 
sisler au plaisir de le trailer. @était, il faut le dire, un sujet mer- 
veitleusement favorable aux ressources qu’ i]. avail en lui, et dont jl 
n’avait pu trouver encore un si bon emploi. Nous ‘avdns yy. dans 
notre siécle, et tout récemment encore, de ees. tentations irrésisti- 
bles de prendre son bien ot en le trouve. Un de nos auteurs a la 
mode a été mis en cause, ef conddmné & diverses reprises, pour un 
sujet tiré d'une nouvelle uméricaine, pour une intrigue calquée sur 
celle d’une nouvelle francaise, pour kidée d'une’ scéne prise dans up 
manuscrit oublié a dessein sur la table @’un direclenr pen spigneux.: 
Nous croyons, ‘comme Shakespeare, que :c’est beaucoup de bruit: 
pour rien. Les sujets apparliennent un: peu a tout le mondé;, il n’y 
a qu: la forme,qu’on Jeur donne qui ait une yaleur propre et détinj- 
tive. On peut beaucoup emprunter en Jiftérafyre, a cdndilion: towle- 
fois d’embellir, d’améliorer, de transformer le médiocre en bon, le 
bon en.excellent, le cuivre en or, le caillon en diamant. Ce .n’est 
guére qu’un emprunt, forcé, cf dont Ia postérité- vous absout, lors- 
qu’on lui légue un chef-d’ceuvre; mais,les conlemporains sont moins 
indulgents, surtout quand il y a récidive, quand Je procédé de l’em- 
prunt semble passé en habitude, ou quand on nvavoue pas franche- 


ment Ia'source of l’ona puisé, Soe ae 
Cétait, du reste, le cas de, notre poéte; il-n’en était pas & son 
coup d’essai, Mais onest obligé de convenir qu’il avait été moins bien 
inspiré, qu’il avait cu la main beaucoup moins heureuse lors de son- 
ptemier larcin. Une de ses comédics qui eut dans I'origine le. plus de. 
succts, l’Amant indiscret, ou le mattre ¢tourdi, a bien !'air d’avoir été 
imilée de l’Etourdi.de Moliére. Si Vintrigue est différente, le princi- 
pal rdle est absolument Ie méme dans les deux piéces. L’Etourdi 
né.fut représénté 4 Paris qu’en 1658 ; mais Noliére, avec sa troupe 
nomade, lavait joué & Lyon vers 1653, et Quinault ayant produit sa__ 
piéce entre ces deux dates, il est probable qu’id en avait eu connais- 
since; que, s'il né ’avait ni 1u i vu [la piéce-n'dtait pas imprimée), , 


on lui en avait du maigs parlé avec quelque detail | crut qu’un au- | 


e 
rt 


: LE THEATNE DE QUENAULT. 83 
ted de Parks Uvait' bik 1d 'droit dé s’dpproptier ce qi appartenait A 
umauteur® de province.’ Par malleur pour yi,” cet auleur de province 
devint Molrére.!' ON ee 

‘Nous nous ‘pronontons ‘dotic franthement'contre Quinanlt dang 
cette’ question’; notis croyons 4'l’emprunt, pour ne’ pas dire au yol, 
én constlatant' qu'il y avait racidive, da nous ‘basant sur ce qui s’est 
produit de nds'jburs pour juger de de qui s'est passé aulrefois. Mais 
quel bidn! cela fait-il au’ pavyvre dé Visd, d’avoir trouvé lé sujet'd’uné 
bonnie’ piéte! gil; et deftiitive, ¢ Gt composée et bcrite par'un ail- 
tre? 'Ea'Mére coquette nie sé! recommande pas précisément par I’in- 
veritivid salle we fetoimmarde ‘par Vobsérvation des mceurs, par les 
détafis piquils, pat les ‘suillies du dialogue, el surtout par’ ce gé- 
nie‘qlii ést-Propre A'Ouitault” domme 2 Racine ‘et a Moliére et que 
nous polvons appeler le géiiie dé l'amour. *' aed en Le 
“Laharpé:' dany'sdn Cours de littérature, ou if y'd sur le théatre du 
din-septidmie ‘sidcle dexcélletites parties, jilge’ dssez I8gerement li 
comédfe qait Hotis o¢cupe.’ H en parlé comme’ d’un outrage ‘secon-’ 
daire: IV dit que Wi'piétd s'ést sotilentie du thédtré, qu'elle est bien 
condiiite, Gud Ids chrdttdres et Ta versificdtich sont‘d’une touéhe na- 
turelté; hats tin’ pel fila’ il ujdubdé yéeil fd @dgreables détails, ‘de 
honites plaistitéries,’ et i sé‘borne ‘a citer’ fe billet qu'Isabelle écrit 
i Rodnte et Yu'il: declare # tras!joli. » Pais ‘c'est tout. La bienveil- 
lance'de Lafarpé ést tel, & Son'insu peut-étré, injurieuse pour Qui-_ 
nant.’ Fe faut décidémént prendre’ of‘ autyé ‘ton “pour parler de la 
Mare "adgliettel ec 0 Fee ncteten tae te Be oe 

N sdviohs tel la piécd ayet beaucoup de plaisir; mais le pre- 
midr'acteé'hiutis ‘avait paru mojhs bon que les dutrés. Nous venons de ' 
le refité'tnhcore; ¢é premier acte : i] est exquis, plein de détails char- 
mants, ‘Ge traits guj portent. L’expdsition est hette, piquante, amu- 
sante! Le piihdlat’ personage se piésente tout. de suite, non pas' 
comme un amoureux de comédie, mais ‘bien comme, un jeuné 
hottinre Viritdbtetnetit épris, él les premiers mots qui Jui échappent 
tratiissanit 4 passion 14 plus naCurelle et la plus siucére, Unc analyse 
detwiltée’dé co tble'excéllent tous 'tenterail’ cerfes; il y aurail bien 
des’ head tiés oe 4 sonder, bien 
des ‘cin Pataisins' #''établir, toutes 4)l’avantage de Quinault; mais 
uile telly dnal\Se'nbYs entrafabrail beaucoup trop loin pour les prq- 
portibis' qhe* ating cétte éliide. Nous nous jbornerons donc a 
comma “cdtldines, ritiques qui ont été faites un peu légtrement, 

+ qf Juice iSTt my yey ie Cire Bite | : Z : 0 

Ex' pide!’ edt” db “Celtel qian est dispensé de‘raconter; il vaut 
mide bbiseiffet, Hel 'lite, dat tdiit Te. fnonde peut y mordre sans 
peepatitith Ce West’ paé ‘seulement Ie ‘rdle ‘d’Acante qui est trailé 


84 | LE, THBATRE: DR, QUINAULT. ro 2 

de main de maftre ‘tous les' dafres ‘roles sont pnesdniés squs le jour 
‘qui leur convient et ditls f4'rluance qui lean -estipropre..On a.beau- 
coup critiqué le rote du: pere'd’ Acante, co: banhomme,qui, 2 soizante 
ans passes, est Urtidufde’ ichmne Aovee gh alts ;-qul se porte ign, 
difril, aS ee eee ee ee ‘te 
angel ie Hors quelques petits maus; ‘torime 'atteinte de gontth! 4). 3,] 

, ; "CAfatte Mihdaationae. Le | Vee TN Spa da Oy topayp er! 
SE ENNIO INE TEER oe 8, sha en Para seer a rye : ty on 
et qui tousse!a-chaquerinatant, parce que, ajqute-t-il, : : ares 

ior ee Re Sees Tey pe Lee ane Oe a ne 4 J : fi 
ra *e é . < Am ¢ rrr t, a Pel 
e. nee i ! La indy Aplin, me {ait Lougser. d'abord. Pie 1 


Cee oe ‘thoes, rite a 


Hoe 


Mais ce role est. wés-bien observé, au ¢éntratrée; trés<natavel, trés- 
franchement comique, et il est bon re i be qui veptiavair. des 
sentiments d’un jeune homme ait Youtes ? s'{heom modi 6s. phyjsi- 
ques d'un, yieillard, Ce contraste est biet uw dériaine dé ta cbmeddie. 
Ce quivest.cncore excellent, c'est quil veuill@ morier'sénviils aa 
méreméme.de)la jeune personne qu'il pretend Hésérver sown lai, 
croyanl ainsi sans doule rapprocher les'distances. It so fatt sien: lui- 
méme la plus complete illusion; il dit au marquis,' $on/névew ty 11; 
eS ge te at Pp poetry See ee ee 

Tout viettx' que je sSaruls. age encore. me. laisse ; : : 
Des resteyideehsleur, des regaing de jeunesse; |. 
Mon pel? blant céuvre encone an, sang, sbtil et chad, 
Te? yates temps ie ee a, apy Megs ; 

EET Ue AROUIB ce reer] 

Vous prenez le récit d'un peu haut. 

Jasurnreds grate: an dy pe as 
1 bk a é® chaque lignades thaits-gembladles ; ile dialogue, élin- 
' Gélle a’ esprit ee clout: uw wnodéle iquinduy dpe pien plile 4 Regnard. 
“A ptlopos ‘de Reanertl):’ of a thitaves. justice que ¢ flail, 4 Quinault 
qu'il avditeni prints! tq'type'-deisas marquis, ridicules. Le marquis 
de la Mére coquette est un personnage trés-finement observe, trés- 
heureusement. développé,.¢t..qu.on alaxé a tort i le lla 
l'exagération que la jeunesse.porte dang,ses,fraver's. Comme dans tout 
le reste. Est-ce que nos- petits crevés:d’apjourd huilgissent quelque 
chose a désirer aux jeunes événtés de Moliére, de Quinault et de Re- 
gnard? Est-il une charge si ridjcule’ qui iid ldur'sott'Pessemblante en 
quelque point?! Ice le: marquis esl cousin-germain d Acante, un mar- 
quis qui se pate Pan fdux titre) ditsgelui-ci, ea quiz n’empéche pas 
le pére d’Acan{¢ ‘d"dvit’ ‘uné' sortede: respect:pourhui, tant l'appa- 
rence impose méme A ceux ane ‘he “péut tromiper, mais aux- 
quels il en revient comme uy, seflef d’horineut! 4" passion du mar- 
quis est de’‘passer ‘pol un: homme a bonnes fortunes; il ne tient 
nullement a l’étre, mais & le parattre, dit-il, et il ya dans celte fan- 


‘ 


2 Oe Jeuihg, Cap yes yell I, 


ed 








LE THEATRE DE QUINAULT. 85 


faronnade un trait qui. est’ particaHérement-propre a l'extréme jeu- 

#! Hen est de mérbequanid: il. sq vanta de ses fripnneries. Nous 
conitiatsséhs <uft font jeune homprae,,. Mais, bon Diey! arrélons-nous, 
et'ie rious'dxpesons pas:4. soulenir Nos opinions heen par des 
observations: faites dank. danalara,e} prises, comme, on it, Sur le 
vif. 

Le réle d'Isméne a' aussi encour. des reproches. Il était tras‘aiti- 
cile 4 traiter, et il nous semble qu’il m’était-pas possible d’y micux 
réussir. Il est plein de ces mots trouvés, de ces trails profonds sous 
leur légéreté dpparetllds dint si'pet d’auteurs:qnt!eu:le secret, Hers 
Racine, Moliére et Quipault, Rlnes autres poétes peuvent se vanter, 
dans notre ancienne littérature, d’avoir bien compris les femmes? 
Cest. queices haureux génies les connaissaient d’instinet, pour ainsi 
dira, non par debseryation seulement, par lit retHerche!: ‘pat ta ré- 
fletaon,) iaais, par. {putes las qualités de finessé''et ‘de délivatessequi 
Kun dtaiens communes avec elles. Ils rencontraiént ‘haturellement 
la nite juste, sans avoir. beyoin de l’ayoir enttndue. Lv'réle'd'Ismiéne 
feraat. an finament} d'honneur: 4 Vactrice A sdurait ent réadre:et en 
fine ressortir toutes les. wane La sc ne ot: elle’ pels de de- 
monteer: §,AgaBLE GHG, i reg, i tae 

C'est aprés les erreurs ot aj jeunesse engage, oe - 
Vers trenfe ans, c’est-4-dire environ & mon.age,, , 
ae ést de retour des vains arbusements 
Qui détournent fesprit des vrais altachements, 
Cest alors qu'on peut faire un chaix.em assurance, : 
Etc bide la proprement Wage de la constance. — 


s‘la te n'est terrible pour. Isméane;..c’est bien de la mo- 


cette nelle on est a’ un comique charmant, d'une grace achevée. En 


qa'a'ta fie ald ary et en-nes be aue.de Ja fille, 


is ah dy tps; sade! ea ASHRSE.. ah 


] 


dé: Ya ‘meitleure. Ea effet, comment ‘le jeune 
idlniae (tp énd- iV 4 cés'douces avanees de la:mére? En ne. songeant 


: if’ Se his! rons 7 i ; 
 Acante. wo, 


Mais, tnadme, apres tout, qui Pedt drild'tedbotiat- oe 


t eattutde, hae 


a! tube ty “Ygabetlte intonstamte, Isabelle infidéela, - i. | ; 


mae Sl -+ i Bgabaate perflde, acu i is dip eM * 


‘ ‘po j oly eo, frre 


Nba . Quai! toujours ie i” : ie is 


ACANTE. =o 


bs a mee ae eee, |: ae babel aap rar oerasa 


Shar tee a 


7 e e Bee veux, il: Pecan arpa at mn 
Wee meee Ce Valera tbo span COPE, JUSS, 4 SO}, Nis méme: Cee 


rant pene my, isser rren de ce qui me fut'doux.’ 
,, Grage at ciel, cen est fait:' a ‘ i rn nT ae a | 


, ad it, alee iG 
es a lobed | carb Ther Pep ye ces G 


- ‘ar ods ees ic’ . VEE way fe est frien i Jou, . | 


chun ; : -t7, 


86 LE THEATRE! DE! QUINAULT. 


: hosed of Pb ahabatisy i eto ead gee eth 
Ten faa JvGe TAREE, shld. ipa eae ai Monraange trad 
‘ ie i noir que. piesa ae ft 
lies tant e oe Be rade anert fafts, Moatoil oh Jefe 
De nous aimer toujours, de ne changer jamais, 
Isabelle aujourd'hui, cette méme Isabelle... 
Madame, obligez-moi, ne me parlez plus d’elle. 
ISMENE. ‘ 
aiehitll Avast vous qalin’da! parleg. ary bebo tin eitent ou Chol, 
ares Gere Sree) Oe ee re “A~tAKtE. bea ECHOLS Jory OP ae “Hage f 
AOS beth Aes AE iat eat ‘Ce sorit tous es endroits;-. bo ONE the: 
1» fuacuc, Ou Tingrate a prgmis de, yo aimer. tant de foiss. if, urd uy sie 
Ces lieux témoins des nacuds dont son cour se dégagey! 1, 1, 
De qui !’objet encor m’en'rappelle l'image; * “" a eae: 
pee TE Ope utp tharquer Phedeut que jul d’y rehonbér, al fe dui-atth 
ask ict! Bene: veuk plas‘ pieh voit iqui my fassel gedsersinioi -oito ip sae 
bids ct Loutme patie ici delle, it vaut mieug que fe aod. ts siited on 
is. 2 gla ict ite) LAW BBeio in ob eib eatts soe ail 
Rar ou dome plesevous tip aiee sti Head bh HOTLOG nh oy 2d 
as oe ake | " wy OT! ar alia orem drt, au ee 
Hi olen “pete atin delta fon ‘bescetid’ abled Ben!!! OEE of ang acco 
“fp obit 4. taste oe Gl gael ae P}a5? trap ll faitoy rot ldy ‘ytide 
(G..Js 2.0 Mele estth deddags! Oluol do aoe deed ited cite reg 
pt ds Seti 3? nee oto Acar! Udtioe eocrinodd ct POA THce fy 
eee eee ce - Ab! Je th’en vessoutiene Yao Lo elec 
. tt. Al est pas,,An-effaty.a BTApOS GBELY BASIS sp ciouind b erode 
. 1.) RAR WoHS.Je | qublipis, ef je vousen rands sracey it it sia aol 


; ; j16 GUE atroieenh 2 49 aloe od 
Nous n’ayons pu résister au ane de citer toute, 1a, fin’ dé‘ cetté 
4 qe 2 | = ') demi di Da i) ) ‘thy J ~ ra 
scéne déicieuse. Le,commentlaire es inufile, le éxte 81 fti€ Nes i: 
oily : Cy ibe de gale ohhh eb 2108 atens 

pas la nature méme? Cé jeune liommeé. qui veut fuir des licuy’qui hai’ 


rappellent trop celle quil.a aimée, celle gt teu “apt Ho Ree 
RY DEO n! aff Suk! 


ay 


Set deop LIE 


‘ere JUD Sd ma 


‘ 
if J 


mais, él qui séloigne et qui prend justemen lé chemin o | 
dé Ja réticontrer! Et quand Ja’ mére.Jor'dit! &M is maf) e ‘bot ta: 
dedans! — Ah! je m’en sonviens, » té ond if ; “eb! Yl Ta Femere a ( 
lui rend grace dun avis dont il'sé scrajt'si bien ‘passé.’ Radite’a fuit- 
aussi bien, non pas mieux, mais dang des tragedies et él des sijét’s”’ 
of Pon tail peul-dire én droit de lui'dire ? Non érdt' hie Tov ss Td, at! 
contraire, tout est A sa place, tout est bier dans Te ton Vout 1 Ya'pro-Y 
fondeur de l’observation se revét' del praca’ la' plus exquise. C’est 
un ohef-diapvre;:abselument pirkents Btn ovlilions pasque bt Mata: : 
coqyetié est, de 4665; que |Raeine we detinn son Andiomequequier 
1667) etque lei Misanthvepe' ne-‘fut. ceprésenté iquien 4466.) Mohaére:) 
lujeménre a-pu fdire son profit decelleadmirahle'scémeb sioe e197 25 
Nous ne dirons'rien da ‘tole de la-jéune fille: dl est excellent: naib * 
il était le. plug facile a: faire, les ‘bons modéles ande genre tlasent | 


6 E gondmus dasmotistisg 167 


hs 4 5 


LE THEARRE DE QLISBDLT4 83 


déja nombreux. Les réles du valetet-de la soubrette sont aussi trés- 
heureusement traités!" ative’ mattiére sy doriter: tont a vee le ton aux 
valets de Regnard staux soubreties. de Mativauk,' '?) "“ _ 

CAAUUIG, Tonite out yb a tte cites a 


ate shine Whe wal: Sokdb tan ad bere cath fone: a “tha di bsiee 
Jolly b- oliy , oy rays “antl are Negra gSele oes, \/ 


Nous ne nous arr¢terons qu’ en ‘passant: aux. opéras,de Quinault. 
Leur mérite est aujourd’ hui unjversellement reconnu, en France 
comme a l’étranber.:Maie'est-ce pas un mérite que nous sommes 
un peu trop disposés' Bertie sie: pardie? Bes’ ‘cetvres' qt doivent se 
produire & la seéné aye ‘le eguicoulrs 9" dé’ Ta" ‘intisique ont naturelle- 
ment a 1a lecture quelque: -chese,.d’ incomplet | et’ d’amoingri. Il sem- 
ble qu’elles ne battent: phisiaue. Pane. aile paur nous-ensporter dans 
le domaine de -Fidéals pn'vreste fité Ho laiferre; quand on devrait 
planer avec elles dans le libre cieldela fantaisie. Cependant, si nous 
nous en rapportons a nos impressions’ persdtiticltey, quelques opéras 
de Quinault, par la riches se de Piltn¥ination, par la simplicite gran- 
diose, par le charme’ nsnaie du. style, sont -capables ce produire 
une illusion complete, de salisfaire enticrement le Tecteur. Nous ci- 
lerons particuliérement Atys, ot toute la puissance des.dicur et tout 
le pouvoir des hommes semblent, ep réalité, conjurés contre deux 
amants; Roland, otvitetetent ‘les: plas heureux contrastes, oti les 
amours d’ Angélique ‘été Miter sort peintes des plus tihiches cou- 
leurs, of la erp nse “We Adlartd' set trite’ ane facon si 

wee ag # Sh Shah ma Nae il ya, méme dans le cinquiéme : acfe, 


rials oe ou e diet endormi révient a A Yay raison 
eng A nee cS biases Ph eet chose dé” gta 
He ttl ni ame. us préferons ¢ de beaucoup" 

4A fn a ine ite q } sa it fe ‘heuteux, inoins Original 


a eu dire. Ce" inagniffghé posrig a, 


mire. i emlé Thablles criti Hos: ef surlout par es, 
7 8 are nf oe ike jug es’ de Quins qui Pont This | 





UT 4 JOU en osiqus, out le dé connait la’ belle p nrase, non 
pas Py i a a “belle. phrise tout te Spl, 4 fT i Jet ent avee ’ 
a poe aalaacoli, ave 8 ng sy BO ain apr vuwaMy 


ley DALI OK: ) brides gua. 7H alle, quiler} ge Hols toede d ou Geobae 
Quinduld expetia; dans bau épititiend de vorsu Le phrase quiib-répéte: 
etiiopjours celfes huitudoitile lp lus metundllempnt revbnir,icele qui - 
formeddé fond drome dé tavaitdatioty U dvel oppée: dandiila\ suénd. Tous! 
les vers sont d wnedlotbeuripéndtvante) ipasitrop brillantp; pastrep:| 
édetants Ween j-cdinmbitertuinsveds dy Radine, ves obdaatés qa/il 
faubdékowerie; plulds piclics beodi és hyd sahlent avd yodq.On)con-l' 
goit parfaitement combien Lulli tenait aux vers de Quinault, et qu'il 


' 38 LB THEATRE DB OBINAULT. 


renoncat & mettre en musique ceux de la Fontaine. La Fontaine est 
plus poéte que Quinault par l’expression, ses couleurs sont bien 
plus vives, ses traits bien plus marqués; il a bien plus d’éclat par 
lui-méme, trop d’éclat pour 18 ‘musicien, qui n’a plus rien a faire. 
C'est un grand art, de faire de bons vers propres 4 étre mis en mu- 
siquc, ‘Racine avait ‘det-arkla, 2. un moindre deprd.que Quidault, 
pour l'avoir moins-pratiqué:que led; mais il. est Certain: quelMalidre, 
l'imepmparable rsmeury, pe: Havait! quia un: degré: taésindéaieyrs et 
que-Corngibte ne ll’avait “pas! duteuti C’est.la gloire, poopre de Qai- 
nault diavoic porlé cet art!iphis doin que personmes i os tgs 

Neus ui mons moins Jeb ppémesidontsil a pris jes syyjets-dansilaFa- 
ble..H sVanait ‘pas,..coname::Racine, de. sentisient: ptofond de:daali- 
quite; iin’ btaiujainais, obmine dui, Grec.qu Romain. pak Jlexpres- 
sidn> son aloridancest: sa deveeun sont Aovles fnancasses. Nqns fal- 
sons exception pour quelques belles: seésbside id opéra-dq iY ager- 
 pineoti pours quelques passates: génirotement -adimives, 1: camhe le 
midndlogue) de Méduse, ee ent als laad versainmisbg- 
 INentdomponémeigneciio’ eearoidiGs eng doe GU TRIO oe 8 

‘On alpepredhé 2 Voltaire: Wayoir: fropi qucfail talbe, poéle, easime 
‘ors avait rdprochd/& Borleuw de: avegr (nop sdbawsiudl sbraitdndésiter 
que Voltaire mteppas excouru d'autres repradhes c on. o-puealt pas 
‘depaiag ate justisen, 1] était. naturel qu'itipariat:aved obqlennidiun 
homun > -quiorr peut gaolifier usahs: esate -daimom dhom me. dt. gé- 
mies ‘qd i]‘en parldty.did-je,caved itobt: Fenthousiasme vebgeur ddan il 
étai capable; Boitequavdit.été tdep boupplétémeht injoste ipmitique 
son injustice nb détermenit pdsumbrvinleste réactidn Du'resta;Jes 
élages ni Jesicritiques njont guéneinilaenceiaupsds: dellaipoxtérité : 
‘elle juge les! opuvees: pour! ce qafeltes, Sont ,.e0-qaand lune iehdseume- 
- vite dq vivre, 'iqabkd zildvest srecon moe tinaiment ipnepdeslémoysi ce 
n'est ipas paren !qa’alle aidt proclamhée tells par; Pierne ou par Pant, 
c’esti paros qulalhe est lice em néalitéueisced 1 oven bles me 

' Ldhaepey, qui w'aphs dé un metrde ¥ Astratey) et qui; bdmmeindus 
Vavons via -judéid'antpew lead ta Mere. leqyaette; ihdhatpe a marlé 
“des opéras dv. Quingult en fort bons iteem@s; ef avec: hiner jaste admhi- 
ration, 'G’est Fopinionde Voltaice qu'il cemmonie et-déyeleppeyet i! 
est faciie'de voir qua detteopmion dud imipese! ‘Maisiquéit quidbibdit, 
et relournant Fayre manééce Angérieuse contre Lath Jes verscdasba- 


tiriqadret +: roannioaerh aig) of ounidtoddnd ofcop empb 
re 2 ae paspensting nels ated wintpwitiad-vastiews rvs Zl AeTeTe 

min —. Gs.pacpads iba dermone, ofyaz etiem 
SE eae: ~ Gueresmule Guinault du ult day a OR SFRIRS Ge Jerid ation 


il est trop évident, nous Jerépétona, iquiid ebbancore kous deneoupode 
Pexemple.d’irrévérence donné par le maitre, et qu'il est toujours 
tenté de mettre une sourdine a ses éloges. 


LE THEATRE DE QUINAULT. 89 


Poe fatu ney paren, i? te oe? in, 
PEP UG tebe de be te VJ the 
OM WG eh ap agha cee eres a) sane Ore) ey er ae i moos 
TucQuipaaltoaveit: fats beaweany de poésies:-Slles passérent, dit-en, 
ented les; muinsd’tn de ses gerdres qui,; pour ss.conformer au veu 
! exprimd en mburan® par son; bean-pére; pe jugea pas a propos de 
des divper nq public. Faut-ib le. regretter? Non. iLe petit poéme des- 
criptif, en deux ekants, sur ja maison de.Sceaux créée par Colbert, 
ton paghtabigy-ou plutét. tout obrtenx)qq’il tea lire, ne saurait rien 
lgputer 4 Jal giqirs de Vasteur. etme.'penmet pas. de: cvoire qu'il ait 
‘expel dags:umaulregense.: Génie: fneile et. abondant, il avait. be- 
- dot, Poep-se proluite avec tous: sia aaa de pane entrave 
‘qu¥inpbse teyjdurs le-thédMres!i - 1 
. sifigus ne veuldus pas derminer calle bine sansie aapeiriee un veu 
,Gdnt ddus ies ampsdes leltresmeuis:sauvonl gré.. Les éditions du théa- 
trede Quinault ne sont pas nombreuses. Nous:a’en.connaissons que 
ndews :'ene,:de$750, quiiest compléte, mais qui est défectueuse en 
rbeabooup'de poirtss:Rautre} qui ie icontiant: que. la Mére coquette 
. Cetiles iopérasy aveo!le poémoe de Sceaux, iautile ornement. Nous veu- 
Judbions igde be maaisom Hachetfe; epaiiest;en drain de nous donner de 
- ‘bebles: e¢ consdiencieusbs ditions de-nos prands classiques, nous en 
'. bfftit ene deumatelt: Ml y-fdudrait uae, préface of: le poéte fut remis 
“Méfinngi vemeant A.1a place qa estdigne:d’ eccuper, une préface écrite 
“epbe style sobre eb ferme dont quelyues horomes de goil ont encore 
‘le sboret: Letresweil:pourrait eommniencer. par fas Rivales, cette piéce 
sage? Qin paul b comspesa, fac Pape! de; das-huit:ans, qui n’est pas en- 
" Par me irs daparcenite on vers aimebles et faciles, et qui servi- 
‘tsmontoar id) pnopigtease disfaneg qu'il a:franchie pour arriver & 
son chef. d’ceuvre. On pourrait doriner ensuite Agtipna, nosd’ Albe, ou 
-Ulefaussr Bab érinpuss traghdie torhamesque sanydaeute, et qui péche sur- 
‘Htoptpante dhdix-dasyjet, mals of éelatent des quabitds réelles, les qua- 
hikes preqresidw potte ;-puis-Niendratent Asfnate;:la Mére coquette, et 
It teusdgslopébam Decewxre) ik ne faut écarier aucun; les plus faibles 
ibdtdédnvadepr.; Odtle edition n’aurait pas plus de trois ou quatre yo- 
cdumbesy}cot ceb trois ow quatre volumes, ainsi-composés, se rangeraient 
dans toute bibliothéque de littérature dramatique immédiatement 
aprés les ceuvres>de Motiére, de Corneille et-de Racine. Ces trois 
maitres seuls oftt 4é Broit de marther avant Quirault — qui est un 
mattre aussi, un ‘maitre ‘dont “nos compositeurs de livrets d’opéras 
‘hop convo re plus dune: eoone legon & recevoir. 
rumjust =o Tee ERNEST SERRET. 


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rans Par cela méme un regiipe, Anh finyment, laborious Apt deSub 
otf eet, comme Je Individys,,.dqivent aRVaHe AGRERISAPS.9R A 


TITESTOE LISTS LLL Se LEO ie IQ feeb dl 
G Ce n’est pas, tine ipetite ques ion, que de ayoin. She, ij bre pra 
men condui nicessaftement, les sa saciélés qui, eat Ee ; Hes ie i 
cenaeaieat et clest-: dire ila A 19» 94, fl, In ie 6n9: 
ici,conime ailleurs, est capable de fap agai en lesaues.ap el Hit rth 
a causées, ~ TOC GL QUT: 4 $9 eo noOmnme 
« Nous ng Savon pas, ce, qu A fay altens dred | sytlo dg, pratestans 
actuel; ‘mais, quelle qu'en post Figspe, il yah QU UF RAFA AIM 
renscignement de plus pour Pélude. da alta grave question eatin 
Crest en, ces lermes qu'un ont dont] es afl waa deprotesr y,.; 
tantisme, sont bien connuies 


gail, be Ml rp ‘ys 
du synode ‘général’ convoqué ate neta ; eds Fe. Nee ae 
La question est trés-neltement posée dans ces lignes, et pour qui- 
conque a éludié, particuliérement dans les soixante-dix Laid 
années’ deve sidcle, les vicissitudes docttinales et distipl Inaircs 


ie eae Bow 


protestantisme franeais, an poukaflicme ae. elle.¢ ef, resaluen Jos eve dane, 
Ce. qu'est devenna.l’Eylise réfarmée .da, Beamce:sous..J’action. du, .... 
libre examen; oe'qu ‘elle av fait, “non-soulenient: des Vieilles ‘eroyan We 





le 
br 
SO 
tio 


‘ Voir ies articles du- Correbpondant; du os, juittet et du 23 coaateata al have, 
3 Le femys;: $ shin 18721 | plea beet yc ay toe eid oe a Wlose sb sau 


LE SYNODE GENERAL DE L’EGLISE REFORMEE. 92 


ces théologiques de ses péres du.seiziéme siécle, mais, ce qui est 
bien plus grave, des données essentielles de la foi chrétienne de tous 
les siécles; avec quelle audace de destruction le parti des indépen- 
dants ou des radicaux a sapé les fondements mémes de la révélation, 
en niant résoliment existence et la possibilité du surnaturel’; com- 
bien, en cette heure é ion du protestantisme 
demeurée sateen any mini the ne ga sho cette at- 
taque formidable; quel courage elle y a déployé, et avec quel insuc- 
cés elle a combatlu; comment chez elle des intentions excellentes 


meee fpleciepx, et per quell, inexorable - 
faved ‘ hi an in paid ney if }agetiin ngG Cunt ndualte: 
contre l’autorilé s'est trouvée inhabile a défendre 4 son tour l’auto- 
nité contre la révolte: l'histoire du protestanlisme en général, et 
celle de V’Eglise réformée de Fiancd ef-barticulier, a mis tout cela 
en pleine lumiére. 
Si cependant il était nécessaire d’ajouter-ala force de cette dé- 
monstration ; si on pouvait se méprendre encore sur |’action néces- 
sairement dissolvante des principes générateurs du protestantisme, 
tense du synqde aati de ats west sssenuerenent faite our 
2 bce ae dg iii :Enrassista dug débals de e cette I 
¢ nit ib gi « Tes walls el “Tes indivit . 

is its h radi a 1s‘ tay ermination, de ‘tompré a avec 
Cipé de Pinte’ any Ms te intaiflible; ont ‘em. 
i par cela méme un ifgime infiniment,laborieux. » , _ 

Toate 4 ilo at b sii c AM gime’ ‘laborieuk Fe Wat ssemble ” 
i ot Beli lés cdtituld 1, Pontes - Ae git ‘préedde répa- 
rent’ 1% nn i i bbidlt if ibossatebtnent east . 
romiatiiea Was’ aupralhe tee eduilstons da “Pagonie | Ah . 


annoncent et re arent | F . 
ASS BAT i fad a parti he Ha’’Solut lion'dé ‘eat impo por-, 
tt BOSE! TAME pbc lan I TAIsOHioH 4B tober dS” 
a Teta Approfontie'd "passé, Heath altel nti de’ ae 
oa rune ts { fisfnie i i abl th Me! Hesure cés con- P 
Asi 1 deta ith ite elm ietlite’s Sur, BN 
min dd I peituagent ne wh Pos ee 


enip qnogis esau evo brine ahi coc Jaen a ’ a erie side my 


SP otgeig 7b qnewnenk col earh is TOR SMIESE JED AEs Pootbibe owit a, 
Fe eave gl mie aha Je, domme ovina. fe sent £1518 
ra u 







of 


ar les secrétaires du ‘s node ; 2s les j jour : 
naux orotestant it a bh faade cH ‘Wels ' ebate dd Tasseribl&e; Ye Christianisme * 
ax dibneadttate bidels, orgundsda ie ovthbtloitel; 24 Renkisaanbeet Heigivore’ 
anes de pestiih tral + lecsfounnal del ffensyeg 115° Ins:Viscotts iep byochuresipabliés |. 
par plusieurs des oraleurs du synode; 4° enfin, et surtout, lHistoire du synode, 
par M. le pastensr Byrsiets: qui ja menegententent..neproduit Jos. prootseverbanx: au ' 
thentiques des secrétaires, mais inséré in extenso les discousslesipysimgortanid, 


92 LE|GYNODE- GENERAL 


a : f o ey 
' ’ rye eee eee ee tf ote ane 4s cs ae ae ave aT ee : P 
‘ "ee cree gp oupeeps sy | Pe ae 


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ern eet repens 
Se aha OP oat aa te ag hy. ae icioate abe, V4 


rest des arp gh Foe | 
fa Seale pers ’ eo ae ra | ‘ 1 a | B 7h 5 i! anys) be Ne 4 fry “it ’ bapey 
Py ‘ . ry 1 


. ‘ (. ; , 
Hy! oom a, 8g ’ st, no tf t vit F) $y cpeaalis of eerde Grey tas je if 
ae , 4 


Les questions principales successivement examinées et-rdsohnes 
parle synode géhéral de 1872 ont Oz et i tee ye ad 

4° La question préalable de sa propre'compétenebs > h ris.. 

2° La question de la confession de foi. say 

3° L’éxamen ét la discussion du ‘projet da loi organique destin & 
fixer désormais le mddus vivendi'dé'l'Eglise réformée do Frenes,.et 
4 résler ses ripports avec PEtat. 9 te 
’ Sur'toufes et chactine Ué“tes questions nous venrons- ¥aeqen (wer 
lantagonisme des deux principales fractions du-protestantisme fran- 
cais, le parti orthodoxe et le parti libéral, entre-lesquels ik eat, aiffi- 
cile Massigner une place bién'nette!d-ce que Vora abpeléy-dags un 
style plug piirleméntairg qué thiédlogique, le centre: gauche, ee centre 
dant loiljours trouvé en ‘commiunatté de doctrines et-de-votes arec 
Ja gauche proprement dite, sauf en ‘qhelques points de peu d'impor- 
fance. '- . Ce eS Seen ed LCT] aT to 6 


1,7 self _t ', ty ‘ ; es i arte Wheres i 


ome a ne a by 
Dennons diabord quelques détails sur l‘organisation de Vassembtée. 
Le déeret qui autorisait la conypcation d'un synode générat avait 
firé ke mode d’élection des députés deca synode’, 
Les.cent: inois comsistaires des Fglises réformées de France ¢t d’Al- 
gérie élaicnl répartis en vingt et une circonscriptians syriodates: Es 
+ Chaque consistoire devait élire; pour ses représenfants au sytigde 
‘de sa-circonscription, un pasleur et un laigue., | 
. Ces.représentants, réunis, dans un des chels-ticux’ consistoriaux 
de leur cixconscription synpdale, avajent mission, d'élire ‘tes! dalé- 
gués.ausynode général, ..,. 0 os 
. Le nombre deg délégués A. éline était fixé' @aprés le nombre ‘des 
pasteurs de chaque circong¢ription synodale, 4 raison dai délégué 
par six pastaurs, . A ee iii 
La moilié.de ces délégués, si, leur nombre était pair; 13 moilié, 
plus un, si Je nombre était.impair, devaient élre laiques. “' 
Les' élections eyrent liey dans la premitre quinzaine dé ‘iars. Le 


Cpferae 4, 
Teeny 4 


' 
fs . 


t ’ “yp 4) i oe ee hr ee a 1 2g; } 
généralement revisés par leurs auteurs. Je ne fais que ie a un defpir de justice 
en remerciant ici. M. Bersier de la courtoisie avec Iaquelfe if m’a fait hommege de 
ces deux volumes, auxquels je renverrai pour'la plupart des eitations../.. 

‘ Le texte de ce décret se trouve en tate dei’ Histoire dui synode, par M. lespas- 
teur Bersier, t. I, p. 4: a ’ a ee ee eee 


ae f ge ‘ 





DE FRCHISE NSPORMEE. 95 


44 mai, une circulaire de M. Jules Simon, ministre des cultes, fixait 
au jeudi 6 juin, 4 Paris, la réunion du synode. 

Les délégués étaient au nombre de cent huit, dont quarante-neuf 
pasteurs, plus seize suppléants, qui furent appelés 4 remplacer des dé- 
légués empéchés de participer j Jusqu ’au bout aux délibérations de l’as- 

-gertbhbet) oc \irte svn Metts 

Le mercredi 5 juin, une roungoN: eligiciice: préparatoire aux tra- 
vaux du pynodey soups tien: nig ie euple as l'Oratoire Saint-He- 
aor 

‘ulitedtscoerss prondndé pre, M Je, pasteur Babut, de Nines, avait 
‘soasieaieL e lataninignage: qua Jisus.se rend.A lni-mndme. 5 

A lui tout seul, le choix de ce sujet, est .une réyélation sur Je, tra- 

‘wallapa’ ¥ ext oparé> nr Sein, du,protestantisme francais depuis deux 
“MMableay-destaaidire depuis) laiconvacation de #68. derniers synodes 
‘Dida dpavkt rbprapbrerisy:)!):+. Fog at tae hecagh tes eee 
'Y Matrefdisylennent qup wisail.j apeu, pres cpnslamment. toute pre- 
“Ghat ton prdlestastay,o atajié A gline homaine,: Depuisy Ja hataille s’est 
‘doplabéeplet-densi-in. premitirea.circonstadce solennelle on Je prates- 
“Egiticine fakes; imendu,,d,dyi-mage, rafronve, Par, la’ convocation 
d’un synode général, la pleine liberté de sa discipline, ‘son premier 
besoin est d'aller droit & la question sur laquelle ses pasteurs et ses 
ba FOR Pie d’ kia 
pte aut Je y bien’ mharyaér, cebte-ddthd istration: de da. divinité 
de Jésus-Uhrist, éxpp sod par} : Babut avee'ane ‘pratide ‘sobiditéid’ar- 
1eyReal aya et de ddductiing theofotiqdes) chuntes# pas au 


rea sme du det a Télerhet | erfndm? de 2a ‘fol chrétzenne, que 
afb ps raph be aser® Cé ‘quit’ combut ‘itis! /¢e'intebt nil Lelse, ni 
omet, ni Socin, ni Volfatte) ni' Stradss, ‘ni feats tout régents imi- 


date: tridologiens ét dés’ nasteutts: qui se disentichrétiens 
set nets WA der iy ons ‘cette page Papologic uw decent particulier 
de fists. Toho irae Se fait! ie ra pes expridner 
sofantes, gisses, plus on ifs sent viv ent! da ‘28 Jangage: con- 
“ABE oF Piae si ie ay att en ‘Hlessé dans ses coh ialions les plus 
rey 4 a iH si bien ad (HEME Ge Papotdbiate: vet cb caper 


M rai pas 4 discyter quelques propositibns, doce dis- 
‘aio BE ee fe aNd °g ts rd dé VEblise eathbliqueselles n’y 


) I 
5 f r ainsi bie Wa tied de remniibiscenees-dupassé, et 
scr ib bit xb AG viele tradition-qal d'dillents, on 
PH dlit singuli¢rement en face des terribles problémes de la 
canna a aeraptte H) einl ad gh eta nt DOR LY od 8S OT 

a Etrange.et pian ination’ (Ge n’est plus mdi qa fair cest 
“St! Te pastor Babatip:Nons n'a vons, plus. rjen.a. eran re du gou- 
vernement ni de la société qui nous entoure, mais ngs divisions 


Ok 1.4181 S THOTHE: GERBER AL. 


AgtGrieuites :pois:-fonb-plass ide. mal «que: ta:.perséeution éllesindme 
iB jaciais pu sous.en: fairey Nows,avonsitoute tiberté: pour! affitmer, 

pour iprécher, dans une prande mesune pour prepager ros croyances * 
mais, eames Koglise, nous: ne sovons: phos! caactément: te: que nous 

crayona’,. Bots bab at ge ehh de pee gto yal 7 Weloe toby bob Ds AU 

Quel aveu! comune s: sa lumidre on. ge: rend.n- compte exttet- de 
la: marche suivie par. le protestantisme depurs ta nakssance! -' 

.. [Lest sorti:fidrement des rangs.de PEglise cathelique,. Peoceeal 
de superstilions et: d‘idolatrie,  et.'se: vantant qu'avea: l'Eoriturd, et 
VEcriture seute,.il. maintiendnait, dans toute.sa eee los dapot de 
la vraie: foi, sans supertétation et sans altétation... 3 aoe 

., Trois, siéeles s’écoulent.; He OSs 

Trois siécles, ce n’est rian pour: ane eliglzal La grindeLisive chee 
tienne du temps des Césars resta plus de trois siécles dans les en» 
traves et. les ténébres des. catacombes; quand.elle en. pat sortir pour 
se monizeran.grapd-jour, alle. clait:dans toute la jeunesse d’une'foi’ 
affirmée et,confirmée.aui milieu des- “phus.coustantes: et des: plus tere 
ribles perséculions! 2 shih ele ee ee teed 

Elle aussi, cette société religieuse, qui a si ouvertement Nigeion 
avec PEslise catholique pour cauge de foi, est appelée,,aprés trois 
sidtles, a rentre'un' ‘compte public de ga situation. |, 

Bt daris cetté réuition’ soléniielle, éllé est obligée de contest pen 
a coMME EGLIsE, ELLE NE SAIT PLUS EXACTEMENT CE QUELLE GROIT! p  - 

‘Mais,’ pour faire ressortir davantage importance de cet ayeu, cae 
pital; it faut ne pas Je’ séparet des actions de’ graces rendues 4, la, 
Providence pir Mi le pasteur Babut, ‘pour les facilités ‘singylidres, 
dont: le protestantisme jouit ‘au sein, des Sociétés modernes,, celles, 

a @affirmer, de précher, fe propager ses croyances! » 

Le Psalmiisté disait : « Je’ crois, et c’est pour cel que j ‘ai “parle: 
Credidi, propter quod locutus sum. » En effet, h’est-ce pas la | premiére , 
et indispensable condition de toute propagande, quelle qu ‘elle -d 
Avant'de précher aux hommeés une doctriné, n ‘est-il pas d'une 
sélue nécessité que ceftt doctriné ‘existe? $71 § ‘agit ‘surtout, d arya, 
cher les honimes 4’ une foi ‘que I’on'taxe, d’erronée, pour leur don-, 
nef'une foi qit'l'on'estime ‘seule véritable, ne fouteil pas que. ceux. 
qui préchent cette foi sacherit trds-netterndnt ce qu’elle est, ce qu ‘elle 
peut, ce qu ’alle vaul? Nous avoris gous Tes yeux les ceuvres de, pro-, 
pagande auxqutilles'se livre" Eg lise proféstante, les efforts de'pro.. 
sélytisme: faits‘ par ellé pour délivrer Anes dmés de ce qu’elle ap ate 
encore quelquefois « les superstitions du papisme. » En altendan 
cette Eglise qui jouit de toute liberté « pour affirmer, précher et pro- 

« pager ses croyances, » ne sqit.plus, exagtement, 64.a¥- "elle ordits ee 


{ Le Témoignage que Jésus se rend a lui-méme, p. 9. UE GE We re © 


De AibccIsHTARTORMEE. A 


mapa & quel irégine labbricer ba: condamyent tes: individws et: ‘les 
sonvotés qui qnt: pais ‘tan grave’ résobdtion de romps ‘avec te: print 
clipe, de] uaité eb de: eudorsts + La ofair 8 ‘yatiénue , is'y sabtilise 
pour ainsi dine, et ches. beducoup':d'Ames, «elle n’arvive plus & dtre 
qu'une demi-foi, pleine de sous-entendus et de réticences, ne con- 
chdant jes mots.que poor disputer ‘sumies chosesfien) 

On n’a plus alers:’ se demandst:« si: Ja: bibérté-d'examen, appli- 
quée aux choses: dé la fot, ést capable, elle toute | seule, de guérir 
les blessures quedle ja sfaates. » Ors voit: trés-nettement lo mat: dont 
elle -a..dt6 la-eause ; 00 ohereké, sans: potiveir l'indtquer’, le bien 
dont ce mal auraifiété: Vodcasion. Et on: est réduit a dire! de pro- 
testantisme , par Vorgane d’un de ses plus zélés et de ses: plus 
congcierieichs défenseura,. queisa smuation est: = ‘étrange que 
cpwellg! ony. fs edie eat My eria ne “4! { 

: Gaualle, - certainertient: om; grange: moins quill née paratt; car 
calte, situation pest que le eésultat - logique: ‘des ‘principes primitifs 
dy profestanhisme. 'Quand-on 2 isens le vent; a-t-on le ore a 36. 
tonner si on recueille les a ? 
ugeners japon cc wa By pe apa *y 


“Ye jeudi 6" ‘ain {379, - midi, le ynode. général de ies ré- 
formée, de France s se réunissait sae temple du Saint- -Ksprit, rue 
Roquépine. 
Deédifice avait été, par les soins, de ‘Vagministration, décoré avec 
bey ycoup, ¢ . gout, pour. cette perémonie. Le mur, intérieyp était re- 
fans ont pn pourtour, d'une tenture en drap ponceau. frangé 
ne ‘erép ine, d ‘or; les, ouvertures étaient ornées de yastes poy- 
> $ en salours’ rouge. foncé ; dans le fond,.un dais de la, méme 
a Surmonts d’ une crojx, couvrait,. la chaire et Yestrade ou sié- 
ea 4g bureau. La (ribyne ayait elé placée au pied du slaliies Sur 
la ichdire, s se trowyait une grande Bibleopverta®. | 
fe tee trop ) Jasq) u’ quel, point ce eérémonial, ees tentures, 
cee. ci . eal élé, goutés, par les, vieux huguepots du 
temps a Agar} i ou par, les farouches camisards, des Geyennes, Plug . 
d'un pate ene SB fui scandalisé de celle pompe exlérieure, ae on. di- 
nif em ipruntée 3 aux solennites, eatholiqnes,.... ; 
i le protestantisme contemperain n’ en ‘est plus A la thég- 
eat seatmne el, dp dix-s tidme sidgle, i) n’a pas, gardé non 
ii s Apres, rancunes et, le ur Jangage des. abaiaiian aiid de ° 
ann poh Gusta ibe aetna eh om ees ete! 


Pde SH 2 PUG ti heres Oty afi, poatape abs See thf : hone 
Qui vohtdin venitiabnh turbines hietent (ste, vm)" 3 
. tale 46. ry nea: 7 


96 LE SYNODE GENERAL 


A part quelques esprits incorrigibles et attardés, on ne croit 
point pactiser avec ]’Antechrist parce qu'on parle du pape sans in- 
jure, ni conniver avec les abominations de la Babylone mystique, 
parce qu’om met dans un temple protestant des tentures et un dais 
surmonté d’une croix. 

Aprés la vérification des pouvoirs, faite dans la séance du 6 juin, 
sous la présidence de M. Emilien Frossard, doyen d’dge, l'assem- 
blée se constitua réguliérement, dans la séance du 7 juin, en élisant 
son bureau. 

Lélection du président, ou .modérateur, pour employer le terme 
consacré par la tradilion protestante, permit aux deux partis eatre 
lesquels le synode se partageait, de compter immédiatement leurs 
forces respectives. 

Sur 401 volants, M. le pasteur Bastie, de Bergerac, du parti 
orthodoxe, oblint 56 voix; M. le pasteur Viguié, de Nimes, appar- 
tenant a la gauche ou 4 la fraction libérale, en obtint 49. 

En conséquence, M. Bastie s’installa au bureau, comme modéra- 
teur du synode de 1872. . 

En prenant possession du fauteuil, le modérateur constata que 
a le moment était solennel » pour l’Eglise réformée, et exprima Je 
voeu que « l’enceinte du temple ne retentirait pas du bruit de débats 
passionnés'. » 

Dés le lendemain, 8 juin, la question de la compétence, des attri- 
butions, et de la valeur du mandat confié au synode, fut.seulevée a 
l'occasion d@’une déclaration signée par quarante-deux membres de 
l’assemblée, déclaration empruntée au consistoire de Lyon, et ou 
il était dit que : 

« Le synode n’était pas la représentation vraie de I’Eglise; 

« Que, vu son mode de formation, ses décisions ne pourraient 
avoir qu'un caractére provisoire et consultatif; 

« Et, qu’en cet état, il ne devait s‘occuper, du moins officielle- 
ment, que de remanier les circonscriptions synodales et d'édicter 
une loi électorale, qui permit de réunir ultérieurement un véritable 
synode, représentant réellement et légitimement l’Eglise réformée 
de France. » 

Avant de résumer les débats qui eurent lieu au sujet de cette pre- 
miére question dans les séances des 8, 10 et 14 juin, il faut en faire 
ressortir la gravité, et montrer pourquoi le parti libéral choisit ce 
terrain pour offrir la premiére bataille au parti orthodoxe. 

Ce fut lui, en effet, qui ouvrit les hostilités. Les quarante-deux 
membres signalaires dela proposition qui, s'appropriant la décla- 


4 Bersier, I, p. 21. 


DE VEGLISE ALFORMEE, 97 


ration du consistoize de Lyon, infirmaient en-principe la validité du 
mandas de. |’assermmblée, appartenaient-fous: & la gauche, quaique 
tous des -nembres de 1a. gauche. ao l‘eussbnt pas scuscrite:: 

DéejA, vingt -ans: auparavant,- ce parti avait: été.le promoteur se- 
cret de cette constitution de 1852, qui dotait ’Eglise::protestante 
d'un ségigre beaucoup-plas autoritaiwe que hbéral, en meéttant’a 
ma tate surf conseil eentral dant des menabres n'étalent pas'élag!;. 

Nentseadement; pendant eatte période: de‘vingt années, ‘ce parti 
ne s’était jamais associé aux réclamations élevées en faveur‘du:réta- 
biasesaesit thy. dynode ginéral;.mais-on ‘sentait-son opposition dé- 
clarie.a-une jnostitution disciplinaire:dont ‘le premier dévoir, comme 
le pnemijensnin, devait étre de chercher-a rétablir l’ordre au séiv de 
lEglise et de faire cesser la déplorable anarchie d’enseignenrent o 
trinal, qui, divisait: pasteurs et-troupeaux 

layqque lea Anstandes réitéréés :du' parti orthoduxe durent enfin 
obtenu la convocation :du synode; le: parti tibéral, ‘dvant d'aborder 
les. questions: de fond, trouva habile d’arrétdr Tassemblée, ‘des le 
début de ses travaux, par une question prenenie en lian Se com- 

GBive et ge 

‘Cimaity grace A .nane - difficalté: constitutionnelle’, saralvaee® d’- 
vanee fous les efforts dp perti orthodexe, et jaisser libre carriére aux 
progrés du rationalisme radical. 

hes: hasan Ne: ty. was slats Pas, e Tengagement ft trés- 
Wf. she Cathe, 

Voici, en sonata: les.Teisons javeaueee! ae lés Hibérauk pour dé-- 
oler jau synede'.le caractéve Kgislatif et: constituant,:et refuser de 
le reconnaitre comme I’héritier légitime des anciens synodes natio- 
naux, auxquels, d’aprés les termes de la discipline en vigueur dans 
VEglise péarmée ot il appartenait de decider de toutes choses 
ecelésiasliques. 

49..L¢: igounernement. n, Pavait pas pu vouloir instituer par décret 
ua. syhode législatif constituant, puisque fa loi de germinal an X 
et l¢-décret-loi-de 4852, fondements de Vorganisation ecclésiastique 
de-Keeglise da :France, gardaient un complet silence sur cette sorte 
d’assemblée. 

2° La: mode délection avait été ‘défectueux et ne permettait pas 
de teronnaitre, dans le. synode, la'-représentation authentique et 
autoriséeide LEg¢lise. En effet, outre que lélection avait été trés- 
indirecte, et n’avait: pas pris inimédiatement ‘sa source dans le suf- 
frage anizersel: des: fidéles,-te' groupement: des consiStoires destinés 
a forite Tes es colléges électoraux avait é16 tout: & fait arbitraire. Tel 


1 Décret-loi du 26 mars 1852, signé par le prince-président de la république. 
10 Avan 1873. 7 


98 LE S¥NODE GENERAL 


consistaire, consosé de quelques centaines de fidéles seulement, 
mais dispersés en plusieurs petites paroisses, avait pesé dans la 
balance autant qu'un autre consistoire, composé d’une seule pa- 
raisse, mais forte de. 20 ou de 30,000 dames. Or, s’il était juste de 
tenir compte de chaque paroisse, petite ou grande, comme d'une 
personne morale, et de lui assurer une part de représentation, i] ne 
l’était pas moins d’avoi égard au nombre, dans Vélection d@’une 
assemblée dont les décisions pouvaient avoir de si graves consé- 
quences pour l’avenir del’ Eglise. 

Tels furent les arguments dirigés contre la compétence législa- 
tive du. synode par MM. Jalabert, Penchinat, Colani, Clamageran, 
Laraac, Corbiére, auxquels répondirent, du cété droit de l’assem- 
blée, MM. Laurens, Monnier, Guizot, Vaurigaud, Mettetal, Babut ef 
Bois. ‘ 

Ces dernicrs orateurs justifiérent la legalité du décret de conveca- 
tion, et, par conséquent, la compétence législative du synode, en 
se reportant aux divers actes constitutifs. qui, depuis le rétablisse- 
ment des cultes en France, au commencement de ee siécle, avaient 
réclé les rapports de l’Eglise réformée avec ]’Etal. 

Ik est vrai que la loi de germinal an X, aussi bien que le déoret- 
loi de mars 4852, gardaient le silence sur l’existence du synode 
général. Mais le silence équivalait-il & ]’exclusion? Il n’y avait pas 
lien de le croire, puisque, dans ses considérants, la loi de germinal 
visait dans son ensemble l’ancienne discipline des protestants fran~ 
cais, et que cette ancienne discipline établissait formellement la con- 
vocation périodique des synodes nationaux. 

Quai qu’on. puisse penser de cette argumentation juridique, par- 
ticuliérement souteave pax MM. Laurens et Mettetal, et attaquée, au 
nom de la législation,, par M. Larnac, avocat au conseil d’htat el 
membre laique du synode, on doit convenir que les raisons morates 
étaient toutes en faveur de la droite. | 

Il était étrange, en effet, qu’au moment ou, par la bienveillance 
du. gouvernement, |'Eglise réformée de France, longtemps main- 
tenue dans une sorte de tutelle humiliante, était appelée a délibérer 
sur ses propres affaires, et 4 soumettre a !’Etat les bases d'une 
union concordataire, lassemblée chargée de faire cette grande 
cuvre ne fat pas reconnue comme investie de la puissance con- 
stiluante. 

Les libéraux disaient, par l’organe de M. Penchinat, qu’om ne les 
avait pas plus consultés pour la convocation du synode « que Mentor 
ne. consulta Télémaque lorsqu’il jeta celui-ci 4.la mer‘. » 


‘ Séance du 10 juin. Bersier, 1, p. 64. 





DE VEGLISE REFORMEE. 90 


Sile mot est plaisant, il faut convenir que l'argumentation étail 
faible. 

Aprés tout, les libéraux avaient pris part aux élections, et ils 
avaient concouru comme les autres 4 la formation du synode. 
Sil y avait eu des défectuosités dans la formation des groupes 
dectoraux, il n’était pas démontré qu’elles eussent tourné & leur 
désavantage, puisque le nombre de délégués par lequel ils étaient 
représentés était & tout le moins égal, peut-dtre supérieur 4 leur 
proportion numérique’. 

' Enfin, on pouvait leur demander s’ils eussent contesté la compé- 
tence législative du synode, dans le cas ou ils auraient obtenu la 
majorité *. 

Comme il arrive dans toutes les discussions, les mémes arguments 
farent reproduits plus d'une fois de part et d’autre par les divers 
orateurs qui se combattaient. 

Enfin, deux ordres du jour motivés résumérent le débat et prépa- 
rérent le vote. 

Le premier, présenté par M. Jalabert, au nom de la gauche, ne 
niail pas formellement la compétence du synode, mais l’affirmait 
encore bien moins, et se résumait en une déclaration vague qui ne 
tirait pas de son obscurité la question controversée’. 

Lordre du jour de la droite, présenté par M. Pernessin, tran- 
chait trés-netlemeni la question et proclamait hautement l‘autorité, 
la competence et le mandat constituant du synode‘. 


! D’aprés M. Babut, les deux tendances qui se partagent le protestantisme fran- 
qis peuvent se répartir ainsi : 
317,402 orthodoxes. 
256,850 libéraux. 

Ce qui donne 4 peu prés cette proportion, aux orthodoxes les § et aux libéraux 
les & de Ja population totale. 

Le nombre des délégués libéraux envoyés au synode était un peu supérieur a 
cette proportion. . 

* M. le pasteur Monnier (Bersier, I, p. 62.) 

+ Il était ainsi congu : 

« L’assemblée, appelée 4 se prononcer sur son caractére et sur ses attributions, 
reconnait que les bases électorales adoptées pour sa convocation ne peuvent don- 
ner la certitude que toutes les tendances du protestantisme frangais soient repré- 
sentées dans son sein en raison de leur importance relative; 

« Mais sous cette réserve, elle se considére dans ses différentes fractions comme 
éiant auprés du gouvernement J’organe autorisé des besoins, des yoeux et des 
sentiments des différentes parties de ]‘Eglise, et comme appelée, & l'égard des 
communautés protestantes, 4 faire une quvre d'union et de pacification sous les 
inspirations de Jésus-Christ, chef de l’Eglise invisible, dans la communion duquel 
elle veut travailler a l'avancement du régne de Dieu en toute vérité et charité. » 

* Voici le texte de cet ordre du jour : 

« Considérant que le présent synode général a été convoqué et s'est réuni aux 


100 LE SYNODE GENERAL 


Une derniére riposte, plus tumultueuse que le combat lui-méme, 
eut lieu dans la séance du 42 juin, en présence de ces deux ordres 
du jour. 

Des mots vifs furent prononcés. M. Jalabert articula contre les 
orthodoxes le reproche d’avoir fait illusion 4 I’Etat, en créant « des 
nécessités volontaires, » et il affirma de nouveau que le synode 
n’était pas la représentation fidéle des Eglises. 

‘M. de Clausonne chercha a tracer au synode une voie moyenne 
entre les deux ordres du jour proposés; mais, aprés une réplique 
de M. Bois, la motion de la droite fut mise aux voix et votée par 
64 voix contre 45. 

L’issue de ce premier débat était favorable aux orthodoxes. 

Mais ce n’était la qu’un combat d’avant-garde, et c’était sur la 
question de la confession de foi que devait porter le fort de la 
lutte. 


IT 


in votant l’ordre du jour de M. Pernessin, le synode de 1872 
avait affirmé son existence constitutionnelle et sa compétence 1é- 
gale. Il s’était proclamé l’organe autorisé de l’Eglise réformée; il 
avait renoué la chaine des traditions et s’était rattaché 4 ces an- 
ciens synodes nationaux du dix-septiéme siécle, gue la confession 
de fot primitive du protestantisme francais avait investis du pou- 
voir de « décider définitivement et résoudre de toutes choses ecclé- 
siastiques*. » 

C’était, assurément, une importante victoire remportée par le 
parti orthodoxe. Aussi, bien que cet avantage n’ett été obtenu qu’a 
une assez faible majorité, 11 se hata d’en tirer parti, en abordant im- 
médiatement la question fondamentale, celle en vue de laquelle .le 
synode avait ¢té précisément désiré et réuni, celle qui pouvait déci- 
der Jc l'avenir du protestantisme : la question de la confession de fot. 


a termes des lois et décrets qui ont réglé le régime de lEglise réformée de France © 
« depuis son rétablissement ; . 

« Considérant que la convocation et l’élection audit synode général recounaissent 
« et consacrent les libertés et l’autonomie de I'Eglise réformée de France en ‘ma- 
« tiére religieuse ; 

« Considéranf que les élections au présent synode général ont été faites en 
« pleine liberté avec le concours de toutes les autorités religieuses appelées a y 
« prendre part, et que le droit de I'Eglise réformée de France 4 modifier, s'il y a 
« lieu, son regime intérieur religieux, notamment son sysiéme électoral, quant a 
« ses synodes futurs, reste entier et pleinement réservé, passe 4 l’ordre du jour. » 

‘ Conf., Partie discipl., ch. IX, p. 7. : 


DE VEGLISE REFORMEE. 401 


Dés les premiéres séances du synode‘, M. Bois, professeur 4 la 
Faculté de théologie de Montauban, avait déposé sur le bureau la 
déclaration suivante : 

« Au moment ot elle reprend la suite de ses synodes, interrom- 
pue depuis tant d’années, |'Eglise réformée de France éprouve, 
avant toutes choses, le besoin de rendre grace 4 Dieu, et de témoi- 
gner son amour a Jésus-Christ, son divin chef, qui l’a soutenue et 
consolée durant le cours de ses épreuves. 

« Elle déclare qu'elle est restée fidéle aux principes de foi et de 
liberté sur lesquels elle est fondée. Avec ses Péres et ses martyrs 
dans la confession de Ja Rochelle, avec toutes les Eglises de la ré- 
formation dans leurs divers symboles, elle proclame : 

« L’autorilé souveraine des saintes Ecritures en matiére de foi; 

« Et le salut par la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, mort 
pour nos offenses, et ressuscité pour notre justification; 

« Elle conserve donc et elle maintient 4 Ja base de son enseigne- 
ment, de son culte et de sa discipline, les grands faits chrétiens, 
représentés dans ses sacrements, célébrés dans ses solennités reli- 
gieuses, et exprimés dans ses liturgies, notamment dans la confes- 
sion des péchés, dans le Symbole des apétres et dans la liturgie de 
la sainte céne. » : 

La discussion de cetle déclaration, commencée le 43 juin, se 
prolongea jusqu’au 20, et remplit sept séances consécutives. 

Ce long et grave débat doctrinal entre les deux fractions du pro- 
testantisme francais mérite d’étre trés-sérieusement étudié. 

C’est pour nous préparer 4 le bien comprendre que nous sommes 
remonté aux origines de la querelle*, que nous avons raconté com- 
ment, depuis le commencement de ce siécle, les deux tendances 
avaient tour a four prédominé, au sein de I’Eglise réformée de 
France ; comment surtout, depuis 1830, |’antagonisme s’était accen- 
tné entre une partie de cette Eglise qui déclarait vouloir se ratta- 
cher au passé en demeurant a la fois chrétienne et calviniste, et 
tne autre partie de cette méme Eglise qui, interprétant 4 sa ma- 
niére une parole de saint Paul’, faisait pour ainsi dire table rase 
dn passé; repoussait, non-seulement la théologie particuliére aux 
écoles du seiziéme siécle, mais le sens traditionnel et universelle- 
ment accepté des dogmes chrétiens, et se déclarait hardiment le 
christianisme des temps nouveaux, précisément parce qu'elle ne crai- 


! Séance du 8 juin. 

* On trouvera ceite partie de notre travail dans le volume qui contiendra l’his- 
toire du synode général. 

3 «J oublie tout ce qui est derriére moi, et me dirige vers ce qui est en avant. » 
(Phil., mm, 44.) 


402 LE SYNODE GENERAL 


gnait pas de rompre avec les vieux principes et avec une théologie 
surannée. 

Ce débat, en se prolongeant, s’était envenimé. De sérieux désor- 
dres _s‘en étaient suivis. L’anarchie était dans Ja société extérieure 
de l’Eglise, ce qui était grave; elle avait pénéiré dans le domaine 
intérieur des consciences, ce qui était plus grave encore. Des pro- 
testants libéraux de Lyon avaient déclaré, en novembre 1829, yu’il 
était insupportable de « voir transformer la maison du Seigneur en 
une aréne ou des gladiateurs remettaient tous les huit jours contra- 
dictoirement en question les voies propres a assurer le bonheur su- 
préme de homme’. » 

Quarante-trois ans aprés, un pasteur orthodoxe voulant décrire la 
situation de |’Eglise réformée de France, au moment ot le synode 
allait se réunir, laissait échapper de sa plume ces plaintes signi- 
ficatives : 

« Au point ot l'on est parvenu,... l’édification mutuelle devient 
impossible. Les contacts douloureux naissent 4 chaque pas... Gest 
dans la méme chaire, c’est en présence des mémes catéchuménes, 
c’est 4 la méme table de communion qu’il faut entendre, d'un di- 
manche 4 l'autre, affirmer les vérités les plus édifiantes et les cheses 
qui heurtent et qui blessent les convictions les plus sacrées. de 
lame?, » ; 

Enfin, dans la cérémonie religieuse qui avait préludé & l'ouver- 
ture des travaux du synode, on avait entendu ua oraleur, apparte- 
nant 4 la fraction orthodoxe, déclarer, avec humiliation et douleur, 
Que, comme EGiisk, LE PROTESTANTISME FRANCAIS .NE SAVAIT PLUS CE QU'IL 
crovarr. Et il avait, avec raison, qualifié cette situation d’dérange et 
de cruelle. 

Le synode ne pouvait donc échapper al'obligation d’examiner & 
fond cette situation, et au nom de l’autorilé dont il s’élait déclaré 
revétu, malgré Vopposition préalable faite par les libéraux 4 son 
mandat constituant et législatif, ilne devait aborder cette ques- 
lion que pour la résoudre d'une fagon définitive, autant, du moins, 
que le Jui permettraient les principes mémes de la théologie ré- 
formée, 

C'est donc sur ce terrain d’une confession de foi & édicter qu’al- 
laient se mesurer les plus vigoureux athlétes des deux parlis bella- 
gérants. Jusqu’alors, c’est-i-dire depuis plus de quarante ans, ils 
luttaient dans les journaux, dans les revues, dans les chaires livrées 
tour 4 tour 4 des enseignements contradictoires; le moment était 


‘ Destitution d’Adolphe Monod, racontée par lui-méme, p. 62. 
2 M. le pasteur Bersier, Introduction 4 lhistoire du synode, p. 49. 


DE WEGLISE REFORMEE. 105 


enfin arrivé ou tis allaient se rencontrer dans yne méme arene, 
s'aborder corps 4 corps, et se livrer devant la triple galerie du pro- 
lestantisme, du catholicisme, et de la libre pensée, un duel A mort. 

Je serats tenté d’évoquer ici un souvenir épique et de dire comme 
Virgie, au moment ow il va raconter la grande bataille de Turnus 
et de Mézence contre Enée et les Troyens : 


Pandite nune Helicona, dez, cantusque movete ; 
Qui bello exciti reges, quae quemque seculz 
Complerint campos acies.......... 


Mais il me s'agit pas de passer en revee les combatants, et de 
faire connaitre par des esquisses biographiques les champions en- 
gagés dans cette lutte. Les questions de personnes disparaissent en- 
lidrement devant les questions de doctrines, dont nous avons wni- 
quement a nous occuper. 

Au moment ot, dans la séance du 43 juin, la discession sflait 
souvrir sur la déclaration de M. Bois, deux autres déclarations fu- 
rent déposées sur le bureau, et lues en présence du synode. 

La premiére, présentée par M. Jules Gaufrés, était signée par 
tingt-neuf délégués; la seconde, lue par M. Camille Rabaud, ¢tait 
signée par dix-neuf délégués, quatre desquels‘ avaient égaleme:: 
signé la précédente. 

Avant d’examiner la valeur comparative de ces diverses profes- 
sms ou déclarations de foi, il est un fait significatif sur lequel je 
dois appeler l’attention du lectcur. 

En se déolarant, par te vote du 42 juin, I’héritier légitime des 
anciens synodes nationanx de PEglise réformée de France, le sy- 
tode de 1872, ou du moins la majorité numérique qui avait re- 
poussé la thése d’incompétence et d’inconstitutionnalité plaidée par 
lagauche, avait entendu renouer la chaine rompue des traditions, 
cmtinuer l’ceuvre que tant de vicissitudes religieuses ou politiques 
avaient, sinon totalement interrompue, du moins singuliérement 
rétardée pendant deux sidcles, et par-dessus ces deux cents ans, 
donner la main 4 ces députés de Loudun qui avaient formé, ‘em 
1659, le dernier synode national complet du protestantisme francais. 

Or, daprés la régle constamment suivie dans tous ces syrrodes du 
setziéme et du dix-septidme siécle, — régle mentionnée dans l'art. ™ 
du chapitre IX de la Discipline, — on commengait toujours par « lire 
les articles de la confession de foi. » 

Et la Confession dont il s’agit ici, est la grande Confession en 
quarante articles rédigée pour la premiére fois dans le synede de 


' MM. Martin-Paschoud, Athanase Coquerel fils, Viguiéel Gavbe 





104 LE SYNULE GENERAL 


1559, tenu sous le régne d’Henri II, et solennellement confirmée, 
en 1574, par le synode de la Rochelle, dont elle a gardé le nom. 

Il semble donc que le premier besoin et le premier deyoir de la 
majorité orthodoxe du synode de 1872 eut da étre de confirmer, par 
une nouvelle adhésion, ce premier monument de !’histoire dogma- 
tique du protestantisme frangais. 

C’était, il semble, la meilleure maniére de faire cesser, cet état 
indécis et confus qui avait fait dire 4 un pasteur orthodoxe, dans la 
cérémonie d’inauguration du synode, que, « comme Eglise, le pro- 
testanlisme ne savait plus ce qu'il croyait. » 

Nous avons, dans le temps, étudié avec soin cette Confession de 
foi de 1559 '. Nous en avons analysé les artic'es les plus importants. 
Elle ouvre un vaste champ aux discussions de la controverse, et 
comme elle résume d'une fagon trés-claire la théologie de Calvin, 
elle souléve plus d’une objection de la part de ceux qui font pro- 
fession d’adhérer 4 la théologie du concile de Trente, et dac- 
cepter dans ses décisions les arréts irréformables d’un concile wcu- 
ménique. 

Mais si le théologien catholique trouve beaucoup 4 reprendre et 
a discuter dans la Confession de fui de la Rochelle, il est du moins 
un reproche qu’il ne saurait lui adresser : il ne peut. pas l’acouser 
d’avoir laissé dans le vague et dans !’indécision ce que le protestan- 
tisme primitif regardait comme de foi. 

Tant que ce document a été la régle dogmatique des Eglises ré- 
formées de France, il aurait été impossible 4 un pasteur de dire, 
ainsi que l’honorable M. Babut, dans sa prédication du 5 juin 1872 : 
« Comme Eglise, nous ne savons plus ce que nous croyons. » 

J’écarte la question de l’exactitude ou de Ja fausseté des doctrines 
consignées dans ce document. 

Mais, du moins, faut-il reconnaitre que ce sont des doctrines 
trés-neltement articulées et ramenées aux formules les plus pré- 
cises. 

Le nombre et le titre des livres de ]’Ecriture proclamés canoni- 
ques ‘sont mentionnés 4 l'article 3. 

A l'article 5, il est dit, sans restriction ni limitation, que cette 
parole de Dieu « est la régle de toute vérité, — et qu’il n’est pas 
possible aux hommes, ni méme aux anges, d’y ajouter, diminuer 
ou changer.» 

C’est en conséquence de leur conformité reconnue avec cette pa- 


role que l’on accepte les trois Symboles des apétres, de Nicée et de 
saint Athanase. 


! Voir le Correspondant du 25 juillet 1872. 


DE L'EGLISE REFORMEE. : 105 


Le mystére de la trés-sainte Trinité est trés-explicitement énoncé 
dans les articles 6 et 7, conformément aux décrets des anciens con- 
ciles, interprétatifs de I'Ecriture, et aux écrils des Péres qui ont 
combaitu les doctrines ariennes, saint Hilaire, saint Athanase, saint 
Ambroise et saint Cyrille. 

Sont de méine mentionnées dans des termes fort catégoriques : 

La création, la tentation, la chute des anges infidéles, le minis- 
tére des bons anges (art. 7). 

Le péché originel, exposé d’aprés les idées particuliéres de Lu- 
ther et de Calvin, est dit avoir corrompu entiérement la nature de 
lhemme, complétement aveuglé son esprit et dépravé son coeur, 
sans lui laisser rien de reste, de facon que la volonté de l'homme 
est entiérement captive sous le péché, el qu'il n'a que par grace la 
liberté de faire le bien (art. 9-41). 

L’article 142 résume en termes terriblement clairs ce qu’un pas- 
teur de Genéve, M. Cheneviére, a appelé « le dogme épouvantable de 
la prédestination calvinienne ; » il y est formulé dans toute son apre 
ngueur, sans explication ni adoucissement, sans autre considérant 
que « le bon plaisir de Dieu. » 

Les dogmes de la divinilé de Jésus-Christ, de sa naissance mira- 
caleuse, de sa résurrection, de la rédemption de l’humanité par le 
sacrifice sanglant de la croix, sont énoncés dans les articles 43-17. 

Le salut par la seule foi, l'inamissibilité de Ja grace, et les bonnes 
euvres résultant nécessairement de la foi (dogmes ot se retrouve 
toute la théologie primitive de la Réforme), remplissent les articles 
20-22. 

L’article 24 énonce et rejette formellement diverses croyances et 
pratiques en vigueur dans !’Eglise catholique. 

L’article 25 définit ce que le ‘protestantisme frangais entend par 
Eglise, affirme l’autorité du ministére pastoral, et condamne ou dé- 
teste « tous fanfastiques qui voudraient bien, en tant qu’eux est, 
anéanlir le ministére de prédication de la parole de Dieu et des sa- 
crements; » demande aux fidéles (art. 26) « dese soumettre 4 I’in- 
struction commune; » déclare qu’il n’y a point d’Eglise 1a « ot Ja 
parole de Dieu n’est point regue, ott l’on ne fait nulle profession de 
Sassujettir a elle » (art. 28). | 

Les deux seuls sacrements maintenus rar |’Eglise calviniste, le 
baptéme et la céne, sont mentionnés et expliqués dans les articles 35 
a 38. 

Enfin les articles 39 et 40, en fondant sur l’Ecriture la puissance 
des princes, leur reconnaissent ]’usage du glaive pour la répression 
des péchés. 


406 LE SYNODE GENERAL 


La partie de cette confession de foi qui traite de la discipline n’est 
ni moins précise, ni moins explicite. 

Elle se compose de quatorze chapitres, subdivisés en 282 articles. 
Les seuls titres des chapitres suffisent 4 montrer que les premiers 
législateurs du protestantisme n’avaient rien laissé & |’arbitraire. 


Chapitre [*. — Des ministres (57 articles, avec une formule pour 
l’imposition des muins). 

Chapitre IJ. — Des écoles (5 articles). 

Chapitre III. — Des anciens et des diacres (10 articles): : 

Chapitre IV. — De l’administration des deniers des pauvres par leg 
diacres (4 articles). 

Chapitre V. — Des consistoires (avec une formule d’excommunica- 
tion conire les pécheurs scandaleux), 33 articles. 

Chapitre VI. — De l'union des Eglises (5 articles). 

Chapitre VII. — Des colloques (6 articles). 

Chapitre VIII. — Des synodes provinciaux (16 arlicles). 

Chapitre IX. — Des synodes nationaux (12 articles). 

Chapitre X. — Des exercices sacrés de l’assemblée des fidéles 
(6 articles). 

Chapitre XI. — Du baptéme (419 articles). 

Chapitre XII. — De la céne (44 articles). 

Chapitre | XIII. — Des mariages (32 articles). Le divorce y est for- 
mulé en principe, et son application confiée au magistrat (art. 52). 

Chapitre XIV. — Réglements ou avertissements particuliers (33 ar- 
ticles). 


Nous ‘nous trouvons donc en présence d'un monument complet'. 
Dogme, morale, discipline, rapports des pasteurs et des fidéles, rap- 
ports de PEglise avec la puissance séculiére, tout y a été prévu, ré- 
glé, décidé dans un trés-grand détail. 

Si les changements considérables survenus dans la société civile 
depuis le temps ow ce code religieux était en vigueur pouvaient étre 
une raison plausible de ne reprendre qu’une partie des articles dis- 
-Ciplinaires, aucun motif semblable n’ecxistait & Végard de la partie 
dogmatique. 

Les dogmes qu’on dit étre révélés de Dieu, et dont on n’a tiré la 
formule que de sa parole contenue dans la Bible, ne sont pas sujets 
aux vicissitudes des révolutions. 

Ce qui était donné en 1559, et avait été assez fidélement gardé 


4 Cette confession de foi se trouve a l'appendice de l‘ouvrage de M. Bersier, t. II, 
p. 565-428, 


DE VEGLISE REFORNEE. 407 


pendant un siécle et demi au sein de |'Eglise protestante, comme 
provenant de la révélation divine sur la prédestination, sur l’mamis- 
sibilité de la grace, sur Ja certitude du salut, sur la seule foi pro- 
duisant nécessairement les bonnes ceuvres, on ne voit aucune raison 
théologique de ne le pas maintenir au dix-neuviéme siécle. Les ré- 
volutions, les chules de monarchies, d’empires et de républiques ne 
font rien aux questions de cette sorte. Et puisque le protestantisme 
moderne, dams celle de ses fractions qui est demeurée chrétienne, 
regardait comme un supréme péril de xe plus savoir ce qu'il croyait, 
il edt dd saisir avec empressement l'occasion solennelle du synode 
général de 1872 pour remettre en honneur et en vigueur la confes- 
sion de foi qui avait donné a la réforme frangaise ses premiéres et 
ses plus héroiques générations. 

Quant & la fraction libérale du protestantisme moderne, si elle n’a 
pas revendiquécomme son héritage la confession de la Rochelle, cela 
Se comprend. 

En effet, elle condamne cette confession par ses doctrines, comme 
cetle confession la condamne par ses décrets. 

Elle nie le surnaturel, la confession I'affirme. 

Elle parle dédaigneusement des formules athanasiennes sur la Tri- 
nité; la confession les proclame, non-seulement au nom de l’Ecri- 
lure, Mais au nom des anciens conciles et des Péres. 

Kile fait fi du Symbole des apdtres, le qualifie de document sur- 
anné, de légende vieillie; la confession y reconnait l’expression 
exacte des doctrines scripturaires, et admet avec lui, pour les mé- 
mes raisons, le Symhole de Nicée et celui de saint Athanase. 

Le libéralisme traite de mélaphysique étrangére a la vraie reli- 
gion les doctrmes relatives 4 la divinité de Jésus-Christ, 4 sa nais- 
sance miraculeuse et 4 sa résurrection ; la confession déclare qu'il 
ne peut y avoir de salut qu’en Jésus-Christ Verbe incarné, vrai Dieu 
et vrai homme, ayant racheté le monde par son sang. 

Hl nie le péché originel, ou le définit de maniére & en défigurer 
enticrement la nature; Ja confession y croit jusqu’d lexagération, 
Jusqu’a la négalion de cette raison et de cette liberté dont le libéra- 
lisme fait l'unique crilérium de toute docirine. 

Il n’est donc pas surprenant que celui-ci repousse la confession, 
puisqu’il se met en contradiction avec elle. 

Mais il faut ajouter que si le protestantisme libéral condamnce la 
confession de foi, celle-ci le lui rend bien. 

C'est elle qui déleste hautement « ces fantastiques » qui parlent 
et agissent contre l’ordre de I’Eglise (art 25 et 26); — ces esprits 

indépendants « qui ne peuvent souffrir d’étre bridés; » — qui '.c se 
«soumettent pas 4 Vinstruction commune et au joug ’e Jésts- 


408 ’ LE SYNODE GENERAL 


Christ, » et qui, bien loin de reconnaitre au magistrat temporel l’u- 
sage du glaive pour la répression des péchés, n'accordent méme 
pas aux aulorités ecclésiastiques un droit de censure et de police. 

D’ailleurs, quand on pose en principe, comme le fait la gauche 
libérale, 1a souveraineté de la raison individuelle en matiére de reli- 
gion, on est logique, en n’admettant aucune confession de foi, ni 
celle de la Rochelle ni une autre. 

Nous n’avons donc pas lieu d’étre surpris si ce document vénéra- 
ble de l'antiquité protestante n’a trouvé nul crédit ‘au sein de la mi- 
norilé du synode. 

Mais, précisément pour les mémes raisons, nous devouns étre éton- 
nés que le parti orthodoxe et conservateur ne se soit pas résoldment 
placé sur le terrain de cette primitive confession de foi. 

On avait relevé l’antique discipline, ei: proclamant que le synode 
de 1872 était le continuateur autorisé et l’héritier légitime des an- 
clens synodes nationaux. Cet acte n’appelait-il pas nécessairement 
la restauration de l'acte dogmatique qui avail si neltement déter- 
miné les croyances des deux premiers siécles du protestantisme fran- 
cals? 

Toutefois, personne ne I’a osé faire; on n'y a méme pas pense. 

- Jen‘hésite pas 4 le dire, le silence des orthodoxes vis-a-vis de la 
confession de la Rochelle n’est pas moins significatif que les récri- 
minations passionnées des libéraux contre la vieille théologie. 

Ceux-ci Pattaquent, c’est vrai; mais les premiers l’abandonnent. 
Le résultat n’est-il pas 4 peu prés le méme? 

Ainsi, en méme temps que, au point de vue disciplinaire, l’or- 
thodoxie protestante affirmait trés-nettement son intention de se rat- 
tacher au passé, de le continuer, et de demeurer fidéle 8 la tradition 
primitive, elle n’a pas osé faire ce qui était plus essentiel. une res- 
tauration dogmatique; et, tout en jetant les hauts cris 4 la vue de 
l’anarchie croissante des doctrines, elle n’a pas fait appel au docu- 
ment le plus considérable de toute son histoire. 

N’était-ce pas 1a cependant que se trouvait le principal reméde au 
mal? 

On se plaint que I’Eglise protestante contemporaine ne sait plus ce 
qu'elle croit. La confession de la Rochelle le sait, et ledit avec une 
trés-grande précision. 

On se plaint que le naturalisme envahisse les mes; Ja confession 
de la Rochelle affirme trés-haut l’existence du surnaturel. On peut 
méme dire que, dans la question du péché originel, elle l'affirme 
avec excés, puisqu’elle ne tient plus aucun comple ni de la liberté 
ni de la raison. 


Pourquoi donc, encore une fois, n'avoir pas tout d’abord recouru 


DE L'EGLISE KEFORMEE. 109 


ace reméde, préparé pour ainsi dire par la prévoyance des grands- 
péres aux malaises intelleciuels et moraux des petits-fils? 

C’est qu’apparemment on a jugé que le reméde serait pire que 
le mal, ou bien que les médecins eux-mémes n’avaient plus foi au 
reméde. 

Le reméde eit été pire que le mal, en ce sens que si un synode 
contemporain avait de nouveau réédité, comme étant la régle de 
la foi dans l’Eglise, la confession des huguenots du seiziéme siécle, 
i eat probablement élé seul 4 souscrire cette confession, et n’edt pas 
été suivi, méme par la partie orthodoxe du protestantisme francais. 

D'ailleurs, les médecins eux-mémes n/avaient plus foi au reméde. 
Apart peut-étre de trés-rares exceptions, parmi lesquelles il faut 
compter ce vaillant Adolphe Monod, qui souffrit et lutta si courageu- 
sement pour affirmer les doctrines de la Confession de foi et pour en 
faire revivre la vigoureuse discipline, personne, parmi les pasteurs 
orlhodoxes, ne voudrait apposer sa signature au bas de ce docu- 
ment. 

Il est mort — deux fois mort — et parce que le temps l’a tué, et 
parce que ses partisans n’ont ni pu ni voulu le ressusciter. Ceux 
mémes qui tenaient le plus 3 la tradition et 4 l’archéologie en fait 
de discipline, se sont sentis épouvantés devant cet exposé trés-franc 
du pur calvinisme. L'inexorable action du temps a usé cette théolo- 
gie. On se dit calviniste aujourd’hui, par je ne sais quelle maniére 
de parler qui n’est pas exacte, puisque l'on n’ose plus professer ce 
qu'il y a eu de plus original et de plus vivant dans le systéme de 
Calvin. 

Sur ce terrain tout négatif, orthodoxes et libéraux se sont trouvés 
d'accord : ils ont tous répudié l’ceuvre de leurs péres*. Ce monument 
de granit élevé, au seiziéme siécle, par le sombre mais puissant gé- 
nie de Calvin, arrosé par le sang de nombreuses victimes, n’est plus 
qu'une ruine. A titre de souvenir archéologique, elle pourra figurer 
duns le musée de l’histoire, mais elle a cessé d’étre l’édifice qui abri- 
lait le protestantisme frangais. 

Que lui a-t-on substitué? 

C'est ici que nous allons rentrer et pénétrer dans le plus vif des 
débats du synode de 1872. 

Avant d’analyser la longue et intéressaute discussion engagée ¢ au 
sujet de la déclaration de foi présentéc par les orthodoxes, je vou- 
drais dire quel était le sens des deux déclarations ce la gauche libé- 
tale. 


‘ Voir dans le Correspondant du 25 aoit 1872 comment, dés 1859, les pasteurs 
les plus orthodoxes étaient unanimes a déclarer abrogée cette antique confession de 
foi. 


110 LE SYNODE GENERAL 


Lisons la premiére, présentée par M. Jules Gaufrés*. 

« Appelés 4 représenter au synode général un grand nombre de 
nos fréres, nous leur devons de déclarer dans cette assemblée ce 
que nous voulons et ce que nous sommes. 

« Nous appartenons a la partie libérale de |’Eglise réformée de 
France. 

a Fidéles 4 ces principes, nous usons de la liberté, commune a 
tous ses enfants, d’étre chrétiens selon nos persuasions intérieures, 
sous notre seule responsabilité. 

a La foi qui nous unit & Dieu étant le bien supréme, la régle de 
notre vie et de nos résolutions, ne dépend que de Dieu seul. Nulle 
volonté humaine, isolée ou collective, ne peut dominer nos con- 
sciences, nous dicter des devoirs ou des pensées dont nous avons 
seuls 4 répondre. 

« En nous transmettant ’héritage de cette liberlé, nos grands ré- 

formateurs nous ont enseigné 4 chercher dans les saintes Ecritures 
la pure connaissance de l’Evangile. Nulle part, en effet, Dieu ne parle 
4 l’homme un fangage plus distinct, plus majestueux et plus doux; 
nulle part nous n’apprenons a connattre des hommes de foi et de dé- 
vouement comme les prophétes d'Israél ou les apdtres de Jésus- 
Christ; nulle part n’apparait plus rayonnante |’image de cette pre- 
miére société chrétienne, dont les membres, remplis de l’esprit de 
Christ, ne formaient qu’un ceeur et qu'une dame; nulle part enfin ne 
se révéle avec un tel éc!at de saintelé ce Fils de l'Homme que la voix 
de tous ses disciples a proclamé Fils de Dieu et Sauveur des ames. 
« Assez de divisions et de schismes ont affligé I’Eiglise, qui ne de- 
vait étre qu’un seul troupeau sous un seul pasteur. Mais l'union 
protestante n’exclut pas des diversités , méme graves, entre des 
fréres ou des groupes de fréres ; et, en effet, de telles diversités exis- 
tent entre nous. Il n’est pas 4 craindre, toutefois, qu’elles compro- 
mettent l’unité d’une Eglise of le méme chemin condnit les fidéles & 
la méme vérité; ou, sous les auspices de la méme liberté, ils puisent 
tous 4 la méme source de lumiéres, la Bible; y trouvent le méme 
maitre, Jésus-Christ; le méme pére, Dieu, qui les appelie 4 une 
méme espérance, la vie éternelle, et 4 une méme vocation morale, 
l'alfranchissement du péché, la perfection de la charité et de la jus- 
tice. » ‘ 

A quoi se résume |’élément dogmatique de cette déclaration? 

Si je ne me trompe, elle proclaine d’abord l’individualisme ab- 
solu en matiére de foi. Il ne faut plus parler de symbole collectif, de 


' Bersier, J, p. 413. 


DE L’EGLISE REFORMEE. 444 


croyance de I’Eglise, de foi commune. La foi est une relation person- 
nelle de Dieu 4 l’dme et de l’dme & Dieu, relation dans laquelle per- 
sonne n'a le droit d'infervenir. 

Mais comme il y a entre les 4mes une variété infinie, il faut ad- 
metire une variété correspondante dans les idées et les croyances 
individuelles. C’est 4 chacun de voir, sous sa seule responsabilité, 
ce qu'il doit comprendre dans son acte de foi; personne n’a le droit 
de lui en demander compte. 

« Chacun pour soi, chacun chez soi. » Voila, pour rappeler un mot 
emprunté & |’histoire de la politique, la formule de ce christianisme 
irés-élastique qui admet que « l’union n’exclut pas des diversités, 
méme graves, entre les fréres ou groupes de fréres qui composent 
une méme société religieuse, » et fait passer 4 une sorte d’état ga- 
zeux, Si je puis parler ainsi, toute la partie formellement dogmati- 
gue de l’Ancien et du Nouveau Testament. 

En effet, il ne voit que « des hommes de for et de dévouement » 
dans ces prophétes d'Israél et dans ces apdtres qui ont eu pour mis- 
sion, les uns d’annoncer un Messie réparateur de I’humanité, les 
autres de précher le Christ crucifié, rachetant l"humanité par son sa- 
crifice. L’Eglise n’est plus qu'une association fraternelle, et on ne 
dit rien de la mission qui lui a été confiée, de continuer louvre du 
Verbe incarné, par un enseignement perpétuant la doctrine et par 
un ministére transmettant la grace. Enfin, !e Christ n’est qu'un maf- 
tre qui a brillé par !’éclat d’un saintetée incomparable‘; auquel on 
décerne, il est vrai, les titres de Fils de Dieu et de Sauveur des ames, 
mais eans définir clairement la portée de ces mots, que VPhistoire 
des hérésies montre avoir été pris en des sens bien divers. 

La seconde déclaration, présentée par M. Camille Rabaud, n'est 
guére plus explicite. 

« Membres de |’Eglise chrétienne réformée de France, et délégués 
au synode général, disent les auteurs de cette déclaration, nous 
éprouvons le besoin de rendre compte 4 nos coliégues et & nos core- 
ligionnaires de nos principes de foi et de liberté. 

«Noas sommes membres de cette Eglise batie sur le seul fonde- 
ment qui puisse étre posé, Jésus-Christ (I Cor., m, 11), et comme 
Simon Pierre, nous disons de coeur a Jésus : « Tues le Christ, le Fils 
du Dieu vivant. » (Matth., xv1, 16.) Nous rendons graces a Dieu de ce 
quil a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin 
que quiconque croit. en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie 
éternelle. 

‘ Cependant M. Pécaut, un des signataires de cette déclaration, a publié en 1859 


on livte intitulé le Christ et la conscience, ot est contestée la sainteté absolue de 
Notre-Seigneur. 


112 LE SYNODE GENERAL 


« Nous avons puisé cette fois direclement dans !'Evangile, et nous 
youlons, selon l’ordre du Seigneur, « sonder les Ecritures qui nous 
rendent témoignage de Lui‘. » (S. Jean, v, 39.) C’est un droit natu- 
rel et sacré; c'est la méthode que nous ont apprise nos illustres ré- 
formateurs. 

« En vertu de ce principe et de cetterégle, nos voulons, confor- 
mément au précepte de l’Apdtre, «rechercher la justice, la foi, la 
charité et la paix avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un coeur 
pur. » (Il Tim., 1, 22.) Nous désirons en particulier ne constituer 
qu’une seule société religieuse avec ceux de la Confession d’Augs- 
bourg que nos désastres ont laissés de ce cété de la frontiére. 

« Nous sommes préts 4 coopérer dans le synode a toutes les me- 
sures qui pourront étre proposées pour le véritable bien de I’Kglise ; 
mais nous répudions formellement toute pensée de schisme. Notre 
ligne de conduite sera celle que nous trace saint Paul: « Je vous 
« prie de vous conduire d’une maniére digne de votre vocation, avec 
« toute sorte de douceur et d’humilité, avec un esprit patient, vous 
« supportant les uns les autres avec charité, ayant soin de conserver 
« Punité de l’esprit par le lien de la paix. » (Eph., 1, 1-3.) 

Les discussions soulevées par le projet de confession des ortho- 
doxes nous donneront bientdt la clef des formules employées par ta 
gauche dans les deux déclarations de MM. Gaufrés et Rabaud. Sans 
cela, il serait vraiment difficile, en face du texte seul, de se rendre 
un compte exact de la pensée de leurs auteurs. 

Peut-étre la seconde déclaration, qui parait appartenir plutét au 
ceuire gauche qu’a la gauche, est-elle moins radicale que la pre- 
micre. Elle ne pose pas en principe absolu «l'union, malgré des 
diversités graves. » Elle cite sur Jésus-Christ des textes entendus gé- 
néralement dans le sens de la divinité. . 

Mais il y a un commentaire qui ne laisse pas que d’étre génant 
pour cette interprétation. Ce sont les noms des quatre membres du 


1 Je me permets de faire remarquer en passant que les protestants tirent de ce 
texte, dont ils font un trés-fréquent usage, une conclusion qui n'y est nullement 
renfermée. Discutant avec les Juifs, qui refusaient de reconnaitre en lui le Messie 
figuré et promis dans l’Ancien Testament, le Sauveur les renvoie aux prophétes, 
en leur disant : « Lisez-les, puisque vous pensez avoir en eux la vie éternelle : quia 
vos putatis in ipsis uitam habere. Mais cette parole n’a aucun rapport avec la mé- 
thode d’enseignement religieux établie par Notre-Seigneur lui-méme. Il n’a pas dit, 
en efiet, aux apdtres : « Ecrivez, et les chrétiens trouveront dans vos écrits la vie 
éternelle. » ila dit : « Allez, et enseignez les nations 4 garder tout ce que je 
« vous ai confié : Euntes docete omnes gentes; docentes eos servare omnia quecun— 
que mandavi vobis. » (Matth., xxvii, 19, 20.) Par usage erroné du texte de saint 
Jean, les protestapts veulent tout ramener a | Ecriture, contre le texte formel de 
saint Matthieu, qui fait de l’enseignement oral Ja inéthode principale pour la trans- 
mission de ja vérité chrétienne. 


DE VEGLISE REFORMEE. 445 


synode qui avaient déja souscrit la premiére déelaration, MM. Mar- 
tin-Paschoud, Athanase Coquerel fils, Viguié et Gache. 

Ces messieurs ont-ils voulu montrer, par leur exemple, que les 
confessions de foi n’ont 4 leurs yeux aucune valeur, et qu’on peut, 
sans scrupule, sigher ce quon veut, parce que, aprés tout, et en 
derniére analyse, l’acte de foi se raméne toujours 4 une relation in- 
time entre Dieu et Ame, et que.cette relation s’accommode de toutes 
les formules, en les méprisant toutes ? 

C’est le débat sur le projet orthodoxe qui éclairera de leur vé- 
rilable lumiére la pensée des membres de la gauche et du centre 
gauche, signataires de ces deux déclarations. 

Peut-étre quelques-uns des signataires de ces déclarations eussent- 
ils été plus conséquents vis-a-vis d’eux-mémes, s’ils n’eussent pas 
essayé de rédiger le programme de leurs croyances. 

C’est un d’eux, en effet, qui devait dire deux jours aprés, dans la 
seance du 15 juin, cette parole accueillie par les applaudissements 
irés-significatifs de la gauche : « Une confession de foi est un man- 
que de foi‘. » 

La formule est aussi originale que la pensée, et il sera intéressant 
de voir sur quelles raisons s’appuie cette brillante antithése. Mais, 
en attendant que nous ayons a analyser le discours de M. Clamage- 
ran, nous nous saisissons de cette parole, et elle nous apprend a 
regarder les deux déclarations de la gauche par leur cété négatif 
plutet que par leur cété positif. 

Elles voudraient dire alors, et tout particuliérement la premiére, 
que la foi étant un phénoméne purement subjectif, et tout personnel, 
cest 4 chacun de se faire son credo 4 ses risques et périls. « Chacun 
croira ce qu’il voudra » : tel est le symbole trés-court et trés-simple 
qui permettrait de grouper dans une méme association religieuse 
les interprétations les plus diverses de la pensée chrétienne. 

A cet idéal de la fraction libérale du protestantisme, nous allons 
voir ce qu’a pu opposer la fraction orthodoxe. Elle n’a pas osé re- 

prendre la Confession si nettement dogmatique de Pancienne Eclise 
calviniste de France. Il faudra examiner le document dogmatique ? a 
l'aide duquel elle espére arréter les progrés du rationalisme, d’au- 
tant plus menacant qu’il s’abrife sous des formules chrétiennes et 
s’arme contre l’orthodoxie des principes les plus fréquemment invo- 
qués depuis trois siécles par tous ceux qui se réclament du nom et 
du drapeau de la réforme. 


ApoupHe Perravn, 


Prétre de l’Oratoire. 
* M. Clamageran. (Bersier, I, p. 189.) 


La suite prochainement. 
10 Avrait 4573. 8 


f,° i 


THERMIDOR 





DEUZIEME SERIE 
MARIE-THERESE ET DAME ROSE 
QUATRIEME PARTIE 


LA GRANDE BATAILLE! | 


Il 


CE QUI SE PASSAIT AU JARDIN DBS TUILERIES ET A LA PLACE DU CARROU- 
SEL AU COMMENCEMENT DE LA SOIREE DU 9 THERMIDOR. 


Vers sept heures du soir, le jardin des Tuileries s’était rempli d’une 
grande foule. La plus violente fermentation y régnait, C’était, avec 
le jardin de la Maison-Hgalité, ci-devant Palais-Royal, le lieu le plus 
fréquenté par les muscadins, par les hommes et les femmes qui ne 
craignaient pas de protester contre |’égalité-en s’habillant avec quel- 
gue recherche. Ce soir-la, malgré la gravité des événements qui 
annoncaient une victoire définitive pour la plus grossiére des tribus 
des sans-culottes, et qui conseillaient les plus grandes précautions 
aux gens amoureux de propreté, ce soir-la, on voyait encore domi- 
. ner les chapeaux ronds sur les bonnets phrygiens. Lés cheveux noués 
avec la queue en catogan l emportaient sur les cheveux noirs et plats, 
les bottes ou les souliers 4 boucles sur les sabots et les souliers lacés 
et ferrés. On remarquait méme quelques tétes poudrées, et les sales 


Voir le Correspondant des 25 septembre, 10 et 25 octobre, 10 “et 25 novem- 
bre, 10 décembre 1872, 10 et 25 mars 1873. 





. THERNIDOR. a5 


cornettes a cocardes, qui étaient devenues la coiffure nape de 
la Parisienne, n’y étaient pas en majorité. 

On pouvait donc supposer que |a, du moins, la majorité du peu- 
ple était pour la Convention. Pourtant Victorien Desclusiers, qui, 
eseorté de quelques membres de la section Révolutionnaire ou du 
Pont-Neuf, parcourait le jardin, constatait que la foule était incer- 
taine entre l'Assemblée et la Commune, et que lopinion était 4 la 
merci d'un événement, d'un mot. Les émissaires des jacobins, 
quelques-uns des orateurs publics que la Commune avait A ses 
gages, ou qui.lrahissajeat leurs patrons du Comité de Surveillanee 
générale, faisaient rage dans les groupes. Nos anciennes connais- 
sances, Justin Pourvoyeur, - ‘Bacon et La-Tour-la-Montagne, poéte, 
bourgeois de Paris, et espion, étaient parmi les plus ardents. 

— Eh bien, tu commences a voir que tu as pris le mauvais parti! 
dit 4 Desclyusiers la. voix fatiguée d'un homme qui lui frappa rude- 
ment sur |’épaule. Kt tu te dis.que si ca ne va pas fort pour la Con- 
vention dans le. Jardin National, qui est un nid de muscadins, 
d’aristocrates et de corrompus, ca va encore moins bien dans la 
cour des Tuileries, ca va bien peu sur la place du Carrousel, et pas 
du tout sur la place de Gréve. 

Victorien se retourna. Il avait devant lui la face empourprée, les 
yeux fiévreux de Testard. Celui-ci lui fit une grimace, en ajoutant 
avec un rire qui avait quelque cose d’un fou furieux : 

— Tu as joué ta téte contre la mienne, j'ai gagné. Je la prendrai, 
et je donnerai dame Rose, qui (’a poussé contre la Révolution, 4 
Pourvoyeur, qui la mane aux bons principes. 

— Es-tu tombé si bas.. 

~~ Je ne suis pas tombé, jai glissé sur la pente, jusqu’a I'Ega- 
ltée. Et c'est toi qui.as le tort de te retenir au milieu de la planche. 
Planche aux assignats, planche 4 ja guillotine. 

-Ki il se faufila au milieu de la foule en hurlant. 

— Ji n’a pas tort, citoyen, foi de Sempronius Boudin, dit un per- 
sonnage qui se.promenait de groupe en groupe, les mains dans les 
peches de la -carmagnole, écoutant curieusement et froidement, 
comme un philosaphe que nul de ces événements sublunaires ne sau- 
rait émouvoir. Mes amis, les illustres citoyens Peys et Roupillon (de 
Saict-Calais) en jureraieat. Je viens de visiter les endrorts en ques- 
lion, et 4 mesure qu'on s éloigne de ce champétre asile ot nous 
sommes, la Convention perd en raison des distances. Ainsi juge. Je 
ne parierais pas un moneron contre un assignat de mille livres en 
faveur de ce haliment-ci, conclut-il en montrant le pavillon de l'Hor- 
loge, ou: siégeait l’Assemblée. D'ailleurs, reprit-il 4 mi-voix, ce qu’on 
pouvait prévoir arrive. Billaud et ses amis agissent moliement. En 


436 THERMIDOR. 


core 4 ’heure qu'il est, ils sont occupés, sais-tu & quoi? 4 empé- 
cher la Convention de montrer plus d’énergie. Ils essayent de gagner 
la bataille tout seuls, afin de triompher en méme temps de la Com- 
mune el de la Convention, et de remplir toute la place que Robes- 
pierre aura laissée vide. Puis, puis, continua-t-il plus bas encore, 
il va se passer de tristes choses & La Force. 

— Quoi donc, pour Dieu! 

— On va septembriser. 

Il se perdit 4 son tour dans la foule, et quand Victorien le chercha 
des yeux pour l’interroger plus amplement, 11 se sentit saisir vio- 
lemment le bras. Il se retourna. Heurtevent, la figure aussi défaite, 
le regard aussi exalté que Testard, le tirait jusque sous un arbre 
assez solitaire. 

— Que me voulez-vous donc, Heurtevent? demanda Victorien ; 
vous me regardez d'un air épouvanté. Est-ce que Rose... ? 

— Rose! Rose! tu veux dire Isabelle! Vois-tu, je n’ai confiance 
qu’en toi. Tous ces aristocrates sont des laches! Isabelle, dis-tu ! 
Eh bien, tu sais, Pautre nous avait donné un laisser-passer qui 
devait tout ouvrir. 

— Eh bien? 

— Eh bien, ga ne vaut encore rien. Et pourtant je suis Pami du 
concierge de LaForce. Rien n’y fait. J’y ai été, fen viens, avec cet 
aristocrate Aristobule ou Lozembrune, qu’importe! Ah! nous étions 
bien heureux. Nous présentons notre papier. On nous demande si 
nous sommes Raffin, chirurgien en chef des officiers de santé, ou 
hien Soupé, Markowski, Legras, officiers de santé. Il y a, depuis une 
heure, un ordre des administrateurs de police, qui interdit )’entrée 
dans les prisons 4 tout autre qu’a eux. Alors noos demandons que 
si nous ne pouvons pas entrer, du moins on laisse sortir nos épou- 
ses. Eh bien, mille tannerres! non, non, non. Il y a encore un ordre 
qui vient d’arriver, un ordre de la Commune, qui défend de laisser 
sortir qui que ce soit, sans l’ordre de cette Commune. Et mon ami 
Je concierge nous a dit, en nous fermant la porte, qu’il devait d’au- 
tant plus obéir qu'il se savait suspect a Robespierre et 4 ses amis. 
C’est la-dessus que Je te dis que ces aristocrates sont des laches, 
car j'ai proposé a Aristobule de nous engager dans la Commune, puis- 
que la Commune était maitresse et pouvait délivrer... 

— I] n’a pas voulu? 

— Il n’a pas voulu, en disant que ce serait trahir. Alors je lui 
ai proposé d’aller chercher tous nos amis, et de venir faire le siégede | 
La Force. Il a hésité, et puis il n’a pas encore voulu, en disant que | 
ce serait inutile et trop compromettant, et que c’était dans la vic- 
toire qu’était le vrai salut. 





THERNIDOR.. 417 


— I} a cent fois raison, Heurtevent ; il a parlé comme un sage et 
comme un brave, car sois sir qu'il aime sa future autant que tu 
aimes ta femme. Et puis qu’as-tu va encore & La Force, ou auprés 
de la prison ? 

— Qu’est-ce que j’aurais vu! répliqua Heurtevent avec colére. Et 
moi qui venais 4 toi pour te demander conseil ! Qu’est-ce que j’aurais 
vu! J’ai vu le frére de dame Rose, qui garde la grande porte de la 
prison, comme une sentinelle; a cété de lui, un enfant de douze 
ans, qui est pale comme un mort, et qui garde aussi la porte; et 
puis un autre, un fou, quichante avec une’ guitare, et quia promis, 
s'il y avait quelque chose de nouveau, de venir nous averltir, moi et 
surtout Aristobule, en chantant une chanson sur le salpétre. 

Victorien laissa échapper un soupir de soulagement. Il n’y avait 
done pas encore autour de la prison un seul des préparatifs bien 
connus qui indiquaient l'approche des massacreurs ! 

— Hé! demanda Heurtevent d'un air sombre, c'est tout ce que 
tu me dis? 

— Je te dis, répondit Victorien avec autorité, de redevenir un 
homme, de te préparer au combat, et je te jure que cest en triom- 
phant des conspirateurs de la Gommune que tu peux seulement sau- 
ver ta femme. 

— Soit, soit; dit Heurtevent avec abattement. Mais, comme tu 
dis, je n'ai plus de bon sens. Conduis-moi, et quand tu me diras : 
Frappe, je te réponds qu'il en restera sur le carreau. 

— Viens donc, viens, sur la place du Carrousel, rejoindre nos 
amis. 

Ils se dirigérent vers les abords du palais, aux approches duquel 
la foule était plus dense et plus animée que partout ailleurs. 

— Citoyens, dit un petit vieillard, qui les combla de révérences 
au moment oi ils fendaient le groupe pour rejoindre le passage, au 
milieu du pavillon de I’'Horloge, est-ce vrai ce-ce qu’on-on dit que 
Ro-ro-ro-bespierre et les autres dé-pu-pu-pu-u-tés sont-ont par-artis 
et en pri-pri-i-son. 

— Oui, vieillard, Saint-Just est envoyé aux Ecossais, Robespierre 
jeune 4 Lazare, et Robespierre ainé au Luxembourg. 

— Ils viennent de partir 4 l'instant, continua un voisin bien 
informé. 

— Gra-and-and merci, ci-ci-citoyen. Fais place & un pau-pau- 
ue vieillard. La paix, la tran-an-an-quillité et la concorde dans les 

a-a-a-a... 

— Tiens, Fidéle Bailli! s’écriérent deux hommes en se retournant. 
Viens avec nous : Nicolas et Chatelet; tu nous reconnais bien? Viens, 
hous arriverons encore rue de Tournon, au Luxembourg, avant les 


148 THERMIDOR. 


_voitures, qui vont lentement, comme si-elles avaient envie qu’on les 
enléve.. 

—— Dans les fa- e-amilles, ci-c+toyens, ‘dit le vieilard en_ s’éloi- 
gnant, aprés avoir fait une révérence au fou musicien, qui glissait 
dans la foule comme une anguille, et qui, chaque fois qu'on le 
bousculait, se retournait et disait d’un ton lugubre :: 

— N'oubliez pas, citoyens, que la premiére décade de thermidor 
an Il est dédiée au malheur. 

Ii arriva au centre d’un groupe nombreux, se hissa sur une ’ calsse, 
ef cria de toutes'ses forces : 

—— Y a-t-il ici le citoyen Aristobule des Piques ? Pai des choses 
lui dire de la part de I’Enfant. Il aimerait mieux mourir que de ne 
pas les apprendre. 

— Aristobule, Aristobule des Piques, criérent vingt voix. Tln’y a 
pas d’Aristobule. = as 

Et avant que Victorien pdt arriver prés de lui, le fou disparut 
dans la direction du Carrousel, ot Descluziers et Heurfevent se ha- 
térent @’arriver. : 

lls y eurent bientét rejoint Batz. Hi leur fit un signe de téte qui 
n'indiquait pas grand espoir. ‘Ils s’élbignérent de lui pour ne pas 
trop atlirer l’attention, et se mirent vainement : la recherche du 
fou musicien. 

Iis avaient bien compris la signification du signe que leur avait 
fait le chef des aristocrates. En effet, Batz et les quelques cochers, 
serruriers, armuriers et imprimeurs, qui formaient sa petite troupe 
de gentilshommes et de grands seigneurs, — car c’élait dans ces 
quatre . professions. surtout que les -aristocrates $'étaient réfugiés 
pendant la Terreur; -— Batz, disons-nous, n’avait pas tardé @ se 
sentir comme noyé au milieu de la place du Carrousel. Si dans-le 
Jardin National l’on discutait vivement le pour et le contre, si sur 
la place de Gréve l’on ne parlait qu’en faveur de la Commune, sur 
la place du Carrousel on se taisait; on atlendait avec curiosité et 
inquiétude, mais avec la conviction évidente du triomphe de la ' 
Commune, ét avec une non moins évidente hostilité contre la Con- 
vention. 

Tout se résumait en une solace. qui élait, 4 cette heure, le mot de 
la badauderie parisienne. C’était le citoyen La-Tour-la-Montagne qui 
l'avait dite, cette phrase, et elle s’était trouvée immédiatement sar 
toules les lévres bourgeoises : « Je crois que la Convention veut 
nous tromper. » De la section des Arcis & celle des Tuileries, c était: 
donc 1a je mot de opinion, comme de la section Mont-Marat a celles 
de Montreuil et de l' Indivisibilité, c’est-a-dire depuis la Maison-Com- 
mune jusqu'a la barriére du Tréne-Renversé, l’opinion se résumait 


THERMIDOR, 149 


dans cette autre formule, qui était, non plus bourgeoise, mais ou- 
vriére : « Je crois que la Commune va nous sauver. » 

Cétait surtout au fond de la place du Carrousel, le long des an- 
ciennes rues Saint-Nicaise, des Orties et de Chartres, et & droite, 
sur le chemin menant aux Jacobins par les rues du Carrousel et 
Saint-Louis, que la Commune était en faveur. Batz remarqua qu en 
avancant vers fa cour des Tuileries, les eaux populaires prenaient 
des teintes moins rouges. , 

Dans cette cour, la foule était aussi grande. Mais on y remarquait 
quelques muscadins ventant du Jardin, un assez grand nombre 
d’employés des bureaux et conimissions de la Convention, et enfin 
une grande quantité de sectionnaires a‘ demi ou complétement 
armés, nofamment beaucoup de gardes nationaux de la section des 
Tuileries, qui étaient venus individuellement et assez (rmidement, 
mais avec ‘une arriére-pensée prudemment favorable 4 la Con- 
vention. ' 

Le chef de bataillon Lefévre, de la section Bonne-Nouvelle, qui 
commande cent hommes de garde au Palais, a rangé sa petite troupe 
autour du pavillon de l’Horloge, ot, nous le répétons, est le siége 
de la Convention, et braqué ses deux canons dans la direction de la 
place du Carrousel. Il a laissé la garde des deux autres pavillons (oc- 
cupés par les deux Comités de gouvernement) aux gendarmes des 
fribunaux, et notamment 4 quelques hommes de la 29° division, qui 
ne paraissent pas fort solides. 

Lefévre se proméne soucieusement de long en large. ll serre 1a 
main a un collégue qui sort du Comité de Salut public. Batz recon- 
nait le nouveau venu. C’est Juliot, commandant en chef de la section 
de la Fontaine-de-Grenelle, et ami de l’abbé de Dampierre, homme 
brave, mais clairvoyant et prudent. 

— Bonjour, citdyen Boulanger, dit Juliot gravement, a quelles 
nouvelles? 

— C’est & vous que j’en demande, commandant, répondit Batz; 
nous ne sommes que des soldats, nous, et nous n’ avons pas les Se- 
crets de I’Olympe. 

Juliot lé tira 4 quartier et, comme répondant 4 ses pensées, il dit 
a mi-voix : 

— Sans doute, les gens du Comité, les Billaud, les Collot, les 
Cambon, les Carnot, les Lindet, sont des gens de tact, et bien ca- 
pables de lutter de mesures révolutionnaires avec ces vils coquins 
et ces dnes bavards de Ia Commune. Mais ils tiennent 4 leur ty- 
rannie avec une fureur inexprimable. Je crois parfois que Billaud 
aime mieux étre vaincu et tué que de ne plus régner en maitre sur 
la Convention. C'est toute la question actuellement, car cette prédc- 


120 THERMIDOR, 


cupation paralyse tout; ils ne prennent que des demi-mesures, et 
lassent les meilleurs amis de |’ Assemblée. 
. — Il faudra bien qu’ils se décident, et alors... 

— Alors nous, nous aiderons,.et nous pourrons espérer que le 
ciel nous aidera. Adieu, au revoir! 4 bientét, j'espére. Je vais tacher 
d’enlever ma section et de I’amener ici. Mais malheur aux lyrans 
des Comités, s’ils ne s’unissent de ceeur 4 la ponNennon et surtout 
‘malheur a nous! 

— Hum! dit Batz, en rejoignant le cocher-chanoine, les plus - 
énergiques amis de la Convention ne sont guére consolants. Voyons 
ce qu’en dit le commandant Lefévre. 

Celui-ci était un vieux soldat grognon, brusque, et que son 
franc parler mettait sans cesse 4 deux doigts de la guillotine. 

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous conte? dit-il avec un 
regard farouche. Je me ferai tuer, j’en tuerai bien deux ou trois. 
Qu’est-ce que vous voulez de plus? Vous voulez savoir si mes hom- 
mes tiendront? Ce sont de braves gens, et pas trop capons pour de 
la milice. Mais ol avez-vous vu, depuis la Révolution, une troupe de 
gardes nationaux qui tient contre une autre troupe de gardes natio- 
naux qui!’ altaque? Vous étes encore bon 1a, vous! Dites, )’avez-vous 
vu? Alors qu’est-ce que vous demandez? Il parait que c'est contraire 
aux principes et a la fraternité. Déslors, 4 moins d’étre une béte, 
on voit l’affaire : si nous attaquons les premiers, nous serons vain- 
queurs; si on nous altaque, Nous serons vaincus. Voila fout. C’est 
clair ceci, que le diable m’emporte! 

H s’éloigna en grommelant et en aiguisant la pointe de son sabre 

sur la terre. 

— Ma foi! mes amis, dit Batz, avec un tranquille sourire, a cing 
ou six de ses compagnons qui se tenaient 4 V’écart, je crois qu il 
nous reste une seule chose 4 faire en ce moment. 

— Et quoi donc? demanda le brigadier général de Dion, l’ou- 
wrier serrurier que nous avons présenté précédemment au lecteur. 

fl venait de quitter pour un instant les tribunes de la Convention, 
ou on gardait sa place, en alfendant la réouverture de la séance, in- 
terrompue a cing heures pour recommencer a huit heures. 

— C’est de demander Yabsolution 4 notre aumdnier-cocher, car 
il parait que nous ayons encore 4 tuer deux ou trois démocrates, el 
puis c’est tout. 

— C’est peu, dit le jeune ouvrier imprimeur qui accompagnait 
M. de Dion, et était le chevalier de Sabrevois. — Et celui-la, ous 
l'avons aussi présenté au lecteur, 4 l’auberge du Garde-Frangaise. 

-— N’oubliez pas, citoyens, c’est une voix lugubre dans le voisi- 
mage, que la premiére décade de thermidor est vouée au malheur. 


THERMIDOR. (24 


Citoyens, continua la voix, connaissez-vous Aristobule des Piques? 
jesuis envoyé auprés de lui par Enfant. 

Batz courut a lui, et lui dit & mi-voix : 

— Tu le trouveras 4 la place de Gréve, a gauche de la grande 
porte. Tu lui diras que tout va assez mal ici, mais iu ‘il tienne bon, 
etsoit solide au poste. 

Dominique de Merville traversait la cour, se rendant en courant 
du pavillon du Sud au pavillon.du Nord, c’est-a-dire du Comité de 
Salut public au Comité de Sireté générale. Ii s'approcha de Batz : 

— Voila, dit-il, les derniers arrétés des comités réunis. Je vous 
les aural tous. Ayez soin qu'il y ait toujours quelqu'un ici, qui vous 
les fasse parvenir ou vous serez. 

— Et ce malheureux Anglais que l’on vous a envoyé? 

— Hest retenu prisonnier, et je ne puis rien pour lui. Eh bien, 
qa’y a-t-1l dans le bas, au bout de la place du Carrousel ? la foule se 
précipite. Allez-y, vous; moi, je vais au Comité et je reviens. 

Nos amis coururent. C’était un proclamateur de la Commune, qui 
venait publier les arrétés de la Commune. On avait choisi notre 
ancienne connaissance, le chanteur Brochet, 4 cause de sa voix for- 
midable. 

— Vertuchou, citoyen cocher, dit Batz, voila la-bas un gaillard 
qui vaut son pesant d’or en temps d’émeute; avec une voix comme 
celle-la, je me chargerais de faire faire & la démocratie toutes les 
sottises et méme toutes les belles choses du monde. . 

— Je crgis, Boulanger, répondit le chanoine-cocher, que nous 
avons 1a sous la main, dans la personne de ce jeune imprimeur — et 
i montrait le chevalier de Sabrevois — un timbre de voix qui pour- 
rait lutter non-seulement avec le ton de ce gaillard la-bas, mais avec 
un bourdon de ci-devant cathédrale. 

— Vraiment, dil vivement Batz, nous allons voir. 

Brochet continuait ses annonces dans le voisinage de la rue 
Saint-Nicaise. 

— Voila le moment, dit Batz, lisez un des arrétés du Comité, 
jeune imprimeur. 

Et le chevalier, d’une voix puissante qui domina bientot le bruit, 
annonga, en suivant exactement la formule imprimée : 


REPUBLIQUE FRANGAISE, UNE ET LNDIVISIBLE, 
ACTIVITE, PURETE, SURVEILLANCE. 
Comité de salut public, ce nonidi thermidor an IT. 


«Les Comités de Salut public et de Sdreté générale réunis, 
arrétent : 


122 THERMIDOR. 


« Les citoyens Chapelle et Fournereau, membres de la commis- 
sion populaire, lesquels allaient au faubourg Antoine, pour soulever 
le peuple, en disant que ‘la République’ est perdue, puisque la 
Convention arréte trois membres du Comité de salut public, seront 
arrélés.. » ee ce | 

Cette voix formidable:et vet atte de vigueur‘saisirent niamiaita: 
nément la foule, qui fit quelque silence. Maisy 2 l’autre/bout de ta 
place, Brochet reprit d'une voix qui avait quelque oo i ae : 


Comnriuene de Paris, le 9 thermidor de Pan u dle la République. fran- 
caise, une et indivisible. 


« La Commune révolutionnaire du 9 thermidor, ‘destinge’ par le 
_ peuple et pour le peuple 4 sauver la patrie et la Convention nalio- 
nale, altaquées par d’indignes conspirateurs, 

« Aridte que les nommés Collot-d’Herbois, Amar, Léonard Boisr- 
don, Dubarran, Fréron, Tallien, Panis, Carnot, Dubois-Crancé, Va- 
dier, Javogue, Fouché, Granet, Moyse Bayle, seront arrélés, pour 
délivrer la Convention de Poppression ov ils la tiennent. 

« Le conseil déclare qu’il donnera une couronne civique aux 
généreux citoyens qui arréleront ces ennemis du peuple. 

« Déclare que les mémes hommes qui ont renversé le tyran et la 
faction Brissot, anéantiront tous les scélérats désignés, qui ont osé 
plus que Louis XVI lui-méme, puisqu’ils ont mis en état, d'arresta- 
tion les meilleurs citoyens. » 


— Ah! ah! ‘cria Ja foule. La Commune est plus forte. Le Comité 
arréte Fournereau ; 1a Commune arréte Collot, Amar, Vadier, et tous 
les autres. Vive la Commune! 

— C'est vrai, murmura Batz, le peuple a raison, la Commune est 
plus vigoureuse. 

Il tomba en réflexions, tout en regagnant, suivi des siens, la cour 
des Tuileries. 

— Ah! dit-il bientét en relevant le front, voila les députés qui 
arrivent en masse pour la séance du soir, ‘allez et tenez-nous au 
courant de ce qui se passera a la séance. 

M. de Rion s‘inclina et disparut dans les groupes de députés qui 
arrivaient, en effet. Il était huit heures du soir. 

— Eh bien, chevalier, reprit Batz & mi-voix, vous avez une voix 
d’une rare puissance. Si Ja Convention veut étre ferme, je ne dés- 
espére pas que vous ne remportiez la victoire, 4 vous seul, sur la 
Commune. C’est une idée qui me vient en Vesprit. Mais éloignez- 
vous, je vous prie, dit-il vivement. ) 


THERMADOR. 7 133 


Nl s’avanga vers un personnage qui traversait fa cour presqu'en 
courant. Il lui frappa sur l’'épaule. 

— Citoyen Dulac, dit-il & cet ex-gentilhomme (que nous avons 
montré au coin de la rue Notre-Dame-des-Champs, agent important 
du Comité de Salut Public), je crains qu’on ne veuille recommencer ' 
les massacres de Septembre. Cela m ‘inquitte, car j ’al des amis 4 La ° 
Force, qui est mal gardéc. 

— Au-diable! Qu’y faire! fa gendartherie est ‘fout entiére livrée 
a0x passions politiques et ellene vaut pas mieux que les assassins. 
Je n’ai sous fa main que les ‘bandes de Héron: Ah! ce serait un 
moyen de Jes empécher de tourner 4 la Commune. 

li s’éloigna précipitamment, médiocrement retenu par Batz, qui 
fil un mouvement de surprise. ' 
—Patrie! patrie! patrie! criait un individu dans son voisinage. 

— Salut! salut! salut! répondit-il & tout hasard. 

— Petit-Val ! dit l'individu en approchant. 

— Parle. Pourquoi pas Aristobule? 

— Parti 4 La Force, ott se passent des horreurs. 

Batz fronca le sourcil. 

— Que veut Petit- Val? 

— I] m’envoie vous avertir qu'une troupe part de la rue de la Ver- 
rerie pour venir délivrer-Hanriot, lequel,:- comme vous le savez, a 
éé arrété et enfermé 14, dans le. pavillon occupé par le Comité de 
Sireté générale. ; 

— C’est~bon. Dites 4 Petit-Val que c’est bon. 

Il s'avanca vivement vers Lefévre, et il lui dit & voix basse : 

— On m‘apprend que des troupes quittent la place de Gréve, par 
larue de la Verrerie, pour venir délivrer Hanriot. Si vous mettiez 
votre tactique en pratique, et si nous allions les attaquer en chemin? 
Ce serait un fameux.coup. 

— Qui! & nous deux si vous voulez, je venx bien ; vous m’avez 
lair d'un bon drille. Mais avec ca, continua-t-il en montrant de la 
pointe de l’épée les sectionnaires, fort occupés 4 étancher la sueur: 
qui leur coulait du front! D’ailleurs, qu’ils délivrent Hanriot. fl est 
ivre comme une soupe. Il ne pourra que leur nuire. Toutefois, si 
les scélérats veulent passer le seuil du pavillon de l’Horloge, ce ne 
sera sans passer sur le corps de Lefévre. Restez la, nous en démoli- 
rons quelques-uns. 

Le vieux soldat, chagrin comme tous ceux de ses pareils qui 
eurent jamais 4 commander une milice bourgeoise, fut interrompu 
par une clameur immense bientét suivie d'un silence émouvant. La 
foule s’ouvrit, comme un rideau, et laissa voir un spectacle qui ne 
manquait pas de mouvement et d’entrain. | 


124 THERMIDOR. 


Trois cents hommes, armés de fusils et de piques, moitié gardes 
nationaux en tricorne, avec leurs buffleteries croisées qui dansaient 
sur leurs longs habits, moitié sans-culottes en bonnet rouge ou en 
chapeau 4 larges bords comme les forts de la halle, en carmagnoles 
ou en manches de chemises, accouraient au grand trot, escortés 
d’une quarantaine de gendarmes 4 cheval et suivis de douze piéces de 
canon, trainées 4 dos d’hommes. 

Toutes les figures étaient violentes, énergiques, exaltées. C était 
la créme de l’armée de la Commune. En téte couraient, le sabre en 
main, Coffinhal, vice-président du tribunal révolutionnaire ; Lumiére, 
juré au méme tribunal, membre du conseil général de la Commune, 
et une certaine quantité des amis plus particuliers d’Hanriot, les- 
quels nommés et acclamés par la foule, agitaient leurs armes avec 
des hourrahs frénétiques : — Bravo! Damour, le brave officier de 
paix de la section des Arcis! Hola! hé! vive Félix, le meilleur char- 
ron de la section des Sans-Culottes! Ah! ah! le voila enfin! Vive 
Pourvoyeur | Mange-les, brave limier, hurlait la foule. 

Mais celui-ci, débraillé, presque nu, hideux, les yeux rouges 
comme s'ils distillaient du sang, s'avancait sombre, muet, le pistolet 
d'une main, le sabre de l'autre. 

La troupe passa comme un tourbillon et se dirigea vers le Comilé 
de Surveillance générale. Les canonniers, qui étaient en grande 
partie de la section de Mucius Scevola, s’arrétérent au milieu de la 
place, sur l’ordre de Cosne Pionnier, adjudant instructeur de I'ar- 
tillerie parisienne. Les caissons furent ouverts, les grils 4 rougir les 
boulets mis en place, les lances allumées. Une moilié des piéces, sous 
les ordres de Monvoisin, capilaine, et de Cahier, lieutenant de la 
compagnie des Scevola, fut tournée contre le Comité de Sureté 
générale, l'autre moilié, sous Jes ordres de Brizard, adjudant, fut 
dirigée contre Je pavillon occupé par la Convention. 

Le peuple s’écarta avec un mélange de curiosité et de frayeur, 
mais en criant désespérément : « Vive la Commune! » qui représen- 
tait en ce moment la force et le succés. 

La masse des miliciens de garde s’éparpilla. Lefévre les foudroya 
du regard. | 

— Qu’est-ce que je disais! murmura-t-il. 

Une certaine quantité des plus vaillants vinreul se ranger autour 
de lui. 

— Mes amis, dit Balzen souriant a sa petite troupe, je crois que 
ce que nous avons de inieux a faire, c'est de rester avec ces braves 
gens. 

La scéne n’était pas sans grandeur. La foule s’était Lue, comme si 
elle evil cru que la bataille engagée entre la France ct les jacobins 


THERMIDOR. 125 


se décidait en ce moment. Les sectionnaires communaux entouraient 
le Comité, les canonniers attendaient des ordres. Il était évident que 
la petite troupe campée fiérement en avant du pavillon de l'Horloge 
irritait les nerfs de ces canonniers, et Cosne Pionnier, homme hardi 
et irritable, s’agitait avec fureur. Le chanoine-cocher se détacha 
silencieusement du groupe et, rasant les murailles, se dirigea vers 
les batteries d’artillerie. 

Un homme sortit du Pavillon du Comité de Salut public. Il regarda 
la scéne et s’avanga sans trop de hate vers Batz. C’était d’Antrai- 
gues. Il se pencha 4 l’oreille du baron: 

— Je commence a croire, dit-il, que vous pouvez tre vainqueurs. 

— Sarpedienne, dit celui-ci, vous choisissez bien votre moment 
pour railler. 

— Je ne raille pas. Je conviens que‘vous pouvez subir une canon- 
nade, mais tous les boulets ne touchent pas. Je veux dire que l’en- 
vahissement du Comité a vaincu toutes les arriére-pensées de Bil- 
laud et de ses complices. Ils ne voient plus de, salut que dans la 
Convention. 

En ce moment, M. de Dion bondissait hors du Pavillon de l'Hor- 
loge. 

= Citoyens, cria-t-il, je viens d'assister 4 un grand spectacle. 
Collot-d’Herbois, président, vient d’entrer dans la salle des séances, 
suivi de tous les membres des Comités. Il avait l’air ému. Il s’est 
couvert en signe de détresse, et rien gue ce mouvement a déja fait 
tressaillir l’Assemblée et les tribunes d’une émotion extréme. Puis 
ila prononcé d'une voix lugubre, au milieu d’un silence de mort, 
ces paroles que tout le monde a entendues en frémissant : « Citoyens, 
voici l’instant de mourir 4 notre poste. Des hommes armés ont 
investi le Comité de Suireté générale et s’en sont emparés. Jurons 
de mourir sur nos chaises curules. » 

— Et qu’a fait cette assemblée d’ hommes de loi qui a été si lAche 
depuis quelque temps? demanda une voix que Batz crut reconnattre 
pour celle de Descluziers. 

— Ellea crié, toute d’une voix, reprit M. de Dion: « Nous jurons 
de mourir sans lacheté. » Et tous les spectateurs électrisés se sont 
écriés : « Allons au-devant des scélérats! » 

En effet, une grande masse bruyante se répandit en un clin d'ceil 
autour du pavillon de ’Horloge. Pendant ce temps, Hanriot, délivré, 
arrivait escorté de ses aides de camp, 4 cheval comme lui, entouré 
par Coffinhal, Lumiére, Pourvoyeur. Il était suivi par une partic de 
la {troupe communale. L’autre s'avancait vers Ja place en criant: 

«Ne tirez pas! » On venait d’apprendre, en effet, que Cosne, de plus 
en plus furieux, avait fait charger un canon 4 mitraille et allait en- 


126 THERMIDOR. 


voyer la charge sur le groupe obstiné. Le chanoine-cocher s’était 
précipité sur le canon, et en avait bouché la lumiére avec la main 
jusqu’a ce qu'un artilleur, Levasseur fils, lui eut passé un mouchoir 
mouillé. 

_ Hanriot avait été accueilli avec des huées. Mais'l’ivresse ne lui 
avait fait rien perdre de sa faconde, et ilse mit A faire une procla- 
mation emphatique dans laquelle il annongait qu’il avait été calom- 
nié, et qu'il venail de se blanchir au Comité. Alors, par un de ces 
brusques revirements dont l’imbécillité des foules nous a donné tant 
d’exemples, l’on se mit a plaindre, 4 bénir le brave Hanriot, et 4 
honnir ses ennemis. 

Pendant ce temps, Coffinhal le tirait & soi et lui montrait- le lieu 
des séances de l’Assemblée en lui disant : 

— Marche donc, imbécile, la victoire est 4 nous. Entourons au 
moins ces laches députés, nous les tiendrons 1a tremblants sous 
notre main. 

— Non, je te dis, cest contraire au plan arrété, tu sais bien. Il 
faut se réunir ici & la pointe du jour, a la téte du peuple. C’est ce 
_ quia été décidé. Si nous faisons autrement, ils seront jaloux de 

nous ]a-bas, 4 la Commune; ils nous accuseront de viser a la dicta- 
ture populaire, et jamais Robespierre ne nous le pardonnera. 

— Ivrogne maudit, nous nous passerons de leur lfaveur. 

Pourvoyeur, l’ceil enflammé de férocité, montrait aussi de la pointe 
. du sabre la Convention, et tirait Hanriot pour l’y mener, en faisant 

entendre des sons rauques et épouvantables : il n’avait pas encore 
retrouvé sa voix. 
'  — Toi, maudit fou, si tu me tourmentes, cria Hanriot, je te fais 
larder par mes canonniers. 

Coffinhal se répandil en malédictions et en blasphémes, tandis que 
Pourvoyeur rugissait en montrant toujours de la pointe du sabre le 
pavillon de |’Horloge. Hanriot avait repris son discours, tendant 4 
prouver que tous les patriotes devaient se réunir sur la place de la 
Maison Commune. 

En ce moment, Dominique de Merville s’écria : 

— N’écoutez pas Hanriot, il n’a pas le commandement. 

Batz et ses amis appuyérent, mais la masse était évidemment pour . 
le commandant, qui parlait si bien et avec tant de bonhomie. 

Un homme jeune, a la face énergique et ealme, pavers vive- 
ment: 

— Je suis Féraud, des Hautes-Pyrénées, cria-t-il. 

— Mort, mort au conventionnel! hurlérent quelques soldats. 

_ — Citoyens, reprit alors Féraud avec autorité, je vous annonce que 
Hanriot vient d'élre mis hors la loi. 


THERMIDOR. 127 


Ces terribles mots éclatérent comme un coup de foudre. Hanriot 
bondit comme s'il était frappé, et tout brusquement il s’enfuit, suivi 
de toute la troupe. -Pourvoyeur seul demeura un instant et regarda 
autour de soi. Il découvrit Batz et poussa un rugissement de béte 
fanve. Il s’élanca vers lui, et déja son sabre touchait la poitrine du 
royaliste surpris, lorsque le chevalier s'écria de sa voix retentis- 
sante : 

— Le prends-tu donc pour ton fils ! 

Pourvoyeur recula en oscillant comme un homme ivre, puis il se 
sauva, rejoignant ses compagnons. Hanriot s’était retourné et s’était 
mis 4 crier : 

— Aux armes! aux armes! réunion a la Commune. Tous les patrio- 
tes place de Gréve, sous peine d’étre traités comme ennemis du 

uple! 
les soldats répétérent avec lui, dans un concert formidable : 

— Aux armes! aux armes! & la Commune! 

_Et par un miracle révolutionnaire qui n’a pas encore été expli- 
qué, la foule se précipita vers la Gréve, 4 la suite de cet homme 
qu'elle venait de voir fuir épouvanté par la mise hors la loi. 

Bientét la place fut presque déserte. Une grande partie de la 
troupe méme de Lefévre avait suivi le mouvement. 

Mais un spectacle nouveau attirait l’attention. La section armée 
de la Fontaine-de-Grenelle entrait parla gauche, sous la conduite 
de Juliot, tandis que le hataillon de la rue Meslay entrait par la 
droite, sous le commandement de Lecointre. Un petit homme mar- 
chait d’un pas délibéré & c6té de celui-ci. Mais comme s'il n’edt eu 
dautre mission que d’amener du secours & la-Convention, il s’éloi- 
gna d’un pas rapide quand il eut vu la troupe installée prés du palais. 

— Tiens, c'est Piqueprune! dit Heurtevent. 

— Et moi, dit d’Antraigues, je jurerais que cette ombre qui court 
la-bas, dans ‘le crépuscule, c’est celle de notre Anglais, qu’on aura 
sans doute délivré en méme temps que Hanriot. 

— Vive la Convention! mes amis, dit Féraud aux sectionnaires 
gui arrivaient. Maintenant Ja liberté est sauvée. 

— Pour trois heures, dit ironiquement le diplomate. La mer com- 
munale recule un instant pour mieux précipiter ses. flots irrésisti- 
bles. 

— Oui, dit Batz, la position est toujours mauvaise. Mais la Con- 
vention vient d’échapper 4 une mort certaine, et trois heures, c est 
beaucoup... Ciloyen législateur, je vous demande en grace de nous 
avoir le plus tét possible chacun des arrélés que la Convention va 
prendre. Citoyen serrurier, vous les remettrez au citoyen coc!.cr, 


128 ' THERMIDOR. 


qui se chargera de les envoyer place de Grave, ov nous allons. nans 
‘rendre. ‘Veuillez ‘me suivre, chevalier, conclut-il & mi-voix...J’ ima- 
' gine que' c'est vous qui'allez sauver la Convention. . i a be 
‘ wv : ; ; ; ct 


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Dy : eM ry eae | 


Gat es FOE poder oe 

IV 
Cap eee ett PA LA GREED 
erytpe gs 6 OD ete . . a 
: # la fin du dix-huitiéme sidcle, la place de Gréve ne commencait 
qu’a’ la hauteur de l’arcade Saint-Jean, et elle ne mesurait guére 
‘que trois cents pas ‘de long sur cent quatre-vingts, dans Ja-plus 
evande largeur. La Maison Commune — ou Hotel de Ville - oceu- 
“pait's peu 'prés les deux tiers de la partie orientale decatte place, et 
“avait’a sa droite le Saint-Esprit, batiment composé de. quatre corps 
usyant pignon sur re, et caché depuis 1790 par un long hangar ser- 
‘tyamt dé caserne’ de cavalerie & I’état-major de la garde nationale. A 
i'caiche, cette Maison Commune se reliait au quai ef au port-au. blé 
“par arcade Saint-Jean et par deux bitiments, l’'arsenalide Ja ville et 

‘Pancienne chiapelle des Haudrietfes, ste te 

La place; de Pautre cété, ‘et justement en face de la grande :potte 
d’entrée de I’Hotel de Ville, s’enfongait en entonnoir yers-lesirues 
Jean-dd-Lépine et dé la Vannerie; A la rencontre de ges deux rues, 
‘ane’ maison’ s’avanicait 4 angle aigu et formait le fond de cet enton- 
noir. Cette maison, qui regardait — nous prions le lecteur de ne pas 
‘oublier — Penti'ée ve 1a Maison Commune, et. qui dominait.4, droite 
-\gourme & gauche uné partie dela place, cette maison était zelle de 
-Coulongeon. Ml Vavait mise, on s’en souvient, en, gage aux mains des 
‘royalistes, comme garantie de sa fidélité. Cest la que, fortala hate, 
on avait transporté la pauvre Rose, 14 que les défenseuys. da ‘la 'Con- 
‘vention étaient venus se fortifier au centre méme de tqute ls: pusis- 

ssuncedesesénnemis. tw 
‘La place de Gréve était en effet la vérilable, place d’armtes de la 
Coimmiune,! eri mérie temps que sa place d’école. On y rassembblait 
fes troupes et l'on y ense¢ignait les bons principes; et-fontes les epi- 
‘tions,’ pour peu qu’elles fussent contraires & celles. du: maitre, en 

Staient impitoyablemént exclues. = i. ale oS aw 

_ Vulmer, Petit-Val, Sagamore, L’Union Gosse,et Iqurg amis wavaicnt 
‘ pay tardé 4 ‘le constafer. Hs se yirent bhigntdy condamnts au silence, 
‘quelque précaution qu’ils cussent prise pour émettre,quelqiias iddes 
“favornbles & 13 Convention. Ils enragenient ;, car il ftail, fanile dere- 


t Ipe ——: 
: ‘ ait t : “1 1” ry vi. i ‘ % ‘1 toe dtas bt. ms 
| ee j Ios ‘ ' » 


wel a1 ie it 


THERMIDOR. 429 


marquer que ce qui dominait dans cette foule, c’étail l'ignorance. 
On ne savait a la place de Gréve ricn de ce qui se passait récllement 
en dehors du quartier, et une bonne portion des spectateurs, au dé- 
but de cette soirée du 9 thermidor, semblaient avoir recu ou s‘étre 
donné la mission de n’y rien laisser arriver qui pdt contrarier les 
vues de la Commune. 

La besogne, du reste, n’élait pas difficile. La place avait été sillon- 
née tout d’abord par Ja populace du voisinage, qui formait une clien- 
téle fanatiquement dévouée 4 la Maison Commune. 

Ceux qui vinrent ensuite se joindre 4 cette premiére couche po- 
polaire, c’étaient évidemment les plus dévoués communalistes. La 
masse parisienne ignorait encore, nous l’avons dit, la gravité du 
mouvement. Hanriot et ses aides de camp n‘avaient pas traversé tou-. 
tes‘les rues, il s’en faut; les cris de: « Aux armes! » n’avaient pas 
frappé toutes les oreilles. On avait bien, dans chaque section, con- 
voqué 4 son de caisse les officiers municipaux, pour qu’ils se ren- 
issent 4 i’Hdtel de Ville; mais tous ces bruits, tous ces cris, étaient 
comme partie intégran{e de la vie journaliére. Paris ne s'inquiétait 
pas extrémement jusqu’a ce qu’on entendit la générale, Je tocsin, ou 
que l’on vit les barriéres fermées. Oh! alors, tout se levait ou se ca- 
chait, et c’était comme la goutte d’egu chaude que l'on verse dans 
lenid des guépes. 

Les premiers accourus sur la place de Grave étaient donc les bas 
officiers ordinaires de l’émeute, les amis particuliers des chefs, ou 
les gobe-mouches révolutionnaires les plus tétus. 

L'adjudant général Fontaine avait convoque les quarante-huit com- 
pagnies de canonniers et les gendarmes, les deux corps sur lesquels 
Hanriot croyait pouvoir compter. Un certain nombre s’était haté de 
venir, ainsi que quelques compagnies de cinquanle sectionnaires 
qui élaient accourus des quartiers les plus révolutionnaires. 

Entre six et sept heures du soir, la foule commenca a ¢étre aussi 
nombreuse qu’enragée, et nos amis durent se taire complétement. 

— Ii n’y arien 4 faire en ce moment, avait dit Sagamore 4 mi- 
voix. Nous avons autour de nous la plus fanatique, la plus hestiale 
partie de la population parisienne. Nulle pensée raisonnable ct hu- 
maine ne saurait pénétrer dans ces cerveaux étroils, dans ces Ames 
basses, obscurcies et avilies encore par les plus folles et les plus 
odieuses théorics du jacobinisme. 

— Et, continua Gosse, ce n’est pas quand on a la téte dans la 
gueule du loup, qu'il faut l’exciter 4 Ja fermer. Tenons-nous donc 
tranquilles jusqu’au tantdt, jusqu’a ce que cette canaille soit un peu 
rafraichie par l’arrivée des vrais Parisiens. 

— D’autant plus que si je connais encore mon peuple de Paris, dit 

10 Avan 1873. 9 


450 THERNIDOR. 


Petit-Val, il va se:‘monter la téte jusqu’é Pexalfation, et t pendintiee 
temps il n'y a pas 4 songer 4 discuter. Mais.si les meneurs ne-sa- 
vent pas utiliser son activifé pendant céite période ascendante d’en- 
thousiasme, la fiévre diminuera peu pen, et vous verrez comme 
il sait entendre-Ja raison quand il est en voie de se dégriser, comme 
il voit clair quand i] retire les besicles que les déclamateurs lui po- 
sent si ais¢ment sur le mez. 

—~ Réservons-nous donc, observons, ‘tenons-nous donc aux aguets 
pour saisir les occasions. Maintenant, taisons-nous et séparons- 
nous. | 

Nos amis se pantech: Vulmer et Petit-Val rogagnérent les. 
abords de Phopital du Saint-Esprit. 

I] commencgait 4 se faire un grand mouvement de va-et-vient entre 
l’intérieur de I'Hotel et la place: Le Conseil général était entré en 
séance 4 cing heures et demie de relevée, et tout aussitét l’Agent 
national avait requis que deux mémbres se rendissent sur la place 
pour inviter les citoyens « 4.s'unir & ses mapistrats pour saurer'la 
patrie et la liberté. » 

Ces deux membres, auxquels s’était joint le trés-zété Dorat-Cubié- 
res, ci-devant chevalier de Cubiéres, et secrétaire-gériéral-adjdint, 
étaient descendus et péroraient de groupe en groupe. Ils étaient re- 
connaissables &-leurs cordons tricolores, signes distinctifS dé leur 
‘dignité, et aux acclamations qui les suivaient. De plus, il s’était ‘éta- 
‘bli une sorte de-courant électrique entre la saile du conseil et sa 
place d’armes : & chaque instant, quelque membre des tribumes ‘des- 
cendait, rendait compte de )’état de la discussion, citait les décréts 
qui venaient d'étre rendus, et qui; circulant fidrement de bouche en 
bouche, arrivaient jusqu’aux rues voisines revétus d'adjonctions 
bouffonnes et escoriéy par Venthousiasme ‘révolutionnaire.’ Nous I’a- 
vons dit, et il faut le vépéter pour-faire bier’ comprendre les événe- 
ments qui vont suivre, ces décrets, qui parlaient seuls, et qui par- 
laient fort, étaient naivement,' logiquement, nécessairement, ‘consi- 
dérés par ce peuple comme autant de vérilés incontestables, ‘autant 
le vicloires, autanit de preuves ‘d’tme: puissance irrésistible. Les 
chefs du mouvement le savaient bien, ét ¢’est pour cela que leur plus 
grand svin, 4 ce début'de !émeute, fut d'entretenir le peuple dans 
ignorance, en-arrétunt: tous les émissaireés du portéurs d‘ordres de la 
Convention, les agents secrets comme les agents autorisés:' 

. Les premiers ards’ du consdil'qui descendireht ‘des tribanes et 
urrivérent aux oreilles de Lozembrune lui firent hocher la léte; atl 
dit’ mi-voix ‘A son compagwon Peli Val: be Te - 

— Ce ne sont pas des décrets, ce sont des coups. 

Il est toujours bon de porter: los -premiers,' ot cdla fait i. 


TUBRMIDOR. 434 


quand ona des éires grossicrs pour jugas du camp. Seulement, il 
faut continuer et ne plugs arréter. 

— Le Conseil général arrdte, cridrent quelques voix, que le com- 
mandant de la section des Droits-de-l'Ilomme, qui a refusé d’obtir 
au maire Fleuriot-Lescot et de laisser sorlir ses canons, sous les or- 
dres du citoyen Eudes, capitaine, sera arrété sur-le-champ, 

— Ah! bravo! bravo! hurla Ja foule. Eudes est un brave citeyen! 
Lescélérat de commandant! A-t-on Jamais vu un commandant oser 
désobéir au maire? 

— Mais, tonnerre des cing cents diables! le maire ose bien dés- 
obéir & la Convention! cria une Voix. 

—Amort! a mort, le traitre, le scélérat, laristocrate! C’est un 
Bourdon, & mort.! Ou est-il? A-l’eau! 

Mais comme noire ami Gosse, qui n’avait pu retanir sa langue, se 
mii a crier : «A mort! » plus haut que taus, 4 chercher avec emporte- 
ment derridre tous ses voisins ou sétait caché l’aristocrate, et 4 gour- 
mer quelques faces patibulaires qui partageaient leur amour. entre 
les poches des bourgeois et les arréts de la Commune, on ne décop- 
vit pas le traitre, le seélérat, le Bourdon. Seul, Je vieux madré Nes- 
tor, qui, par prudence, se taisait, fut suspecté de tiédeur et as- 
sommeé. 

Vulmer ne prétait plus qu’une oreille inattentive & tout ce qui se 
passait. IL poussait ca et.l4, distraitement, une clameur pour expli- 
quer sa présence sur la place, et il sentait que, malgré ses efforts, 
son coeur et sa pensée ne youlaient pas quitter cette rue da Roi-de- 
Sicile o, sa chére. Marie-Thérése était emprisonnée. 

— Eh! aitqyen, ga va bien, tu entends le décret? lui dit Latour- 
la-Montagne. 

— Le Conseil. général, burlérent dix voix, sur la proposition de 
plusieurs membres,. one qua, pe cnene: les banriéres seront 
fermées.. 2. . 

Un hoyrrah formidable s’éleva vers le ciel, Les barriéres. fecaisas, 
CAlait Ja déclaration que; la patric. parisienne était en.danger; c’é- 
tait Ia;.mise-en état de. guerre, c c’était Paris.sommé d’aveir:au plus 
Vile, 4 eu finin avec.s¢s ennemis, sous. peine de mourir de faim,.d’é- 
ire privé.de tout, .et, d'etre, comme un’ epreux, séquesiré du reste 
‘de, Lhyraanité} la Commune og pining le gant &.Ja face de 
Yennemi.,.j:j°0 3. - | . 

Ka ca meen, Yulmer se sti ier par un n-des gardes de Saga: 
“MOF@*S) cb osafo nd! doeoit gb cia ies My 

—Ilya la-bas un dréle davhaladia qui. demand Le. eitoyen: Avis 
lobule. ee tty ead Hynes oe taape ho Me ces 


i Wulmerthendit hers .ds: gerole. |: ss at, ad t : tg yf 


134 ‘SIERADON. 

"Patout-ta-Moniagts, done” eee lait bxcitéd! ‘ef qui crdyait 
avoir reconnu son hommé, sujvit Vulmer, qui se ditigeait vers l'ex- 
tréme gauche de pee ogee en te 
‘Mais notre héros fut'retardé' par sa‘précipitation'méme, et'il avait 
di s’arréter pour échanger quelques bourrades avec des citoyen$ 
qu'il avait bousculés. Latour-la-Montagne, qui Vavait vu prendre’ sa 
course vers Ye fond de ‘la’ place, y‘arriva avant lui, et il se mit'& 
faire quelques révérences ct politesses 4 des citoyennes déguenillées, 
puantes, et puissantes sur l’opinion. ae | 


_— Aristobule! Avislobule des ‘Piques! criait le fou, qui avait 
adapté 4 scs appels une modulation harmonieuse. ° + | ; 
_ — Qu'est-ce que tu Tui véux, citoyen? dit Latour. Le citoyen Aris: 


tohule me sult, et c’est’mon ami. Tu’peux me dite...’ © 
— Citoyen, répondit le fou, n’oubliez pas que !a premidre décadé 
de thermidor est consacrée au Malheur." 6 8 
Le bourgeois jacobin recula effrayé, comme’ s‘il edt été persott- 
nellement mous ls cou de quelqué épouvantable catastrophe, et, par 
un reste d‘habitude, il ébaucha le signe delacrdix. © 5 


- Le fou's' était this a chante’ 6 


° hase al 


> eles. . . "West dangle gol de noyeaveur a 

hore os Quengit Pesprit de pasiamottras,; ate at Qh 
Iis enterraient sous leurs tonneaux . — 
Le noir chagrin de voir des maitres. 


han Tard Quart ious Vain det la; gale bs 


Se ear AR BONE py oie vst 
tho 1! ‘ | ty dpaphaaia tay n osait parade, fy toe 8 4 ts f old 
; a 


* a’ 
a sh . i] ge 


is dans le sol il est resté ee 
| | ‘Et cet esprit {ter}, Mest du'salpétre; tt rt) 
a) ea a PO | a ed aa ee a ee Oe eee 
“Volmer attivart! eb, tenjours: sulvi dé Latdurla-Montagte, yi il 
w’osait aloignér'—“ear, ‘edsdyer! de sb’ débarrasser' d'un: importen; 
Plait 8’ exposer' souvent 4 dive suspect dt ‘eniprisonng — iltfrd & part 
ie chariteur, qu'il! imterropgea’ ‘Mais 'le' fou avait 'son propramime, dont 
il ‘rie Sortuit pis. If radonta nettement} Teritement, ‘en ‘ldissant tomber 
chaque thot sand infletion : cohtine ut’ dutomale,- coment f Enfant 
aristocraté,''We-pardé Ble porte de'La Fotcé, Pavait onvoyé'a' la re2 
cherche d’Aristotiute uux Fiileries; d ha place ‘dw Carrdusel, puis 2 It 
Gréve} en chantarit dais lés foules uv eouplét de sa‘chiatison dw Sul 
petre.: ra vers a 8 ae ae teteb ge eae tee bh santiae fe pe a ee ry) | 
- Mais pourquol! faire? Hate-tor,' mon ‘ami! bese di yea ohh wad) 
122 A ma dit? reptit’ le fou del s& mete ‘Voix ‘eae; itnpassile? 

righetone, én baidsant tajolrs tes’ ydux} coininie ‘pour Cviter toul 
distractfor eY pécher facilement tHoctn de ‘seg: mot¥ lad? fond de sa 


THERA, OR. 133 
maémoire ;. 4 Tu ne.diras pas comment nous; avons ey, Ja lettre, pour 
ne pas corppromelire | le gardion de La Force, » Dor, 

— Oh! ofi! dit Latour, il s’agit de La Force! , 
77 Une lettre, malheureux! Mais donne-la-moj donc!, Donne vile, 
vite! a ao 
‘Le. fou resta mn instant muet, les yeux fermés cette fois, nt regar- 
ail au forid .de son souvenir. sil ne as pag quelque phrase ou- 
bliée. Tout étaut vide, et nul mot de J’Enfant ne se cachant derriére 
lamas considérable de vers, de nofes et de souBlets dont la mé- 
moire du foy était pleine, celui-ci fit adroilement sortir de sa gui- 
tare un affreux papier 2 chandelle que Vulmer ne put's ’ernpécher de 
porter passionnément a ses Isvres,, et qui en. méme temps lui fira les 
larmes des. yeux : il avait reconna le mot Aristobale, écrit dune 
main si chére, si mignonne, et Si persécutée |. Il ouvrit le papier. La- 
lour-la-Montagne, au nom du. droit revolutionnaire, y avait mis le 
nezen méme lemps que jul... 
. Yulmer prince s dems; mais il fallait élre patient: 
—Citoyén, dit-il, eat. écrit au crayon, et d'une écriture difficile. 
Laisse-moi lire, je ne suis pas un malin lisewr; j Je te dirai ce qu’il y 
a la dedans. 
Il langa au bourgeois jacabin un regard.qui, malgré lui, démren- 
tait la bonhomie de ses hina i’ eapien reoula en observant la 
figure de Vulmer. “' a: 


oot 
° 
| oO 


a: 


« Autour de moi, dans ja prison, disait-la lettre, tout le monde 
s’arme de ce qu'il peut trouver. On a choisi les meubles qu'on pour- 
rait briser pour s’en faire des armes, on remplit ses poches de cen- 
dres, pour les jeter aux, yeux des assassins et essayer de fuir. On 
attend de minute en minute les massacreurs. On dit que la porte de 
la, prison est eacombrée de ceux qui ont égorgé nos, parents .ct-nos 
amis en. seplambre. 1792. Adéle de B., dont vous connaissez le cou- 
rage, disajt tout 4 l’heure.a.tsebelle,. que j'ai. retrouvée ici avec un 
petit entant trés-colére ef irés-bon ; «Je me, demande.si nous avons 
fous en..ce moment, quatre-vingts.ou quatre-vingt-dix. ans. » Elle 
sa.défendra hiea,, et Isabelle défendra bien son.enfant: Moi, je n’ai 
dgutre arme que voug. Si yous étes en.danger ef, que vous atlendiez 
prochinement Ja mort, Jaissea-moi, moury', pour, que nous nous re- 
joigmens. bientat la-haut, ou. NOUS SELONS si heureux. Si vqus pouves 
me défendre et si vous devez vivre, défendez-moi et défendez cette 
chére Adéle, qui s’est djyou¢e. pour. mot, ef. cattle, papvre Isabelle, 
ens Si.honne moére..Je sais, que je dexmpis; égrire, ce dillet-ck bien 

bridyement; Mais je. ne puis. Je suis 8} heurcuse de vous écrire, que 
Je chenche cg.que.ie pourrais-hign: yous dire. encore, Nous sommes 


134 | THERNIDOR. 


si prés de mourir, que je puis. bien vous appeler mon mari. Je ne 
maudis pas trop cette Révolution : si nous vivons, je crois qu'elle ' 
nous permetira de nous aimer plus quc nous ne P’eussions fait sans 
cela. Avez-vous remarqué que les'maris ef les femmes '‘n’avaidnt pas 
le droit de s aimer beaucoup? C’était de mauvais: ton. Si jé meurs, 
n’oubliez pas que je meurs votre femme; at quoitue ce soit mal de 
le, penser, ilume semble que je serais bien veuve dans le'ciél, si vous 
n’étes pas un mari fidéle & son veuvage sur la terre, Vulmér, Vul- 
mer, mon mari! » | ; - | 
Vulmer bandit, renversant tout, Jes citoyens sans gilet comme les 
citoyennes en bonnet rouge, ct il courut, poursuivi de cent malédic- 
tions, dans la direction de Ja rue du Roi-de-Sicile. M. de Pelit-Val, . 
qui le vit dé loin, fronga les sourcils : pour le vieux ‘soldat, c'était | 
une sorte de désertion. Le fou musicien alla écouter quelques-uns 
de scs collégues gn musique foraine; car les chanteurs et'les ora- 
teurs faisaient rage en ce jour solennel:’ 
Quant 4 Latour-la-Montagne, il se dit qu'il avait lé temps d'arriver 
4 La Force, et, sans ombre d’hésilation, ils’en alla ati Conseil général 
dénoncer le gedlier de La Force comme le principal agent d'un com- 
plot dont Ie but était de délivrer et d’armer les prisonniers, de les _ 
diriger vers le Temple, de couronner Séance tenante Ye jeune Capet, 
et de revenir assassiner la Commune. La dénonviatiot produisit 
beaucoup d’effet, et, dans le courant de la svirée,; te Conseil penérdl 
lanca deux décrets qui ne furent pas sans grande influencé suf le 
sort de nos amis, et qui décidaient, l’un, qu’on apporterait les clefs" 
de La Force sur Je bureau du Conseil général, l'autre, qi’ortarrétt- 
rait le, gedlier en chef de ladite prison, “(°° 1 8 8 
Quand Vulmer arriva rue du Roi-de-Sicile, il crul' un instant que’ 
les jambes allaient lui manquer, Qui, c’étaient bien 1a tous  lés pe 
paratils du massacre des prisons : les terribles charretfes couvertes, 
et qui laissaient passcr' de Ja paillé par les trots dont elfés étaient - 
pleines; un baril de ouate pour empécher les cri§ des, victimes; en 
tas contre les muruilles de 1a’ prison, de 1a chaux vive; 'dés, balais” 
de houx, des jarres’pleines ‘de vinaigre, et ces’ tpouvan{ables, in-+ 
struments qui avaient tant travaillé a l’Abbaye, ces lourds assoni-— 
moirs, gisaient dans le ruisseau, au milieu de la fie. Oe de 
Grépin, administrateur dé la policé, & Ia téte d’uné cingi antaitie 
d’hommes ivres, hurlant, blasphémant, criant, dés ‘changoris obscé-" 
nes, des menaces horribles, ajtendait 4 la porte de la prison, Une 
vingtaine de mégéres portant dés sacs et des couteayx dé bbuchers 
sommeillaient dans Pombre, ot se‘ dachaitht quelqués ‘coqhing plus | 
ignobiés que les autreg, ét qui- paradaient sous deg chasubles én: 
loques, sous des étoles tachées de plaques noires. Ceux-ci étaibiit!’ 


THERMIDOR. 135 ° 
les vélerans. du massacre, et ils avajent revétu pour cette nouvelle 
féle les. vétements ecclésiastiques qu’ils avaient arrachés ou volés a 
leurs précédentes victimes. [ls criaient souvent: « Brestois'! Bres- 
tois! » et ils attendajont dviderament'ayec impatience. a 

Quelques-yns se précipitérent 4 la rencontre de Vulmer, qui arri- 
vait le sabre en main et le.pistolet au poing. iin 

— Est-ee le Brestois qui. t’envoie? demandérent-ils. Pourquoi ne 
se dépéche-t-i} pas de donner le signal? Hl n’y.a.pas que La Force, et 
si nous pouvions faire deux prisons aujourd'hui, ¢a serait autant de_ 
gagné. 4 ' Suse 
~— Scélérats, pourquoi avez-vous enchainé le eamarade? dit Vul- 
mer en. montrant Monbayard,.qu’on avait couché par terre A cété de 
Enfant aristocrate,. tous deux liés avec Ja méme corde qui leur at- 
tachail les bras autour ducorps. ... ee 

— Ce n’est pas. que nous ne voyions pas deux camarades de plus;. 
il ya place pour tout le monde, ef pour toi aussi. Mais ils sont, tom- 
bés sur nous.,.Noys attendgns Je Brestois, qui.ne veut .pas qu’on 
commence sans lui; ef nouscommencerons, quand il sera arrivé, 
par faire leur affaiwe & ces demx imbéciles. , ss, 

— Le Brestais, yous.le sayes, bien, est occupé 4 la:barriére de 
lObservatoire, et xdus allez délier ces deux citoyens. a) 

~ Alars tu es un ami du Brestois? dit Grépin 4 Vulmer, qui, de 
son.sabre,, coupait lacorde.; .-. 00 to. es 

-Monbayard, aussalOt gu’il fut libre, bondit yers I’amas_d’assom- 
moirs, et, apres ep, avoir saisi un, il vint se placer 4 cété de Vulmer, 
quis était mis devant, la porte..L,’Enfant, sans rien, dire, se eampa 
délibérément devant eux en agifant. Je poignard qu'il avait enlevé Ja 
Yelle an capitaine Front, Monbayard interrogea d’un gesta Vulmer, 
qui Jui répondit par yn signe d'indécision., 5), 

Mie sayait que. faire, en effet. Il était. accoyru, plein d’une an- 
goisse folle, sangeant, qu'il frquverait le massacre commencé, et 
nayant dautre, plan. que ide a¢, jeter An milieu des égorgeurs pour 
sanver Marie-Thérése. et s’en{uir avec elle. Il co aprenait mainfenant 
qu. raat mienx.ruser,,gagner du temps, éloigner ces misérables 
affe mics paroles. Mais il ne trouvait rien, & jeur dire; sa’ verve 
endiablée l’avait quite.) ire ee ee eh gt 

Hg faiselt plas asseg clair pour qu'on, pit distinguer les physig- 
homies; Je crépyscule.s assombrissait, rapidement, mais leur hésj- 
lahion Stayt éyi eel i br th tag lise acter ab 

74849 dls, Gropin, cr tune des,tyries, que ce ne sont pas des 
patmotes. Cast des aristocrates qui viennent pour armer les.prison- 
niers, les, senforcer ef nous teurmenter dans nos,devoirs civiqués. A 


| : an 
TOE his iy-f09) ey tote Ponti, Ofer big t beey oaty te as 


156 TBERAADOR- 

— A mort! reprit la, bande, ({uez-les,1 ils. me sanLengore thud deux 
ef nous enfoncerons'les portes. Au diable ce acélérat de Bresteis. quan 
nous fait perdre nulre,temps,;., enter: Pee 

'— Yous avez rdison, .cria Grépint Yois, raves défenseurs de-la 
patrie, il est inutile de risquer. votre vie, précieuse pour la-républi- 
que, cohtre. de vils scélérats comme ceuy-la, meee wns) iat. ba 
4 coup de fusil. 

Avant que le mouvement fut exéculé, un grand: corps btrangement 
vétu parul, sur le lien dela’ scéne, .poussant dewnint lui,: a:cemps-de 
pied, un gamin qui hurlait., G'était Samyel Vaughan qui-avait: sais 
ce gamjn, et qui |'obligeait, a force.de ¢ CAUPS, 4 dat indiquer le che» 
min de La Force. L’Anglais s¢ précipifa syx,ya dee septembriseurs, . 
lui arracha brusquement, sey, frsil, Le gamin se. réefagia am milieu. 
de la troupe eu hurlant: « A:mort]’aristaerate | n Samuel, en agitant 
triomphalement son, fusil, poussa, un hourrah coogi ef vint se. 
ranger a coté de Vulmer,... ., ae 

_ En joue, feu sur les brigands,|.cria ou: Rei ay Oe 
, Mais des cris s'élev érent,, poussés, par leg -derniers dada troupe: 

— Arrétez! arrétez! nous sommes surpris, eaieumes,: Voita une! 
nouvelle bande qui nous, prend par, Merrigre, (00 cate ube > 

Coulongeon,., courant deason mieux, arrivait.alaAdle dane troupe 
d'une irentaine de sacripants Aen, armés, Il aa LOTABD, oto: 
la hande deGrépin,, «| ee ee 

aT Camarades, sécriact-il,’. $@5 hommes, laisserans+ecus, pes: fais 
— profiter de, toutes les bonnes aubaines, quand. noms, qua 

es de brayes soldats,. (et; qui travaillons, jour: et: nuit .pour tla 
ublique, nous verrjons fot noys.passerdenantJebae?s. 1! 

er applaudissement formidahle Jui, mentra.:qubh. oonnsdssait, 
comme i} ]'a, dit plus tard, le coeur hymain,.ptdes: nouveaux: venus 
firent recyler,les gens du Brestois,a,coups Mecrosse; stile 

— Par Je sang de Marat! continua Coulongeon, oa nb-sera pas. Le. 
Comité de Salut ‘public. a eu confiance.en nous ;novs daaténitans. Hd. 
nous,,a, chargés de, difandve La. Foroe,| nous, la: défendrdnss Nows: ja: 
défendrons contre, les auires,. saprit, viyement Vhabale dréle; mous: 
la défendrons, jnnaw’d ce que ‘la. moment poll venil.de na plus :lardés,: 
fendre. Et sila Commune victorieuse ordonne qu’on netloie-1é¢ gear; 
ries de}axisiogratig, ch bien, je.dis,qu il: vant mieux qe ca soil nous 
qui ramassions la paille.que.cep fainéantsrla,,,...--. se etn ae! 

Une nonrelle pooner dul, maontra, ae aw pouygiticompter, ‘BUD SPS 
hommes. Soe a PO aT FR) 

Tonia. coup un son aigu traversa: lair, mun son, miguy Nil, Iugubed.. 
Un grand silence se fit. Puis. ua cri immense sélavadic cs 6k die 

ure, focsia 1 Je tegsin.!: le ,tagsini!,. Mitty Sed uid aul a -— 


THERUIDUR, 431 
on bas tocsiw? sb'dit Vulmer en pilissatt t ef j'zi-qiitls ‘nies com- 
pamnents-d'titeried Po te tees ee 
— Le tocsin! cria Grépin. Camarades, braves patrioles, lalssons 
os voleurs-senorgueillir de leurs! crimes. Aux Carmes! aux Car- 
mes! .C’esé lia qu’ona'transporté, hier ‘du Luxembourg, les’ plus ri- 
ches. pyisbnniers et prisonniéres; ils ont caché des montres plein leurs 
hottes et des chaines d’or sous leurs jupons. eae 
~ Aux Garmes! hurla ka bande en disparaissanf.' | | 
— Main tenant, dilCoulongeon ad voix basse a Vulmer, i] faut que vous 
vous deignies. Je‘vous‘ le répéfe, ‘c'est la-bas qu'il faut étre ‘victo- 
rizux pour sauver les prisons! Si la Convention est vaincue, ma foi! 
je vous jure que vos femmes, je les sauverai. Yous avez ma maison), 
ma femme et mes enfants engage. Maintenant, allez-vous-en. | 
Vulmer prit Savtuel par le'‘bras et s‘Gloigna en toute hate. \}'cher- 
cha.de Yoeil Monbayard -et PErifant ;'-mais it faisait de moins én 
moins clair. Le capitaine et son brave petit compagnon avaienit ¥e- 
pris leur poste d’observation aux environs de la porte dela prison, et 
pour qu'on ne-ley inquidiat pas, ils s’élaient étendus sur la terre, et 
feigmaient de dormir. °° 7 Be ne 
Nos deux amis gagnérent la rue Cloche-Perché, ‘comme on disait’ 
alors, ta place Baur ér et la rue de fa Thxéranderie. Ils ne son- 
peaient guére'a se par ev.:Le tocsin, qui avait comméncé 4 la Maison, 
Commune, avait gagné les sections voisines. Des sons pergants pardis- 
saicht appeler toute ta cilé ata guerre civile avec une hate imipatiente, 
pois colére, ipuis furieuse,-et toujours Sépulcrale. ¢ | mans 
Bientot le ‘bruit sourd et effrayant'de la générale vint rouler sur, 
la terre, comme-lds'appels lugubres de ia ctotlié se précipitaient dans’ 
lair: One grande partie des maisons ‘s’étaient hermétiquement clo- 
se89 quelques '¢ircs muets et pressés gaghaient terraii eri serrant les 
murailles. De petits growpes échangeaient quelques paroles, a ‘voix’ 
inguiéte; ser‘le seuil d’ytre maisoti, et Von ertendait dats le Tointain, 
dés.cris indistinets; des proclamations qui arrivaierit d'une maricre’ 
confess: Le:loird'roulément'des candns, qui grondaient comme Je’ 
tonnerrej eduvtait toul de-son murmare meriacant: Puts seul; bi'ds- 
quément, an‘ cavalier passait! a-grand trdt, en hettunt comme: ‘ati! 
ce) Oo rT rc ‘| 
-wor Amol, negs amis! {qui mf aime mo sive! AuX-armes! on égorge’ 
les citoyens. On assassing!le‘dileyen Robespierrel © °° 0 SY 
‘Das ion: proord, uty grotipe sb formait, bruyant et furieux, pour 
écouter une proclamation dela Commune. Quelques pas plus Toft; Te 
Silence fdindbre vepronait: Un-autre cavalier’ de Véldt-amajor traver- 
sait la rue en agitant-éson sabrect' ef criunt's! I nes 
— Une faction veut opprimer lés‘patriétes! duiceurdge!Lé point 


to 


438 THERNMIDOR. 


de réunior est la Commune. Le brave Hanriot exécute ses ordres : 
vous ne devez obéir qu’a lui seul. 

Au milieu de la rue de la Tixéranderie, nos deux compagnons ren- 
contrérent le fou musicien, qui, dansant, fredonnant et jouant de la 
guitare, regagnait son poste auprés de son petit ami. La, le silence 
lugubre était rompu; le grand bruit de la place arrivait presque 
Joyeux, et quand ils débouchérent par la rue du Mouton, le premier 
individu qu’ils reconnurent élait notre bourgeois [atour-la-Montagne 
faisant satiler gon/chapeau, en-criant: 

— Le pére du peuple, fe citoyen Robespierre, le venérable: Cou- 
thon et les autres protecteurs de la patrie sont délivrés! Ils sont sous 
la sauvegarde du peuple. Le citoyém Robespiérre ést 4 la Mairie, en- 
tre les mainsdes administrateurs de police, tous patriotes. Les scélé- 
rats de conventionnels comptaient l’envoyer a La Force pour le faire 
torturer 4 coups de ciseaux par Jes femmes aristocrates qui sont la 
prétes a se révolter et 4 venir égorger la Commune. 

Vulmer rejoignit nes le vieux soldat Pavait saa avec des 
parolesiaustéres: «=. Best SG "he ae yr ay ges 

— Feu volre pére, qué btalt un vaillant honiear vous aurait dit 
comment on nomme les gens qui quiltent leur pobté devant lien- 
nemi. Croyez-vous dozic que je n'ai ‘pas, moi aussi, laipsé en danger 
ma femme et mes filles? Le soldat ne connail que $a consigne ; .quind 
le péril vient, il n’est plus un homme, il est un copps, it est la pdtrence 
il est Vhonneur- Lé trou qu'il fait en.s'éloignant tivre passage 2 V’en- 
nemi. Savez-yous ce:qui, arrive? Les ¢ompagnons ‘de L'Union Gosse 
commencent 4 perdre la téte aa! milieu de touted ces folies. atrores 
mélées:de grandes et nobles vérités, et ils diseht quesi: vdus ols eA 
allez, ils peuvent:bien partir aussi. Je vous te déclare; ‘si yous quyttez | 
encore le poste d’honneur et de péril; je répéterab devant tous les 
gentilhommes‘de France quele vicomte me oeeuprone aericburagé 
les l&¢hes eb les désertiohs; .-:.° OSE KY seit 

Et laissant Valmer confus et. humilié,: le ‘inix ‘soldat's' dloigna 
en grommelant. 0 © set re lb tp teri ote 


Cs p’ Hénicautr."' 
: i ; “ttrypeyte to. eke fe ee | eto 
rot ao EEE. - A are ( ite 


PR ER AA. I ER eee ak SO RAN is : re 


rare sid aa 7 : “a 
‘La fin an prochain: numéro.” | 


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Ell Gea. alk Baakas orp al beets 
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Sittetys 


Peres rt 


Dans. 3 LEVANT, EN 1872 | i, 


eS Maer ty fs an a Sere js it, s' QJ a an ' Fota t er a fet 


‘y rt et ae ere were ee rag, Mee. Jed 

la deuxiameé division de notre escadre cuirassée. @’évolations. 
vient, apeés: trois: nreas:d’absenco,;: de reniser &: Toulon: +- Conmposée- 
de trois batiments biindés, fa Gaudoise, le Thétis; la. Reine-Blanche, 


et d'um avian rapide, le. Desair, cette force navale avast: recu ka mis: - 


sin de paresurir le: ittopal: dela Méditerranée, tout em continuant 


Pigsiruction de- ses-équipages. Ces beaut .navires ont biévus dang | 


les- eaux. de. ja. Tunisie,:. delMigypte,-de la Syne, de l’ Arehipel,: de 


Smyrme, dela’ Gréde -atide.|iltelie. .Partont, paami ces pepuiations:. : 
qui, ston giemps, ant été Frangaises de cceur, :Us.ont appara comme . 


un symbole de nésurpaction ; partout, 4-leus. aspect, nes nationaux 


ont tepnis aspéranee: eb courage, ivertus: qui: pyanmaut leur: sduree | 


dans le sentiment demos propres fogcas. ts 


Celte,, Jahericwe etn drudiuense:. cimpague .s:est termine: SATIS 
qu’'aucun accident en ait troublé le cours ; natve ministre des affai- 


res, ¢rahgéras, aussi diver: quia ineluk de bai marine, deivent.: a: 1of- 


ficier général qui |'a dirigée, les mémes félicitations, Ja;andAme ree :. 


COMMAISSANGE., , qn A.) 

Depuis nos revers et nos derniéres luttes, Je. pays.a appris | A, $'in- 
leresser aux choses de la marine, il a vu ce que pouvaient a la guerre 
un petit nombre de coeurs bien trempés; peut-tre trouvera-t-il 
quelque ulilité 4 savoir de quelle fagon les mémes hommes sont 
appelés 4 servir la patrie pendant les loisirs de la paix. Puisse cet 
exemple le détourner des disputes stériles, et contribuer & lui 
lspirer la ferme yolonté de suivre la seule ligne de conduite qui, 
avec Paide de Dieu, puisse nous guider vers le salut : travail et 
discipline ! 


140 L'ESCAURE ERANGAISE 


vm, otto: 
"TL est “ailficile d’admeltre qu’ en donpant | a Mh. i cone ail | 
Huguefeau de Chailli¢ ordre de. conduire.. woe -escadre frangaise 
dans le Levant, le gouvernement Wait, sougé.qua faire. appliquer | 
pdr la marine , de nouvelles, régles. dinstructian - 4@R rapport avec — 
celles yécemment inaugurées autour de Paris par.notre, armée. Sans — 
quilter notre littoral, ou, tout au moins, ce. bassin. qu’encadnend la 
Provance, la Corse et V’Algérig, nos armées ‘de, mex,.omt, sous la 
main, des champs de .mancnvre op d’exercrqc, depuis tanglemps 
labourés en tous sens par la, quille de.nos Naipseaalx.,, des. espaces 
assez vastes et assez varies pour que nos chefs, d’escadre puissent y 
appliquer : 4 leur aise- toutes Jes ,combinaisons tactiques ayxquelles 
Sc prétent les flottes modérnes.. Si.danc,..malgré la. pawvreté,-du 
budget, ’on s'est décidé a agrandir, le cerele.ordinaixe de nes év0- 
lutions navales, d autres raisons ont.da le conseiler... | 
Nul n’ignore, ef, France, a, quel, degr¢é mous axong été. absisnés, 
mais beaucoup ne savent pas quel jugement l’étranger porte sur 
nous, sur nos désastres, qu il /Gragére encores, loin de des amoin- 
drir. En Orient surtout, pays ot,]’on ne,cagit, guére que ‘ce que.l’en. 
Voil, et ou. les hommes d’ Etat qui connaissent.la-vérité, simaginent 
souvent avoir inlérét a ne, pas. la divulgyer,, noire influence plus 
que séculaire a subi Jes plus rudes atteintes.. Audaciensement nice 
par les uns, elle resfait enfonie comme .yn..lojniain souvenir ..au 
coeur des autres. Nos représentants et nos consuls. receyaldnt, car 
que jour, la douloureuse confession, de leurs, plaintes et: de.dours 
angaisses. C'est par cux que le gouvernement fut.cappake au, souci 
dé nos intéréls en danger. Fidéle 4..son devoir,. jl, comprit. qu'il fale 
lait a fout prix, par ung manifestation .aapesante ,..prouver que 
notre puissance survivait, 4 notre naufrage, et rasgurer. des alaxmes, 
en constatant, par une démonstration, que nalre politique: tradi- 
tionnelle en ‘Orient serait. énergiquement - smaintenve. (L'envoi 
d’uné cscadre fut résolu.. Cette expédition .pacifique..a. pu mpliver 
certaines défiances;, des ennamis.au de maladroits amis pauwrons 
chercher a la présenter comme, une yéritableexeprsion diplomyalice~ 
militaire; il est des gens qui yoient. des, missions.secrétes pantout. 
Celle de Vamiral Hugueteau, de Chailljé échapparaatella 4 cp dbep- 
témie 4 la mode? Les raisans d’ordre ee qni genles l'ont mo- 
tivée permettent de V'espérer. oe panne Sareea tadliiosas, ce 
_Conformément aux ordres ministériels, ‘Lescadra :.d'évolaens 


‘paXs vb revanr? | iu 
sppareillait le 4 octobre 1872 de Toulon. A peine hors des passes, 
les deux divisions qui la composent se séparaient, la premiére se 
dirigeait vers Ajaccio, et la seconde, prenant désormais le nom d’es- 
cadre cuirassée dans Je Levant, faisait route pour Tunis, ov elle 
arrivait le 10 octobre aprés avoir, en passant, camplété 4 Bone son 
approvisibtiwertdnt'de-chatbon: © 

Depuis plas de'quatre ahs, aucune eScadre francaise h’avait mon- 
(réson pavitlon sur:la cdte de‘Turlisie: Cette longue abécrice, rap- 
prochdée ' dis#-Appiriflons f'dqtientes'de'batiments de gueire anglais, 
iulioné, itrieHiehs, était’ fort corimentdd ‘dans ‘Ie pays, L’on, ‘en 
coriclunié woldtitiét's que’ hos ‘désastres ayaiént'atteint jusqu’a nog 
forces mai@imes!! et! le ‘bey ‘se felicilait' d’avoir sollicité dé la Porte 
une'sauens:-que'laFrance Settbiait-n'étre plus enh'mesure de lui, 
ssuver désorrdiaie. Tit ‘surprise fot’ extrémed forsque, passant par: 
dessus: la (Goulette, le votfe et! Id' ville de Tunis, la puissante voix 
des vanéns dd! Jb -Godotse' snnonca jusqu’au Birdo Tarrivée d'une 
floite'fratiesisé| De-'tulites ‘patis,; les plus dpathiques accouraient, 
pour vetir Pos ‘idveava tits: N'ataient-dlles - pds dee fah{omes: cés mons-, 
ueuses masses 'tdites:) bardécs'‘Weé''fer, ' a’ Vuispéct imposant - ét 
sombre? © Spectitté bien fait ' pobr tipper ‘Tes’ imaginations grien-, 
tables 1] Posthbs t | Pe Se 4 Se als aes 7 

Gelus qui wa Jamais quite sh'putrie ne'conndlt pas Pémiotion du 
Wrage? 8°14 Wee; Wii ‘We tellds ‘circonstancés, di pavillon’‘de son 
eS. le joie, d’espérance et d'amour. 
Voit Ie @rutied, ie'la Frande’l's*écriafent nos’ compatrioltes, et le 
phatsiv dente Britatt! feut’ vecaid ; assutdince nouvelle ‘de leur. dé-, 
morcie; atest Died! que! Tes stares dé réspect'ét dé sympathie qu’ils’ 
remeididnt leit passage’, ‘trahissaignt assez la portée d’un tel’ 
erondarein t!9 La-elobier frotcatsd! ‘tant’ 4''la Goulétte ‘qu’é Tunis, est 
Penvinon ‘Apaie edits fariittes ;’ie' nombre ‘de nos protégés, tant, 
mesulintin’ yiitigvadlitas: ut beaerere plos eonsidérablé. Tous cps , 
copprs) ba tteibnd 4 12Hisdon' et traditisaient. leur'joié d’une fagon. 
hica'teieharta? Bat léut’ demande! is‘farent présentés successive 
ment! et? ipa! beupes's Pamiral' et atx élats-majors réunis. En ré-, 
porisey al ewpressibit'He létir'redonnaissance et dé leurs voeux, il fut. 
dit -Augus!d Aye fo? Gdn Ballte at patience }' Ta France n’oublie pas, 
S08 CLARA MES, “408 off Hest tevjouts’ juvert; et son’ bras encore vigouy 
rows) Pda peiddHtd Mest! hous, ‘travaillons; 'heure, prochaine | 
est Digi: egsaperts12<'Tvocasions ‘4u‘Dieu' ‘da Prophéte, sermenis , 
Cambuy et Ae fitelinaeindigiagées de confiance dtérnelle, rien ne, 
mutha aux ldomdtistititidhd ‘enthoasiastes des Arabes. ‘Le succés , 
colossal de notre emprunt les .avait. frappés’Féblouissement ; thais, 
a-died whey betes letatante’pteirte ‘deinéire Wtdite renaissante avait 


442 VESQADRE FRANGAISE 


pewl-dtre moins émo- leurs intelligences qaeheppdres mititaire i 
venbit d’étre' déployé devant leurs ' yeux: : 

Le bey lukmbme tint 4 hormeur de recevoir' Pawiral nrsnduls et 

ses officiers.' A cette ovcasion, il manifesta pabliquement 'lés plus 

vives 'sympethies pour la France ct pour M. Thiers, « le‘digtie chef 
de son gouvernement. » a La grandeur de la Frahve, dit+th, est né- 
cessaire & la paix'du monde et surtout & cefle'de Y Orient,» parole 
profondénient -vraie qui, dans la houche de ce viel allib de notre 
‘nation, avait l’accent dela sincérité. 

‘La régence dé Tunis n’est pas florissante, le campogwe: se dé- 
peuple, la misére et la ruine-ert chassent pew A peu les habitants, 
malgréi (ous les efforts faits pour les retewir. Les procédés, simon 
les mtentions: da: gouvernement prétent, paraft-il, & bien des cri- 
.tiques, la menace dela banqueroute apparait déja, mbis& qui peut- 
on :s’en prendre.et ‘quel' est le reméde? Il est certain que la popu- 
lation de cette cont#ée:offre ce caractére particulier; qu'elle semble 
n’avoir jamais considéré le sol qu’elle habite ét . qu'elle -cultive 
comme sa patrie: Se sentirait-elle, delle :méme,: inférieure & sa ta- 
che? Nulle. part, mieux que: chez elle, il‘n’est plas facile:de constater 
la frappante immobilité a laquette: toutes les'races Tnestiloune pa- 
raissent ‘avoir été fatalement condamnées. rg 

Les alenicurs‘de: ‘Tunis sont parseniés ‘dlentiques décombres. La 
chapelle de Saint-Louis domine les ‘vestiges de Carthage; dans son 
cadre de verdune, elle se dresse' devant le : inegard et: la pansée 
comme une protestation contre Jes ruines qui Penvirorinent. ba 
statue. du rot:eheblien est tournée vers I’Orient, 'corame pour indi- 
quer 4 la'Feance que:ia route de son avenir est la ‘méme! que celle 
de son passé gloticun. Quel peuplé viendra; pursson travail, fe- 
eonder ce sol fertile:?quetles flottes‘sortiront in ‘jour de ices porls 
si merveilleusement situés? Carthage renaitra, le temps: est iprovhe, 
pout-dire. De! toutes parts, ‘cette ' betle ‘proie egt' eonveitée. : Ele doit 
nous échoir, ear ele est-encare la tetre d’Algévie.. 

. «L'effet: ordinaire des cblonios, a dit Montesquieu, & moins qu'elles 
meient iréspeu ‘d’éendud, est idteffzrilobin de ipays‘d’od ‘on tes ie 
sans peupler ceux etron les:anvoieis 6 © is ote 

Sans manquer @égorde’ ‘Villustre' penseur, it est cane de 
ereire qu aujouod’hui, enface del Amérique, des! Indes et de Y’Aus- 
tralit, sans parler: ’dutves exémples moins: gravidiosesy il 11’ hésite- 
‘Tait pas a rerier: sa: thése. Il avoverait' hte 'ltaffaiblissament en 
homoves;. Si tantvest’ qu'tiioxiste) ‘est plus kuecompdnse: par l'ac- 
‘croissement de la face en'inflience > — evait,' cae edleb suntdi- 
‘ghessde son-grand esprit; tds! belted aves dcribes seri notre leplonie 
Afrique, - par": Provdst-Poradoly ‘desthunent ‘polit qtud' wa cour vral- 


DANS .LE L@YANT. 145 


ment frangajs. ..4gataires de.gette: féconde inspiration, naguére en- 
core la plupart des organes de la presse francaise annoncaientiavec 
deuleur qu’yne. émigration déja4 nombreuse d’Allemands chercthait 
a s'dlablir en Tanisie. Cette nouvelle était purement imaginaire. 
les dispositions de ‘ce pays manifestement:- défavorables 4 la Prusse, 
le traitement infligé pendant la derniére guerre 4 certains agents 
suspectés d’avoir.voulu pénétrer en Algérie par la frontidre,.et enfin 
le peu de sympathie proyoqué & Tunis par la récente visite du 
prince Frédéric-Charles, écartent momentanément de nous ee: dan- 
ger. Cependant, née cessons pas d’étre.vigilants, le devoir de notre 
politique est d'écarter 4 jamais. de l’Algérie un pareil veisinage: — 
Quand s’éeroulera: la. derniére pierre de: l'édifice- vermoulu, sau- 
rons-nows, ka .relever pour. en faire les assises de notre grandeir 
feture? Que Ja: saint. roi porte 4 Dieu notre patriotique invoeation, 
qu’tl le supplie de fermer nos plaies encore ouvertes, de guérir nos 
douleurs tavjours cuisaates, et de rétablir la axance en: sa forge et 
en sa, splondeur ! 

Avant de songer a: conquérir lé sol, il est permis ‘de Sessler a 
se conoilier les cceurs. (eat. A cette. tache: que le personnel dé notre 
escadre employa: les loisirs.de son trop court séjour sur la mde de 
la Goulette. A bord de nos hatimients, furent admises towtes les fa- 
miles qui exprimérent' le désir de les visiter. La bonne tehue, 
lerdre, la diseipline, la politessa de..nos marins, aussi bien: que 
leur habileté Ada mariouxre, leur. valurent les: plus gracieux ‘suf- 
frages.. De: ewricdté, ils surent exprimer combien ils:.étaient tou- 
chés de cette: prodigalité de témorgnages 'syrnpathiques: Quand vint 
le jour, de: 'appareillage, -ils partizent. gaiement, emporlant .l’assu- 
rance.qua, derriéze end, ils Jaissaient ks meilleurs souvenirs, ‘et 
que leur vVisiie avait tavive = bien a beur a pure omme at 
patmoatisme. jit i: 

Pesdant Ine :quelyves:; pare de: mer. qui hpaiant Tuhis de Pont. 
Said, les équipagesi:acbavérent de se préparer aux travaux de l'sn- 
speclion générale annualld{ Gelte mépeblion,. passée: ordinairement 
par le chef mémme de)l’escadre,:est:pour teus.un événement considé- 
rable. Dés longtemps on sen préoccupe \ |’émulation enflamme jus- 
qu’a dernier mousse, et: le dési de poerter.son navire ‘au premier 
rang, désar -ohadue jjour surexcité | par les-commiandants, conduit 
fire! des! messeibles: Dans une ekeadre, diun batiment d-un-autre, la 
differance 'dat jdimais bien grande. ‘Nos. raglements maritimessont 
si kagement.eancus,e¢ -at: ‘Scrupulensement ; enégoutés} d’autire part, 
les qualites i notre. personnel.d’afficiers, sont si analegues. ct: si 
compl tes, quelouti.2, bord, bras. el inlelligences, semble maroker 
CONDE. URE; satin ih ana méglde,.Gependan, et:celn est 





145 VESCADRE FRANCAISE 


facile 4 constater aprés une longue campagne, Io caractére du com- 
mandant donne toujours 4 son équipage une empreinte qui consti- 
tue son originalité. L’ceil de 'homme du métier ne s’y frompc pas ; 
leg matelots eux-mémes le ressentent fort bien. Lorsqu’ils ont com- 
pris que leurs services, leur zéle sont appréciés, que Jeur chef les 
aime, lés instruit, les dirige habilement, adoucit le plus possible les 
rigueurs inhérentes au métier, se garde a la fois de trop de dou- 
ceur et de trop de sévérité, ils se donnent entiérement a lui, s ANIEO: 
dent 4 sa personne, & sa destinée. 

Heureux-le chef ainsi favorisé! Tout, dés lors, lui devient facile, 
et, sans effort, par le simple effet de ce contrat de dévouement ré- 
ciproque, il arrive & commander une force mililaire formidable 
parvenue 4 son plus grand développement d’intelligence et d’acti- 
vité. A son bord, tout homme est comme Ie héros de Tacile, cours- 
geux pour obéir, ferme dans l’action, modeste aprés le triomphe, 
digne de conquérir la gloire sans exciler l’envie. C’est 14, suivant 
énergique expression des Anglais, le vrai man of war, le batiment 
de guerre fail homme. 

Le navire qui fait campagne soit isolément, soit en escadre, cha- 
que jour doit étre prét au combat, chaque jour doit faire un progrés 
de plus en vue du combat. C'est vers ce mot, ce seul mol, ou plutdét 
vers toutes les pensées qu’il condense, qu’est dirigé cet effort si in- 
tense et si multiple qui caractérise la vie du bord. Les détails d’exé- 
eution sont extramement variés, c’est 1A qu'il est relativement aisé 
de surprendre le secret des moyens ou Ja supériorité des résultats. 
Le travail des inspecteurs généraux doit étre assez approfondi pour 
que l’4me du navire leur apparaisse dans son imposante unilé aussi 
bien que dans la diversité de ses manifestations et de ses facultés. 

Aussi ne néglige-t-on rien lorsqu’on s’appréte & recevoir leur vi- 
site toujours redoutée. Mais, disons-le 4 )’honneur de tous, si tel 
équipage l’emporte sur quelque point sur ses voisins, il-est vaincu 
d’autre cété, de telle sorte qu’en moyenne, le niveau d’instruction 
atteint partout la méme hauteur. Triompher sur toute la ligne est 
bien rare; jusqu’aux jours de |’épreuve définitive , chacun peut ce- 
pendant l’espérer, et tout chef habile a le devoir d’entretenir dans 
tous les cceurs cetle confiance. Est-il plus noble occupation pour 
Vhomme que de travailler ainsi 4 Pélévation de son pays? 

C’est dans ces labeurs incessants que s’écoula, pour notre escadre, 
la traversée de Tunis en Egypte. Aprés avoir reconnu Ie phare de 
Damiette, elle alla jeter l’ancre devant Port-Said, et le jour méme 
la Thétis, la Reine-Blanche et le Desaix cutraient dans le port pour 
y renouveler leur combustible; seule, /a Gauloise, retenue par sa 
grandeur loin du rivage, restait ‘mouillée en dehor's des jelées. 


: _., DANS LE LEVANT. 445 
Tout a élé dit sur l'Egypte, sur cette méve créatrica do 1a civilisa- 
tion, terre féconde én prodiges et qui, mieux que toute autre, A coté 
de sa propre grandeur a su, sans en redouter la rivalité, exalter la 
grandeur de I’homme. Nul voyage au monde n'est d’un plus éloquent 
enseionement que celui de Port-Said, 4 Ismailia par. le'canal, d'Is- 
‘mailia au Caire par le chemin de fer, du Caireau Nil ef aux Pyrami- 
des. Le Nil, meryeille des fleuves, bjenfaiteur obstiné qui, depuis 
tant de siécles, obéissant au mot d’ordre mystérieux regu du Créateur, 
verse & pleins bords la fécondité jusqu’a vingt lieues de ses rivages ; 
les Pyramides,- monuments impérissables aux pieds desquelass’agi- 
teront, tant que vivra le monde, les sables du désert.et Jes révolu- 
tions des hommes; Ie canal de Suez,,.triomphe éclatant de. Hesprit 
sur la matiére, affirmation sans égale de Ja puissance de Ia civilisa- 
tion moderne; fel est le cadre grandiose du plus magnifique tableau 
qu'il soit donné, au veyageur de contespler..Si la féte. est pour les 
veux, elle est aussi, et surtout, pour J’intelligence. Dans ce par- 
_ cours rapide, les souvenirs de tous les ages la pressent en foule, 
Passaillent jusqu’é donner le vertige. Tous les peuples défilent a 
envi, avec leur cortége de laheurs et de douleurs, de hauts fuits et 
d’errcurs, ils naissent, grandissent.ct s'effacent: vision émourante 
toujours dominée par ce ciel, sjlencieux ,-.¢blouissant, sans‘nuage, 
miroir de l’éternité, au dela duquel apparait la face de Dieu. 
LEgypte est, a Ja fois uhe nécropole.de grandeurs déchues et-un 
berceau de graridecuys nouvelles. Son histoire, déja longue, n‘a-pas 
dit son dernicr mot ; au passé le plus. pradigieux succéde un pré- 
sent plein de promesses, Ses. souvenirs pourront passer tomme ont 
passé fant d’autres, de soudaines selipses pourront entraver' les ef- 
forts de son travail; mais Ja terre restera, avee son incomparable 
fertilit8, avec sa situation merveilleuse, au milieu de trois. éonti- 
nents. TOf ou tard, Je commerce du globe s’y-donnera rendez-vous, 
el ce sera, sans doule, l’arrét de.mort ou l’émancipation tardive 
mais éclatante de sa popylation si laboriguse :et: si:patiente. Qualle 
que soit, vers ces temps, la*fortune de la. France, son souvenir vivra 
impérissable en ce pays du souvenir, car c'est elle qui, par Ja con- 
ception et ’exécytion du canal. de jonction-des deux. mers,:aura la 
gloire d’avoir préparé tant. de prospérité © 3 et 
LEgypte d’alors ne ressemblera guére.a:l’oneienne. Deéjx, le tou- . 
nste va en voiture (6 profanation !) du Caire aux 'Pyramides ;'déja un 
pont audacteux mesure. la .Jargeur.:du .Nily.le désert lui-méme est 
dompté‘ par la vapeuy,, lea qités. sortent de teree comm pas’ enchan- 
lement. Port-Said , et. tout.est, Kceuvre de I’homma,. acquiert: une 
importance considérable, gage, de’ pragnés. plas: grants-éneore, eha- 
10 Avan oD Wee sp te pee A 


146 L'ESCADRE FRANCAISE 4 


que jour ses eaux sont sillonnées par de nombreux navires. L’ceuvre 
est née vivante, elle vivra. 

La présence de l’escadre devant l’embouchure du canal a permis 
‘a tous nos officiers et morins de se rendre compte par eux-mémes 
du gigantesque travail accompli et des proportions trés-sérieuses 
4u courant commercial déja établi. Du méme coup, soit par des 
epéralions de sondage, soit par le fait méme de lentrée de Jeurs 
navires dans le chenal, ils ont pu se convaincre qu’une surveillance 
‘iacessante et toujours active assure 4 l’entreprise des conditions 
permanentes de sécurité et de succés. La, comme 4 Tunis, les nom- 
breux résidents francais ont salué leur bienvenue par l’accueil le 
plus cordialenment reconnarssant, et partout, en Egypte, on a com- 
pris que, n’oubliant pas son ceuvré, la France reprenait d’une main 
ferme son influence un instant obscurcie. 

En terminant les opérations de son inspection générale, l'amiral 
ne put résister au plaisir de remercier les équipages, non-seulement 
du trés-remarquable degré d’instruction auquel ils étaient parvenus, 
mais aussi de |@ collaboration efficace qu'ils apportaient 4 l’accom- 
plissement de sa mission par leur conduite et leur dignité. Ce fut le 
signal du départ. L'escadre avait séjourné quinze jours devant Port- 
Said. Gontinuant gon heureuse campagne, elle appareilla pour la céte 
de Syrie, toucha Je lendemain au mouillage du Mont-Carmel, et vint . 
soudainement arborer ses couleurs devant Beyrouth. Beaucoup de 
projets de pélerinage en Palestine avaient été faits, fl fallut (bien a 
regret, mais le temps pressait), les renvoyer 4 plus faverable oc- 
vasion. } : 


Il 


* ; t ' 


Les montagnes du Liban sont habitées par une population dont les 
sympathies pour la France sont de vicille date. Pour les Maroniles, 
vous n’avons jamais cessé d’étre la nation généreuse et chrétienne 
‘par excellence; toutes leurs aspirations, toutes leurs espérances 
sont encore tournées ‘vers tious. Nulle part, a'Pétranger, nos défai- 
tes’ n'ont trouvé un plus douloureux écho, nos blessures n'ont été 

s plus ressétities: A ‘tort'on a raison, tls’ consid@rent la France comme 
leur champion dots les luttes de l'avenir; tous leurs révés ont cru 
somisrer dans le naufrage de notre fortune. L’instinct de la justice 
les a'netil gardés d’an'complet découragement en leur, dévoilant que 
Dieu ne pouvait: permettre notre anéantissement total; un tel 
malhour leur ett semble comme ta décapitalion du genre humain, 

& 





DANS LE LEVANT. 447 


et pieusement, au fond de leurs coéurs, ils ont gardé en notre étoile 
une foi inébranlable. = a 8 

L'arrivée de notre escadre, venant inopinément donner un corps 
4 leurs secrets espoirs, les remplit de joie. De bouche en bouche se 
répandit Ja bonne nouvelle, ce fut dans taute la contrée comme un 
immense tressaillement. 

Outre le souvenir de nombreux bienfaits, une grande similitude 
dans la tournure de lesprit, dans les gouts , et méme dans les pas- 
sions, rapproche les Maroanites des I’rancais. — Lahorieux, écono- 
mes, actifs, fanatiques pour leur pays et leur religion , ardents et 
génereux, faciles peut-étre 4 illusion, ils ne manquent. ni de cou- 
rage ni de générosité chevaleresque. L’histoire-de leur race est celle 
d’une lutte perpétuelle pour l'indépendance. Grace 4 leurs infatiga- 
bles efforts, ils ont pu conquérir une sorte d’autonomie ; le reste, 
réve encore peu défini, leur sera procuré par surcroit, par le déve- 
loppement 1égulier de leur force. En attendant cette lointaine 
échéance qu’ils appellent de tous leurs voeux et. qui coincidera, sans 
doute, avec la transformation compléte de l’Orient, ils sont aujour- 
d’hui assez sages pour comprendre que la patience, le travail et la 
modération sont Jeurs meilleurs alliés. Facilement inflammables , 
ils n'ont pas oublié Joseph Karam, héros déja légendaire; mais ils 
savent quenotre siécle favorise la force plus que le droit, et, réfugiés 
dans une attente recueillie, ils trouventien leur Ame: plus de solli- 
citude pour la France que.pour eux-mémes. 4 

En ce pays, la’religion seule est souveraine, c’est dans cette vérité 
trop peu connue que réside le secret de notre influence prépondé- 
rante; tout chrétien est un Franc. Si l’on demande & un paysan ma- 
ronite : Aimez-vous les Francais? il répond : Je suis catholique, 
donc je suis Francais. Aveu touchant et bien fait pour susciter chez 
"certains de nos soi-disant hommes d’Etat de. salutaires réflexions. 
Grace a Dieu, Je draneaw durcathalicisme est.engore debout em france, 
ef c'est en.se tournant yers lui que tant de coeurs se donnent.a nous. 
S’il venait 4 Alre renyersé, notre belle, mission. dans le. monde per- 
drait sa, raison d'élre ; ,avec, Ini,s’écraoulerait ce, qui nous..reste de 
grandeur. Dans le calme,de la réflexion, calfe.qroyance s’impose & 
tout esprit. que n'égarent, ni ambition ni la.passion; puisse-t-elle 
surnager par-dessus le trouble et les tanébres des discussions poli- 
liques ef des dissensiong intestines ! Jusqu’d ce jour, il ast juste de 
le conslater, malgré la, diversité des. gouyernements qui,'depuis un 
siécle, ant dicigé |’action de la France,:elle n’a- jamais cessé d’in- 
oS inofre politique dans Je Lihan;. gardons-en la précieuse tra- 

ition,“ 

Notre intervention en 1862 a laissé derriére elle un grand bien- 





148 Ly ESCADNE a 


fait, I’établissemant d'un’ gouverncur chreticn. Celle conquéte. ne 
porte malheureusement pas fous ses. fruits. Franco-Pacha’, indor. 
lent et inerte, fait aujourd'hui regretter. son prédécesseur, dont linn 
telligente et. fécande administration ne tardera pas, il est permis de 
l'eapérer, atrouver pn digne hérilier. Cependant, malgré tquies. les 
entraves, la prospérité s’accroit de jour en jour, la terre se défriche, 
la vigne et le murser gravissent toutes les pentas.de. Beyrauth, a Da- 
mas, la montagne se.parséme d inoportantes et forissantes filatures ; 
Beyrouth. méme se peuple et s'agrandit. visiblement... L’élement 
chrétien.y prédemine par le travail el par le nombre. Beyroush -est 
te vraie capitate du Liban. Deans ses murs, comme au dehars, il est 
difficile de retrouver des traces de, Vantagonisme sanglant.gui a divysé 
naguére les Druses et les Marqnites. Au surplus, la vérilé sur les 
massacres de Syrie.est aujourd’hui connye; nul n’ignore que, dans 
ce drame affroyable, les Druses n'ont pas élé les principaux. coupe: 
bles. Une haine commune pourra peut-étre es reunir.un. sane laurs 
victimes contre le méme oppresseur détesté, . .. 

Au premier. abord, Beyrouth semble étre une colonie Bancaise: 
on -y ‘pasle couramment, noize langua,:.Ge. résultat, bien fait. pour 
nous pizire, est, dia BOs, Mssinnnaies, a leurs écoles, et. surtout a 
ces femmes de.ccaur ot de, dévauement qui se. sent vouces & | éduca- 
lion de Yenfance, pax scaurs dela. Charite?, ‘Laur. éfablissement. de 
Beyrouth,. 4 Jui seul, contient.un millien diéléves. Jalouses.d’un. tel 
succés, dss diapanesses. venues d Adlamagne ont dabla yaa concur- 
rence qui menace ide devenin radquiablp..La.lulte-est engagée- Le 
gant a. cté wzlevd par lea: dames ie Nazarath,: ngs, ailiges, qui, pour 
fixer définitivement la victoire, se sont résolues, auy-sacgifices, Jes 
plas dispendienx.. Dans, getta noble taghe, nog-encausagemcnig ne 
deivent pas leay:. manqner. Les: Irois. cent ‘mille Maronises. qui -per- 
plent.le Laban congtituent: wn neyau.compacte, plain da; séve,el d’a- 
venir, dentile développement intallactyel ast, pour, ails dire, ,gnize 
nos, Mains ; al dont-y xasler. PO Sn SH oan ea bap tinued 

C’esi dans. be. Sens qu: été panigut jalerprétie. ka; présence de 
Vesgeadre, Elle, a. domane an wegain de. <onfinnce- et, da courage.| teus 
nos-amis,:quivenaient en, ifoyle ia, visiter; Des derniprs.. HAPS APS 
managnes:' las: pedrea ctincendal snk queqn'% eld] cerAmME 4h PAIC- 
ramagess [owe ec suh rb otgegime P alanet Saoniots brat 

‘Nos: navires ne ipérdient ‘PRS, bebe yuside pres. Louis proportions 
harmonieuses quoique sévéres, les canons da gres qalbra, dapt js 
sons: oe ache URE eS dps; obaaltis, frappens eb goduisent le 

matore Poe este Goo tA otieatened hob eluate zhis 298 

' Depuis yue cov iii ot is Qcsites,'varido-Plvchia edt anorty etn aatd tr Une 
maladie qui cepuis longtemps |’empéchait de s’occuper de son gouvernement. 


DANS LE LEVANT. 149 


regard. Ce spectacle militaire, rehaussé encore par les salves nom- 
breuses dues aux visilds officiellés, inspirait & tous-une sorte de 'fierté 
naive qui, mienx qu’aucun discours, exprimait combien ils pre+ 
naient part & la résurrection de nos forces. « Votre venue, nous 
disait-on, nous assure pour longtemps le’ calme et la sécurité. Désor- 
mais nous saurons répondre 4 ceux qui nous diront que la France 
n'est plus ; mais, pour notre bien, revener souvent. » 

Invitations superflues! il est impossible lorsqu’on a vu de prés ces 
nobles ccears, de n’avoir pas le désir de les revoir: Leur pays lui- 
méme est rempli de séductions. A cété des splendeurs de la nature, 
le voyageur y rencontre les traces les plus intéressantes du travail 
des hommes. I! est peu de paysages surpassant la beauté de‘la vallée 
du Crey, peu de ruines plus grandioses que celles de Balbeck. Damas, 
Beyrouth méme pittoresquement disséminée dans la verdure, au 
bord des eaux, réjouissent les yeux. N’est-il pas surprenant qu’une 
ville aussi importante, déja peuplée d' environ quatre-vingt mille Ames, 
ne posséde méme pas un port capable d’abriter la barque d'un pé- 
cheur? Les pachas gouverneurs seraient-ils encore élevés 4 l’école de 
celui de Ptolémais, qui faisait combler son port pour n’y plus voir 
les escadres ottomanes? L'administation turque, souvent bien inten- 
tionnée, rarement génante, s'aecommode fort bien d’une grande li- 
herté; mais il est impossible de méconnaitre que son imdifférence 
est parfois bien coupable. A Beyrouth, la mer est souvent houleuse, 
le moindre vent du nord interdit l’accés de la cote. Le souvenir da 
doufoureux événement qui, en 1867, causa la mort de deux mate- 
lots et d'un jeune officier de marine francais, est resté dans toutes 
les mémoires, I] serait temps d’aviser 4 empécher le retour.de sem- 
blables désastres. : 

Fidéle a son pacte avec le bonheur, notre escadre put garder 
jusqu’au dernier jour, d’incessantes communications avec la terre, 
sans avoir aucun accident 4 déplorer. Quand elle partit pour Smyrne, 
eseorfée de vesux uganimes, un soleil radieux éelairait sa marche, 
faveur qui, 4 cette époque avancée de la saison, avait bien son. prix. 

Chemin faisant, elle: alla jeter.un pied d’ancre devant Limasol, 
en terre de Chypre, Cette ile aux souvenirs i}ustres, aujourd'hui 
hien dépeuplée , n'est & trai dire qu'une grande colonie grecque 
maintenue dans l’obéissance par une garnison turque. Dans sa popu- 
lation, élément féminin Vemporte du double sur l’autre sexe. 
Faat-il attribuer cette étrange disproportion 4 l’émigration conti- 
nuelle des'‘jeunes hommes?: | 

‘ De Chypreaa.canal de Rhodes, l’horizon est ‘toujours dominé par 
les hauts sommets de la Karamanie. A Rhodes commence |’Archipel. 
Dans ces parages la navigation n’est pas une fatigue, c’est une pro- 


130 L'ESCADKE, FRANCAISE 


menade aux émotigns charmantes, A .chague detour apparait me 
terre nouvelle, avec sa couronne de Jégendes ; chaque rayin,.chaque., 
sommet, chaqpe plage a son nom chanté par.les postes : ici les’pla- , 
tanes d’Eschine, plus loin Ja patrie, d’Hippocrate,. & gauche:le. ber- | 
ceau d’Homére ; & droite, dans un lointain mirage, Ja ville de Diane’, 
et de sain{ Jean. Enfin, voila le, grand: golfe de Smyme, et, dans:le - 
fond, la ville antique, couchée au pied des. montagnes d’Anatolie.-. 
Pour de tels spectacles les jours sont.courls. | he ae ae 
Smyrne a été mainte fois assiégée, prise, reprise, saccagée, re- . 
construite, dévastée par le feu et la peste ; sa,fortune-a joujeurs sur- 
vécu a ces désasires., Elle compte avjourd’hui deyx. cent mille -ha- 
bilants ,, dont cent mille Européens ,ou' Grecs.; Je reste, composé - 
d'Arméniensg, de juifs, de Persans et de musplmans de.toute origine, - 
forme un assemblage bizarre, bariglé, aussi .réjquissant 4. vpir-qu'in-'. 
téressant A cludier. Dans, toute, la ville ségne pne;activaté pitteresque: 
et bruyante que.la guerre france-prussienne ayait-un: peu ralentia, 
my~s,.gui.reprend désormais toul;son- essor, Smayrne, est, la. centee - 
commercial Je, plus important de toute PAsie Mineure ;,d’innom)rar 
bles caavangs (lg chameaux cixculent dang ses,ruas étroites, appar - 
tant aux pavires marchands qui, peupientja rade, jas, produits les. 
plus Jomtains,, Des quajs magnifiques, enpora ean..consiruction| en 
feront bigniol une des plus belles ¢ites dy, lidtonal-magditerrancen.. 
Les gensid:aflaixes, sont, .en général, gems: pratiques,|Sauf Jes jails | 
qui,. faat, digne, de remarque, a ont. pas cegsé, Ma seud jour de naus 
rester publiquement, fidéles, teul.ce monde de commercants jadia si 
favovable Ja Franca, n.a.phus de sourires que pourjngsiyainqueurs, - 
IL ne nays Kendra, sa, confiance et,sx sympathie, que lorsque: nous au, , 
rong nettement, affirmé la résurrection, d¢.nobre antique puissancer 
Sans, trop nous, plaindre, dune desertion qui, dj}, nose plug s@mat j 
nifester ay grand, jour, npus,.devans y a YR eMCourAgeMmenE . 
eflicars a hater nbtre:travad, P-TECONSHUCHON cree for i cot Ob 
L'appi wee ide notre escadre, n'a. pa nize, & celte, cpuvre, sainte, ;- 
Par, t ase Moyers. en, sgn, pourgir. elle s.est effarcée defaire-eamn: 
pren ae oe ne Se.ralenticalt, plus, désqrmals..[, 
Au contact de, at, af en foyer de ipplriqtsme, dans; toutes. les. far, 
tmilles grecques,s ASl, réyeillé le souvenir encpre,xiyacs deg. dultes de, . 
Vindipen ange, Nos cio. if. PU, popgtaler.axpq; Emotion que Hin, 
gratitude, Wavalt: pas eANeKAR AS BR grep ovgilis, toujrd'ac 
bord asses frpidement, ils Nat. pas. S.A Greee AM. caprant Ae, 
sympathigye, seduction qui, sur, ja, fp. de, lens, s6jque, aval rament.,| 
vars ayx toute la société, élégante- ct, poliche,.Ge fut.ay milien. de, l'6-. 
clat. des fetes, nombrquses données en son. honneur que Neseadre:, 
parlit pour le Pirée, qui deyait Cire, sa dermiere GIADA ui) tn ons cet] 


DANS LE LEVANT. 134 


LMymette, le-Pentélique; le Parnis et le Daphné encadrent un 
vasie-cercle: fermeé pat 1a met de Salamine; au centre s’éléve 1’Acro- 
pole.,Majestueax dans leur isolement, les restes du Parthénon domi- 
nentila plaine, Athénes-et le Pirée; ils apparaissent comme Pimage- 
deta France; donl les ruines '‘cornmandent aussi le respect du monde. 
Che!-f'oeuvre dtiarmonie dins les proportions, Ie temple de Minerve: 
détis te.pénie des archilectes modernes; gardons l’espoir que, plus 
heureux, nous saurons relever dans son intégrité I'édifice de notre 
graiidevr purssent les inspirations de la déesse de la sagesse nous 
alder % cette restaurationf — aan ae. | 

Lorsque les carions dé la Gauloise saluérent le pavillon grec, toutes 
lesvHres du Pirée én furent ébranlées ; en un instant, fa ville entiére 
envsigbra les quais, prauvant, par $a surprise, qu’on ne nous alten 
dait pas.\Parmi e¢ette foule eurieuse, baltait plus d’un coeur’ ami 
Beayeoup d’enfants ‘de 14 Gréce ‘ont pris parl & nos ‘malheurs autre+ 
ment que par ides veut : dla nouvelle de nos premiers désastres, de 
nombreux volontaires sont parlis, lé fusil sur'Vépaule, ef ont vouta 
coniiaitve dans-riés rangs ; Varmée grectue a’ complé plus d'une dé= 
seflion ‘nrotivée' pat''¢e noble ‘enirainemait. Is n’ont pu, hélas! et. 
nows sdvony ‘pourquoi; Tédssiy: selon leur courage; mais’ ils savent 
que lewn dévoviemeiit ré sdiva pas bublid, et qu’uné fois de plus, le 
sang a'soeHé Mamitiéides deux nations. Aussi; désirent-ils voir cesseit 
promplemient la’querellé & four sens‘ inivinpestive du Laurium. | 

‘Simple diffréwé fitancier entte'le gouvernénicnt cree et une cont- 
pegnie-frandovitetionne,’ av début, ce -dilférend' pba vait-it ne ‘pas de- 
vetirinternaliowdl? Lemabest fait, etil est pentistre ius prand qu’on - 
ne-penise! Er recherthant la suhition:- de celté: questidn; le ministre 
d’Ralie-d'idhenes sénibleavoir''tn trop: grand sbucj dé son renem 
d'idthideté!4 lI ‘tnmistre de Prarice! qui'se Sait’ dans'son: droit, in’y yout 
gidretya une distraction diplomatique ay sujet de laquelle t{ deplore, 
du reste, un réel savoirildire: Le tot’ Gebries'taisse agit” keds minis- 
treyiiyrahht’ st peuple’athétiien) dijburd’har entore, fl 4pporte dans 
Vafttire sitar Pllusions yhe hagierd We! 'rancuties (‘It danger est 
dan 'tactiqttt'du! cabinet grec. M, Deligcotels, ‘premier ministre, 
estan hortitie jeahe, atdett! ‘pldin-d‘suddct! plier corps et 
adre 8 Piticiery parti'de Hindépendayice, & ce parti quiréve Vartnexjon © 
de TE pite GeHe 1 PHessatie! Porte au ‘poirvoit maleré ‘Té ‘rol, #' ree 
chérehé Sh iedlit Tkppai du peirplé’Lé itive dieLaatiym seinble bitte 
vénit &' Bortit por gett levi doshoinls. tT ekploité tort habi- 
lemon pratique It niaxitné du dian poritife Scuevdla, qi dishit qu’ 
éhit ideassitite ue'td pduple ipndrat beadcoup de choses vraies, et 
en CHK beatitoup' de 'fausses, Jaissé'l'‘presse Hellénique égarer bes 
passions, et couvrtid’ uid appatence’ Ge pittiotismie sitddte dés pro- 


152 LESCAGAS FRAN GASB 


jets plus, dangereux:. que. grandiosas...' Toutes. dés ehbsesnse dasent - 
sous le manteau, nul ng pourrait, 41) beure présente, osen-les: affiry :: 
mer publigacment, fate, de preuyey, :et.peut-dtre-n‘omtelles aueyn: 
fondement scrieux, Les retards apporlés sang cesse h.wn drrangesient - 
says .cesse imminept,..le, parti pris de fermer. Horeitarauk -conseus: 
des gouvrernements étpangers, ip refua d’acoepter toul arbitrage, ne 
peuvyentils s expliquer, que, paxide tals soupgons? La laniiére ne.tar- 
dera pas, a se faice.; il.est a,souhaider qu'elle :mette en: ples jour 
une loyauté,sans deufe: miconnua, et qu'elle n’éclaite pas ame :nou-4 
velle,révoluion. oi. A ab Od peas 

Encore, & son. bergeau, l’agglomération heHéaique a besoin, pourbe 
dévelapper, de ¢ealme et .de sécarité. Son jeane roi, soucieux: de ses 
deyoirs constitutionnels, lui apporte plus de garanties que d-entraves,; 
il gait qu'un .pouxoir fort n'est jamais excessif; et: ne donne pds ‘a 
craindre que jamais, sous prétexte d’établir l'osdre, il cherehe:a im- 
poser une servilude. plus ou moins durable. Devoue a sa: nentelle 
patmie, jl, en, favorise. dignsment Jes. progrés, Athéries sagrandit, um 
chemin de fer fait du Pirée.un faubourg; :te bien-tire avgmente, le 
brigandage est expirant, et le commerce local, un instant déconte 
nhancé; par nos, dernidres lois de protection, ne.tarderapas, @-repnen+ 
dre.san activilé, Er échange da-(uls bientatts|, gu'apponteraill unave- 
nix plein d’inconmy ? ee Pa ec eeet povities tatite we 

Les . négociations.pendantes pfousaient:fnine: créintre' que Vareivte: 
d'yne,espadre francaise-ne: fat cansidérée comme-unelsonte depres - 
sion motivée!; om nient pas de:pbiae & démiontyer ques a resssionjavait 
un autre but; elle recut partout, aussi bien gu’auprés du roi, Yacr 
cueil. je, plug. empaassé. Dans, 4 petit -port du iPinge, afl¢ se! tous 
serrés.de pris pat de nombreux batintenisdo diversesmari nes: élsa ne : 
girps...Co, vaisinage- dui donna.ta satisfaction! dd prouver):devanb te:6: . 
ces témoins intéressés, ce que valait encore le catitdd la Htades;!qt . 
combien nolne. polléque: était dhoignéede siégliger sbsiiniiedts en 
Orient. Nos ¢quipeged parbotien! -outrecdustaten, nonisansorgueil} 
que squad aucun: rapper, ils i éhaiemtia-dessdas do leurs rivauxi;(ib:..! 
n’avaieut: pos eapéré: une. plug dowes écom penser A! d6tésde ses va |. 
sings, notre escadre pe'sentait uneaisembib eamppacte,-harmombuxy || 
sapsigganl par nepal {ar ggen wii ane tc mene meanest: | 
vres. Toutes ces qualités, mises en relief par la comparaison, eursnt: | 
un autre saérate queid’exalter bn nos marins le sentiment de leur va- 
leur personnelle, elles les encouragérent & en rechercher les causes, 
étude féconde en enseignements. 

Tout en faisant la part qui revient et reviendra toujours 4 I'intel- 
ligence, 4 l’initiative, au coup d’ceil et 4 l'audace, on peut affirmer 
qu’aujourd’hui, plus que jamais, c’est dans l'art que consiste la force 


Bene Ce ceed: 1! 433 


desarniées-nevalds.“Phérnlstocle, soteab 46 tradi dé Petite; démiiitral " 
le prémnienotte vevité-en propurdntsoti triemphe dé Salamitie."Long-' ° 
temps apres’ Duslius:Nepds, ‘dont Potivinale itventidri; dvant'sa con-""" 
sédration. par ‘la Nigloire: ft! sans /dowte souriitd tag marins de Vepo-" ' 
que, dat 4 Auimdave'croyance lla gloive dé! dauver! Ya‘ pated ; ‘de hos 
jours, clie'idet. davénud: an dxivine darthitectlire ‘navare.’ Bepuis © 
irentéanndes.le.vaistéautde guerre subi; sows dette Snspiration, Tes |! 
transformations les plus ikottendies) 1} -né litte plus contre Ia’ tner; * 
il la donapte + -quelquefois den est, il: estvreil! dévore.-La: vitesse est '* 
devenue l’arme de guerre la plus redoutable ; le culte quo Ibi porte 
conduira pauit-téte on jour: al le supprestian (day: 6pardgdy ’ eutragses 
dontlesiprogeésincessants del’ artillenedémortréntdejayitsefsonce. 
Dans cette: sechepche laboriedse du meilleur baltiment de eomiliat, ree 
cherehe qui':meben jeu toute la science hurnaine, la marine francaise -! 
est resiée,|jusqu’li ce jver, dja hauteur de sa-tache: Elie posstde des ' 
types de constructions yhi né vedoutent guére de tivalité; ‘mals qui,” 
déja: si¢tllis, :queiqala peine nés'd'hier, convient nos ingénieurs ade 
honveatre efforts: lean patriotisme: ae Mmanquérd' pis:'a nbtré ‘eor-"" 
flanebioe ty trcdemtiont Ghood craters ot Gt tet Tod a a. 
Coufinnce ,~ aspermnod, tels:étaidnt ied sunlinvents qui animaiert’ ‘ 
Vescadre: lorsque; des26 débernbrd £892; sous les yeux W'equipages | 
anglais, américains, russes ct grecs rassemblés,- elle! manvetivrait' 
pour sortit dujPirdey:A: vrai. dine, ces dpa! mots réstitient’ sa mist 
io ;:partoash ellosies aisenxts subison phssagey Asile dD’ honiieir ee! 
de-fai,:ponitowt elle a) réjoui tes bosuns: fuarcais, btfait paler nos ent" | 
Nems, ter wb 20 UP Gegcl teens othodiny da pok oii iba gd oe sit 
Batisfdite-eb|ipresqudljaybuse,| dle efieciaw son retony'sany eritom~' - 
breymainénax sesrcomteuis dbvant Messiboy ot eatin ; fe 34 decembre, fF 
lus fet donnéhda-rayoir, te terre de Pranée:;: elle we pouvait’ redevolt 
de!plus betlés; &trensdtes. af gietuio das 1 eee ills cata er 
Recahaaissants enyers.le gouvernement qui-.a jst ben utitisé lout ‘ 
Sertices, NaRIQanins jovissent aujoucd/buljdamg be repos, deld satis- | 
factiondndeveimatotuapli-etise tiemsiets préls A méqiter; arde'nod-" 
Velies fati gbes) Ob boos isio-enviebde! qi! Jeunia Sté faite Fideles ’& 
leurs: traditieds.etopjams dkiconfience dahs)4'avenit) ity résument 
toutes desars fpeasdds; dense inc dou re ot vsaimte| perée 1'Didu'et ta 
palmieu) nociersqino el iq toler ing eveten AMM eo eeti o 
“67 Tol ob Insaitiasa of cern zoo dD Devic ing aaRINES I! F 
2yeneo ol radyionoet ne 6 Javiszeruuon ul 2oha yiente ae bee 
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LA’ POLITIQUE PINANCHERE 


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“Le Le payemehnt de'larancott dé Fa _ = 4 guerre de4 870-14 
s*nscrira Warts'l histoire gérérdld’ de — les conime Pbpération f- 
nanciére In plus 'Eloniante dt Li plus instritetive’ qtli’ ‘Ye’ Boit'eiicore 
jamais vue. En trente mois, la France aura tiré de sa richesse #t ‘de 
son erédit stk miillatds et démi, ; pout!" Ids verser, ‘sant cainpeiisation, 
4 fa trésorerié de empire d’Allemagne: ‘Hiathy qf tive ve ey 7 HU 

A l'heure présente, l'étude de cette‘opération a, de plus, poul'tidus 
Frangais, un intérét vivant : l’ceuvre n'est exéculée qu’aux trois 
quarts ; il nous reste encore plus g’un milliard et demi 4 compter 
aux Allemands, et cette derniére partie de l’opération est la plus dé- 
licate; elle exige plus que jamais u tact financier + une haute pe 
voyartce!” Apres lee larges 'saibhi he . Gace Viet rie odo 
—_ subies depuis nae deux’ und 7 Pal Wlkn’ présdré garde! dix 
cons quendes’ dd Saibnéd fips, Suit a maniéye: jes ton 
nad rad iu el hie hii Nieearnet Ha Fhaiice 96 url _ 
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“Cotta. Hal Hastie BIGt ec alate od an var en 
doute que notre trésorerie ne p puisse rempli derniers engage- 
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‘ Voir le Corréspondant'déy PS adverts 4843) ob faltten 4 thas poe 


LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE, 15% 


a-dire verser au Trésor allemand cing cents millions de francs d'ici 
au 5 mai prochain, et un milliard enSquatre payements de 250 mil- 
lions les 5 juin, 9 juillet, 5 aodt et 5 septembre suivants, plus les 
intéréts courants des sommes dues et les frais d’entretien des trou- 
pes d’occupation. 

Mais la difficulté du probléme financier 4 résoudre, c’est, comme 

oro bless -produste P@ffet voulu avec 14 moindrp ‘perte de 
fo ‘est ‘de necomprofnettre qhe‘le moins pbssible iés 
forces vives du pays. 

Il ya deux maniéres de tirér d'un sob riche d’abondantes récoltes : 
par l'une, le bon pére de famille ménage l’avenir, et, tout en en- 
caissant de bons revenus, il conserve 4 ses enfants un domaine fé- 
cond; par l'autre, le mauvais fermier, aux derniéres années de son 
bail, épuise le sol, pratiquant la devise : « Aprés moi le déluge! 
aprés moi fa distal»  . . . ..... 

Ayons souci de l'avenir, c ‘est--dire de l'époque qui suivra le 
payement total de notre colossale rancon, afin que l'heure de la li- 
bération du territoire eihie marque ayssi J’heure salutaire d'une 
renaissance nationale /. Pane r ike dub thi ail! grace aux capitaux 
suffisants que nous aurons su réserver a la production de notre agri- 
calupe, de,notre, commerce, .de nos indusiries..\Qua le gouyerne- 

ment, reese 8 6¢,.8Fand. were davenir, comme il.siest appliqué. 

TST 9 iMberation, eb i-apra deux, fois. bien, — de la. 

MB ge-adoig se ob Sub emg oad al. ‘ 
heseaize cg problame, éconpmique? I oepirienge meme 
des faits qui se sont produits depuis dane gag naus éclairera. powr te 
STAHOR oy ula 5h ob Moth: ae Hy, SONG hehe! alee op oe A | 


cei 7h “Up mitre ia irs |S ir AG ae ae Sg 
phyqion & iaigb go bretiline as fpeuty vie stewt a bk ay 
‘aya sf t-9 noitsdqo'l ab vilteq esitris ollos to enn et LE ans 


dvons, 9 149 Vjoetyib aia oon eq agizy olin oy” 
Ja te apa) sha 3 sant été Jes exizencds naling i vain. 






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Pites a ne sus i tas mit les, requisitions 
gus ra ‘ ep es tee pyants, pendant 

, méme apr Me ApS eA RRR sail 
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espace ale tenis ans,.en damier terme le 2B iéyrierd 87a... i. 


156 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. ' 
' Les départements occupés devaient étre'évacués A mestire'des pdye- 
ments de la rancon : ainsi, aprés le versement du premier demi- 
milliard, abandon des forts de la rive droite de la Seine et des dé- 
partement(s voisins de Paris; aprés le payement des deux premiérs 
milliards, retraite des troupes allemandes dans six départéments de 
Est : Marne, Ardennes, Haute-Marne, Meurthe, Meuse et Vosges, 
et dans Je territoire et la forteresse de Belfort; cette derniére région 
devant servir de gage pour les trois derniers milliards. ‘ 

Tels étaient les préliminaires de paix, signés 4 Versailles par les 
représentants du gouvernement francais et:de l’empereur d’Alle- 
magne. 


M. Thiers, investi du pouvoir exécutif par l' Assemblée nationale, 
envoie des plénipotentiaires auprés de l’empereur Guillaume et de 
M. de Bismark, pour formuler le fraité qui doit consacrer ces préli- 
minaires. On négocie chez le vainqueur, 4 Francfort. 

La Commune survient : et cette insurrection formidable affuiblit 
plus encore l'autorité diplomatique de nos négociateurs, qui duraient 
dui comprendre cette situation facheuse, et attendre, pour signer le 
traité avec l’Allemagne, que la crise intérieure de la France fat pas- 
sée. Ils n’atlendirent pas; et leur maladroite impatience fat habile- 
ment exploitée par M. de Bismark. 

On était arrivé au mois de mai: depuis sept semaines, la Com- 
mune dominait Paris ; et, par la résistance de sa domination, encore 
faiblement combattue par l’armée de Versailles qui s organisait, elle 
avait acquis sur quelques régions de ‘la province une ‘influence qui 
venait de se manifester dans les élections municipales. M. de Bis- 
mark fit observer au négociateur francais, M. Poayer-Quertier, que le 
gouvernement de Versailles semblait peut-tre exister plus de droit 
que de fait; que c’était lui procurer une force morale dont il avait 
grand besoin que de le reconnaitre encore capable de traiter au nom 
de toute la France avec l'empereur d’Allemagne, alors qu’une partie 
de la France paraissait incliner aux idées et ala domination de la 
Commune de Paris; que l’empereur Guillaume daignerait bien con- 
sentir a traiter avec le gouvernement de Versailles; mais qu’en 
échange de cette concession, il devait, en bonne justice, reccvoir 
quelque chose, un avantage nouveau a ajouter aux conditions des 
préliminaires de paix. : “ 

Si M. Pouyer-Querticr avait eu le sens politique d’un' homme 
d’Etat, et le tact d'un vrai diplomate, il aurait pu se sauver dé ces 
nouvelles exigences tout en conservant le bénéfice moral que M. de 
Bismark lui faisait si hautement valoir : il lui edt saffi, sans discuter 
_les insinuations cruelics de son adversaire, il lui edt sufti de ne-pas 


LA, POLITIQUE FISANCIBRE EN RANCE. 437 


se presser,.de lemporiser, méme sous avelque préterte diplomatique, 
par quelque incident.de forme, toujours si facile & un négociateur 
doigné de Ja, résidence de son gouvernement ; il n’avait qu’a se ser- 
vir de l'éternelle rubrigne : « I} faut que j’en référe 4 mon gouver- 
Mement..m, .° . 

Il avrait gagné ainsi us peu de tempa, quinze | a vingt jours ; et 
trois semajnes: aprés, }’'armde de Versailles. ayant dispersé Ja Com- 
mune, il serail yenu dire,a M. de Bismark ; Je suis le représenlant 
du gouvernement national incontesté de Ia France reprenons les 
pralinainaires de, la paix.enire la Krance,et Allemagne, Et le chan- 
celier de l’empire germanique, changeant le ton de son langage, tui 
aurait répondu ce qu’il a dit un peu plus tard au Reichstag, et ce qui 
eat panfaitemant le fond de sa pensée depuis le rétablissement -de 
lautorité en Frange,.comme nous venons de le vérifier | par le trailé 
do 45_mars,1873,: ¢:Mou Diew! je ne tiens spas a nuire’a la France 
au dela de ce que, peut.exiger Vintéret de l’Allemagne; je voudrais 
méme lui-venir en.aide dans la mesure nécessaire pour ‘Sauvegarder 
notre erégnce. » 

Mais, M,, Lone etrQuertier rut. ‘faire merveille, en signaiit précipi: 
peat sh Je,40, mai 1871,.e1 4 tout prix, le traité.da Francforf, 

c'esh-a-dix mas a traile, qu wwe, seqonde capitulation, \ 

Par ce Balle x trailé de Francfor}, Ja Fran ce obligcait a 
verser, pux.Allemands,, en, 1974, non plus pin, smulliard , mais jun 
nilliard, ef Ait et A ogster pune | da ale précipe. ef assez ne 
prochpe,,.,au, 4° > mL 4872. par le een A fle cing gents ini 
lions, bes, Map RFeMIATS ABUiands de plus, eb.¢ clait Ja une humi- 
bg gurayal .4e5 BEM naires, de parr ance se sdumet fait 

; cansision Jéonine, qui: syhosdqanait l'éyacuation des départe- 

nlsidle la 7ésion,cenrole. non. pips seulement au. payement exact 
tuner rms, de Lindempilé, pais, ay hon vpuloir ¢ du \ fainquent, 
ne fe aBismark 7 «he een fe des 4 ee rfempents 

iy pave Oise, ae Seing.et-Marne, gine, aingi 

Ba a oe Techy 48) ssildt gua, Je socom tl 
nab dH Fa. |e. matah Hi ria, fa fapt.en, F fn nls conlegetés 

Paris, ani, pour psureH are i sp aaa gnis,contractés 

Pane ini AOS ETB N, He B ASTD Ar SS sai Si 

r ) rez votr n¢o ans els’ cf tels 
aa etee ea qui a Ray (ahd a ce el thous, ‘en Te- 
a CTARPATODS: OUTS territpixe quand Fer S7 tis ey nous 
7 : Tove82 92 uq tiewes Hi otsmolgib jew noth tend olde doit 
oh WM oun Isto sotlsgad of haa eae fe Jao} 2 ay eytbaas 
1 HEY 2 Hs PGHS 4 RING, ALES CP nahi eal hai. ii 
janet Tmanagy RES RSL Suse HR gas, ged Oey 


158 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. 


cent vingt-cing millions, avait pu devancer le premier terme de 
payement, verser les quinze cents millions exigibles le 54 décem- 
bre 4874, et faire ainsi appel 4 opinion de Europe en montrant 
que Vordre était assez bien rétabli, 4 Paris et dans le reste de la 
France, pour assurer l’cxécution de nos engagements, pour dler 
toute raison, tout prétexte sérieux 4 la persistance de nos garnisaires 
au coeur du pays. Les forts de Paris et vingt départements furent 
éyacues. 


M. Thiers songea 4 profiter de ce alivandent de notre crédit poli- 
{ique en Europe pour avancer plus encore fa libération, sans toute- 
fois empirer par de nouveaux payements trop précipités la crise 
monétaire qui venait de se produire a la suite des premiers verse- 
ments a }’Allemagne. II trouva les éléments d’une nouvelle conven- 
tion dans une question douaniére qui intéressait l’industrie et }c 
commerce de l’Alsace-Lorraine et de PAllemagne du Sud, et que 
notre négociateur n’avait ‘pas su mener a fin & Francfort ‘avant le 
traité du 10 mai 1871. 

Le chef de nofre gouvernement traifa directement l'affaire & Ver- 
sailles avec l’ambassadeur d’Allemagne ; et toutes. choses régises, ct 
agréées par }’Assemblée nationale, il envaya a Berlin. M. Pouyer- 
Quertier signer un trailé nouvean qui procurait une. cerlaine satis- 
faction aux intéréts el méme aux sentiments, de.la France. 

Le trailé de Berlin du 12 octobre 1871 portait ;.que-six autres .dé- 
partements seraient évacués sans délai, qu’il.ne reaterait:plus que 
six départements occupés, et que l’armée, d’qcoupation. y: serait. ré- 
duite 4 cinquante mille hommes; que les.450.milliens.d’intéréts:dus 
par la France Ie 1° mars 1872, et Jes.500. millions:.a dchoir je 
1 mai 1872, total 650 millions, seraiant, payables, par terades de: 30 
et 90 millions de quizaine en, quinzaine,, a partir.du 4° janvier 1872; 
que les six départements évacués en vertu da.ce.traité demeureraient 
neutres au point de vue militaire jusqu’au,splda. de, toute J:indeao- 
nité; et que la France accorderait pour quelqnes mess cetlainas-fe- 
cilités douaniéreg, sollicitées: comme régime, da.trangilion par kes: i in- 
dustriels et les commergants de 1’ Alsace-Lorraine, et profitables ainsi 
4 nos regrettés compatriots: 

Tout compensé, cette convention ‘de Berlin ninéliorkit iin’ peu 
notre triste situblion; mais elle nous laissait toujours 4 la merci du 
vainqueur ; nous avions encore eh perspective de payer & la Prusse, 
avant le 1 mai 4874, les trois derniers milliards, sans ay certains 
d’obtenir, & mesure de nos' payements, d’atitre réduction du terri- 
toire occupé que ce-qu’il plairait & l’occupant. Cetté échéance du 


a ee ee ee 


LA POLITIQUE. FINANGIERE EN FRANCE. 459 


4" maid874 semblait alors bien courte pour Ventier payement de 
noire nangen, surtout en considérant la crise monétaire qu’avait 
produite pendant l’hiver de.1874-72 l’exportation des premiers mil- 
liards versés al Allemagne. . . -- : 

De la Ja convention de Versailles du 29 juin 1872, qui fut un acte 
heureux pour, nous; car la France obtenait la des avantages certains, 
quelle que fat Ja fartune; bonne on mauvaise, de sa politique inté- 
rieure, quel que fut le résultat, facile ou laborieux, de ses derniéres 
opérations financiéres pour la libération. 

Ladernier déjaipour.l'enfier payemenot de notre.rancon fut reculé 
jusqu'au mois de mai 4875 ; ce qui donnait plus de latitude 4 notre 
gouvernement pour manier la politique intérieure. La France pou- 
vait échelonner ses versements depuis le mois de septembre 1872 
jusqu’au mois de.maai, 1875, at obtenir:que le territoire serait pro- 
gressivement évacué & mesure des payements. Si le solde de indem- 
mlé étaat effectué, avant 4875, l'évacuation compléte devait suivre 
sans retard la quittance finale, 


Un mois aprés cefle convention de Versailles, un emprunt de 
3 milttards 500 millions’, largement souscrit, et pour plus de moitié 
par les banquiers étrangers, ouvre 4 notre trésorerie d’Etat des res- 
sources irés-suffidantes pour hater les payements & l’Allemagne, 
cest-a-dire'pour profiter de la convention nouvelle en vue de J’af- 
franchissernent' progréssif et rapide du territoire francais. Et d’autre 
part, Pordre politique raffermi donne a penser 4 M: Thiers qu’il n’a 
pas besoin’ de retarder Jusqti’en ‘1875 ta crise politique qui semble 
sétre ajowrnée avi fendemain de 1a hbération ; le gouvernement se 
croiten état de'deminer toute agitation intérieure : muni d’argent 
pour solder l’Allemagné,- muni dé force pour tenir sous sa main le 
pays, it avancera'!le jour ‘de la tibévation et de-la crise. Ef M. de 
Bismark, pressé''d’en ‘finir avec “nous de ce colossal réglement de 
compte, howreur d'ailleurs de pouvorr se donner tout entier, au soin 
de sestaboriewses-affaires intérienres, souscrira bientét: volontiers 
‘tne houyelle bt'derniére converition, le traité du 45 mars 1873. 


on aelyty: ED 1, . TEP he ce és 


+ 
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Au moment du traité de Versailles, le 29 juin 1872, nous avions 
payé 4 l Allemagne 2-miltiards sur les 5 milliards de Vindemnité. 
Ging cents milligns furent versés aussitdt. aprés. la ‘ratitication du 
trailé; et, par suite, dés que l'on ent construit des: baraquements des- 
lings sloger, A part des babifants, les. 50,000. hommes de l'arméed’oc- 
cupation, deux, des six départements.encore occupés.furent évacer’s. 
- Gnguanfe maillions, furent encore versés dans les derniers mois 


160 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. 


de 1872, et 500 millions, plus les intéréts échus, dans les premiers 
mois de cette année. 

D’aprés le traité de Versailles, du 29 juin 1872, le quatriéme 
milliard devait amener I’évacuation des départements des Ardennes 
et des Vosges; et la libération compléte du territoire, c’est-a-dire 
\’évacuation des départements de la Meuse, et de Meurthe-Moselle, 
et du territoire de Belfort, devait étre obtenue soit par le versement 
réel du dernier milliard, soit par des garanties financiéres, accep- 
tes par l’Allemagne pour le payement de ce dernier milliard. 

Au commencement du mois de mars 4873, il nous restait & payer 
1 milliard 4/2. 


Par le traité du 145 mars 4873, la France déclare qu’elle est en 
mesure de profiter de la faculté d’anticipation que lui ménageait le 
Lraité de Versailles; et sur cette déclaration, ]’Allemagne régle d'a- 
vance la retraite successive de ses troupes, en accordant quelques 
peliles modifications de détail, comme un créancier satisfait de tou- 
cher son argent sans difticulté, sans mécompte, et un peu plus tot 
qu'il ne l’espérait. | 

Cing cents millions, complétant le quatriéme milliard, seront ver- 
sés d'ici au 15 mai prochain; et le cinquiéme et dernier milliard se 
soldera en quatre payements égaux, les 5 juin, 5 juillet, 5 aout et 
2 septembre. 

En retour, Pempereur d’Allemagne s’engage 4 faire évacuer 
dans le courant de juillet prochain les quatre départements des Vos- 
ges, des Ardennes, de la Meuse et Meurthe-et-Moselle, ainsi que la 
place et l’arrondissement de Belfort. Au moment de cette évacua- 
lion, presque totale, nous aurons payé 4 milliards 1/2; et pour gage 
des deux derniers payements, de 250 millions chacun, plus les 

intéréts et frais d’occupation, la place de Verdun restera seule 
occupée, et par 6,000 hommes seulement, jusqu’au 5 septembre 
Mi te ou doit étre effectué le solde, et ol sera donnée la qujltance 
inale, 


Cette espérance d'une libération prochaine et précise fait grand 
bien & tout cceur francais. Mais n’oublions pas que la tache n’est 
pas encore remplie, et que le plus difficile est 4 faire. En vingt 
mois, de juillet 1874 & mars 1873, nous avons livré 4 l'Allemagne 
3,900,000,000 de francs (trois milliards cing cents millions), sans 
parler des intéréts et des frais d’occupation. Aujourd’hui, en six 
mois, d’avril 4 septembre 1873, nous allons compter a |’ Allemagne 
1,500,000,000 de francs (un milliard et demi). N’est-il pas sage de 
préyoir qu’un déplacement de fonds aussi considérable, et en si peu 


La Pou Prrobe wileaNciehe BN Planck! ib 
de fortips, pres! tant dw mifitards dé passts en Allemagne dépuis 
deux ans, ne se fera pas‘sans troubler l’ordre écondmique dé VEi- 
fope, sans 'eauser -utie ‘vertaine afiéinie-eh France? gee 

Comment atténuert T'ébranlement probable de-telte colossale opé- 
ration? comment mémager les! forces ‘de la France, déja tant fatiguée 
par l'irrvusion:; ‘par la guerre-civile, et par le drainage des milliards 
dor et Wargent Francais livrés a l’Allemagne? Voyons d’abord par 
quels procédés''le gouvernement francats. a dpéfé jusqu ici pour 
les pretniers milliards, et quels ‘ont été les effets de ces combinai- 
sons finanvidres. a Ere ee 


sa oe eel 


» 4 ] : 7 » ? 


Lorsque'aprés'la Conimrune, le gouvernement francais entreprit 
la ibécation ‘da territoire ‘parle payement de ta rancon, il put con- 
sater en -Earope une situation Ecohomique essentiellement favorable 
aux emprunts extragrdinaites que nous allions émettre. 

Une grande partie de la France, les deux tiers, restée sauve de 
Finvasion, avait-des ‘resdourees abondantes et peu employdes; car 
les travaux pubties, lés grandes entreprises’ par association, et 
mme les entreprises particuli¢res, étaient restés paralysés depuis 
mn an, pendant la guerre ;-et, d’ailleurs, depuis trois ou quatre ans, 
les épargned naissant en France se tenafent timides, renfermées dans 
les cachettesdes familles ou dans les caves de la Banque. Il y avait 
done en France: beaucoup d’argent en réserve et sans emploi. 

Mais il y en avait encore plus a Londrés, dans ce réservoir uni- 
wersel, ou les capitaux da monde entier vont prendre asile et cher- 
cher emploi. Par le fait de la guerre des deux plus grandes puis- 
sances dat continent européen, fe commerce de I'Europe, et méme 
des dewx morides, fut alangui; en méme temps, les capitalistes 
du comtinent, ‘effrayés de la guerre, réalisaient leur fortune pour 
aller la mettre en sdreté dans la cité de Londres; ainsi !’argent 
aflluait 4 Londres, et s’y amassait abondant, sans emploi- possible. 

Cestee que dénotait ‘le taux de l’escompte, abaissé & 2 pour 100 
a la Banque’ d’Angleferre, et jusqu’a 4 41/2 pour 100 sur-le marché 
libre; ‘du Stock-Ekchange, les avances sur consolidés n’étaient 
mone’ pluis-qa’a4 pour 400. 

Cette simpfe'obsérvation du marché des capitaux devait donc nous: 
engaper &'puiser’4‘Londres ‘aussi largement que possible pour nos 
empranis, afin de: laisser 4‘la France les capitaux dont elle allait 
avoir si grand besoin pour réparer ses ruines, solder ses dépenses: 
de la guerre, ‘et reprendre sa production. . 

10 Avan, 1875. 41 


462 LA POLITIQUE FINANGIERE EN FRANCE. 


Malheureusement, le ministre des finances élait po8sédé d'une 
idée fixe : dénoncer les traités de commerce de 4860; et pour pré- 
parer ses fins, il crut habile d’affaiblir plutét que de renforcer les 
relations de la France avec l’Angleterre. 

L’emprunt du 27 juin 4871 fut donc combimé sous cette précecu- 
pation ; 4 cela se joignit le désir de provoquer en France, au lende- 
main de la Commune, une sorte de plébiscite par voie de. souscrip- 
lion nationale. On en vint ainsi & adopter pour l’emprunt la fa- 
meuse devise politique de l'Italie : « Fara da se. » An lieu d’ouvrir 
Yemprunt de 2 milliards sur toutes les places du.monde, notam- 
ment en Angleterre, on fit, en réalité, appel exclusif aux capitaux 
francais. Quelques jours avant l’emprunt, M. Pouyer-Quertier lanca 
méme une sorte de déclaration de guerre Geonomique au commerce 
anglais. Et le commerce, en Angleterre plus que partout ailleurs, vit 
dans une solidarité trés-intime ave¢ la haute banque du pays. L’ef- 
fet de cette déclaration fut si marqué, qu’on se crut obligé de le 
pallier un peu, en installant 4 Londres une agence de notre trésore- 
rie, pour paraitre servir l’emprunt a l’extérieur. 

_. Lemprunt, bien que circonscrit ainsi 4 l’intérieur, réussit; et il 

devait quand méme réuseir. Les capitalistes frangais, grands et 
pelits, étaient suffisamment pourvus d'argent, et d'argent sans em- 
ploi; et ils trouvaient un placement de premier ordre, de tout repos, 
la rente francaise, offerte en 5 pour 100 4 82 fr. 50, c’est-a-dire, 
avec les bonifications, 4 79 fr. 26; soit un placement 4 6 fr. 50. Les 
étrangers donnérent méme, malgré le peu de souci qu’on avait pris 
d’eux; et ils montrérent ce qu’on aurait pu obtenir de leur concours, 
si l’on ayait bien voulu. Les souscriptions s’élevérent.a 4 milliards 
800 millions de francs, dont 2,500 millions & Paris, 1,200 millions 
en province, et 4,100 millions 4 l’étranger. La somme empruntée 
se montant avec les frais 4 2,225 millions, les souscriptions furent 
réduites de 55 pour 400. 


Etant admis le systéme étroit ob l’on s’était renfermé, il faut 
reconnalire que cette opération, la plus considérable qui jamais eut 
encore été tentée dans le monde, fut conduite avec cette habileté de 
main ou .N. Thiers excelle et se complait, qu'il s’agisse de manier 
les finances ou les assemblées politiques. Ce fut 4 la fois une sou- 
scription nationale et une négociation en banque, car l’emprunt fut 
assuré par de solides garanties, accordées avec empressement par la 
haute banque. Ainsi le gouvernement recut 4 la fois un témoignage 
solennel de confiance nationale par la souscription publique, et un 
témoignage plus intime, mais non moins précieux, de la part des 
banquiers, ) juges experts en matiére de crédit d’Ktat. Il aurait pu se 


LA POLITIQUE: FINANCIERE EN FRANCE. AG 


fortifier plas. largement encore; au point. de vue politique, comme 
‘au point de vue fisancier, s'il avait voulu ejouter 4 ces appuis franr 
ais les :préteurs étrangers. 

Il ne tarda pas & voir les conséquences économiques de sa ‘poli- 
tique vraiment trep élroite. Quatre mois aprés, les préteurs étran- 
gers, dont les titres n’avaient pas été conslitués en emprunt exté- 
recur, formulé de maniére & les maintenir.assez longtemps dans les 
portefeuilles étrangers, revendirent leurs rentes frangaises 4 Paris, 
en bénéficiant de la prime que le cours offrait alors sur le prix d’é- 
mission, et qui fut payée par les preneurs francais; et aimsi les 
2,225 millions de cet emprunt furent presque entiérement tirés des 
ressources de la France, qui en éprouva une crise monéfaire. 


Les deux premiers milliards de notre rancon, déduction faite de 
525 millions powr les chemins de fer d’Alsace-Lorraine livrés en 
compte & l’Allemagne, et addition faite de 160 millions d’intéréts, 
cest-a-dire en réalité 1,855 millions, furent payés en argent ou en 
traites, du mois de juin 1871 au mois de février suivant. La monnaie 
métallique de la Franee, drainée par cette énorme et brusque sai- 
gnée, devient toul 4 coup, vers le:mois de novembre 4874, insuffi- 
sante pour les transactions ; et ce phénoméne s'aggrave bientét per 
son effet naturel sur l’esprit public : les particuliers resserrent dans 
leurs caisses des provisions de monnaie d’or et d'argent : tous ces 
petits stocks raréfient tellement nos outils monétaires, que la petite 
monnaie manque tout a coup aux petites transactions. Un seul remade 
s‘offrait & ce mal : suppliéer la grosse monnaie métallique exportée 
en Prusse, et la petite monnaie métallique retenue dans les cassettes, 
particulieres, par une émission plus large de billets de banque de 
20 et de 400 francs, et par la création de coupures de billets de ban- 
que de 4 franc, 2 francs, 5 francs. 

Pour les billets de 20 francs et de 100 francs, la Banque de 
France pouvait agir avec une certaine puissance : elle avait été au- 
torisée par une loi du 12 aodt 1870 & émettre des billets de 25 fr.; 
etensuite, par un décret-loi du 12 décembre 1870, des billets de 
20 francs 4 la place des billets de 25 fraucs. Et depuis le 4‘ jan- 
vier 1871, sa fabrication de billets de 25 francs et de 20 francs avait 
dé assez active; elle fut doublée et triplée pour conjurer la crise 
monélajre : en seplembre 4871, la Banque de France avait en cir- 
culation 457 millions et demi de billets de 25 francs, et 54 millions 
et demi de billets de 20 francs; a la fin de l'année, ces billets s’éle- 
vaient 4 259 milions de francs pour les billets de 25 francs, et a 
166 millions et demi pour ceux de 20 francs. 

Ces accroissements de billets de banque, survenant en méme 


404 LA POLITIQUE FINANCIERA EN FRANCE 


temps que de nouvelles avances de la Banque.aw Trésor; tendaienth 
élever la.circulation 4 la limite de‘2 ‘milliards: 400 millions:; cette 
limite, par une loi du 34 décembre 1874, dat ‘étre-portée.a: 3 mil- 
‘liards:200 milfions. 

Mais-pour la monnaie divisionnaire, la Danyeede France, . bien 
qu’ayant -résolu |’émission de billets-coupures-de:10 francs et. de 
5 francs; ne pouvait: improviser les planches gravées ‘spéciales pour 
ees bilfets nouveaux; ‘on sait-que la gravure de‘telles planches exige 
plusieurs mois, par le soin qu'on prend de faire,:des billets de. Ban- 
que, des couvres d’art dun -fini.4 défier la contréfagon.: D‘ailleurs on 
ne peut jamais prévoir comment le public aceveille une émission de 
nouvelles monnaies fiduciaires, et il était sage autant que-nécessaire 
de laisser & d'autres que la Banque de France le soin de tenter |’opé- 
ration. Une société: 'financiére, la Société générale, et. un syndicat 
ayant son siége principal au. Comptoir d’escompte ‘de Paris,. furent 
donc autorisés 4 émettre 4 leurs risques et périls‘et pour une durée 
de six mois, dés bons de-monnaie‘de -4 franc, 2 francs et:5 francs, 
en représentation de sommes équivalentes; diment déposées; en gros 
billets de la Banque.de France. 
~. Avant méme.l’expiration des six mois, la Bangtre de France. avait 
pu’ fabriquer’ plus: de’ 45 millions en-billets de 5 francs, qu'elle 
substituait peu 4 peu aux bons de-monnaie, retirés peu 4 -peu dela 
circulation. 

' La crise monétaire était conjurée;: et le-billet de Banque de 5 franes 
acclimaté et peut-étre acclimaté pour-toujours. 

‘ La Banque ‘de France pouvait dés- lors, pour les- gros -payements 
commerciaux & Vintérieur, comme pour les petites transactions; 
suppléer nos monnaies métalliques emportées déji, et peut-étre 
méme une partie de celles qui pouvaient sortir encore dé France: 

Un second emprunt va bientét se faire pour: de-nouveaux paye- 
ments 4.1’Allemagne, et-nous allons mettre -un peu -a profit Pexpé- 
rience de la premiére ac 


Il 


Il s’agit cette fois d'une somme lds celossale encore : trois mil- 
Hards cinq -cents millions sont émis, le 29 juillet 4872; en-5 p.- 100, 
4 un'cours plas élevé que ‘le cours d’émission de. Vemprunt de.déux: 
milliards, cest-adire, 4 84 fr. 50 c. avec:les bonifications ; le verse- 
ment de garantie sera de 44 fr.' 50:'cz par unité:de.rente, et le reste 
Sera -payableen vingt termes-mensuels égaux, dont: le. dernier ‘sera 


LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. 105: 


écha le 14 avril 1874. La 'sousoription .est ouverte -largement.sur - 


toutes les places financiéres: du monde. 


Et cette fois on avite de commettre la fameuse faute du «change 


fixe,'» qui-restera dans nos budgets, jusqu’aé la consommation. de. gos 
dettes perpétuellus, et éausera une surcharge & peu prés sans,fin dans 
lesarrérages de l’emprunt de 1874. M: Pouyer-Quertier, dans son em- 


prunt du 27 juin 1874, avait imaginé d'établir que les rentes sauseri- - 
lesa Londres seraient payées de leurs arrérages au change fixe de . 
25.30. On .sait que'le pair du change de Paris sur ‘Londres est. 


25.20; tout financier sait-aussi qu’en temps normal le cammerce 
anglais est presque loujours débiteur du commerce francais ; autre- 


ment dit, le change ‘en fernps ‘porindl ‘est ‘presque ‘toujours en fa- ‘ 


veur de la France, soit 4 25.47 en moyenne. En 1874, et depuis nos 
malheurs, le change est au contrdire én’ faveur de’ l*Angleterre, soit 
au-dessus de 25.20 : au moment de l’emprunt, M. Pouyer-Querticr 


voyait le change 4 25.68, et il cruf faire un excellent marché en ré-, 


glant- que les arrérages payables 4 Londres seraient calculés sur le 
change de 25.30. ll ne'réfléchit pas, ou ne‘compfit pas, “que nous 
fraversions une période tout anormale, et que le jour ot: nous rentre- 


rions:‘dans l’ordre, dans-notre- vie ¢conomique-réguliére, le change © 


sur Londres relombera au-dessous du pair de 25.20, et qu’alors son 
change fixe, de 25.50 sera pour le Trésor francais une charge perpé- 
luellede 4 p.-400 peut-ttre. 


Mieux avisé que'ses prédécesseurs, M. de Goulard laissa le change , 
a son cours naturel, favorable en général au Trésor frangais ; et il , 


ouvrit sa souscription urbi et orbi. 


Dans l'emprunt de 1874, la haute Banque avait été appelée a ga- 


rantir, moyennant commission, Ja souscription nationale: mais 
celle garantie, de bonne prévoyance, n’eut pas 4 intervenir; le pu- 
bie'francais, bien pouryu, comme nous l'avons dit, souscrivit de 
son bon :argent, effectua-ses.seize versements, échelonnés jusqu‘au 
24 novembre 4872; et si bien, qu’en janvier 1873, le Trésor n’avait 
de versements,arriérés qu'une somme, relativement minime, .de 
8 millions ¢t-demi, sur 2 milliards 225-milliens. Le: classement.des. 


wo 


litres s*était fait ‘le mieux du monde, au moment méme dela sou- . 


scription, qui avait ¢ié réellement.Ja souscription .publique :.ct -na- 
ionale. 


Vemprunt de.4872. Le‘gouvernement adopta le procédé de M. Fould 


Mais;les .choses ‘furent réglées, el se passérent autrement dans © 


en 1864 et:de.M.:Magne en 1868 ; il.conserva tontes les formes ap- 


parentes de la souscription aationale; mais il s’arrangea, au fond, , 


pour livrer }’emprant presque tout. entier a la haute banque. Le pre- 


cédé est, facile et.connu ;-il suffit que le-minisire des finances per-: 





168 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. 


miette ou tolére des souscriptions dont le premier. versement, au 
lieu d’étre fait en or, argent ou billet de banque, soit représenté par 
des dépdts de titres, ou par de simples signatures. 

Par'ce moyen, l’emprunt de trois milliards ef demi fut couvert 
par une offre douze fois et demie plus forte: les souscripteurs offri- 
rent 43 milliards 816 millions : réguliérement, ils auraient dd ver- 
ser au Trésor, en souscrivant ce chiffre fantastique, un versement 
de garantie de prés de 8 milliards: ce qui dépasse toute vraisem- 
blance et révéle bien que la souscriplion ne fat publique que de nom. 


Ce gui le prouve encore, c’est qu’a Paris 34,524 
souscripteurs offrirent......... rer 
Sur les places étrangéres, 107,612 souscrip- 
teurs offrirent. .. 2... 2 2 ee eee wees ~ 26,050 millions. 
Tandis, que dans nos provinces, ou presque 
toutes les souscriptions furent réelles et appuyées 
de versements effectifs, 792,540 souscripteurs 
OUrivent so 46Gb io 5. we a ee Sete ae ee . 4,513 millions. 


En tout, le Trésor enregistra 934,277 souscrip- 
teurs offrant. . ..... vee ee eo ee © «645,946 millions. 


Les souscriptions furent réduites au treiziéme environ du chiffre 
offert ; par Ja, les souscripteurs réels n’eurent qu'une part insigni- 
fiante ; les banquiers, anciennes et honorables maisons de haute 
banque ou syndicats plus ou moins bien accrédités, enlevérent les 
gros paquets de titres pour revendre ensuite ces valeurs avec prime 
en détail. | : 7 


13,252 millions. 





Que faut-il penser de ce procédé, au moins peu correct? Il est évi- 
dent que le gouvernement avait compris cette fois l’avantage de faire 
fonds de son crédit & l’étranger pour payer notre rancon avec les 
capitaux du dehors, pour éviter une nouvelle crise monétaire en 
France, c’est-d-dire un épuisement plus grave de nos ressources fi- 
nanciéres, et prévenir une paralysie de la production frangatse et du 
travail national. De plus, par ces faveurs accordées aux banquiers, 
le gouvernement payait leur garantie: de Pemprunt sans délier la 
bourse du Trésor ; car la prime probable da cours des titres allait 
procurer aux marchands en gros un assez beau bénéfice : et.‘cette 
prime serait payée par les acheteurs en détail. Enfin, cette livraison 
de presque tous les titres de l’emprunt aux banquiers donnait au 
gouvernement certaines facilités pour les payements a l’Allemagne 
au moyen de traites ou lettres de change. 

‘Tout cela s’explique assez bien, nous le reconnaissons volontiers ; 
il n’est pas ulilc, dans d’aussi grandes opérations, d'avoir pour colla- 





LA POLITIQUES FINANCIBRE EN FRANCE. 407 


boratours assurés, e’est-i-dire intéressés, les plus. grands banquiers 
de l'Europe ; il est important de payer |’Allemagne avec des capi- 
taux étrangers, obtenus par notre crédit d’Etat, plutdt que de souti- 
rer a la France son dernier écu. Mais tout cela pouvait se feire sans 
faniasmagorie, simplement, par de meilleurs procédés franchement, 
et avec de meilleurs résultats. 

Puisque les banquiers étrangers avaient demandé 4 notre gouver- 
nement de leur laisser prendre les deux tiers de l’emprunt de 3 inil- 
liards 500 millions, il fallait constituer leur part voulue, soif 400 mil- 
lions de livres sterling, 2 milliards et demi de francs, en un em- 
prunt extérieur, dans les formes que nous avons déja indiquées 
ici, pour maintenir un assez long temps a l’étranger les rentes sou- 
scrites par les capitalistes étrangers. oo 

Dés lors, la France n’aurait eu a tirer de son fonds qu'un autre 
milliard ; elle aurait pu aisément couvrir cette perte en vendant au 
dehors ces nombreux titres étrangers, Italiens, Turcs, Améri- 
cains, Russes, Espagnols, Egyptiens, etc., dont nous avons sur 
chargé nos portefeuilles, un peu 4 l’aventure, dans des temps plus 
heureux of: nous avions la prétention de commanditer de nos épar- 
gnes tous les peuples besogneux de l’univers. | 

. Mais, hélas! depuis que nous chiffrons par milliards, 4 payer & 
notre vainqueur, on dirait que nous ne comptons plus : quelques 
centaines de millions de plus au bilan de notre défaite, qu’importe 
aprés tout? Les étrangers nous repassent leurs titres d’emprunt avec 
bénéfice de trois, quatre, cing francs par unité de rentes ! c'est fort 
bien. Les étrangers nous vendent avec bénéfice des traites pour-payer 
les Allemands ! mais c’est au mieux. Nous payons les primes, nous 
payons les commissions, et sans nous demander si ces primes ne 
pouvaient pas étre évitées, et si celte maniére de traites était indis- 
peneable, au moins pour une grande partiede notre rancon. | 

~~ Mais qu’importe? dira-t-on une fois encore. Voyez plutdt avec 
quelle facilité nos capitalistes francais acquittent leurs versements : 

En aot et septembre, le Trésor avait encaissé 781 millions. 

En octobre. . . . . =. 1 «~~ (369 

Ennovembre.. . . . . . . + « 2832 

Endéeembre.. . . . . . ..~. £4148 

Enjanvier 1873... .... +. =. 255 

Ajoutez le premier versement de garantie, 600 
et vous constaterez une recette réalisée le 31 < 

Janvier 4875 de... . . . «. =~. » ~ © 2,365 millions. 


Dans cette somme, les anticipations figurent pour 4,158 millions. 
la valeur des termes mensuels est aujourd’hui de 69 miltions par 
mois; par les anticipations, on encaisse au moins environ 100 mil- 


Pi Idl 


168 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. 


lions par mois. Dans un an, en mars 1874, l’emprunt sera ‘tout. 
entier libéré. Il s’en faudra donc de peu que les versements del’em- 

prunt ne suffisent 4 la libération anticipée du territoire. C’est admi- 

rable ;— Oui: mais prévoyons la fin..Déja, ’hiver dernier, une crise 
monétaire, cdusée en grande partie par nos payements 4 |’ Allemagne, 

~ atroublé la cité de Londres, le taux de l’escompte 4 la Banque d’An- 
gleterre a dd -étre porté en novembre jusqu’a 7 0/9; notre change 

sur Londres s’est élevé 4 27-70, et la prime de Vor 4.9 et 10 fr. O/g. 

La‘crise s’est adoucie dans les premiéres semaines de l’année nowu- 

velle, mais non pas sans nous avoir infligé-un surcrott de frais dans 

nos opérations financiéres. 

-Et voici qu’a cette heure, oi nous préparons la libération pro-. 
chaine, une crise nouvelle semble se signaler de tous-cdtés 4 Phori- 
zon par des points noirs, par des -hausses de taux .d’escompte. Le 
moyen d’écarter ce danger n'est point dans le trafic plus ou moins: 
ingénieux, mais trés-onérenx pour nous, des traites : tout au plus: 
est-ce 1a un palliatif, qui étend et adoucit-une opération trop con-: 
centrée. Le vrai procédé, c’est de classer en Allemagne nos titres 
d’emprunts, encore flottants; c'est de passer nos rentes frangaises, 
nos titres d’emprunt encore flottants, aux capitalistes allemands, 
gorgés et embarrassés de nos premiers milliards, en leur. disant : 

Versez-en le prix au Trésor de votre empire. 
' ‘Le moyen, c’est de continuer 4 dégager nos portefeuilles des- 
valeurs étrangéres, pour ramener du dehors les capitaux que nous. 
avons prétés autrefois & l’étranger. es 

Le moyen, enfin, .c’est de faire commanditer par les capitaux 
étrangers nos travaux publics, et nos principales entreprises parti- 
culiéres ; c’est d’aller reprendre en Allemagne par.commandite les 
capitaux de notre rancon. 

Déja, dit-on, une importante société.de crédit frangaise-se dispose 
&-atler établir une succursale 4 Berlin et 4 Francfort ; que d’autres 
suivent cet exemple. Que nos compagnies de chemins de fer, nos 
villes ef nos grandes industries, aillent aussi la-bas ramener notre 
or en y placgant leurs obligations. ae 

Et que l’Etat.méme, pour ses travaux publics, qui font de l’Etat 
un.véritable gérant de société industrielle, que I'Etat.retire de son 
budget les quarante-huit ou cinquante millions de travaux extraordi- 
naires, qu’il les transforme en obligations d'une Caisse des Travaux 
publics, et qu’il émette et place ces obligations en Allemagne, au 
méme titre que les obligations des chemins de fer d’Etat de Russie ou 
des travaux hydrauliques dé Boston. Cette Caisse des travaux publics 
est peut-étre la meilleure combinaison pour équilibrer le budget de 
rEtat 4874,-sans récourir’a des impéts nouveaux bien difficiles, ou 
x'un nouvel emprunt-en-renites aujourd’hui impossible. 


LA POLITIQUE FINANCIERE ‘EN FRANCE. 169 


Depuis deux ans, tous les capitaux flottants en France sont allés 
s employer 4 la rente, et par 1a, se perdre en Allemagne. Et malgré 
Yabondance de nos récoltes, malgré l’importance des commandes 
venues du dehors pour remplir les vides causés par un an et plus de 
notre chmage, malgré les économies que la plupart des familles ont 
faites en France pendant ces années de troubles publics, malgré la 
reprise: de nos-ancienires :épargnes 4 l’étranger par la vente de va- 
leurs étrangéres de nos :portefeuilles, nous sentons‘bhien-que le ca- 
pital national est gravement réduit; le capital fictif créé par un sur- 
croit de quinze cents millions de billets de Banque a pu atténuer 
effet de cette réduction en suppléant pour notre commerce intérieur 
quinze cents millions de monnaies métalliques déportées en Alle- 
magne! Mais ce n’est la qu’un palliatif insuffisant, temporaire et 
hasardeux. En réalité, aprés tant de ruines, et tant de milliards tirés 
de France en pure perte, i] n’est que trop certain que l’argent en 
France est raréfié. Dans les temps les plus prospéres, les économies 
de la France employées en: valeurs ‘mobilicres étaient d’environ 
quinze cents millions par an. Or, nous ne sommes pas encore reve- 
nus aux temps prospéres; si notre commerce extérieur s’est.ranimé 
en 4872 jusqu’é dépasser le chiffre le plus fort des exportations 
annuelles d’avant la guerre, ‘ces 35,679 millions de marchandises 
exportées ont simplement combleé les vides des deux années précé- 
dentes, ou les exportations étaient tombées aux bas chiffres de 
2,802 millions pour 1870 et 2,865 pour 1871. Quant au commerce 
inlérieur, le cri de détresse des patentés, que M. le ministre des 
finances loyalement accueillait dans un récent rapport officiel, nous 
dit assez que l’impét, grossi de cing cents millions depuis la guerre, 
Cest-a-dire accru d'un quarf, ‘affecte la- production, déji paralysée 
par la raréfaction de largent. | 

Le sentiment public, assez juste souvent, explique fort bien ce 
malaise; on entend dire -de tous cétés : Tout le monde place son 
argent dans l'emprunt,; tout l’argent va en Prusse, et les commer- 
gants ne savent plus of en trouver pour leurs affaires. 

l faut donc, ‘sous peine d'une crise commerciale, ramener'‘d’Alle- 
magne en France, par la commandite commerciale, notre argent 
drainé par les premiers milliards de la'rancon ; et:pour le dernier 
milliard & payer, ne plus rien retirer au capital national de la France, 
mais faire fond de -notre crédit.d’Etat.en placant en Allemagne nos 
litres d’emprunt encore flottants. 

. _ A. ve Matarce. 


SONNETS CAPRICIEUX’ 


I 
FAUSSE SORTIE. 


Je croyais au printemps que j’avais vu renaitre: 
Les bois me souriaient, 4 moitié refleuris; 
L’hirondelle passait avec de joyeux cris, 

Et de son aile amie effleurait ma fenétre. 


Voila que tout & coup, sous les cieux assombris, 
Je vois du triste hiver le masque reparattre: 

Il revient sur ses pas, il fond sous mes lambris, 
Qui ne s’atlendaient pas au retour de ce trattre. 


L’hiver agit parfois comme ces visiteurs 
Dont vous avez subi toutes les pesanteurs : 
lis sen vont, a la fin; ils partent, on respire; 


On gottte avec bonheur cet affranchissement; 
Puis, votre facheux rentre et vous dit brusquement : 
« Pardon! j’avais encor quelque chose & vous dire. » 


* Sous le titre de Sonnets capricieuz, \a librairie de Michel Lévy est & la veille 
de publier un volume de M. J. Autran. Nous sommes heureux de préluder au nou- 
veau succés de l’auteur de la Fille d Eschyle, en prenant au hasard quelques-uns 
de ces charmants sonnets pour les offrir 4 nos lecteurs. 


SONNETS CAPRICIEOX. 


II 


LE POEME DES SAISONS. 


Laquelle aimerons-nous? Pour moi, je n’aime guére 
Avril, qui promet tant et qui donne si peu. 

Je n’aime pas |’été, qui donne sa poussiére, 

Et dévoile son ciel implacablement bleu. 


Je redoute l’automne, ouvrant le cimetiére, 
Passage alternatif de la glace et du feu. 
L’hiver enfin répugne 4 la nature entiére; 
fl fait croire partout 4 l’abandon de Dieu. 


Voila donc les saisons : sur les quatre, pas une ; 
Chacune a son ennui qui la rend importune. 
Sil fallait cependant se résigner au choix, 


C’est hiver qu’aimerait ma nature fragile ; 
C'est Phiver, quand je lis, devant un feu de bois, 
Le tableau du printemps dans un vers de Virgile! 


ii 


MOZART. 


Mélodieux chanteur, quelle est ton origine? 

D’ott viens-tu? d’ou viens-tu, toi si grand et si doux ; 
Toi qui fais soupirer cette flute divine 

Dont les sons enchantés arrivent jusqu’a nous, 


Dou sors-tu, chantre pur des amours de Rosine, 
Ami de Chérubin qui languit 4 genoux, 


174%: 


SONNETS ‘CAPRICIEUX. 


Toi qui, dans la lueur des torches de résine, 
Montres au fier don Juan tout l’enfer en courroux? 


Tu naquis 4 Salzbourg, me dit-on. Je Je nie. 
Tu n’as rien, cher Mozart, de celle Germanie 
Ou l’esprit nuageux porte un lourd vétement. 


La France avait donné sa clarté, Vitalie 
Donna sa grace heureuse et sa mélancolie, 
Et rien de tout cela ne fait un Allemand! 


TV 


LA ,BOULE DU MONDE. 


L’enfant tenait: captif au-bout d'une ficelle 
Un ballon, et parfois le secouait un peu. 

« Ne lache pas le fil, sinon ‘ton infidéle 
Parlira,‘mon:ami, pour le vaste ciel.bleu..» 


ll lache enfin le fil, et, comme d’un coup d’aile, 
Le ballon fuit Penfant, qui regrette son jeu. 
« Hélas! il est parti pour la'voule éternelle, 
Lui dit sa jeune mére; il est monté vers Dieu. » 


A quelque temps de 18, l'enfant, par aventure, 
Entre dans‘une église:et voit une peinture, 
Religieux tableau du vieux:Jules Ramain. - © 


C'était Enfant Jésus; figure ‘a téte blonde 
Qui tient royalement une boule du monde: 
« Ah! dit l’enfant, voila mon ballon dans sa main ! ¥ 


. SONNBIS CAPRICIEDX. its 


V 


LES. ACTEURS. 


Vous avez fait le Cid, si vous étes Corneille. 
Du triomphe prochain vous osez vous flatter. 
Vous courez au théatre offrir cette merveille, 
Et je suppose encor qu'on daigne I’accepter. 


Vous cherchez des acteurs pour vous interpréter : 
Une voix pour le Cid, male et forte 4 l’oreille; 

Des yeux noirs pour Chiméne, une bouche vermeille, 
Et pour Gomez, enfin, un homme 4 souffleter. 


Déchargé du fardeau qui pése a vos épaules, 
Vous avez, comme on dit, distribué les rdéles. 
Chiméne alors survient, el vous dit doucement : 


« Je trouve que le Cid est trop longtemps en:scéne. » 
Le Cid vient 4 son tour, et, quoique son amant, 
Yous dit : « Mon cher monsieur, rognez un peu Chiméne! » 


VI. 
UN DEBUT. 


J’eus une vision, l'autre nuit, singuliére.: 

— Qu rie s’égare pas, en dormant, la raison? — 
Sous des traits inconnus, je révais que Moliére, 
Jeune, venait frapper au‘seuil de sa maison. 


L'illustre comité's’assemble a sa priére. 
dl s’agit d’un travail qu’apporte ce garcon. 





{76 


SONNBTS'.CAPRICIBUX. 


Il aura les foréts, les étangs et la terre, 
Plus deux hdtels anciens dans le noble quartier. 


Son petit frére Jean, cadet qui fait son stage, 
A pourtant un moulin dans ce vaste héritage : 
Quatre murs délabrés sans toit et sans ciment. 


« Ce moulin, je ’aimais, pense le légataire : 
Jallais la, tout erifant, jouer avec mon frére, 


Et je l’aurais voulu, rien que par sentiment! » 


x 


PETITES BOUCHES 


Les femmes qu’on aimait vers l’an dix-huit cent-trente 
Ne connurent jamais l’attrait des longs repas. 

Ces abeilles d’avril, sur la terre odorante,. 

Passaient de fleur en fleur et ne-s’y posaient pas. 


La race est, aujourd'hui, gloutonne et dévorante. 
Je les vois se jeter sur les mets les plus gras, 
Ecouter ce qu'on dit d’une Ame indifférente, 
Manger a pleine bouche et boire 4 tour de bras. 


L’appétit féminia fait vraiment des merveilles : 
Aprés tous les gibiers viennent tous les gdteaux ;. 
On ne manque au passage aucune des corbeilles. 


: : e : ? 
On a les gouts pillards-et les instincts brutaux ; 
Vous diriez de jolis et charmants louveteaux. 
Moi, qui suis:du vieux temps, j'aimais mieux.les abeilles!- 


SONNETS CAPRICIEUX. 477 


XI 


LE PAYS DU TENDRE 


Jai voulu te revoir, terre aux douces chiméres, 
Ou tant de belles nuits suivaient de si beaux jours, 
Ou nos aieux, jadis, courlisant nos grand’méres, 
Frélaient de leurs jabots les paniers de velours. 


J'ai voulu te revoir, fleuve aux eaux éphéméres, 

Dont tant de pleurs charmants avaient grossi le cours, 
Toi qui, sous un ciel bleu, mirais dans tes eaux claires 
Mille bourgs enchantés nommeés par les amours. 


La désolation a passé sur tes rives : 
Petits soins, Doux aveux, Tendresses attentives, 
Ne sont plus désormais que des toits démolis. 


Les saules de tes bords pleurent tous ces ravages, 
Et tu ne roules plus, le long de tes rivages, 
Que de méchants billets de banque tout salis! 


XII 


VENISE 


On arrive, on descend dans la gondole agile. 
Elle part, et l'on va, d’un glissement léger, 
Sur l'eau de ce canal qui traverse la ville, 

Et dans un réve étrange on sent l’esquif nager. 


Le ciel est d'un bleu clair, l’onde rose et tranquille; 
On n’ose plus parler, on n’ose plus bouger, 
10 Avan 1873, 42 


178 


SONNETS CAPRICIEUX. 


Et l’on voit seulement les palais & la file 
Qui semblent de la rive en silence émerger. 


J’ai senti ce bonheur, j’ai connu cette extase ! 
J'ai vu tous ces palais dont l'eau mouille la base, 
Ces portiques de marbre aux airs mystérieux! 


J’ai vu le vieux lion, le pontynoirci, le déme, 
Et devant ce passé qui flotte sous les cieux, 
Moi-méme, je croyais n’étre plus qu'un fantéme! 


XII 


LOMBARDIE 


La plaine est magnifique et l’horizon recule. 

Il est doux de la voir par le meilleur des mois, 
Le soir d’un jour de mai, lorsque le crépuscule 
Charge d'un feston d’or chaque rameau des bois. 


Partout l’herbe fleurit et partout l’eau circule. 
C'est divin. Ce serait le paradis, je crois, 

Si, d’étape en étape, un sombre monticule 

Ne dominait la plaine avec sa triste croix. 


Le soir d'une bataille, aprés un travail rude, 
C’est 14 que l’on vous mit, c’est 14 qu’on vous jeta, 
Morts de Solférino, Francais de Magenta! 


Puis le sol fourmilla, plus vert que d’habitude; 
Mais, des vastes moissons que la terre porta, 
Pas une n’a poussé mieux que l’ingratitude ! 


SONNETS CAPRICIEUX. 179 


XIV 


VEILLEE 


Aux rayons de la lampe, aux clartés qu’elle épanche, 
La table ronde luit d'un charmant demi-jour, 

Et les fronts inégaux, inclinés tout autour, 
Recoivent la lumiére 4 la fois rose et blanche. 


Le premier, c’est Vaieul, front ridé qui se penche; 

La jeune fille réve, elle brode au tambour ; 

Puis, tout prés de la mére aux yeux baignés d’amour, 
Un écolier qui dort, car c’est demain dimanche. 


Le reste du salon fuit dans }’obscurité. 
O repos! 6 douceur! charme de la famille, 
Est-il un coeur si froid qui ne t'ait pas gouté? 


Moi, j'aime le vieillard et la mére et la fille, 
Ce cercle de silence et d’immobilité, 
Et, sur ce groupe heureux, cette lampe qui brille! 


XV 


LE LIVRE D’HEURES 


Tu sors, aprés vingt ans, de cette armoire obscure, 
0 vieux livre sacré, vieux livre qu’ autrefois 

La mére de mon pére, humble et pale figure, 
Prenait, en commencant par un signe de croix ! 


Confident de sa foi toujours naive et pure, 
Elle te relisait sans cesse & demi-voix, 





-SONNETS CAPRICIEUX. 


Si bien que le velours de cette reliure 
Garde encore aujourd’hui |’empreinte de ses doigts. 


Ce fut dans tes feuillets qu’avec un bon sourire, 
Aieule patiente, elle m’apprit a lire; 
Je répétais par coeur les mots cent fois relus. 


J’ai, depuis lors, ouvert tous les livres des sages ; 
Mais ces livres fameux, datés de tous les Ages, 
Sur la vie et la mort ne m’ont rien dit de plus! 


XVI 


LA BOUILLOIRE 


Au fond de ma petite alcéve solitaire, 

Malade et languissant, j’écoufe ta chanson, 
Babillarde au long col, qui ne sais pas te taire ! 
En t’écoutant jaser j’attends ma guérison. 


Au dehors, c’est l'hiver qui sévit sur la terre, 

C'est la pluie et le vent , la neige et le frisson. 

Au dedans, c’est un feu qui luit avec mystére, 
Et me jette un reflet de son dernier tison. 


Chante! cette voix sourde imite 4 mon oreille 
Un bruit confus d’oiseaux que le matin réveille. 
Mon esprit se dérobe a la réalité : . 


Je suis libre, je vois le grand ciel diaphane, 
J’erre dans la campagne au soleil de 1’été... 
Et tout cela pourtant n’est qu’un bruit de tisane! 


SONNETS CAPRICIEUX. 


XVII 
LA DOULEUR. 


Sila douleur vient, accepte, 6 mon Ame, 
Accepte, 6 ma chair, son attouchement. 
Tu ne monteras ot Dieu te réclame 
Qu’aprés un combat subi vaillamment. 


Il faut de l’épreuve endurer Ja flamme, 

Afin d’arriver au couronnement. 
Ce n'est que lenfant, ce n’est que la femme 
Qui demandent grace au premier tourment. 


La douleur farouche est le statuaire 
Qui défait le bloc pour mieux le refaire, 
Cherchant l'idéal sous I’épais manteau. 


Heureux mille fois ceux qu'elle torture ; 
Car de ce travail l’4me sort plus pure, 
Car les dieux se font 4 coups de marteau ! 


J. AvTRAN. 


481 


.Y 


MELANGES 


L’ALLEMAGNE NOUVELLE * 


Il faut bien nous l’avouer 4 nous-mémes : en dépit des cruels ensei- 
gnements de a défaite, nous ne connaissons pas encore |’Allemagne. Jus- 
qu’en 1870, nous ne voulions croire ni 4 ses implacables rancunes contre 
la France, ni & ses tendances unitaires, ni surtout a l"hégémonie militaire 
de la Prusse. Aujourd’hui, par suite d'une réaction inévitable mais exa- 
gérée, nous ne distinguons plus entre l’Allemagne et la Prusse ; nous nous 
représentons le nouvel empire allemand comme un Etat centralisé a la 
francaise, uniquement épris de la gloire des armes et lié 4 la Prusse non 
plus seulement par la haine de |’étranger et parja confraternité militaire, 
mais encore par une entiére communauté d'intéréts, d’idées et de senti- 
ments. 

C’est 14 cependant une erreur profonde, dont la persistance pourrait, 
une fois encore, égarer notre politique. Tous ceux qui connaissent l’Allema- 
gne afond et de vieille date, savent qu'il a fallu un concours inoui de cir- 
constances pour lui faire accepter la prépotence prussienne; ils restent 
convaincus que, sous l’apparente union créée par la victoire entre tous 
les Etats d’outre-Rhin, se cachent des germes d’hostilité et des ferments 
de discorde intérieure, d’autant plus actifs que la crainte de la France 
n’est plus 13 pour les étouffer. 

Au fond, — et c’est 14 le point que M. Lefébure met le mieux en lu- 
miére dans con remarquable ouvrage sur |’Allemagne nouvelle, — au 
fond, rien n’est plus dissemblable que le caractére allemand et le carac- 
tére prussien. Nous nous sommes trop complu, sur la foi de Schiller, de 
Kant et de Geethe, 4 ne voir dans les Allemands que de studieux réveurs 
et d'inoffensifs amants d’un nuageux idéal; il est certain que la nature 


t L’ Allemagne nouvelle, par M. Lefébure, député de la Seine. — Paris, Douniol, 1872. 
Un vol. in-8. 


MELANGES. 483 


germanique a d'autres aspects, des plus matériels, ot le désintéressement 
platonique n’a aucune part, et que la derniére guerre n’a que trop mis en 
lumiére; mais il n’en reste pas moins vrai que le gottt des jouissances de 
l'esprit, les instincts libéraux et, dans une certaine mesure, les idées paci- 
fiques exercent, a l’ouest del’Elbe, une beaucoup plus grande influence que 
dans |es domaines héréditaires de la monarchie prussienne. Entre le Rhin, 
I'Elbe, la mer du Nord et les Alpes, se trouvel’antique, la véritable Allema- 
gne, de pure race germanique, que le catholicisme et le protestantisme se 
partagent 4 peu prés également, et qui a pour programme le développe- 
ment pacifique de la puissance allemande, la liberté politique, l’indépen- 
dance locale. Tout autre est cette vieille Prusse de la Vistule et de l’Oder, 
ce rude Brandebourg, cette sauvage Poméranie, qui ont recu, pour des sid- 
cles, l’empreinte a la fois autoritaire et belliqueuse du grand-électeur et de 
Frédéric 1. On pourrait presque dire des Prussiens ce que M. de Bonald 
disait des Turcs : [ls ont beau dominer |’Allemagne, s’y faire accl amer 
comme des libérateurs; en dépit des traités qu’ils lui impesent et des 
constitutions dont ils la dotent, ils n’ont pas cessé d’y paraitre étrangers, 
d'y étre campés plutét qu’établis. 

Il n’en saurait étre autrement. Passé, tendances, idées politiques, 
croyances religieuses, tout les en sépare; il n’est pas jusqu’a la race qui ne 
différe. Il faut ici laisser la parole 4M. Lefébure, qui a tracé, de main de 
maitre, ce qu'on pourrait appeler le portrait moral de la Prusse : 

«On ne prend pas assez garde généralement, dit-il, & la nature et la 
puissance de l'outil que M. de Bismark a eu entre les mains, et qu’il a su 
manier, c’est-A-dire que l’on ne tient pas compte des circonstances dans 
lesquelles s'est formé et a grandi le génie prussien, ni, en particulier, de 
Finfluence exercde par la Marche de Brandebourg sur la Prusse elle-méme 
é sur Allemagne tout entiére. Issue d'un mélange de Germains et de 
Slaves, la province de Brandebourg a toujours présenté une physionomie 
particuliére. La vie de ses habitants, installés sur une terre ingrate, a été 
me longue lutte avec le sol, vie laborieuse et dure, dominée par l'amour 
da travail et de la famille. Tout entiére aux préoccupations sérieuses, 
lagrément en a été absolument banni. Tout ce qui pouvait rendre I'exis- 
tence commode, facile, souriante, y est demeuré inconnu, et jusqu’a ces 
derniers temps il en a été ainsi dans les vieilles provinces de la Prusse. 

« L’éducation est venue développer dans le coeur de cette population 
un autre sentiment encore, dans lequel elle a apporté toute la ténacité et 
lénergie qui lui sont propres, le sentiment de la grandeur de la patrie, 
ou plutét encore de la grandeur de I'Etat, car I'Etat — Staat — est resté 
pour le Prussien une sorte d’étre supréme, qui a le droit d’exiger tous les 
sacrifices et d’imposer des devoirs absolus. Le bien de !’Etat — Staats- 
wohl — doit tout dominer... C’est ce sentiment de la grandeur de l’Etat, 
associé 4 une irrésistible tendance 4 dominer au dehors, qui a fait le fond 


484 NELANGES, 


et aussi l'unité de l'éducation prussienne; (out a été tourné de ce cété. On 
y rencontre dans l'enfance déja, comme Jadis 4 Rome, la conscience et 
lorgueil d'une certaine supériorité et l’dpre volonté de la faire recon- 
naitre. 

«ll n’y faut point chercher l'élégance, le charme, la délicatesse du 
gout, ni la générosité, mais des natures vigoureuses, le mépris des fati- 
sues physiques, des caractéres décidés. Le systéme d’éducation adopté en 
Prusse de tout temps, et qui repose sur |’externat, joint a4 l’obligation du 
service militaire, devait achever de tremper fortement ces caractéres. 
C'est dans l'erternat que le Prussien fait l'apprentissage de la responsa- 
bilité, qwil a appris & se conduire lui-méme, en obeissant au sentiment du 
devoir, sentiment que lon rencontre ensuite ad un si haut degre dans l'armee, 
et qui le suit pendant toute sa vie. 

« L’instruction, distribuée 4 profusion par des princes dont elle était le 
premier souci, trouvait dans ces esprits appliqués et réfléchis un terrain 
tout préparé. : 

« La science n’a pas tardé a y étre en honneur; la liberté des univer- 
sités, le mouvement des idées Il’ont fait sans cesse progresser; c'est elle, 
plus encore que l'instruction populaire, qui a vaincu ad Sadowa en.1866, et 
en 1870 dans la campagne contre la France. 

« Chose étrange, le Prussien est resté l'homme d'une idée; il s’est tou- 
jours cru appelé a une vocation spéciale en Allemagne. C'est bien la l’esprit 
que devait lui léguer l’ordre de chevalerie qui l’a formé (i'Ordre teuto- 
nique), esprit aventureux, hardi, conquérant, dont le fier et libre essor 
s'élait porté de l’Orient, ot il avait pris naissance, 4 travers toute l'Eu- 
rope, 8 inspirant en toutes choses des vues les plus audacieuses, ne tenant 
aucune entreprise pour impossible, plein de confiance dans la force de ses 
armes et dans la mission qu'il croyail remplir. Le Brandebourg, réuni & la 
Prusse, est venu discipliner en elle I'humeur conquérante qu'elle devait 
4 ces origines, et, selon la remarque d'un publiciste allemand, également 
frappé de cette étroite filialion, le Brandebourg a associé a ces audaces 
l'esprit pratique qui le caractérise, et il en a fuit le succes. » 

Ce portrait est d'une frappante ressemblance. Nous en avons vu, de prés, 
loriginal dans le type odieux en qui se personnifie la Prusse, ce type d’of- 
ficier savant, froid, inflexible, doublé d’espion et de procureur, qui prend 
des otages, ranconne, pille, fusille, incendie méihodiquement, et fait en 
méme temps des cours de morale pour la plus grande gloire du roi Guil- 
laume, de la patrie allemande et du Dieu des arinées. 

Nous l'avons vu a l’ceuvre, et, si nous avons eu lant 4 soulfrir matériel- 
lement de ses violences, notre consolation est de penser que, du moins, 
Allemagne en a été alteinte bien plus gravement dans son honneur. Elle 
s'est jaissé déshonorer par ceux qui se sont portes ses défenseurs, et 
létonnement de l'histoire sera grand quand elle racontera comment Ia 


MELANGES. 485 


patrie de tant de grands hommes et de si nobles.esprits a pu se jeter dans 
les bras de ces reitres échappés du.moyen Age. C'est ici qu’apparait la si- 
gnifeation véritable et la haute moralité du drame terrible quise déroule en 
Europe depuis prés de dix années et auquel nous sommes mélés comme vic- 
times, aprés y avoir assisté comme simples spectateurs. Ce qui a rendu pos- 
sible. [hegémonie prassienne, c’est invariable tendance de l’Allemagne 
vers l'unité politique, qu’elle est, du reste, loin de confondre. avec la cen- 
tralisation, et ce qui a rendu si puissante et si vivace l'idée unitaire en Al- 
lemagne, c'est, il faut bien l'avouer, le voisinage de la France. En ce sens,. 
il est vrai de dire, comme le prétendent les Allemands, que l'unité de 1’Al- 
lemagne est notre ceuvre. Elle n'est qu'une réaction tardive, mais formi- 
dable, contre la polilique envahissante que Louis XLY¥ et Napoléon I*" ont tour 
a our suivie envers l'ancienne Allemagne, exposée, par son morceilement 
presque infini, 4 toutes les audaces des conquérants. Les Allemands, qui 
ne Manquent ni de mémoire nt de persévérance, et encore moins de ran- 
cane, n'ont jamais oublié ces temps de désastres et de hontes nationales : 
ils en ont su comprendre les enseignements. Du jour ol-un royaume al- 
lemand était placé sous le sceptre d’un.frére de Napoléon; bien plus, du 
jour o& Louvois signait l’ordre d’incendie du Palatinat, l’unité germanique 
était faite dans le coeur de tous les Allemands. La seule question était de 
savoir dans que! sens serait dirigé le mouvement unitaire, sous quelle 
forme les voeux séculaires de l'Allemagne recevraient leur réalisation. Cest 
la que l'influence du gouvernement francais pouvait s’exercer, d'une ma~ 
mére décisive, pour le bonheur des deux pays. Il dépendait de lui soit de 
relarder pour longtemps, par une.opposition nettement formulée dés le 
début, les tentatives du parti centraliste; soit d’encourager et de seconder. 
sas arriére-pensée le développement naturel et pacifique de l’unité alle- 
mande, tout en écartant l'intervention belliqueuse et dominatrice de la 
cour de Berlin. L’une et }’autre politique présentaient de graves inconvé- 
nients et de sérieux avantages ; mais, quoi que l'on dut préférer, il fallait 
choisir, choisir sans retour, et, si l'on voulait agir, agir vite. Or, on ne sut 
ni sedécider, ni agir. On se montra d’abord assez conciliant pour détermi- 
ner la Prusse a détruire l’ancienne.confédération; on laissa voir ensuite 
trop de mécontentement. et d’intentions .agressives pour.ne pas alarmer 
Allemagne et.ne pas la jeter dans les bras de.la Prosse. Pendant plus de 
ang.années, le gouvernement impérial ne fit que tergiverser, louvoyer, 
hésiter, oubliant que, s'il est dangeteux de suivre une mauvaise politique, 
il est plus funeste encore d'en avoir deux a la fois, ou, ce qui revient au 
méme; de n’en avoir aucune. Ce sera la, aux yeux de la postérité, en méme 
temps que la cause premiére et principale de nos désastres, la faute ca- 
pitale du second empire. 

M. Lefébure insisle sur ce point avec une rare sdreté de jugement et un 
grand bonheur d'expressions. Il n'est pas de ces politiques superficiels et 


186 MELANGES. 


de ces esprits étroits qui attribuent uniquement la victoire de Sadowa & la 
supériorité du fusil 4 aiguille, et qui cherchent, dans les fautes stratégi- 
ques de ]’état-major frangais, l’explication compléte de nos désastres de 

4870. Les hommes d’Etat qui comprennent ainsi l'histoire contemporaine 
lui semblent la rabaisser a leur taille. Pour lui, i! estime qu’il faut chercher 
plus haut l’origine des destinées si diverses de la Prusse, de |’ Autriche et 
de la France. La situation intérieure des trois puissances, |’état moral et 
social de leurs populations rendaient inévitable et en quelque sorte fatale 
lissue de la lutte qui s'est engagée entre elles. I] était dans la logique des 
événements que l'Autriche hétérogéne succombat sous les coups de la 
Prusse unitaire; il était naturel qu'une nation calme, unie et laborieuse, 
instruite et disciplinée comme |’Allemagne, l’emportét sur un peuple igno- 
rant, présomptueux, épuisé par les révolutions et déchiré par les partis, 
comme l'était la France. Depuis bientét cent ans, notre faute capitale, 
irremédiable a été de vouloir, 4 chaque génération, refaire la nation 
de toutes piéces, sur un plan concu a priori et d'aprés des idées 
abstraites, sans tenir compte des circonstances, sans attendre du 
temps son indispensable concours. Incapables de patience et d'esprit de 
suite, nous avons brisé au lieu de redresser, détruit au lieu d‘améliorer ; 
nous avons fait table rase du passé, quand il aurait fallu, a l’exemple de 
l’Angleterre, de la Hongrie et de tant d’autres peuples, étayer sur ses for- 
tes assises le présent et l'avenir de la nation. Nous avons désagrégé l'an- - 
cienne France, sans laisser 4 la nouvelle le temps de se consolider, au 
milieu de nos perpétuelles révolutions ; peu 4 peu, nous nous sommes ha- 
bitués & prendre la fiction pour la réalité, la phrase pour le fait, 4 douter, 
& plaisanter de tout, et, enivrés de mots sonores, dédaignant les principes 
sociaux_les plus indispensables, nous avons élevé sur le sable un brillant 
mais vacillant édifice, dont la premiére tempéte n’a que trop prouvé la fra- 
gilité. Combiés des dons de la Providence, nous avons agi comme un 
homme qui, pour guérir une indisposition légére, se condamnerait 4 un 
accés de fiévre presque quotidien et qui voudrait ensuite entrer en lutte 
avec un adversaire soumis de vieille date 41a plus fortifiante hygiéne. 

M. Lefébure insiste, avec beaucoup de force et de justesse, sur cette vé- 
rité si fréquemment démontrée, mais plus souvent encore oubliée. Les 
pages de son livre qu'il a consacrées.4 cette question vitale méritent d'étre 
lues et méditées. Nous en détacherons seulement le passage suivant, ori- 
ginal et vrai, sur l’influence politique de l'éducation universitaire dans les 
internats : 

.. @..... Nous avons conservé le régime de I’internat, ou plutét l'éducation 
de caserne imaginée par Napoléon I*', pour faire, selon une juste expres- 
sion, de la chair 4 canon. 

. « Gest 14 que s’est écoulée l’enfance étiolée des générations nouvelles, 
loin du grand air, des salutaires exercices physiques, ignorant l'art de se 


MELANGES, 187 


gouverner et la pratique de la responsabilité, perdant toute originalité et 
toute initiative. La aussi se sont énervés le sentiment de la famille et l’es- 
prit religieux ; l'étude est devenue odieuse ; la jeunesse a appris 4 ridiculi- 
ser et 4 détester l'autorité pour n’avoir soif que d'indépendance et de 
plaisir. Cette peinture, qui peut sembler d’un esprit chagrin, n'est que la 
vérilé affaiblie et incompléte. Qui donc pourrait contester que le Frangais 
rappelle, durant toute sa vie, dans son attitude vis-4-vis de l’autorité pu- 
hlique, les procédés qu'il pratiquait au collége envers ces maitres affublés 
da ridicule surnom que tout le monde connait, se laissant conduire aveu- 
glément, ou frondant et s insurgeant sans relAche? » 

Ce dernier trait est d’une vérité frappante. Depuis longtemps déja, des 
voix éloquentes, que Ja mort a prématurément éteintes, avaient signalé les 
vices de la claustration universitaire : ilfautsavoir gré4M. Lefébure de les 
dénoncer de nouveau. Quand donc serons-nous convaincus de |’urgente né- 
ceasité d’y porter reméde? comprendrons-nous enfin l‘importance capitale, 
absolue des questions d'éducation? nous préoccuperons-nons enfin de dé- 
velopper l'homme dans l’éléve, le chrétien dans |l’écolier, d’exercer la rai- 
son plus que la mémoire et le jugement plus que l'imagination? Dans 
um ordre d'idées analogue, mais plus élevé encore, saurons-nous stimuler, 
per une décentralisation effective et sérieuse, l'esprit W’initiative et le 
sens pratique des citoyens? saurons-nous résoudre le grave probléme de 
la solution duquel dépend peut-éttre l'avenir de la France en ce siécle: de- 
venir novateurs en administration et conservateurs en politique, au lieu 
de rester, comme par le passé, d’incorrigibles routiniers en administra- 
tiem, et de non moins incorrigibles révolutionnaires en politique? 


Il 


Revenons 4 l’Allemagne. Grace 4 notre maladie révolutionnaire, grace 
aux divisions séculaires de l’empire d’Autriche, la Prusse occupe en ce 
moment la premiére place en Europe. On peut lui appliquer ce vers de 
Cinna : 

fa fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux. 


Fortement constituée, rassasiée de gloire militaire, guidée par deux hom- 
mes d'un mérite supérieur, il semble qu'elle n’ait rien 4 craindre, rien & 
respecter. Sa volonté fait loi. 

Ne nous laissons pas éblouir, cependant, par cette apparente omnipo- 
tence. La prophétie de la statue d'or aux pieds d’argile est de tous les 
temsps et de tous les pays; elle s'applique 4 Napoléon I* comme a Nabu- 
ehodonosor, au roi Guillanme comme a Louis XIV. Dés aujourd'hui, nous 


183 WELANGES. 


voyons se manifester en Al‘'emagne des symptémes significatifs : la forma- 
tion du parti catholique du centre au Reichstag, et le développement des 
associations ouvriéres dans les: grandes villes. M. de Bismark a raison: 
deux Internationales le menacent, I’Internationale rouge et celle que, dans 
son langage altier et provocant, il qualifie d’Internationale noire. Toutes 
deux tendent 4 le renverser, l'une, par ‘application 4 outrance de ses pro- 
pres doctrines sur la souveraineté du but et.sur la primauté de la force; 
Yautre, par la revendication implacable de la justice et du droit, qu’il foule 
aux pieds. 

Les lecteurs du Correspondant ont souvent entendu parler de la fraction 
du centre au parlement allemand. Peut-étre n’en connaissent-ils bien ni le 
programme, nile nombre, ni |'importance relative. M. Lefébure entre, a ce 
sujet, dans de trés-intéressants détails. Des cing partis fort inézaux entre 
lesquels se partag nt les 5382 membres du parlement allemand, le plus 
puissant est, sans contredit, celui des libéraux-nationaux, qui ne comptait 
pas moins de 146 adhérents 4 la dermére session. Attaché aux idées par- 
lementaires, mais avant tout défenseur de l’unité allemande sous le pro- 
tectorat de la Prusse, il représente les tendances de |’immense majorité de 
la bourgeoisie de l’Allemagne septentrionale. Il a pour chefs des orateurs 
éminents, tels qite MM. Lasker, Bamberger, Miquel, Benningsen, M. Sim- 
son, président du parlement, et M. Weber, vice-président. 

En face des nationaux-libéraux, et en. nombre égal, mais avec une in- 
fluence et un éclat bien moindres, siége.le parti conservateur, grossi de 
deux fractions secondaires : le parti de l’empire libéral et le parti-de l'em- 
pire allemand. Comme les nationaux-libéraux, les conservateurs soulien- 
nent M. de Bismark et demandent la consolidation de l’unité allemande; 
mais, fermement attachés aux institutions du passé, ils veulent, avec la Ga- 
zette dela Croix, que cette unité repose sur la prépondérance de la cou- 
ronne, de la noblesse et de l’armée. 

Les progressistes, dont le nom indique assez les tendances démocrati- 
ques, et qui prennent pour programme la constitution de 1848, ne disposent 
encore que de 45 voix; mais ils gagnent chaque jour du terrain. Enfin les 
socialistes n’ont au parlement que cing représentants, parmi lesquels le cé- 
lébre agitateur saxon Behel. 

C'est au milieu de ces partis rivaux que s’est formé le groupe du centre. 
Accru des députés polonais, qui, sans se confondre avec lui, votent pres- 
que toujours dans le méme sens, il.se compose exclusivement de catholi- 
ques.’ Son'programme n’exclut cependant en aueune maniére les protes- 
tants. En voici le résumé, d’aprés M. Lefébure : 

- « Justitia. fundamentum: reguorum... La. fraction du centre du parle- 
reent allemand impose 4 son activité.les principes suivants : 

- « 4° Le caractére fondamental de l’empire comme Etat fédératif (Bundes- 
staat) sera conservé. Conformément 4 ce principe, on résistera aux efforts 


MELANGES. 489 


qui tendent 4 modifier le’ caractére fédératif de la constitution de l'empire 
et onne sacrifiera la spontanéité et l’indépendance des Etats partieuliers 
dans leurs affaires intérieures que lorsque l’intérét général l’exigera d'une 
maniére évidente. 

« 2° Le bien-étre moral et matériel des classes populaires doit étre re- 
vendiqué énergiquement; la-liberté civile et religieuse de tous les spjets 
de l’empire doit &tre réclamée au moyen de garanties constitutionnelles, 
et les associations religieuses, en particulier, doivent étre protégées contre 
les empiétements de la législation. 

« 3° La fraction délibére et prend des résolulions, conforinément & ces 
principes, sur tous les objets qui sont soumis a la délibération du parle- 
ment, sans que, du reste, il soit défendu 4 des membres isolés de donner, 
dans l’'assemblée, un vote contraire aux décisions de la fraction. » 

On voit combien, sous sa forme générale et dans son expression modé- 
rée, un tel programme est hostile a la politique du prince de Bismark. Ce 
seul mot, qui indique si bien le point de départ et le but de la fraction da 
centre : Justitia fundamentum regnorum, est la déclaration de guerre la 
plus nette et la plus irrévocable qui puisse étre adressée au tout-puissant 
chancelier. Affirmer le principe de l’indépendance locale en face de l’au- 
tear de l’unité allemande, revendiquer la liberté des associations religieu~ 
ses contre un des plus fougueux adversaires du catholicisme, réclamer. 
pour les classes populaires le bien-étre matériel et moral en présence d'un 
homme d’Etat qui, malgré ses avances momentanées a la démocratie, n’a 
jamais dépouillé les préjugés et les dédains d'un hobereau de Poméranie : 
c'est, 4 coup sur, rompre de la maniére la plus solennelle, et sur tous les 
points, avec la politique qui prévaut aujourd'hui en Prusse. C'est ]’ceuvre 
quont entreprise, avec autant de talent que de courage, les Reichensper- 
ger, les Windthorst, les Keteler et les de Savigny. Il n’en est pas de plus 
belle, ni de plus difficile. Dans ce combat de la justice contre la violence, 
de la liberté contre le despotisme et dela religion contre le matérialisme, 
nous avons wu, par les discussions récentes des lois sur l’inspection des 
écoles et sur l’expulsion des jésuites, que ce n'est ni l’énergie ni !’élo- 
quence qui font défaut au parti du centre. Ses orateurs ont porté des 
coups terribles 4 M. de Bismark; mais, nous ne savons que trop, par 
lexpérience de tous les temps, quen Allemagne comme en France, 
il ne suffit pas toujours d’étre dans le vrai pour avoir raison. Le centre 
ne dispose encore que d’environ 70 voix, 4 peine un cinquiéme du 
parlement : il peut donc étre, jusqua nouvel ordre, impunément ba- 
foué, calomnié, insulté par les gros bataillons des nationaux-libéraux 
et des conservateurs. Cependant, ou nous nous trompons fort, ov 
lavenir appartient 4 ce petit groupe d’hommes désintéressés, éloquents 
ef courageux, s'ils savent persévérer dans la voie large et droite qu’'ils se 
sont tracée. Déja plusieurs élections partielles ont récemment dénoté chez 


496 MELANGES. 


certaines populations du centre et du midi de l’Allemagne une aversion 
marquée pour la politique de M. de Bismark : il suffirait d’un accident ou 
d’une maladresse pour transformer en un mouvement général ce qui n'est 
guére encore que tendance locale et effort isolé. 

Al’autre extrémité de l’horizon politique, on discerne un second point 
noir, plus faible jusqu’a présent, mais d'une nature plus alarmante pour 
l’Allemagne, aussi bien que pour l'Europe entiére : j'ai nommé le socia- 
lisme. Les socialistes allemands sont, sans contredit, les plus violents, les 
plus tenaces, les plus dangereux de tous. [ls ne se contenteraient ni d’un 
accroissement de salaires, ni de l’extension de leurs droits politiques : 
leur doctrine est, purement et simplement, le communisme. Ils entendent, 
dés qu'ils le pourront, dépouiller, par la violence, les classes riches et 
jouir 4 leur place. C'est 1a toute leur politique. Ils ont des adhérents trés- 
nombreux parmi les ouvriers, mal payés et condamnés 4 un labeur inces- 
sant, ainsi que parmi les paysans, maintenant dans une condition voisine 
da servage. Jusqu’a présent, il est vrai, ils n’ont pas encore donné leur 
mesure. Si l’ouvrier allemand se met aisément en gréve, s'il assiste 4 de 
fréquents meetings, il est rare qu'il menace ouvertement la société, et 
qu’il se laisse aller 4 des actes de violence. Cela tient d’abord a son carac- 
tére calme et réfiéchi, 4 son instruction relativement étendue, aux habi- 
tudes de discipline qu'il a contractées sous les drapeaux, aux secours de 
toute sorte qu'il trouve dans ces immenses associations de crédit, de con- 
sommation, de production fondées par M. Schultze-Delitsch, et dont les 
membres: se comptent par centaines de milliers, les ressources par cen- 
taines de millions ; cela tient surtout aux habitudes modestes et parcimo- 
nieuses des classes moyennes, a leur indissoluble union sur le terrain de la 
conservation sociale; enfin, 4 la fermeté bien connue du gouvernement. 
C’est 1a ce quia, jusqu’é ce jour, préservé }’Allemagne de guerres sociales, 
analogues 4 celles qui ont mis Ia France au bord de l'abime ; mais la situa- 
tion va probablement changer, avec les conditions de la vie en Allemagne. 
Ce n'est pas en vain qu'un peuple se voue tout entier&é une ceuvre de haine, 
de violence et de rapine ; ce n’est pas en vain qu’il bat monnaie aux dé 
pens du vaincu. Rome et l'Espagne ont appris, 4 leurs dépens, ce qu'il en 
cotte; l’'Allemagne, aussi, le saura un jour. Déja on remarque & Berlin et 
dans les autres grandes villes de l’Allemagne un accroissement de lure, 
de corruption, d’égoisme et de misére, plein de menaces pour |’avenir. 
A l’inverse de ce qui se produit en France, les gréves sont aujourd'hui en 
Allemagne beaucoup plus fréquentes et plus graves qu'avant la guerre; 
I'lnternationale gagne du terrain, et les manifestes de ses adhérents alle- 
mands en faveur de la Commune de Paris ont‘excité, au dela du Rhin, 
plus d’étonnement que d'indignation. I] faudrait, ce me semble, étre aveu- 
gle pour ne pas reconnaitre dans ces faits significatifs le présage de désor- 
dres éloignés sans doute, mais dés 4 présent certains. 


x 


MELANGES. 101 


En guerre ouverte avec les catholiques, menacé sourdement par le 
socialisme, que fera M. de Bismark? Placé entre l'Autriche et la Russie, 
vers laquelle de ces deux puissances inclinera-t-il? S’entendra-t-il avec la 
cour de Pétersbourg pour faire subir 4 la monarchie autrichienne le sort 
de la Pologne? s'unira-t-il 4 l’Autriche pour barrer 4 la Russie le chemin 
de Constantinople, et pour empécher la création d'un grand empire slave? 
Questions redoutables, auxquelles l'avenir peut seul répondre, et dont il 
serait au moins imprudent de préjuger la solution. Il est permis, cepen- 
dant, de discuter les diverses hypotheses auxquelles se trouvent liés la 
fortune dé la France et le sort de l'Europe. M. Lefébure pense que M. de 
Bismark a définitivement fermé les portes du temple de Janus et que 
tous les efforts de I'habile chancelier vont étre désormais consacrés & con- 
solider l’édifice qu'il a si rapidement élevé en Allemagne. Ainsi le vou- 
draient sans doute la prudence et la sagesse; mais les conquérants, en 
général, et M. de Bismark, en particulier, ne nous ont pas accoutumés 4 
cette modération. Un empire créé par le glaive ne se soutient que par le 
glaive, jusqu’au moment ot il périt par lui: c’est l’enseignement éternel 
de l’histoire, c’est aussi la nécessaire vengeance de la justice divine. Plus 
d'un grand homme, plus d'un homme de génie s'est engagé autrefois 
dans la voie que suivent, en ce moment, l'’empereur Guillaume et son ter- 
rible ministre; aucun n'a pu s’y arréter. Il est douteux que M. de Bis- 
mark y réussisse. Par sa situation méme vis-a-vis de l'Allemagne et de 
l'Europe, il semble, plus qu’'aucun autre conquérant, voué 4 de nouvelles 
guerres, condamné 4 de nouvelles conquétes. Un souverain qui régne sur 
un peuple parfaitement homogéne et depuis longtemps habitué a son 
gouvernement peut, 4 la rigueur, revenir 4 une politique pacifique, 
quand il croit l’intégrité de son royaume suffisamment assurée par la vic- 
toire: pour l’empereur Guillaume et pour le prince de Bismark, il n’en 
est pas ainsi, La domination de la Prusse en Allemagne nest, au 
fond, qu'une dictature militaire; née de la crainte et de la haine de la 
France, acceptée en vue d’yne guerre dés longiemps méditée, elle est 
condamnée, en temps de paix, 4 disparaitre ou 4 se transformer. Dans cette 
situation, il n'est guére doutewx que M. de Bismark n’ait, avant peu, 
besoin de nouvelles complications extérieures pour raffermir son autorité 
ébranlée. Les cherchera-t-il sur Jes bords du Danube ou sur ceux de la 
Néva? M. de Bismark est trop versé dans l'art.de Ja dissimulation pour 
qu’il soit possible de le discerner dés & présent et de faire sur ce grave 
sujet autre chose que des conjectures. 

Quoi qu'il arrive, c’est 4 nous tous, 4 la nation comme au gouvernement, 
d'avoir sans cesse les yeux fixés sur le péril et de savoir régler notre conduite 
et notre altitude d'aprés les exigences de notre douloureuse situation. 
Comme le dit si bien M. Lefébure, notre rdle est anjourd’hui d’attendre 
avec calme, avec patience, en travaillant sans cesse 4 notre réorganisation 


492 MELANGES. 


matérielle et 4 notre rénovation morale, le jour éloigné peut-étre, mais 
inévitable, od les brigandages de la Prusse recevront leur chAtiment pro- 
videntiel. D’ici 14, redevenons en Europe les champions du droit et les 
défenseurs des petits Etats ; réclamons'et pratiquons le respect des trai- 
tés; efforcons-nous surtout d’étre unis et tranquilles a l’intérieur ; recou- 
vrons, sil en est temps encore, la force par une réorganisation sérieuse 
de notre armée, la considération par une attitude digne et sage. Ne l'ou- 
blions jamais, chacune des séances de |’Assemblée- ou les partis s'insul- 
tent et ot le gouvernement se compromet, chacune de ces séances fait la 
joie des Berlinois et le désespoir de nos fréres d’Alsace et de Lorraine: 
c’en devrait étre assez pour les éviter 4 jamais. 

- «Ik semble, dit, a ce sujet, M. Lefébure, il semble qu’aprés d’aussi ter- 
ribles infortunes, en présence de la patrie déchirée, appauvrie, discréditée 
parmi:jes peuples, il semble qu'il ne saurait plus exister chez tous les 
citoyens qu'une pensée, un mobile : travailler 4 rétablir le pays dans son 
ancienne grandeur et, pour cela, alter droit, sans hésitation, sans retard, 
en écartant tout ce qui'est secondaire, aux réformes nécessaires d’ow dé- 
pend.le salut. Les réformes essentielles ne sont pas nombreuses. Veut-on 
s’en occuper exclusivement, .l’accord . est. facile. Le malheur de la France, 
— et l’étranger en est peut-étre .plus frappé que nous-mémes, — est 
qu’elle ne semble pas encore guérie de l'un de ses plus terribles défauts, 
défaut qui consiste donner toujours aux questions secondaires le pas sur 
les principates. . : ) 

« Ainsi, la reconstitution du pays pourra étre oubliée pour de misérables 
luttes, od les personnes tiendront plus de place encore que les principes; 
on discutera a perte de vue sur la forme du gouvernement, sur la méla- 
physique constitutionnelle, au lieu de se mettre résoldment a ]’euvre et 
de vider les questions essentielles qui se rattachent a la réorganisation de 
l’armée, aux ressources budgétaires, et, par-dessus tout le reste, 4 rédu- 
cation. Les hommes politiques rempliront le pays du bruit de leurs récri- 
minations et de leurs disputes rétrospectives, au lieu de s’unir pour la 
grande cuvre commune; ils se diviseront et se discréditeront en s accu 
sant réciproquement des fautes passées. On se complaira dans de vaines 
querelles faites.au sentiment religieux, ce grand ressort du dévouement ét 
du patriotisme, si nécessaire pour les luttes de l'avenir, ce grand instr 
ment de la régénération présente, et l’on oubliera qu'il nous reste encore 
& relever parmi nous les hautes études scientifiques, 4 créer un gra” 
enseignement national, a répandre a-profusion J’instruction dans le pet 
ple, 4 réformer dans notre enseignement secondaire ce déplorable sy> 
tame d'internat ou de.casernement, qui a exercé une si fatale influenc’ 
sur la vie sociale et politique de la France. Mais si ce n’est point asc? : 
spectacle de nos malheurs, de la présence du vainqueur qui détient en- 
core notre territoire, pour ramener les Francais 4 une vue claire de te 


MELANGES. 495 


situation et des devoirs qu'elle leur impose, pourront-ils, du moins, rester 
sourds 4 la voix de ces malheureuses provinces que la conquéte nous a 
arrachées, et qui sont notre rangon? N’ont-elles pas le droit de nous dire : 
Eh quoi! peut-il exister encore dans vos 4mes une autre préoccupation 
que celle de relever l'‘honneur du nom francais? Pouvez-vous détourner 
un seul instant vos regards de ce territoire mutilé et amoindri, de cette 
srande place vide qui fut jadis celle de Ja France dans les conseils du 
monde? Ne sentez-vous pas que c'est notre unique préoccupalion, & nous, 
Alsaciens et Lorrains, que l'avenir est notre seul refuge, que nous interro- 
geons chaque jour avec anxiélé l'état de la France, suivant d'un ceil in- 
quiet la reconstitution de ses forces, tremblant au moindre retard qu'elle 
subit, et déplorant chacun des jours que vous consumez dans la discorde, 
parce qu'il prolonge notre exil! Et si vous n’étes pas soucieux de mettre 
fin aux stériles divisions qui compromettent les forces renaissantes de la 
patrie, et qui la donnent en risée 4l'étranger, avez-vous le droit d’oublier 
que nous sommes entre les mains du vainqueur, nous, les tristes victimes 
de cette lamentable guerre, nous qui avons été associés aux meilleureg 
gloires de la France, et qui nous étions donnés 4 elle sans réserve? Vous 
faites retentir 4 nos oreilles les mots d’espérance, de réparation, de re- 
tour 4 la grande famille. Sont-ce de vains mots? Nous n’avons jamais su 
désespérer de la France, et nous avons encore foi dans sa grandeur fu- 
ture. Cette foi sera-t-elle trompée ? » 

Espérons que Dieu ne le permettra pas. C'est sur ce voeu que nous 
aimons 4 terminer le résumé de l’excellent livre de M. Lefébure. 

René Lavo... 


REVUE DES ASSOCIATIONS CATHOLIQUES 


POUR LA CLASSE OUVRIERE ! 


REVUE POPULAIRE * 


La plupart des bonnes ceuvres ont aujourd'hui leurs journaux, ce dont 
il faut les louer, d’abord parce que c’est, pour elles, un moyen de s’éclairer 
et de s'‘aider réciproquement; puis parce qu elles échappent ainsi 4 l’accu- 
sation de travailler dans l’ombre. Seulement ces journaux ne sont pas tous 
assez connus et ne font point, par suite, tout le bien qu’ils pourraient. 
Aussi, tenons-nous pour un devoir de signaler ceux dont |’existence nous 
est successivement révélée. 

I! y a quelques mois, nous annoncions I'apparition du Bulletin des cer- 
cles catholiques d'ouvriers, modeste et toutefois intéressant moniteur d’une 

‘Paris, avenue de Saxe, 58. 

* Rue Cassette, 27. 

10 Avan. 1873, 19 


194 MELANGES, 


institution alors 4 sa naissance et qui, sous la direction des deux braves et 
religieux officiers qui en ont eu l'inspiration, se développe et s’étend assez 
rapidement pour mériter les outrages des feuilles qu'on patronne au palais 
de Ja Présidence. Ce journal a aujourd’hui sa place faite; c'est le lien des 
réunions chretiennes d’ouvriers qui, 4 l’imitation de celles qu’ont créées 
MM. de La Tour du Pin et de Mun, se fondent dans la plupart des grands 
centres ot notre armée tient garnison. 

Une publication du méme genre mais de date plus ancienne, car elle en 
est 4 sa troisiéme année, a droit aussi, de notre part, 4 une mention, et 
certes nous ne la lui eussions point fait attendre si nous l’avions connue 
plus tét: c'est la Revue des associations catholiques pour la classe ouvriére. 

Ces associations catholiques, créées dans l’intérét et avec le concours 
des ouvriers, sont plus nombreuses qu’on ne croit. Outre les Cercles dont 
nous parlions tout 4 l'heure, et qui sont de date récente, il y a, d'origine 
déja ancienne, la Société de Saint-Joseph, la Société de Saint-Francois- 
Xavier, les Cercles d'employés, les Patronnages d'apprentis, etc., toutes 
ceuvres nées de la méme pensée, dirigées dans le méme esprit et soutenues 
par le méme zéle, mais restées trop longtemps isolées et méme incon- 
nues l'une a l'autre. Le but de la Revue dont nous parlons nous semble 
avoir élé précisément de les rapprocher ou du moins de les mettre en re- 
lation, en leur apprenant ce qu’elles font chacune de leur cété pour le 
bien et de quelle maniére elles le font. Mais ce n’est pas seulement d’éta- 
blir et d’entretenir ces rapports d’ou peuvent naitre tant d’heureuses idées 
que s’occupe la Revue des associations catholiques, elle étudie et traite, au 
point de vue de l'utilité qu’elles peuvent avoir pour les directeurs ou les 
membres des ceuvres, les questions économiques, industrielles et morales 
qui tiennent une si grande place, de nos jours, dans les préoccupations 
de l’ouvrier et pour Ja solution desquelles son esprit, trop souvent égaré, 
accepte des moyens absurdes ou coupables. Il y a 1a, sous des formes 
trés-variées et sans le moindre appareil pédagogique, des legons claires, 
agréables et pratiques dont travailleurs et patrons peuvent faire leur profit. 
La religion y entre juste assez pour en consacrer la doctrine sans leur 
donner un faux air de sermon qui leur nuirait plus qu’il ne saurait leur 
servir. Cet enseignement, plein de mesure, est, sans préjudice de ses autres 
mérites, ce qui recommande le plus, 4 nos yeux, la Revue des associations 
catholiques pour la classe ouvriére. 


Dans un but tout chrétien aussi, mais A un point de vue un peu diffé- 
rent, vient d'étre fondée une autre revue qui nous parait mériter également 
une recommandation. Rien de plus modeste que son titre; elle s appelle 
tout simplement la Revue populaire. Elle s’adresse 4 ceux qui aiment la 
lecture et n'ont ni beaucoup de temps ni beaucoup d'argent a y consacrer. 
Elle ne parait que deux fois par mois et ne codte que quelques centimes 


MELANGES. 495 


par livraison. Occuper d’une maniére saine, attrayante et morale les heures 
de loisir; propager et défendre, sans trop paraitre y viser, les idées de 
religion, de famille et d’ordre, si généralement attaquées dans le peuple; 
combattre enfin par celle du bien, et par des moyens analogues, la pro- 
pagande audacieuse du mal, voila ce que se sont proposé les fondateurs de 
cette publication pour laquelle nous avons bon espoir et 4 laquelle nous 


souhaitons bon succés. 
P. Dounatre. 


On n’a point oublié les entretiens éloquents par lesquels le P. Matignon 
reprit, I'an dernier, le cours des Conférences de Notre-Dame, deux fois 
mterrompu par la guerre et par la Commune. La hardiesse évangélique 
avec laquelle le prédicateur, laissant de cété tous les préliminaires philo- 
sophiques, avait abordé de front l’enseignement chrétien et pris pied 
immédiatement dans le dogme en traitant de Jésus-Christ, avait frappé 
singuli¢érement son auditoire habitué, par une sorte de tradition, 4 enten- 
dre discuter des questions spéculatives. Aussi ces Conférences tout 4 fait 
nouvelles furent-elles trés-écoulées et trés-lues. ll se fit de chacune, par 
semaine, deux éditions de format différent, mais hatives, peu exactes, peu 
correctes et de toute facon, peu dignes de leur auteur et du succés qu’'elles 
obtenaient. Elles ne pouvaient rester ainsi. La belle édition qu’en donne 
aujourd ‘hui la librairie Jouby et Roger‘, et que le P. Matignon a fevue 
avec soin, est donc la seule qui puisse vraiment compter. 


icc 


La librairie Douniol met en vente le quatriéme et dernier volume d’une 
explication des Epitres ct Evangiles des dimanches et des fétes? qui-nous 
semble avoir un meérite particulier, celui de répondre directement aux 
besoins actuels des esprits. Ces besoins, l’auteur les connait bien;. il sait 
tout ce qu'on a semé, dans ces derniers temps, de doutes sur les vérités 
de la foi, tout ce qu'on a donné surtout de fausses et perfides interpréta- 
ions des faits et des préceptes de |’Evangile; ila suivi dans leurs trans- 
formations et leur transplantation de |’Allemagne en France les systémes 
de Pexégése rationaliste, et c’est contre tous ces dangers qu'il a cherché a 
protéger les Ames simples, auxquelles l’appareil de la fausse science pour- 
rat en imposer. Son livre nous parait devoir convenir 4 la fois aux pré- 
tres et aux fidéles, offrant aux uns d’excellents thémes d'enseignements, 
aux autres de bons sujets de lectures domestiques ou privées. 


‘ Paris, 7, rue des Grands-Augustins. 1 vol, in-8. 
* Epitres et Evangiles des dimanches et des fétes, avec commentaires et explications, 
par M. l‘abbé Besnard. 4 vol. in-8. 


QUINZAINE POLITIQUE 





9 avril 1873. 


Retenue et comme captive dans la série des débats et des événe- 
ments qui se succédaient 4 Versailles et a Paris, l’opinion publique, 
pendant ces derniéres semaines, n’a guére porté son regard au dela 
de notre pays. En des temps ou la France, moins inquiéte d’elle- 
méme, aurait le loisir de cette curiosité généreuse qui croit que 
dans le monde rien n’est indifférent 4 la patrie ou 4 la vérilé, elle 
considérerait avec plus d’empressement ces violences religieuses de 
la Suisse, destituant les prétres aprés avoir chassé les évéques, et, 
au mépris des lois de I'Kglise, faisant au clergé une constitution ci- 
vile; elle suivrait d’un ceil plus attentif cette armée russe qui s’en- 
fonce dans les steppes lointaines dont le désert entoure Khiva, et 
que |’Angleterre jalouse craint d’y voir fixer ses avant-postes. La 
- France, hélas! a trop de ses alarmes personnelles. S’il semble 
qu’elle ait quelque avidité des nouvelles d'Espagne, c’est que, dans le 
sort de cette république provisoire, ot tout est en péril, ou en guerre, 
ou en ruines, la France interroge ses destinées, et qu’elle y croit 
apercevoir quelques-uns des maux qu'elle redoute pour elle-méme. 
Longtemps sa vaniteuse assurance l’a rendue étrangére 4 l'histoire 
des autres nations ; aujourd hui son anxiété la rend, pour ainsi dire, 
justement égoiste. Pourquoi, durant ces quinze jours surtout, a-t-elle 
concentré tout son intérét dans ses propres affaires et ses propres 
discours? Sa situation l’explique. La libération du territoire mainte- 
nant réglée, notre politique s’agite dans une sorte d’inconnu : elle 
semble devenir plus haletante; la fortune a désormais quelque chose 
de plus redoutable dans la force de ses coups imprévus; il y a dans 
les esprits plus d’attente, de doute, de frayeur; autour de soi, tout 








QUINZAINE POLITIQUE. 197 


parait plus temporaire. On observe M. Thiers avec une vigilance plus 
soucieuse, comme pour chercher dans ses paroles ou ses actes le se- 
cret don ne sait quel dessein maintenant plus libre de se découvrir. 
On assiste aux délibérations de l’Assemblée avec une émotion plus 
vive, parce que d’heure en heure ses résolutions importent davan- 
tage au bien du pays. Dans cet état des dmes et des choses, des faits 
facheux sont survenus, de graves questions se sont posées; et c’est 
ainsi que, de la candidature de M. de Rémusat a la démission de 
M. Grévy, de la mairie centrale de Lyon a4 lindemnité de Paris et 
des départements, les raisons n’ont pas manqué a l’opinion publique 
pour s'appliquer tout entiére au spectacle de nos meertitudes, de 
nos accidents et de nos luttes. 

Parmi les derniéres ceuvres de l’Assemblée, 11 en est deux ot elle 
afait prévaloir des principes dignes de régner dans les mceurs 
comme dans la loi. Elle a repoussé Ja proposition d’allouer 100,000 
francs 4 des délégations d’ouvriers qui se rendraient 4 Vienne pour 
lExposition universelle. Sans aucun doute, ce voyage aurait son 
utilité : il peut insfruire les ouvriers au profit de l'industrie natio- 
nale. On a rappelé qu'un voyage de ce genre servit de prétexte et 
d’occasion en 1862 pour créer l'Internationale; et l'on comprend 
que ce souvenir ait influé sur la décision de I’Assemblée. Mais 4 nos 
yeux la raison capitale qu’on avait 4 consulter en cette matiére, c'est 
que de tels soins doivent incomber & l’initiative privée. Substituer 
toujours a cette initiative le concours de l’Ktat, c’est un acte de socia- 
lisme ; c'est favoriser l’indifférence que le citoyen francais montre 
trop volontiers pour ses intéréts généraux. Et combien faut-il sur- 
tout y songer, 4 une époque ot hommes et choses conspirent a cen- 
traliser dans l’Etat tous les ministéres de Ja vie sociale et politique? 
Dans une affaire bien différente, l’Assemblée, sous l’inspiration de 
Péloquent évéque d’Orléans, a rendu au christianisme un droit 
dont la Convention l'avait privé dans les établissements de bienfai- 
sance. Mgr Dupanloup a demandé et obtenu que désormais les 
ministres de la religion fussent présents dans les conseils de |’assis- 
tance publique. Le christianisme a constitué le patrimoine des pau- 
vres ; ila créé le capital de la charilé; il a couvert le monde d’hos- 
Pices et d’hdpitaux : il était donc injuste d’interdire au prétre toute 
part d'administration dans ces maisons hospitaliéres ou il attire les 
auménes, ow il fait affluer les dons, ot il envoie les indigents et les 
malades. L’article 7 de la loi nouvelle permet de partager les reve- 
nus des biens des pauvres et d’en distribuer une large portion en 
Secours donnés 4 domicile. Cette innovation nécessitait encore la 
présence du prétre dans les bureaux de bienfaisance. Car qui con- 


498 QUINZAINE POLITIQUE. 


nait mieux gue lui les soupirs qu’on pousse en secret, les peines 
qu’on dévore en silence, les miséres qu'une délicate pudeur de 
lame. malheureuse dérobe 4 tous les yeux? Le beau discours que 
Pévéque d’Orléans a prononcé a ce sujet a ramené dans nos lois un 
principe de justice et de tolérance. Félicitons-nous-en : il est bon, 
dans notre seciété si divisée, de voir une suspicion de moins et un 
motif de concorde de plus. 

Lyon est au pouvoir d’une municipalité démagogique, dont la 
foree réside surtout dans sa mairie centrale. M. de Meaux en a clai- 
rement montré l’abusive puissance dans un rapport et dans un 
discours ot les faits eux-mémes servaient d’arguments; avec lui, 
M. Antonin Lefévre-Pontalis, M. Bérenger et M. de Goulard en ont 
indiqué les excés, contradictoirement a M. Ferrouillat, M. Le Royer 
et: M. Edouard Millaud. La situation est grave, bien que devant 
Bourbaki |’émeute n’ose lever la téte; et cette gravité, le gouverne- 
ment l’avait attestée |ui-méme en déclarant la question urgente. La 
mairie centrale, en effet, constitue, 4 Lyon, une sorte de gouver- 
nement : elle y forme un Etat dans l’Elat. Sous Je régne de M. Ba- 
rodet, le conseil municipal perpétue les docirines et les pratiques 
de l'ancien Comité de salut public : vingt-sept de ses membres y 
siégeaient et signaient, le 5 mai 18714, le criminel manifeste ou la 
Commune de Lyon justifiait Ja rébellion de Paris. Getle mumicipa- 
lité résiste aux lois : elle confie Jes actes de l'état civil & des fonc- 
tionnaires dépourvus de mandat légal; elle a:protesté contre la loi 
méme qui l'instituait, celle du 44 avril; elle oppose 4 la préfecture 
une hostilité permanente; elle refuse son obéissance au gouverne- 
ment lui-méme, en contestant ses réglements, en ajournant ses 
mesures, en dédaignant ses ordres, dans les affaires d’enseignement, 
de culte; de bienfaisance publique, de budget et de police. Elle 
s'adjuge une somme de vingt-cing mille francs, qui sont ses fonds 
secrets; elle disiribue ses emplois 4 des artisans de révolufions, 
déja réputés dans les émeutes ou fameux dans les clubs. Elle a 
autour d’elle une armée d’associations politiques qu’elle commande 
et qui lui commandent tour a tour : aux jours ow Ja paix publique 
semble se troubler 4 Versailles dans Jes conseils du gouvernement 
et de l’'Assembiée, on la voif, comme au mois de novembre dernier, 
rassembler furtivement 4 son hdtel de ville plus d’un millier d’agi- 
tateurs dévoués 4 son audace. Fille a sur Lyon une autorité toute 
politique, autorité d’autant plus redoutable a I'Etat que sa puis- 
sance est exercée par « des hommes ambitieux ou pervertis, » et que, 
des faubourgs de Lyon, elle répand son influence sur toute‘la région 
du Midi. Elle invoque le droit de la tradition : or sa mairie centrale 


QUINZAINE POLITIQUE. 199 


n’existe que depuis le 4 septembre 1870. Elle affecte de défendre 
les franchises municipales de Lyon : en réalité, elle est ou veut étre 
la commune libre, indépendante, souveraine, et par cetle prétention 
elle met en péril Punité frangaise. 

Ces raisons convaincantes, M. Ferrouillat, M. Le Royer et M. Mil- 
laud n’ont pu les réfuter. A les entendre, le ciel se rasséréne de jour 
en jour au-dessus de Lyon et de son empereur municipal, M. Bare- 
det : tout s’y change en paix et en prospérité. Lyon n’est plus qu'une 
« ruche de travailleurs, » douces abeilles dont le joyeux bourdonnme- 
ment ne trouble personne, & part M. Cantonnet. Qu’on laisse sewle- 
ment M. Barodet libre et tranquille : il a butiné de faute en faute 
une expérience suffisante; de grace, qu’on lui permette d’en profi- 
ter! M. le préfet, quoique républicain, se trompe : l’ordre est dans les 
esprits comme la vertu dans la municipalité; la ville senrichil; que 
veut-on de plus? Telle est la pastorale que M. Ferrouillat, avec une 
longue et trainante mélodie, a murmurée devant l’Assemblée ; et ses 
deux collégues n’ont fait que répéter ces naives protestalions d’in- 
nocence. Mais ni )’Assemblée,.ni le gouvernement.ne leur ont préseé 
Voreille. Le projet dela commission a été adopté : la mairie centrale 
va se diviser en six mairies d'arrondissements, ou les fonctions .mu- 
nicipales seront gratuites : l’organisation doit en étre assimilée a 
celle de Paris. Les radicaux, ce semble, n’ont guére a se plaindre a 
Lyon d’un régime qu’a Paris ils supportent si bien, et dont les com 
dilions, aprés tout, sont identiques pour les deux capitales de netre 
démocratie. La municipalité lyonnaise annonce sa démission. Suit. 
Elle n'empéchera pas que le parti conservateur profile des avantages 
acquis. En définitive, le jacobinisme aura subi & Lyon une défaiée 
que M. Barodet, confiant dans le gouvernement épistolaire de M. Bar- 
thélemy-Saint-Hilaire, jugeait.impossible. Ge premier résultat a’a-t-al 
pas son importance? 

Gest dans le cours de ces débats qu’a surgi l’incident 4 la sunte 
duquel M. Grévy a quitté ses fonctions. Grande querelle de nests 
peu parlementaires! tapage de coléres également regrettables! 
Mais dans tous ces torts réciproques, M. Grévy a eu le plus grave. 
Sa dignité s’est.bien vite offensée, en cette circonstance :.elle avait 
été plus lolérante dans ces (umultes of M. Ordinaire et M. Gam- 
bella, aprés des injures autrement indignes d’une Assemblée, bre- 
vaient avec leurs amis les réprimandes du président. Nows ne news 
occuperons pas de reprocher 4. M. Grévy ce qu'il y a eu de hautain 
ct d'insolite dans sa démission. La mémoire de ses services et le 
respect que nous devons & son honnételé politique nous imposem 
la mesure dans le blame. Mais nous ne pouvons pas n'étre port 


20 QUINZAINE POLITIQUE. 


étonnés que le souci de l’intérét public ait été si faible dans sa 
détermination. Ces convenances personnelles qu’on allégue 4 un 
moment ow le patriotisme exige de nous tous tant d’abnégation, 
n’ont-elles pas été pour l’amour-propre de M. Grévy plus impé- 
rieuses qu'il neconvenait @ son austére habitude du devoir? M. Grévy, 
onle soupconne, a.eu ses vues particuliéres. Va-t-il devenir républi- 
cain militant? saisira-t-il la direction de la gauche? On peut le supposer. 
En pareil cas, M. Grévy aura pris position entre M. Thiers et M. Gam- 
betta : la république aura ses trois concurrents, et cet antagonisme 
peut changer plus d'une des prebabilités de l’heure présente. Quant 
4 nous, trois choses nous paraissent avoir élé agréables ou hono- 
rables aux conservateurs, dans les suites de cet incident. D’abord, 
M. Grévy, malgré les regrets que le pays lui a donnés, n’a pas mis 
en péril la fortune de l’Etat en se retirant : il nous platt de con- 
stater qu'il y a dans notre république un homme nécessaire et une 
providence indispensable de moins. Ensuite, l'Assemblée n'a pas cra 
devoir se prosterner devant sa présidence mécontente : elle a mieux 
ménagé sa propre considération. Enfin, M. Buffet a remplacé 
M. Grévy : son autorité morale, sa science parlementaire et son ferme 
libéralisme, son habile entente des affaires, son talent oratoire, sa 
sagesse politique, sont des garanties précieuses 4 l’Assemblée et 
au pays dans leur situation actuelle. Au demeurant, la démission 
de M. Grévy nous laisse un avantage décisif, au lieu d’un inconveé- 
nient ou d’un péril. Le vote de la majorité l’engage. 

Aprés de graves débats, dont l’opinion publique s’était émue 4 
Pavance, l’Assemblée a décidé d’allouer a la ville de Paris une In- 
demnité de 140 millions et une autre de 120 millions aux départe- 
ments, pour les dommages subis durant la guerre de 1870-74. Ce 
n’est pas nous qui nierons que les miséres auxquelles on destine ces 
indemnités ne soient dignes de commisération : les pertes ont éte 
lamentables, ef on n’a pu les contempler sans attendrissement. Con- 
venait-il d’en réclamer & l'Etat la réparation? Maintenant qu on 
a satisfait 4 ce qu’on a cru un grand devoir de charité nationale, il 
faut qu’on examine cette question, non plus avec l’émotion d'une 
miséricorde toute patriotique, mais avec la raison sévére de l'homme 
d’Etat et du législateur. Cette question constitue, en effet, la ma- 
-liére d'un droit nouveau : qu’elle ne nous surprenne pas, & !’aventr, 
sans régles et sans lois! Les plus rigoureux conviendront que les 
malheurs dont la guerre accable une population méritent un soula- 
gement. Mais lesquels d’entre ces maux? quelle doit élre la propor 
tion? quelle part d’assistance I’Ktat s’imposera-t-il dans les secours 
prescrits? comment la commune y contribuera-t-elle? quelles re 


~ 


QUINZAINE POLITIQUE. 201 


clamations faudra-t-iladmettre parmi celles du particulier? et avant 
qu’on détermine ces divers points, ne sera-{-il pas utile de juger si 
Yindemnité est un devoir pour !’Etat, un droit pour le citoyen? On 
en conviendra encore: |’équité commande de ne pas laisser aux 
pays envahis, cest-a-dire aux pays chargés de tout le poids de la 
guerre et couvrant les autres, le fardeau de toutes les dépenses faites 
et la pene de tous les désastres éprouvés dans cet acte de la défense 
rationale. Mais ici encore il y a des doutes et des difficultés. Com- 
ment répartir les frais dans la mesure d'une juste solidarité? com- 
ment les reconnaitre et les distinguer ? Il est indispensable qu’une 
loi réponde 3 ces questions, questions nées de sentiments soudains 
et d’opinions nouvelles dans l'histoire de la guerre contemporaine. 
Cette loi sera délicate : il importe pourtant d’en prévoir le besoin. 
Quoi qu’en pensent les juristes, il nous semble que la politique 
etla philosophie, tout & la fois, invilent & ne pas considérer lin- 
demnité comme wn principe général et nécessaire. Pour nous, 
hous ne voudrions pas qu’une felle notion pénétrat dans l’esprit pu- 
blic, et qu’ainsi I’on pat dire: « Moi, particulier, je sais que ma 
maison, mon mobilier, mon bétail, ma récolte, l’Etat me rendra, le 
lendemain des hostilités, tout ce que j’aurai perdu. — Moi, com- 
mune, je sais que toutes mes dépenses de guerre, l’Ktat, la paix une 
fois conclue, m’en donnera |’exacte compensation. » — Non, il ne 
faudrait pas qu’au jour terrible ot la France aurait 4 reprendre les 
armes, chacun de nous eit l’assurance que |’Etat sera le grand ré- 
parateur de tous nos dommages : une telle quiétude pourrait étre 
pernicieuse & notre pays. — ; 

Ce principe de l’indemnité obligatoire, prenez-y garde : il ne sied 
qu'aux socialistes de conférer 4 ’Etat le soin charitable des fortunes 
privées ; et c'est le propre de tous les peuples qui s'abAtardissent, 
comme on en eul l’exemple 4 Rome, que de ne plus voir dans !’Etat 
qu’un ministére d’assistance publique. De plus, en décrétant que 
Etat a le devoir d'indemniser de la guerre ceux dont elle endom- 
mage la propriété, on dte 4 la nation l’énergique souci de son inté- 
rét, on la rend moins jalouse de ses affaires, parce qu’on diminue 
pour le citoyen le péril des résolutions publiques dont dépend sa 
destinée. On le dispose aussi 4 moins bien défendre la communauté 
nationale, parce qu'il se sent mieux garanti individuellement : on 
amollit donc sa force et sa virilité. Il est dangereux partout que 
Etat dispense trop de graces et de bienfaits; car plus on permet de 
demander au gouvernement, moins on laisse & faire au citoyen; mais 
combien le péril n’est-il pas plus grave dans un pays ot la plupart 
des gens considérent PEtat comme une puissance distincte d’eux- 


202 QUINZAINE POLITIQUE. 


mémes, comme une sorte de personnage abstrait et public, dont ils 
peuvent tout attendre ou réclamer? Et ce gouvernement, en lui as- 
signant l’effrayant devoir des indemnités, on reporte tout entier sur 
lui le bien ou le mal de Ja guerre, on habitue davantage encore les 
populations a lui imputer la faute ou le mérite des événements : on 
isole et on aggrave sa responsabilité; et ainsi, sous une charge plus 
pesante, il se trouve exposé a des catastrophes plus promptes et plus 
funestes. Il faut, d’ailleurs, nous le dire courageusement : en émous- 
sant l’aiguillon de la souffrance nationale, on émousse dans plus 
d’une Ame le ressentiment du patriolisme : qui ne sait pourtant que 
les douleurs des peuples leur deviennent des moyens de salut? Nous 
n’ajouterons pas que derriére la certitude d’une indemnilé plus 
d’une lacheté pourrait s’abriter, en temps de guerre, et plus d'une 
spéculation se préparer. Nous comprenons qu’ travers les premiéres 
larmes de la pitié publique, on n’ait pas entrevu toutes ces consé- 
quences. Puisse-t-on s’oecuper un jour de les prévenir! Ily ala une 
question 4 la fois intéressante pour la société et la patrie. 

La ville de Paris va changer certains noms de ses rues. On admet 
volontiers qu’elle veuille pour désigner ses rues des noms qui sur- 
vivent 4 nos régimes provisoires et 4 nos fragiles empires : c'est une 
bonne précaution que de choisir des enseignes qu’aux premiéres 
heures d’une émeute triomphante on ne soit pas tenté de jeter bas ; 
il serait plus sage encore de ne plus faire de révolutions : les noms 
du passé n’auraient plus alors rien de génant ou d'odieux. On con- 
goit aussi que la municipalité de Paris veuilie éviter les homonymes 
el les équivoques ; on ne lui reprochera pas de s’ingénier 4 trouver 
des mots faciles 4.la mémoire et aux lévres : toutefois nous doutons 
que les noms de Camulogéne et de Vercingétorix soient de ceux-]a. 
On lui permettra encore de proscrire les noms des vivants : & ses 
heures, la popularité est courtisanesque, et d'autre part,.l’adulation 
des courtisans n’est pas toujours populaire : pour ces deux raisons, 
effacez donc les noms des vivants, et laissez 4 ’équitable jugement 
de Ja mort le choix de ceux qui seront vraiment immortcls. Soit, 
supprimez les noms de M. Pereire et de M. Haussmann. Nous accor- 
dons enfin qu’aux noms vulgaires, qui ne disent rien ou qui disent 
une. bélise, on substitue des noms qui parlent d’un service rendu 
ou d'une illustration francaise. Fort bien. Dans une ville qui, 
comme Paris, sert 4 la patrie pour y recueillir ses principaux tré- 
sors, mettez partoul sous l’ceil du citoyen ou de l'étranger des noms 
qui éveillent l’imagination de histoire et qui honorent la France; 
nous applaudirons : il y a vraiment avantage 4 remplacer le nom de 
la rue du Terrier-aux-Lapins par celui de Didot. Ornez vos rues de 


QUINZAINE POLITIQUE. 203 


nos grands souvenirs, en les décorant des noms de Lacordaire, 
Augustin Thierry, Tocqueville, Foy, Benjamin Constant, de Staél, 
Villemain, Vauvenargues , Le Notre, Sauvageot, Foyatier, Duban : 
nous vous en louons. Rappelez-nous Belfort, Phalsbourg, Bazeil- 
les, Varize, Civry, Chateaudun : vous ne multiplierez pas trop ces 
noms qui, dans leur gloire funébre, évoquent la vengeance de la 
patrie. Mais gardez-vous d’étre intolérants et partiaux. Vous con- 
sentez a2 conserver le nom de la sceur Rosalie. Eh bien, avez-vous 
donc peur de tous ces autres noms chrétiens que vous méditez d’a- 
bolir? craignez qu’on vous soupconne des délicatesses dont la Com- 
mune avait le scrupule pour les vocables de saints. La mémoire de 
Santeuil, le chanoine, parait vous déplaire, et vous aimez mieux le 
nom de Halle-aux-Cuirs que le nom de cet homme d’esprit dont 
on chante encore les hymnes dans vos églises et dont les inscrip- 
tions sont encore visibles sur vos fontaines. Saint Antoine, 4 vos 
yeux, est damnable : vous voulez qu’on l’oublie pour Latude! Vous 
prélendez avoir horreur de toute dénomination politique, et vous 
maintenez le nom du Quatre-Septembre, vous adoptez celui de 
Charras! Il vous semble aussi que le nom de Marie-Antoinette, celui 
d'une viclime qu’il y a honneur a citer par expiation de nos meur- 
tres publics, sera bien remplacé par celui d’Antoinelte! Voila des 
caprices fort suspects. Mais dit-on vous les pardonner, comment 
vous céder tout ce que vous prenez ailleurs sur la gloire de la 
France? Quoi! Bayard, Henri IV, Napoléon, ces noms dont le peuple 
se souvient et que le monde connait, vous oserez les rayer ! Qubliez- 
vous que Bayard au moins sauva Méziéres des Allemands, que 
Henri IV prépara l'abaissement de l’Empire, que Napoléon vainquit 
a Iéna la Prusse? Vous ordonnez d’enlever les noms de Mazagran, 
de Constantine et d’isly, noms glorieux qui rappellent tant de sang 
francais héroiquement versé; vous rejetez ceux de Magenta et de 
Solferino, comme si, dans vos rues mémes, ils n’avaient pas jadis 
passé avec leurs drapeaux, applaudis de Paris entier, admirés de la 
France et craints de l'Europe, ces suldats de Magenta et de Solfe- 
rino, dont vous allez ainsi violer le souvenir! En vérité, tout cela 
semble impie 4 notre patriotisme. La France malheureuse a besoin 
plus que jamais de tout son passé pour se consoler et reprendre 
courage. Laissez-lui donc, avec toute la variété de son génie et de 
sa fortune, la mémoire de toutes ses générations et la richesse de 
tout son héritage. République ou monarchie, laissez-lui sa grandeur 
tout entiére. On ne défait pas l'histoire avec ces haines; on nen 
refait pas les titres 4 volonté. Et puis un grand peuple doit, jusqu au 
’ dernier soupir, rester enveloppé de toutes ses gloires. 





204 QUINZAINE POLITIQUE. 


Grace a Dieu, la France, maleré la gravité de ses préoccupalions 
politiques et nationales, garde le gout des plaisirs et des biens lit- 
téraires. La réception du duc d’Aumale 4 !’Académie frangaise avait 
ce noble et salutaire intérét ; et cet intérét s’augmentait encore de 
la nouveauté du spectacle offert 4 la curiosité de notre siécle par ce 
fils de roi que Académie admettait dans sa célébrité et son éga- 
lité, qui venait 4 ce tilre y trouver quelques-uns des plus beaux 
souvenirs dont ses ancétres aient honoré notre histoire, et qui s'y 
présentait entouré de M. Guizot et de M. Thiers. Le duc d’Aumale 
a justifié par son discours le choix de ses confréres : on y a re- 
connu, ici la voix d’un patriote, 1a l’accent d’un orateur ou la pa- 
role d’un homme d’esprit; le commencement et la fin de ce dis- 
cours ont étonné, charmé, ému : c’est assez pour un académi- 
cien que d’avoir excité ce sentiment dans l’illustre compagnie, et 
d’avoir obtenu a pareil jour un si difficile succés. M. Cuvillier- 
Feury avait la joie de recevoir dans le duc d’Aumale un éléve bien- 
aimé et de pouvoir publiquement parler de ses mérites. La sagace et 
fine crilique de M. Cuvillier-Fleury a été louangeuse pour M. de 
Montalembert. Est-il besoin de dire que pour le Correspondant, tant 
de fois enrichi des dons que lui faisait le talent de M. de Montalem- 
bert, il y avait dans ces éloges quelque chose de particuliérement 
agréable et cher? et avons-nous besoin d’excuses en recomposant 
a cette occasion, avec les traits mémes dont se sont servis le duc 
d’Aumale et M. Cuvillier-Fleury, l'image d'un homme que les lec- 
teurs du Correspondant ont eu tant de raisons d’aimer et d’ad- 
mirer ? 

M. de Montalembert a dans son génie cet élan chevaleresque d'une 
race quin’avait produit que des soldats et des héros : son inquiéte 
activité ne sait pas se reposer ; il ira de lutte en lutte, marchant aux 
batailles les plus désespérées avec une fiére intrépidité ; prodiguant 
sa vie aux déhats les plus nobles de la religion et de la politique ; 
portant toujours dans un péril ou dans un autre, a la tribune ou 
dans la presse, les armes de.sa parole et de sa plume, et ne les in- 
clinant devant aucune des puissances de ce monde, ne les déposant 
jamais qu’aux seuls pieds de Dieu; toujours prét 4 l’altaque pour la 
défense ; plus jaloux de combattre qu’ambitieux de gouverner ; in- 
sensible a la peur, désintéressé, aimant Ja gloire passionnément ; et, 
pour tout dire, il est, avec la vertu de ce courage hardi et constant, 
grand orateur et grand chrétien. De bonne heure il a préparé son 
ceeur et son esprit aux causes qu’il devait si généreusement servir : 
4 peine adolescent, il a les pureg et saintes passions de la foi, de la 
patrie, de la liberté et de l’amitié (comme l’atteste sa correspondance 


QUINZAINE POLITIQUE. 205 


avec son vieux camarade M. Michel Cornudet), et il mourra sans que la 
vie !'en ait désenchanté. Dés lenfance, il travaille et lit sans cesse; a 
lexemple des hommes illustres du parlement anglais, il est lettré, et, 
comme eux, avant l’age et l'occasion, il s’instruit de I’histoire de 
son temps, il s’exerce 4 l'art de parler ; comme eux, il entre jeune 
et d'un bond rapide dans la mélée et dans la réputation. Le voici, 
dans les assemblées, parlant avec un visage calme, la voix haute, le 
segard limpide ; mais il a dans le discours la force qui remue et en- 
léve; il entraine dans le large et vif mouvement de ses idées ; il em- 
porte dans le flot abondant de son éloquence, flot agité, clair et tout 
brillant d'images. Tribun, s'il l’edt voulu ; improvisateur, quand il 
cédait au besoin de l’heure ou de son temp¢érament ; toujours et na- 
turellement oraleur, Jusque dans ses entretliens privés et dans tous 
ses écrits. Il est plein de pensées, et son savoir ne le laisse manquer 
d'aucune richesse : tout 4 coup il a mis sous vos regards des vues 
peuves, des horizons lointains, des souvenirs perdus. Sa véhémence 
nest jamais déclamatoire, ni sa facililé vulgaire ; il n’imite pas, ila 
son style. Ecrivain, il anime ses livres au souffle d’une ame toujours 
émue et toujours capable d’émouvoir. Eloquent, il sait railler aussi ; 
mais en lui l’esprit sert l’éloquence : il en est la force la plus brus- 
que et la plus légére ; ce n’est pas la malignité laborieuse, la mo- 
querie apprélée; cest le trait prompt, incisif, pénétrant, qui part 
dune main indignée et qui frappe comme un coup d’épée. Ame éga- 
lement faite pour la réverie el les sévéres méditalions, il avait le 
gout de ce qui est poétique et exact; et son érudition n était pas 
pesante 4 son imagination : il était avide de connaitre, mais il 
avait le don de voir. Dans l'art, c’était un curieux délicat, surtout 
amidu beau dans sa sévérité chrétienne; et jusque dans le culte idéal 
de l'art il combattait, en défendant du mépris et de la négligence les 
vieux monuments du moyen age. A l’Académie enfin, « confrére af- 
fectueux et fidéle, » soucieux de ses devoirs, studieux de la langue, 
vérilable académicien. Et quoi qu'il fit, ardent et infaligable, épan- 
reba puissante nature dans mille travaux, mille affections, mille 
ésirs. 

Mais la qualité supréme de Montalembert, ce fut sa juste et tenace 
passion de la vérilé. Il était sincere, il préférait le scandale au men- 
songe. Sincérement, il voulait dans son pays la liberté et l’égalité, 
légalité fiére, laliberté généreuse. Sincérement, il aimait la religion 
et le bien, les défendant contre ses amis d’aujourd’hui, les saluant 
dans ses ennemis d’hier. Sincérement, il jugeait mort dans le passé 
ce qui n’en pouvait revivre, ne songeant pas aux chiméres des régimes 
impossibles ou des régimes inconnus. Siacérement, il vantait parmi 


206 QUINZAINE POLITIQUE. 


les gouvernements celui de la grande et libre Angleterre, sans répu- 
dier la nouvelle loi sociale de la Révolution francaise. Sincérement 
i] résistait ou se donnait; et jusque dans les changements de son 
siécle ou de son opinion, sa sincérité ne changeait pas. Mais & cette 
sincérilé, qui était la foi de son coeur, il joignait ce don exquis des 
pelles Ames, l’indignation du mal. On |’admirait a le voir si intré- 
pide en l’honneur des causes les moins populaires ; incapable de 
transiger avec sa conscience ; si indépendant que, voulant n’accorder 
de droiis sur lui qu’a la vérité seule, il n’en donna jamais 4 aucun 
parti. Hl méritait plus d’admiration encore, cet homme qui ne sov- 
tenait pas seulement la vérité envers et contre tous, mais qui souf- 
frait si douloureusement des injures faites a la vérité. Dés le com- 
mencement de sa vie, il était Yorateur de toutes les libertés trahies 
et de toutes les nations malheureuses ; il allait chercher au dela de 
sa patrie tous les droits opprimés pour les glorifier devant la France 
et Dieu, pour les consoler de ses consolations vengeresses. Gomme 
sa pitié frémissait de leurs tourments! comme il sentait leur mar- 
tyre! quels cris sur ses lévres, quelles dénonciations envoyées au 
monde entier, au ciel et & l’avenir, quand i] apercevait en Irlande, 
en Pologne, en Italie, en Amérique, des victimes, des esclaves, des 
étres terrassés! Personne n’avait plus détesté les geéliers ou les 
bourreaux des peuples vaincus. Et cette horreur de la persécution, 
il Péprouvait jusque dans le passé. Il élait parmi nous, avec son élo- 
quence, comme « le justicier du droit public, » et il l’était pour son 
temps, pour l'immorltelle conscience humaine; il l'était en témoi- 
gnage du bien contre le mal; et ce mandat, il l’avait pris dans son 
coeur si tendrement chrétien, si vaillamment francais. 

Tels sont, d'aprés les portraits qu’en ont tracés le duc d’Aumale 
et M. Cuvillier-Fleury, l'dme, le talent, esprit et le caractére de 
M. de Montalembert : le personnage qu’ils nous ont montré sous ces 
grands traits est assurément, parmi les oraleurs, bien digne des seize 
soldats de son sang tués sous le drapeau; et certes i] a mérité une 
place parmi les figures les plus originales et les plus nobles de notre 
race. On pourra sans doute éludier mieux ou davantage dans M. de 
Montalembert I'écrivain, le catholique et ’homme privé : tout lé'reste 
de sa gloire est, dés ce moment, consacré dans les deux discours ott il 
vient d’étre célébré. Ila bien paru, d'ailleurs, que l’opinion publique 
ratifiail ces jugements : la mémoire de M. de Montalembert, au lende- 
main de cette solennelle épreuve, a été tout entourée de respect et 
d’hommages ; presque tout le monde a été équitable pour lui; ilest en- 
tré dans la postérité, dans la renommée définitive. Quelques-uns sesont 
plaints qu’il n’eut pas le sens crilique : autant lui reprocher d’avoir 


QUINZAINE POLITIQUE. 207 


eu l'imagination et la sensibilité, cest-a-dire toute son éloquence. 
Quelques-uns ont feint de ne pas apercevoir dans la vie de M. de Mon- 
falembert lunité de la pensée et du sentiment : quoi! cette unité 
n'est-elle pas visible dans ce constant amour du bien religieux et so- 
cial, qu’il n’a jamais voulu servir et défendre qu’avec la liberté? 
Quant aux positivistes qui ont souri en remarquant que M. de Mon- 
talembert a dévoué son génie a des causes perdues, que leur dirons- 
nous? Oui, M. de Montalembert a combattu sans espoir pour des 
idées de justice et de charité auxquelles manquait la force des ar- 
mées et auxquelles peut-étre manquera toujours la fortune. Mais le 
fait n’est pas la loi; Vhistoire a la vérité des événements, Dieu la vé- 
rité des principes. Dans le droit et pour le droit, il n’y a pas de 
causes perdues : combattre pour le droit, c’est remporter dans les 
ames et souvent gagner pour l'avenir les victoires que ne permet pas 
le temps présent et que n’a pas permises le passé. Il ne faut pas sou- 
rire de ces protestations : elles sont pour l’humanité la voix de sa 
conscience ; si on ne les entendait plus, il n’y aurait plus d’avertis- 
sements contre les crimes de la violence : les générations désappren- 
draient de plus en plus 4 la maudire et a lui résister. Ah! M. de 
Montalembert a été admirablement Francais en se faisant ainsi le dé- 
fenseur des causes perdues : la France, elle aussi, a eu plus d’une 
fois pour les nations ou les idées cette vaillance toute désespérée ; 
et M. de Montalembert ne saurait étre renié par personne dans 
une patrie qui, méme au temps ou elle n était que la Gaule, faisait 
dire de ses enfants 4 un philosophe grec : « Ils ne peuvent suppor- 
ter sans indignation le spectacle d'une injustice ! » 

Si M. de Montalembert avait assez et trop vécu pour voir |’Alsace 
etla Lorraine réduites aux destinées qu'il pleurait chez la Pologne, 
l'Irlande et Venise, quels gémissements et quelles coléres auraient 
grondé dans son coeur! Mais celte Ame confiante et forte, elle n’au- 
rait pas fléchi dans le découragement ; et s'il lui fat arrivé d’enten- 
dre a l’'Académie, aprés tant de désastres et d’humiliations, ce cri 
poussé par un prince, valeureux petit-fils de Henri IV, ce grand cri 
de ralliement : « Espérance! » M. de Montalembert se fit levé pour 
applaudir, j’allais dire pour combaltre. Ce cri nous convient bien & 
nous autres, Francais malheureux, qui, de tous les peuples, savons 
et devons le moins désespérer. Est-ce effet d’une foi secréte, mise par 
Dieu au fond du génie audacieux et léger de la France, pour lui ser- 
vir d’inspiration ou de consolation? est-ce retour merveilleux d’une 
force facilemrent renaissante et d’une richesse qui se renouvelle 
d’elle-méme ? est-ce profit des sévéres legons que nous recevons de 
lafortune? est-ce vaillance et vanité & la fois? Peu importe. La 


208 QUINZAINE POLITIQUE. 


France espére, elle espére toujours. Ce sentiment, elle le gardait 
obstinément jusque dans les noires journées de la guerre de 1870 : 
méme aprés les plus écrasantes défaites, la France croyait aux mi- 
racles de l’espoir. Combien de nous, méme devant nos foyers pris 
par l’ennemi et d’ott nous chassaient ses soldats, combien de nous 
se disaient encore: « La France asouvent paru condamnée 4a dispa- 
raitre d’entre les nations : aprés le traité de Verdun, aprés Azincourt, 
le lendemain de l’assassinat de Henri Ill, aprés Utrecht, aprés Wa- 
terloo, on l'acrue déchue ou prés de périr ; mais blessée et abattue, 
elle s'est toujours relevée ; aucun peuple moderne n’a été frappé 
de coups plus cruels et plus nombreux, aucun n’a plus tdt re- 
dressé ses drapeaux, ressaisi son épée, reconquis ses frontiéres; et 
plus d’une fois méme, aprés ses malheurs, la France a su ajouter a 
sa vieille gloire, 4 son ancienne puissance. Ce destin, elle laura en- 
core. Reprenons donc courage: toute cette histoire nous y convie. 
Reprenons courage ; soyons patients, espérons, et en méme temps 
qu’a l’espoir, confions au travail le soin de l'avenir! » Ces exhorta- 
tions que nous nous adressions alors dans une tristesse si sombre, 
notre patrie peut aujourd'hui les répéter avec plus d'assurance 
déja. Mais en recueillant ce cri d’espérance, puissent les hommes de 
bonne volonté comprendre unanimement que l'espoir d’un peuple 
n’est rien, rien qu'une illusion, sans l’effort et la constance, sans le 
sacrifice ct l’union ! 


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Auc«. te Bovucner. 


L'un des Gérants : CHARLES DOUNIOL: 


PARIS, — IMP. SIMON RACON EY comP., ACK p’earoars, 1, 


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Cette Notice est extraite du Catalogue complet de la Maison, 
qui est adressé franco sur demande. 





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Les exempiaires sur papier de Hollande porteront imprimé en regard du 
titre le nom du souscripteur. 
Cet ouvrage paraitra dans le courant de mai prochain. — Un volume spéci- 
men est & la disposition de notre clientéle. 
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dée d’une Préface par M. l’abbé F. de Lamennais. 5 vol. in-52, demi-cha- 
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Laméme, édition mar. rouge, riche dorure, A compartiment et dentelle sur 
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Imitation de Jésus-Christ, trad. par Marillac. Gr. in-8, imprimé en couleurs 
et or, publié par Curmer; reproduisant les plus besux ornements des ma- 
nuscrits du moyen 4ge, mar. rouge, doublé de moire... ......-- 550 fr. 
Imitation de Jésus-Christ, trad. par Mgr Darboy. 4 vol. gr. in-8, avec gra- 
vures d’Overbeck, texte encadré de différentes couleurs, chag., tr. dor. . 40 fr. 
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Imuations et Livres de dévotion & la sainte Vierge de formats et prix divers. 
Instructions choisies des grands prédicateurs sur les Epitres et les Evangiles. 
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Introduction & la vie dévote, en éditions différentes. 
Journée du chrétien, de formats et prix divers. 


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Laconparmg (le R. P.). — Lettres & un jeune homme sur la vie chrétienne. 


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Manuel des. Catéchismes, i Vusage de Sainte-Clotilde, de Saint-Ambroise, 
N.-D. des Victoires, Saint-Eugéne. 


Manuel des Catéchismes, 4 l usage de Saint-Thomas d’Aquin, Saint-Vincent 
de Paul, etc. 
Manuel des Catéchiemes, par Mgr Dupanloup. 


Pour les différents genres de reliures de ces trois Manuels, voir page 22 du 
Catalogue complet. 


Manuel de piété, a usage des éléves du Sacré-Coour. In-12, avec gravures. : 


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Mar. poli, orné, g. moire, tr. d. 22 fr. 


Manuel du chrétien de différentes éditions , voir page 17 du Catalogue complet. 
Méoitarions pour tous les temps de l'année. Chaque volume se vend séparément. 


9 vol. in-32 dans un élui.. . . 9 fr. Chagrin, tr. dorée ou rouge.. . 40 fr. 
Toile, tr.jasp......... 45 fr. Chagrin orné, avec dent. ou écus. 50 fr. 
Demi-chag., plats toile, tr. dor.. 25 fr. 
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rée, avec gravures et priéres chromo... ...... a ee ee 80 fr. » 


Médifations 4 l’usage du clergé et des fidéles, pour tous les jours de l’année, 
per M.lecuré de Saint-Sulpice. 3 vol. in-12, toile, tr. rouge ou dorée.. . 13 fr. 50 
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Chag. vert, filets fleurdelysés sur les plats, dos orné, dent. int., tr. dorée.. 39 fr. » 

Maroquin rouge ancien, filets dorés, fleurs de lys mosaique, gardes moire, 
dentelle intérieure, tr. dor. marbrée, avec grav., reliure genre Dussenil. 75 fr. » 


Mois de Marie de Bossuet. In-18 avec gravures. 
Chag., tr.dorée.. ....-. Off. Mar. poli, g. papier, tr. dor,. . 44 fr. 
Chag., tr. rouge semée, . ... 8 fr. | Chag. couleur, tr. dorée. . . 6 fr. 

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Mar. poli, filets ou fleurs de lys sur les plats, dent. intérieure, tr. dorée . . 4 
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Mots de Marie, par Mgr Letourneur. In-52 avec gravures. 

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Chag., tr. rouge ou bleue.. . . 6 fr. Cuir Russie semée, tr, semée. . 12 fr. 
Chag. semé, tr. semée. . . . . 12 fr. Cuir Russie, tr. dorée. . . .. 45 fr. 
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Mois de saint Joseph des enfants de Marie, par le R. P. Huguet. In-32, maro- 


quin rouge, galerie dorée sur les plats, g. moire, dent. intérieure, tr. dor. 415 fr. » 
Noweau formulaire de priéres, dédié aux enfants de Marie. In-18, avec 


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Maroquin poli, fleurs de lys ou dentelle, gardes papier, dos souple, tr. dor. 20 fr. » 
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Cuir Russie, g. moire, tr. dorée marb., dos souple.. .......... 25 fr. » 
Maroquin poli orné, gardes moire, tr. dorée. ;..... ee er eee ys ae 
Puaantvs { }. — Lettres, 1850-65. In-12, avec portrait, demi-chagrin, 
plats toile, tranche dorée ou rouge... ... . ee er ae ere ee 7 fr. » 
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Recue de prieres. Andelarre, Fenoil, Flavigny, Gautier et Isoard. Voir page 18 
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Suny Francois pr Saces. — Lettres adressées 4 des gens du monde. Nouvelle 
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Sau Faancors pe Sazxs. — Traité de l'amour de Dieu, édition publiée par le 
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Sar Frascors ps Sates. — La vie parfaite. 1 vol. in-16 carré. — L’Amilié, 
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Cette étude est le récit le plus dramatique qu’on ait encore lu sur la Révolution frangaise. 
Ce roman n’est pas une fantaisie de conteur, mais un tableau aussi fidéle que saisissant d'une 
époque remplie de larmes et de terreurs. Pas un seul! fait qui ne soit appuyé sur des docu- 
ments authentiques. L’auteur jette une vive et irrésistible lumiére sur les évenements fes plus 
douloureux et Jes plus enespliques de lorgie révolutionnaire; il ne craint pas de sligmatiser 
ceux qui, par leur nom, leur naissance et leur rang, devaient couvrir de leur corps l'auguste 
famille de Louis XVI, au lieu de la trahir, aprés l’avoir diffamée. Il montre enfin et surtout, 

-avec une irréfutable évivence, que la haine de la religion est a la racine de toutes les satur- 


nales révolutionnaires. (Vient de paraitre.) 





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cone pour étre une production d’un rare 
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Narration simple et naturelle; tableau in- 
structif et attrayant de la vie chrétienne dans 
les austéres solitudes de l’Egypte, de ia Pales- 
tine. de la Syrie et dans les grandes villes de 
lOrient, 4 la tin du quatriéme siécle. 


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Le talent si brillent et si chrétien de l'au- 
teur retrace. sous Jes couleurs les plus vives, 
le monde du Bas-Empire et Ia cour de Byzance, 
au temps de saint Jean Chrysostome, l'un des 
principaux personnages. 


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Ce récit, o& le plus touchant intérét régne 
d'un bout 4 l'autre, retrace les héroiques 
efforts de Judas Macchabée combattant contre 
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mouire de la jeunesse catholique les grands 
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tions du ‘.atéchisme. C'est la réduction exacte d'un vaste tableau. ot des richesses d’instruc- 
lion sont ama-sées au profit de lu jeunesse, des Ames pieuses, des gens du monde, des com- 
munautés, par.up prétre aussi savant que modeste. C'est un vrai manuel de la science de 
l'Bvangile, un trésor d’enseignements pratiques, digne du grand ouvrage dont il est l'abrégé. 


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« L'Empldtre de Thapsia est une nouvelle res- 
« source thérapeulique dont le Principe actif a été 
« extrait d'une plante d’Algérie (le Thapsia Gar- 
* gentea) per . le docteur Reboulleau, médecin 
© en chef de Vhdpital civil de Constantine. C'est 
«un révulsif des plus énergiques, dont on peut 
«‘cependant graduer les effets par la durée plus 
* od moins prolongée de son application, qui tient 
« lieu de vésicatoire dans les cas graves, ou se 
« sobstitue aux simples rubétiants dans les affec- 
«Uons légéres. Il est indiqué toutes les fois qu'il 
» est nécessaire de produire une irritation artif- 
«celle 4 la peau afin de prévenir les progrés 
« dune lésion interne. 


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« L'Empldtre de Thapsia détermine un érithéme, 


« lequel est bientét suivi d’une éruption miliaire 
« trés abondante et trés-salutaire. Son action est 
« rapide, plus sire gue I'huile de croton, et sou 
« emiploi est exempt des nombreux inconvénients 
« peprecn aux aulres agents externes. 

« 


ous avons coulume de le prescrire dans 


« beaucoup de cas ob une révulsion est indiquée, 

« mais plus particuliérement dans les affections 
‘« de poitrine, les rhumatismes, les arthrites, les 

« bronchites ; il nous a également rendu service 
'« dans les maladies des enfants. » 


« (D° A. Massox, Gazette des Hépitaur, 22 mai 
1860.) » 


Mt le docteur Reboulleau a publié sur la Résine de Thapsia Carganica et sur son emploi en méde- 
ne comme agent révulsif sous forme d'empidire une brochure que nous tenons a la disposition de 


loots les personnes qui la demanderont franco. Exi 


les signatures des auteurs. 


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TABLE ANALYTIQUE 


‘BT ALPHABETIQUE 


DU. TOME QUATRE-VINGT-DIXIEME 


(CINQUANTE-QUATRIRME DE LA NOUVELLE sfars *) 


RNora.— Les noms en capitales grasses sont ceux des collaborateurs du Recuefl dont les travaux ont 
pera dans ce volume; Jes autres, ceux des auteurs ou desobjets dont il est question dans ics articles. 
Antviations : — C, R., compte rendu; — Art., article. 


A la Terre de France. Poésie. Y. Victor 
de Laprade. 585. 

Agriculture (0) et les classes rurales 
dans le pays toulousain, depuis le 
miliew du diz-huitiéme siécle, par 
MN. Théron de Montaugé. C. R. 806. 

Année (I) d'expiation et de grdce, par 
Ni. labbé Besson. C. R. 1233. 

Apologétique (I°) d’aujourd’hui.V. comte 
de Champagny. 174. 

ARCELIN (Adrien). La théorie géogé- 
nique de la science des anciens, par 
M. 'abbé R.-F. Choyer. C. R. 1013. 

Armée allemande et armée francaise. 
¥. colonel Somerville. 834. 

Andiganne(A.). Mémoires d'un ouvrier de 
Paris, 1874-1872. 1045. 

Becq de Fouquiéres. (Euvres politiques 
dAndré Chénier. 389. — Ciuvres de 
Frangois de Pange. 391. 

BkLamp (Eugéne). La vie chrétienne, 
par Mgr Isoard. C. R. 1239. 

BERNHARDT (Frédéric de). La gréve 
des laboureurs en Angleterre. Art. 5. 

gin (cardinal de). V. L. Lescoeur. 

9. 


Besson (abbé). L’année d’expiation et de 
grace. 1235. 

BOILEAU (abbé M.-J.). L'année d'ex- 
piation et de grdéce, par M. l’abbé Bes- 
son. C. R. 4233. 


BOUCHER (Auguste). V. Quinzaine po- 
litique. — 10 janvier. 191. — 25 jan- 
vier. 5396. — 10 février. 607. — 
25 février. 813. — 10 mars. 1021. — 
25 mars. 1249. 

Boucher (Auguste). Récits de l'invasiow 
dans ’ Orléanais. 803. 

Bourse (la) & Londres et 4 Paris. V. 
Edouard Burdet. 4444. 

BURDET (Edouard). La Bourse a Lon- 
dres et & Paris. 1°" art. 1111. 

CAMPENON. Histoire d'un village pen- 
dant Ja Révolution. Art. 1179. 

CARNE (comte de), de l’Acad. fr. La 
commission des Trente. Art. 204. 

CRLIERES (Paul). Un feu de joie. Co- 
médte en vers. 118. 

CHAMPAGNY (comte de), de l’Acad. 
fr. L'apologétique d’aujourd’hui. Art. 
471. — Théophile Foisset. Art. 825. 

Champfleury. Les Enfants. 801. 

Chénier (André). QEuvres politiques. 
C. R. 389. 

Chevalier (Ed.). La marine frangaise et 
la marine allemande pendant la guerre 
de 1870-1874. 804. 

Choyer (abbé R.-F.). La théorie géo— 
génique de la science des anciens. 
4015. 

compre. V. P. de Céliéres, 118.. 


‘Cettetable et la suivante doivent se joindre au numéro du 25 mars 1873. 


2 Mans 1873. 


80 


1258 


Commission (la) des Trente. V. comte de 
Carné. 201. 

Controverses (Jes derniéres) sur la li- 
berté humaine. V. Elie Méric. 

Correspondance de madame Swetchine. 
V. comte ce Falloux. 

COURCY (Alfred de). La derniére pen- 
sée du Pére Enfantin. Art. 449. 

DANTIER (Alphonse). Machiavel diplo- 
mate. 1° art. 617. 

Découverte du tombeau des Macchabées, 
par M. Victor Guérin. C. R. 810. 

DELARC (abbé 0.). Familles royales de 
France, par M. Ch. Viollet. C. R. 
381. — Mémoires d’un ouvrier de 
Paris, 1871-1872, par M. A. Audi- 
ganne. C. R. 1015. 
Déluge (le) et 'épopée babylonienne. V. 
F. Lenormant. 324. 
Derniére (la) campagne du maréchal de 
Villars, par M. H. de Lacombe. C. R. 
4234. 

Derniére (la) pensée du P. Enfantin. VY. 

Al. de Courcy. 449. 

Dictionnaire de la langue frangatse, par 
M. Littré. C. R. 1245. 

Dictionnaire historique de la France, par 
M. Lalanne. C R. 586. 


Dieu-Etat (le) en Prusse. V. P. de Haul- 


leville. 1139. 

Doctrines (les) positivistes en France, 
par M. Vabbé Guthlin. C. R. 186. 

DOUHAIRE (P.). 25 janvier. — La vé- 
rité sur le Masque de fer, par M. lung. 
383. — Dictionnatre historique de la 
France, par M. Lalanne. 386. — 
CEuvres politiques d’André Chénier, 
publiées par M. Becq de Fouquiéres. 
389. — (QBuvres de Francois de 
Pange, publiées par le méme. 391. 
— Les invasions anglaises en Anjou 
au quatorziéme et au quinziéme sid- 
cle, par M. André Joubert. 392. — 
Voyage aux pays rouges. 394. 

25 février. — La vie de quatre grands 
chrétiens francais, par M. Guizot. 
7189. — Histoire de la Révolution de 
1848, par M. H. Gradis. 7193. — His- 
toire de Grégoire VII, par M. Ville- 
main. 796. — Essais sur linstruc- 
tion publique, par M. Charles Lenor- 
mant, 798. — Récits de l'invasion 


TABLE ANALYTIQUE 


dans ('Orléanais, par M. Aug. Bou- 
cher. 803. — Les enfants, par 
M. Champfleury. 801. — La marine 
francaise et la marine allemande pen- 
dant la guerre de 1870-1871, par 
M. Ed. Chevalier. 804. 

25 mars. — Dictionnaire de la langue 
francaise, par M. Littré. 1215. — 
Les harmonies providentielles, par 
M. Charles Lévéque. 1220. — Le plan 
d‘abolition de UEglise grecque-unie. 
par le P. Martinov. 1223. — La per- 
sécution de ['Eglise en Lithuanie, et 
particuliérement dans le diocése de 
Vilna, par le P. Lesceur. 1226. — 
Etude sur Fouché et sur le commu- 
nisme dans la pratique en 1793, par 
M. le comte de Martel. 1228. -. La 
derniére campagne du maréchal de 
Villars, par M. H. de Lacombe. 4234. 

Eglise grecque-unie (abolition de [). V. 
Martinov. 1223. 

Enfantin (le Pére). V. Al. de Courcy. 
449. 

Enfants (les), par M. Champfleury. C. R. 
801. 


Etapes (les) de l’opinion. V. L. de Gail- 
lard. 777. 

Etude sur Fouché et sur le communisme 
dans la pratique en 1793, par M. le 
comte de Martel. C. R. 1228. 

FALLOUX (comte de), de Acad. fr. 
Correspondance de madame Swet- 
chine. 4° art. 409. — 2° art. 1033. 

Familles royales de France, par M. Ch. 
Viollet. C. R. 384. 

Feu (un) de joie. Comédie en vers. Y. 
Paul Céliéres. 118. 

Foisset (Théophile). V. comte de Cham- 
pagny. 825. 

FOURNEL (Victor). Les romans de la 
guerre. — Nouvelles amours d'Her- 
mann et Dorothée. C. R. 182. — Les 
ceuvres et les hommes. Art. 25 fé- 
vrier. 749. 

France (la) aux quatorziéme et quin- 
ziéme siécles. V. Félix Rocquain. 
148. 

France (la) dans ses colonies. Y. Xavier 
Marmier. 308. 

GAILLARD (Léopold de). Les étapes de 
Yopinion. Art. 777. 


DU TOME QUATRE~VINGT-DIXIEME. 


Ginouifhac (Mgr). Le sermon sur la mon- 
lagne. 378. 

GOBINEAU (comte de). L'instruction 
primaire en Suéde. Art. 659. 

Godefroy (Frédéric). Morceauz choisis 
des prosateurs et poétes francais. 
1238. 

GOURDAULT (Jules). Sully, homme 
public et écrivain. Art. 684. 

Gradis (H.). Histoire de la révolution 
de 1848. 793. 

Gree (le) en France. V. H. Hignard. 
221. 


Gréve (la) des laboureurs en Angle- 
terre. V. Frédéric de Bernhardt. 5. 
Guérin (Victor). Découverte du tombeau 

des Macchabées. 810. 

Guizot. Les vies de quatre grands chré- 
liens francais. 789. 

Guthlin (abbé). Les doctrines positivistes 
en France. 186. 

Harmonies (les) providentielles, 
M. Charles Lévéque. C. R. 1220. 

HAULLEVILLE (P. de). Le Dieu-Etat 
en Prusse. Art. 1139. 

Henley Jervis (le R. W.). Histoire de 
PEglise de France. 1048. 

Henriette. Nouvelle. 514. 

HERICAULT (Ch. d’). Thermidor. Tro#- 
neme partie. 10 mars. 888.— 25 mars. 
1066. 

HIGNARD (H.). La qa du grec en 
France. Art. 224. 

Histoire de I'Eglise de Franee, par le 
R. W. Henley Jervis. C. R. 1048. 

Histoire de la révolution de 1848, par 
N.H. Gradis. C. R. 793. 

Histoire de Grégoire VII, par M. Ville- 
main. C. R. 796. 

Histoire d’un village pendant la révolu- 
tion. ¥. T. Campenon. 1179. 

HUGH-DALE. Histoire de I'Eglise de 
France, par le K. W. Henley Jervis. 
C. Bhs 1018. 

INDY (Wilfrid d’). La musique a 'é- 
glise et la musique de I Eglise. 2° art. 
494. 


par 


Instruction publique (Essais sur I’), par 
Ch. Lenormant. C. R. 798. 

Instruction (I) primaire en Suéde. V, 
comte de Gobineau. 639. 

Invasions (les) anglaises en Anjou au 


1259 


quatorziéme et au quinziéme siécle, 
par M. André Joubert. C. R. 392. 

Isoard (Mgr). La vie chrétéenne. 1239. 

lung. La vérité sur le Masque de fer. 

383. 

JARNAC (comte de). Louis XIV et 
Henri IV. Art. 78. 

Joubert (André). Les invasions an- 
glaises en Anjou au quatorziéme et au 
quinziéme siécle. 392. 

KIRWAN (Ch. de). L’agriculture et 
les classes rurales dans le pays tou- 
lousain, depuis le milieu du dia-hui- 
tséme siécle, par M. Théron de Mon- 
taugée. C. R. 806. © 

Lacombe (H. de). La derniére campa- 
gne du maréchal de Villars. 1234. 

Lalanne. Dictionnaire historique de la 
France. 386. 

LAPRADE (Victor de), de l’Acad. fr. 
A Ja terre de France. Poésie. 583. 

LARGENT (Aug.). Le sermon sur la 
‘montagne, par Mgr Ginoulhiac. C. R. 
578. — Morceaux choisis des prosa- 
leurs et poéles francais des dix-sep- 
treme, dix-huitiéme ef dix-neuviéme 
sidcles, par M. Frédéric Godefroy. C. 
R. 1238... 

LATOUR (Antoine de). Pélerinage au 
pays de Jeanne d’Arc. Poésie. 700. 
LEDRAIN (E.). Découverte du tombeau 
des Macchabées, par M. Victor Guérin. 

C. R. 810. 

Lenormant (Charles). Eésais sur l’in- 
struction publique. 798. 

LENORMANT (Francois). Le déluge et 
lépopée baby!onienne. Art. 324. 

LESCCUR (L.). La premiére wuvre du 
cardinal de Bérulle. Art. 955. 

Lescceur (le P.). La persécution de 'E- 
glise en Lithuanie, et particuliére- 
ment dans le diocése de Vilna. 1226. 

Lettre de Mickiewicz & des jeunes gens. 
C. R179. 

Lévéque (Charles). Les harmonies provi- 
dentielles. 1220. 

Liberté (la) humaine. V. Elie Méric. 
Liberté (la) religieuse et les événements 
de Genéve, par M. de Richecour. C. R. 

4049. 

Littré. Dictionnatre de la langue fran- 

¢aise. 1215. 


‘1200 


TABLE ANALYTIQUE 


Louis XIV et Henri IV. V. comte de Jar- | Morceaux choisis des prosateurs et poétes 


nac. 78. 

LUBOMIRSKI (prince Joseph). Scénes 
de la vie militaire en Russie. 2° art. 
40 janvier. 42. — 3° art. 25 janvier. 
Fin. 250. 

Machiavel diplomate. V. Alphonse Dan- 
tier. 617. 

WALARGE (A. de). La politique finan- 
ciére en France depuis 1870. 2° art. 
25 janvier. 363. — 3° art. 10 mars. 
979. 

MANGIN (Arthur). Revue scientifique. 
40 mars. 997. 

Mariage (le) de Gabriel. Nouvelle. 
113 


Marie Stuart. V. Louis Régis. 464. 

Marine (la) francaise et la marine alle- 
mande pendant la guerre 1870-1871, 
par M. Ed. Chevalier. C. R. 804. 

MARMIER (Xavier), de l’Acad. fr. La 
France dans ses colonies. Art. 308. 

Martel (comte de). Etude sur Fouché et 
sur le communisme dans la pratique 
en 1793. 1228. 

Martinov (le P.). Le plan d’abolition de 
U' Eglise grecque-unie. 1223. 

Hélanges. — V. 179. — V. Victor Four- 
nel. 182. — V. Elie Méric. 186. — 
VY. Aug. Largent. 378. 1238. — V. 
l'abbé O. Delarc. 381. 1015. — V. 
Ch. de Kirwan. 806. — V. E. Le- 
drain. 810. — V. Adrien Arcelin. 
1013. — V. Hugh Dale. 1018. — 
V. 1019. — V. l'abbé M.-J. Boileau. 
4233. — V. Eugéne Bélard. 1239. 

Mémoires Cun ouvrier de Paris, 1874- 
1872, par M. Audiganne. C. R. 1045. 

Mére (une) de famille en 1800. V. Au- 
guste Nisard. 936. 

M&RIG (Elie). Les doctrines positivistes 
en France, par M. V'abbe Guthlin. C. 
R. 186. — Les derniéres contro- 
verses sur la liberté humaine. 1* art. 
25 janvier. 289. — 2° art. 10 mars. 
865. 

Mickiewicz. Lettre & des jeunes gens. 
179. 

Montaugé (Théron de). L’agriculture et 
les classes rurales dans le pays tou- 
.lousatn depuis le milieu du dix-hui- 
tidme siécle. 806. 


francais des dix-septiéme, diz—hui- 
tiéme et dix-neuviéme siécles, par 
M. Frédéric Godefroy. C. R. 1236. 

Musique (la) 4 l’église et la musique 
de I'nglise. V. Wilfrid d'Indy. 494. 

NISARD (Auguste). Une mére de famille 
en 1800. Art. 936. 

Novvetres. V. Henriette. 544. — V. le 
mariage de Gabriel. 713. 

Nouvelles amours d'Hermann et Doro- 
thée. C. R. 182. 

(Euvres de Francois de Pange, publiées 
par M. Becq de Fouquiéres. C. R. 
394. 

Guvres (les) et les hommes. V. Victor 
Fournel. 745. 

CEuvres politiques d’André Chénier, pu- 
bliées par M. Becq de Fouquiéres. 
C. R. 389. 

Pange (QEuvres de Frangois de). C. R. 
391. 

Pélerinage au pays de Jeanne d’Arc. Poé- 
sie. V. A. de Latour. 700. 

Persécution (la) de I'Eglise eg Lithua- 
nie, et particuliérement dans le dio- 
cése de Vilna, par le P. Lesceeur. 
Cc. R. 1226. 

Plan (le) dabolition de [’Eglise grec- 
que-unie, par le P. Martinov. C. R. 
4223. 

Poksies. Y. Victor de Laprade. 585. — 
V. A. de Latour. 700. 

Politique (la) financiére, en France, 
depuis 1870. V. A. de Malarce. 

Pouvoir (le) législatif 4 Lyon en 41870. 
V. E. Récamier. 590. 

Premicre (la) ceuvre du cardinal de Bé- 
rulle. Y. L. Lescoeur. 955. 

Prusse (la). V. P. de Haulleville. 1139. 

QUESNOY (Pierre du). Stanley. Com- 
ment j'ai trouvé Livingstone. Art. 
548. 

Question (la) du grec en France. V. H. He 
gnard. 221. 

Qouinzaine poxitique. 10 janvier. — Re- 
prise des travaux de l’Assemblée. 
191. — Opinion des nations étran- 
géres. 193. — Difficultés de prendre 
possession d’un gouvernement. 194. 
— L'Europe redevenue attentive. — 


DU TOME QUATRE-VINGT-DIXIEME. 


La démission de M. de Bourgoing. 
195. — La politique de Napoléon Ill 
en Italie. 196. — Nos devoirs 4 rem—- 
plir a Rome. 197. — M. Fournier au 
Quirinal. 198. — Les radicaux dans 
la question italienne. 199. 

25 janvier. — Mert de Napoleon Ill. 396. 
— Le 15 juillet 1870. 398. — M. de 
Gramont et M. de Beust. 400. — 
M. de Corcelle auprés du Saint-Siége. 
402. — Rétablissement du _ conseil 
supérieur de linstruction publique. 
405. — Progression du travail des 
Trente. 404. — L’inquiétude de ]"An- 
gleterre. 405. 

10 féerier. — L'ceuvre de la commis- 
sion des Trente. 607. — La confé- 
rence du 3 février. 609. — Le gou- 
vernement parlementaire et le gou- 
vernement personnel. 611. — La 
seconde chambre et la loi électorale. 
612. — Examen des marchés de la 
commune de Lyon, 644. 

2 féerier. — Fin du travail des Trente. 
813. — Le rapport de M. de Rroglie. 
816. — Appréciation du travail des 
Trente. 818. — Nécessité de l’union 
entre les conservateurs. 820. — Ab- 
dication du roi Amédée. 821. — Les 
divers partis en Espagne. 822. — 
les droits de la conscience violés a 
Rome, A Berlin et 4 Genéve. 824. 

{0 mars. — Les amendements au pro- 
jet des Trente. 1022. — La consé— 
cralion du pacte de Bordeaux. 1023. 
— M. Haentjens et M. Gambetta. 
1024. — M. de Castellane. — Dis-— 
cours de MM. Dufaure et Thiers. 
1025. ~ La réforme électorale en 
Autriche. 1027. — L'accroissement 
militaire de la Prusse. 1028. — Les 
scandales de vénalité 4 Berlin et aux 
Etats-Unis. 1029. 

25 mars. — Le grand événement du 
15 mars. 1242. — Les résultats an- 
ticipés de la convention. 1243. — 
Les manifestations, les remercie- 
ments a M. Thiers. 1245. — Intérét 
et devoir de lunion des conserva- 


1261 


bill de Puniversité d'Irlande. 1248. 
— L'Eglise et I’Etat en Prusse. 1250. 
— Les choses d'Espagne. 1254. — 
L‘affaire du Laurium. 1253. 

RECAMIER (Etienne). Le pouvoir lé- 
gislatif 4 Lyon en 1870. Art. 590. 

Récits de l'invasion dans I'Orléanais, 
par M. A. Boucher. C. R. 803. 

Ria (Louis). Marie Stuart. Art. 
461. 

Revoe critiqus. V. P. Douhaire. 

Revoe scientirique. V. Arthur Mangin. 

Richecour (de). La liberté religieuse et 
les événements de Genéve. 1019. 

Romans (les) de la guerre. Nouvelles 
amours d’'Hermann et Dorothée. C. R. 
182. 

ROCQUAIN (Félix). La France aux qua- 

. torziéme et quinziéme siécles. Art. 
148. 

Scénes de la vie militaire en Russie. 
V. prince J, Lubomirski. 

Sermon (le) sur la montagne, par Mgr Gi- 
noulhiac. C. R. 378. 

SOMERVILLE (colonel). Armée alle- 
mande et armée francaise. Art. 834. 

Stanley. Comment; ai trouvé Livingstone. 
V. P. du Quesnoy. 548. 

Sully, homme public et écrivain. V. 
J. Gourdault. 684. 

Swetchine (madame). V. comte de Fal- 
loux. 

Théorie (la) géogénique de la science 
des anciens, par M. l'abbé Choyer. C. 
R. 1015. 

Thermidor. Troisiéme partie. V. Ch. d'Hé- 
ricault. 

Vérité (la) sur le Masque de fer, par 
M. Iung. C. 8. 383. 

Vie (la) chrétienne, par Mgr Isoard. C. R. 
1239. 

Vies (les) de quatre grands chrétiens 
francais, par M. Guizot. C. R. 789. 
Villars (maréchal de). V. H. de Lacombe. 

1251. 

Villemain. Histoire de Grégoire VII. C. 
R. 796. 

Viollet (Ch.). Familles royales de France. 
381. 


leurs. 1247. — M. Gladstone et le Voyage aux pays rouges. C. R. 594. 


VIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DU TONE QUATRE=-VINGT-DIXIENE 


o 





TABLE 


DU TOME CINQUANTE-QUATRIEME DE LA NOUVELLE SERIE 


(QUATRE-VINGT-DIXIEME DE LA COLLECTION) 


4™° LIVRAISON — 10 JANVIER 1873 


La gréve des laboureurs en Angleterre, par M. Fréntric pg Bennnanpr. . . 


Scénes de la vie militaire en Russie. — Suite, parr M.**, .... . Se 

Louis XIV et Henri IV, par M. le comte nk Jannac.. . 2 2. 2. te ee 
Un feu de joie, comédie en vers, par M. Pau Céuibres.. . . .. . 

La France aux quatorziéme et quinziéme siécles. — Dissolution et réorgani- 
sation d'un Etat, par M. Fésrm Rocguaw.. . 2... ee 

L’apologétique d’aujourd’hui, par M. le comte pe Cuampscny, de I" Académie 

francaise... . ee en: oe i838 a er, sarve 

‘Mélanges : Lettre de Hickiewicz a des j jeunes gens. ea ee ea a 

— Les romans de la guerre. — Nouvelles amours d’Hermann et 

Dorothée, par M. Victron Founngn. . . ...... 

_— Les doctrines positivistes en France, par M. labbé Guthlin, par 

MW. Erie WEniG os 6 eee G&S es ere 

Quinzaine politique, par M. Aucustr Boucner.. . . . . 2... ra er 


2° LIVRAISON — 25 JANVIER 1875 


La commission des Trente, par M. le comte pe Canné, de |l’Académie 


fFaNGAlSe sw. 6:46, oe BS eS Oa ay dees BoB oe vs . 
La question du grec en France, par M. H. Hionano... Seis Bee ; 
Scénes de la vie militaire en Russie. — Fin, par M. le prince Joazpa Lo- 

BOMIRSKI.. 2. 1 1 ee , acai ig 


Les derniéres controverses sur la liberté humaine, pai par M. ‘fu | Ménic. oe 


474 
179 


182 


186 
194 


201 
224 


250 
289 


TABLE DES MATIRRES. a 


La France dans ses colonies, par M. Xavier Manmuen, de l’Académie fran- 
caise . a ae ee ee a ee ee ° e - ee © © 

Le déluge et I’ Spopée babylonienne, par M. Francots Lanonwanr. aie 

La poluqne financiére en France, ie 4870. — UH, i la M. A. vE Ma 
LABCE. 


* ®° e « e @ s 


LANGER 08 -'S. Wee Bi 8S RS a ee et OS 


—  Familles royales de France, par M. Ch. Viollet, par M. labbé 
O: DELIRG oe 66 a Se Bs 

Revue critique, par M. P. Dousame 
Quinsaine politique, par M. Aucusreg Boucuzer.. ... . bake 


3° LIVRAISON — 40 FEVRIER 1873 


Correspondance de madame Swetchine, par M. le comte pr Farovx, de 
Académie francaise... .. a a oe ae i wan inte? Je 
La derniére pensée du Pare Enfantin, par M. ALFRED DE Courcr. : 
Mane Stuart, par M. Louis R&cts.. .. . ; : : 
la musique & l’église et la musique de V'fglise. a= ff. par M. Wuran 
dirs deca ea ae a ae a aye xe 
Henriette, parM.***.. 0.0.0.2. : ; 
Stanley. — Comment j’ai trouvé Livingstone, par M. Pana DU Quesnoy. . 
Ala terre de France. — Poésie, ‘a M. Victron ng Laprapg, de Académie 
NANICI S06! 26-3 sek LR ee Oa a ee 
Le pouvoir législatif 4 Lyon en 1870, par M. Enennz Récammn. . aie tease 
e politique, par M. Avcusre Boucuen. ee ee ee ee 


4° LIVRAISON — 95 FEVRIER 1873 


Machiavel diplomate. — 1, par M. Aurnonse Danmen. . 2 2... . - 
L'instruction primaire en Suéde, par M. le comte pe Gosinzau 
Sally homme public et écrivain, par M. JonesGournpautr. . . .. 2... 
Palerinage au pays de Jeanne d’Arc. — Poésie, par M. Antoine pe Latour. . 
Le mariage de Gabriel, par M. ***.. . . 
Les guvres et les hommes. — Courrier du théatre, de la littérature et des 


arts, par M. Vicron Fournnen. . . . . . Bret ieh Ge eel dere eo 
Les étapes de l'opinion, par M. Ltorotn ne GautarD. . . 2-2. 2. + 2 
Revue critique, par M. P. Doomarrsz.. . .. ~~. - ban Te tet" Sasa RL 


Mélanges : L'agriculture et les classes rurales dans le pays toulousain, de- 
puis le milieu du dix—huitiéme siécle, a M. Théron de Mon- 

taugé, par M. Ca. pe Kmwan. . . . ee a 

—  Découverte du tombeau des Macchabées, par M. ‘Victor Guérin, 
par M.E. Lepnan. . 2. 2. eee ew ete wee te te tt eee 

Quinzaine politique, par M. Avousrz Boucmen.. . 2+... 20 sees 


1265 


308 
524 


363 
318 


384 
385 
396 


409 
449 
461 


494 
544 
548 


583 
590 
607 


617 
659 


700 
7413 


7143 
177 
789 
806 


810 
815 


1264 TABLE DES MATIERES. 


5* LIVRAISON — 10 MARS 1873 


pee Foisset, par M. le comte vg Caampacny, de ]'Académie fran- 
cae allemande et armée francaise, par M. le colonel Sonenviiis. oe 
Les derniéres controverses sur la liberté humaine. — Il, par M. 
MERIC so: 3) oo-8 As er18 oa sae ee ae a ee 
Thermidor. — Troisiéme partie, par M. Cz. p'Héaicavtr. Bean eC as 
Une mére de famille en 1800, par M. Aucuste Nisasp. . . 2 2 2 2 ee 
La premiére ceuvre du cardinal de Bérulle, par M.L. Lescaurn. . . . . 
La politique financiére en Allemagne et en France. — If, par M. A. px 
Matance.. . 2... ~ 0. aye fat Shs as RY Seo dy “loos ie Teh. es ek ek 1 
Revue scientifique, par M. “Anraon Mancmy.. .... , 
Mélanges : La théorie géogénique de la science des anciens, par M. l’'abbé 


R.-F. Choyer, par M. Apnizn Anceuin.. . . ¥. arte 

— Mémoires d’un ouvrier de Paris, 1874-1872, par M. A. Audi- 
ganne, par M. l’'abbé 0. Denanc.. . 2... : 

— Histoire de I'Eglise de France, par le R. W. Henley Jervis, par 

M: Hucw: Dite.. 6-2 4) 4.4878 8 ae os ee or 

— La liberté religieuse et les événements de Genéve, par M. “de 
RICNOCOUR. 565. oy se: Sa i de we Sh Ba a tec 

Quinzaine politique, par M. Aucusre Bovcnzn.. . gS ere ee a 


6° LIVRAISON — 25 MARS 1873 


Correspondance de madame Swetchine, par M. le comte pr Fatzoux, de 


I'Académie francaise... ...... 2.2. ee ee ee Bidet Aen, te 
Thermidor. — Quatriéme partie, par M. Cu. p’Hamicautr.. . . 2... 
La Bourse 4 Londres et 4 Paris, par M. Enovarp Boer... ...... 
Le Dieu-Etat en Prusse, par M. P. nz Hauutgvinz.. . . 2... 2 


Histoire d’un village pendantJa Révolution, par M.T. Campgnon.. . . . . 
Revue critique, par M. P. Doumamg.. 2 2 2 1 1 ee ee ee eee 
Mélanges : L’année d'expiation et de grace, per M. l'abbé -Besson, par 
M.Vabbée M.-J.Bomgau. 2... 6 1 ee et ee ee 

— Morceaux choisis des prosateurs et poétes frangais, des dix~sep- 
tiéme, dix—huitiéme et dix-neuviéme siécles, par M. Frédéric 


Godefroy, par M. Auvcustin Lanceynr. . . 1... .--- : 
— _ La vie chrétienne, par Mgr Isoard, par M. Evetns Bétanp. 
Quinzaine politique, par M. Aucuste Boucner. .....-.---. 2 





PARls. — )MP, SIMON NAGON BT CouP., AVE S’cAFuatH, 1. 


825 
854 


865 
888 
936 
955 


979 
997 


1043 
1C15 
1018 


1019 
1021 


1033 
1066 
4441 
1159 
1179 
1215 


1235 
1238 


4299 
1242 


LA QUESTION 


DE 


MONARCHIE OU DE REPUBLIQUE 


DU 9 THERMIDOR AU 18 BRUMAIRE (1794-1792) 


ee 


PREMIERE PARTIE 
DU 9 THERMIDOR AU 45 VENDEMIAIRE 


(aout 1794 A OCTOBRE 1795) 


Celui qui entreprend d’éludier la révolution francaise, probléme 
fondamental, non-seulement de l'histoire moderne, mais de la poli- 
tique contemporaine, est presque toujours attiré vers la Constituante 
ou vers le début de la Convention. La se concentrent naturellement 
toules les recherches des érudits, toutes les observations des publi- 
cistes. Dans les histoires générales, quand on franchit le 9 thermi- 
dor pour arriver 4 ces années qui se succédent, 4 la fois ternes et 
désolées, agitées et vides, jusqu’au 18 brumaire, il semble que |’é- 
crivain soit pris de fatigue et de dégoat. Le lecteur lui-méme éprouve 
quelque chose de ce qu’on ressentirait en face d’un roman se trai- 
nant languissamment aprés la mort des personnages principaux. Il 
n'y a plus rien de cette émotion d’abord sympathique, ensuite in- 
quidte et attristée, avec laquelle on a suivi le grand mouvement, dé- 
butant, plein d’espérance, par les cahiers de 1789, pour aboutir aux 
avortements de la constitution de 1791. Ce n’est pas non plus cet 
attrait d’épouvante qui faisait assister, haletant et bouleversé, aux 
effroyables drames de 1792 et de 1793. Tout est diminué, les évé- 
nements et les hommes: C’était déja descendre beaucoup, a de 

¥. sm. T. LIV (Xer° DE La CoLLecT.). 2° tiv. 25 Avan 18735. 


218 LA QUESTION DE MONARCHIE 


passer de Mirabeau, ou méme de Vergniaud, 4 Robespierre et i Danton. 
Qu’est-ce a la fin quand la scéne, vidée par la mort, est livrée aux 
comparses, quand on est si bas que des Tallien ou des Barras sont 
devenus des personnages? L’historien, pour trouver alors quelque 
intérét, est tenté de quitter la place publique et de se réfugier dans 
les camps. Il néglige la révolution politique qui finit, pour considé- 
rer empire militaire qui commence, trop souvent absorbé et ébloui 
par cette brillante figure du jeune vainqueur d’Arcole et des Pyra- 
mides, lui apparaissant, dans le ciel gris du Directoire, tout illumi- 
née du soleil d’Italie et d’Egypte. 

Mais quand on cherche surtout dans I’histoire du passé la lecon 
du présent, il faut savoir parfois résister 4 certains atlraits et triom- 
pher de quelques répugnances. Dans quelle phase de la révolution 
rencontre-t-on le plus d’analogie avec la crise actuelle et par suile 
le plus d’enseignements utiles a méditer ? Le mal dont nous souf- 
frons aujourd’hui, est-ce donc comme au Jendemain de 1789, excés 
d'espérance, confiance présomptueuse en soi-méme et dans les évé- 
nements, optimisme orgueilleux révant naivement la réforme du 
monde entier, emportement d'un élan puissant, mais désordonné, 
qui dépasse immédiatement le but? Hélas! ne retrouverait-on pas 
plutét quelques traits de notre état présent, dans celte France d’aprés 
Thermidor, exténuée de lassitude, usée par la révolution, désen- 
chantée des illusions téméraires, mais aussi des aspirations géné- 
reuses, n’ayant guére appris 4 celte école de la souffrance, d’ot l’on 
peut sorlir meilleur ou plus mauvais, que l’égoisme sceptique et fri- 
vole, vivant au jour le jour sans trop oser regarder devant soi, af- 
famée avant tout de repos, de quelque prix qu'il faille le payer, 
mais n’ayant pas méme l’énergie de vouloir se l’assurer elle-méme, 
et attendant du dehors, proie inerte et passive & la merci de toutes 
les factions et de tous les aventuriers ? 

Ce serait une premiére raison d’étudier de plus prés qu’on ne le 
fait ordinairement ces derniers acles du drame révolutionnaire. Il 
est une autre raison plus précise encore. La nation était a cetle épo- 
queen face d'un probléme constitulionnel, ayant plus d'un rapport 
avec celui qui nous est aujourd'hui imposé et que nous paraissons 
avoir tant de peine 4 résoudre. Au lendemain de la Terreur, comme 
de nos jours au lendemain de la guerre et de la Commune, la France, 
rendue & elle-méme, se trouvait en république, plus par l’audace 
d’une faction que par la volonté nationale. La république élait sans 
doute }’éliquette officielle; mais ce mot n’avait jusqu’alors cou- 
vert qu'une dictature, celle des hommes du 410 aott, comme il de- 
vait couvrir — sauf les différences qu’il convient de ne pas mécon- 
naitre — celle des hommes du 4 septembre. ll fallait donc rempla- 


OU DE REPUBLIQUE. 219 


cer le régime arbitraire, auquel les événements metlaient fin, par un 
gouvernement régulier et durable. Quel serait ce gouvernement? 
Serait-ce la république constitutionnelle? Serait-ce la vieille monar- 
chie rajeunie par la liberté? Triompherait-on dans un cas des sou- 
venirs de Ja Terreur, dans l'autre, de ceux de l’ancien régime ? Fon- 
derait-on, pour nous servir des expressions modernes, larépublique 
conservatrice ou la monarchie représentative? On sail ce qu'il ad- 
vint, Aprés cing années de {atonnements stériles, de dissensions éner- 
vantes, de coups d’Etat et de défaillances, la France était 4 ce point 
dégoutée du présent, elle désespérait a ce point de rien fonder dans 
Vavenir, soit avec la république, soit avec la monarchie, qu’elle accla- 
mail comme un sauveur le César de fortune qui violait le parlement, 
muselait la presse, et se chargeail 4 lui seul des destinées du pays. 

Pourquoi en a-t-il été ainsi? Par quels malheurs ou par quelles 
fautes a-t-on été empéché de faire la monarchie ou la république et 
réduit 4 se laisser choir dans le césarisme? La réponse a cette ques- 
tion a paru avoir ence moment plus qu'un intérét historique. Ce se- 
rat, sans doute, une exagération de voir une identilé complete entre 
la situation actuelle et celle of |’on se trouvait de 41794 4 1799. 
Rien n’est puéril et faux comme ces rapprochements, quand on pré- 
tend les pousser trop loin. ll s’agit de raconter Vhistoire sincére et 
waie du passé, non de la plier arbitrairement aux nécessilés d'une 
argumentation de politique contemporaine. Peut-étre, cependant, 
reconnaitra-t-on qu’il y a dans cette étude rélrospective sur un point 
trop négligé de nos annales révolutionnaires des enseignements pro- 
htables et, j’oserai dire, de graves avertissements pour tous. 


o 


La chute de Robespierre au 9 thermidor est une sorte de révolu- 
tion de sérail, 4 laquelle demeurent étrangers l’opinion du dehors 
elles parlis divers, girondin, constitulionnel, ou royaliste. C’est 
une querelle intestine survenue dans la bande qui s’était emparée 
de la France et la terrifiait depuis deux ans, une « brouillerie de fa- 
mille, » dit énergiquement M. de Maistre. A peine la nation ose- 
t-elle méme regarder la lutte, se gardant bien de se prononcer, tant 
quelle ignore de quel cdté sera la victoire. Les assaillants sont quel- 
ques Montagnards amis de Danton ou d’Hlébert, qui, se senlant me- 
neacés & leur tour, ont un mouvement d’audace désespérée. Ils ne 
songent nullement 4 rélablir un régime de justice ou de liberté. 
Pour plusieurs méme, l'un des griefs contre Robespierre est qu'il 


220 LA QUESTION DE MONARCHIE 


penchait vers |’indulgence et répudiait l’athéisme. Leurs noms évyo- 
quent ces souvenirs non moins sinis{res que ceux des vaincus. Ils 
en différent seulement parce qu’ils sont plus médiocres et plus ob- 
scurs; Mallet du Pan, qui, de l’étranger, observe les événements, 
peut écrire : « Ce sont des valets qui ont pris le sceptre de leurs mai- 
tres aprés les avoir assassinés. » | 

Mais, quand la nation voit le tyran vaincu conduit a l’échafaud, 
clle affecte de croire que du méme coup Ia tyrannie a été détruite. 
Est-ce un malentendu sincére ou simulé? Quoi qu'il en soit, cette 
masse se trompe avec un tel ensemble, que les hommes de thermi- 
dor, surpris, se sentent aussitét débordés. C’est un immense soupir 
de soulagement poussé par un peuple que la terreur oppressait. On 
court aux prisons, on monte sur les toits voisins pour crier : « Ro- 
bespierre est mort! » Dans ces gedles, ot le bourreau puisait cha- 
que jour, et quicontiennent encore trois cent mille détenus, on s’em- 
brasse en pleurant de joie. Bientdét les portes s’ouvrent. Le peuple 
— esi-ce le méme qui accompagnait la veille de ses hurlements les 
fatales charrettes ? — se précipite sur les prisonniers délivrés pour 
les serrer dans ses bras, et s’altendrit 4 la vue des familles retrou- 
vant les parents qu’elles croyaient perdus. Les six cent mille sus- 
pects, fugitifs et travestis, vivant depuis plusieurs mois dans des 
transes continuelles, échappés au bourreau par des ruses qui sem- 
blent tenir plus du roman que de I‘histoire, sortent de leurs cachet- 
tes, dépouillent leur déguisement. Il semble qu’aprés le silence de 
la Terreur, on entende un bruit étrange et nouveau. C’est comme le 
hourdonnement d’une nalion qui subitement se reprend 4 vivre. 
Quelle joie de pouvoir marcher, causer, se réunir, voyager, sans 
craindre une dénonciation. On ne comprendra jamais, si ce n’est en 
prenant en quelque sorte sur le vif les témoignages contemporains, 
l'intensité de ce sentiment de délivrance, et quelle fut pour tout un 
peuple, aprés ces deux années étouffantes, l’impression délicieuse 
de cet air vivant et libre’. « On se mit 4 jouir avec une folle ardeur, 


1 « C’était un spectacle touchant, écrit Thibaudeau dans ses Mémoires, que cet 
empressement des citoyens 4 se rechercher, 4 seraconter leur bonne ou leur mau- 
vaise fortune pendant la Terreur, a se féliciter, 4 se consoler... On semblait sortir 
du tombeau et renaitre 4 la vie. Tous les liens sociaux brisés, tous les rapports 
politiques, se rétablirent... » 

Un écrivain royaliste qui, comme plusieurs, avait échappé 4 la mort en se ca- 
chant sous I"habit du soldat, Lacretelle, était alors 4 Noyon, et il dépeint ainsi dans 
un volume de souvenirs intitulé : Diz années d'épreuves, \'elfet produit dans cette 
petite ville par la nouvelle du 9 thermidor (p. 184): «Il arrive enfin, le courrier 
tant désiré, et les mots qu'il a jetés sur son passage semblent avoir rendu la pa- 
role et la vie & tout un peuple pétrifié. Cette joie universelle est le plus sir temoi- 
gnage que Robespierre n'est plus. Le courrier a osé en donner l'assurance; qui 


OU DE REPUBLIQUE. 991 


dit N. Quinet, du plaisir de n’avoir plus peur.» Au premier mo- 
ment, on ne va pas au dela ; on ne pense guére & la politique, surtout 
ala question de république ou de monarchie. Tout se résume en ces, 
mots : la Terreur est finie. 

Bientot on ajoute : « Il faut chasser et chatier les terroristes; il 
faut se débarrasser de « la queue de Robespierre. » La presse biil- 
lonnée n‘attend pas qu’une loi lui rende sa liberté; elle parle dés 
quelle ne se sent plus menacée par la guillotine. Ce n'est pas pour 
soulever les questions constitutionnelles, e¢’est pour raconter avec 
une colére accumulée depuis longtemps ce que sont les Jacobins, ce 
quils ont fait pendant ces heures de silence auxquelles ils ont con- 
damné la France. Les journaux sont lus 4 haute voix dans la rue, 
aux clameurs indignées de la foule. Le titre seul indique la mission 
qu'ils se donnent'. Le chanteur des rues se met de la partie. Tous 
les soirs jusqu'd onze heures, devant le portail de Saint-Germain 
lAuxerrois, Ange Pitou, narguant la police du milieu de la foule qui 
l'écoute avidement et lapplaudit avec fureur, ameutant avec des 
chansons et des plaisanteries le ressentiment populaire, débile de sa 
vorx mordante des satires contre « les coquins, les septembriseurs, 
les filous, les badauds, les espions et toute la bande a Cartouche. » 

Les provinces prennent courage ; elles envoient 4 la Convention de 
longues pélitions o elles dénoncent les monstrueux forfaits de 
ces proconsuls ivres de sang et de débauche, fous de dictature, qui, 
sur de plus petils théatres, ont dépassé Robespierre et Saint-Just. 
Puis viennent les procés : procés des Nantais, du comité révolution- 
naire de Nantes, de Carrier, de Fouquier-Tinville, de Lebon. La 
foule se presse au tribunal, pousse des rugissements de colére au 
récit judiciairement établi de ces férocilés et de ces rapines. Ces 


pourrait en douter? Bientét on voit sortir des diligences et d'un grand nombre de 
petites voitures des hommes empressés de faire connaitre avec détail un événement 
qu parait la delivrance et la résurrection universelle. La foule s’accroit et l‘ivresse 
redouble. Tous ces passants qui la veille s’éloignaient l’un de l'autre, avec tous les 
signes d'un effroi réciproque, se reconnaissent et s’apostrophent comme de vieux 
amis. On voit que la terreur, une fois sortie des Ames, ne pourra plus y rentrer. 
Décourre—t-on quelque vieux jacobin, on lui fait longtemps subir le supplice de 
lallégresse commune. » 

' L’Observateur des groupes (c’est-a—dire des clubs), l’Observateur des Jacobins. 
Et le titre des brochures que I’on crie dans les rues : Coupez les griffes au parli 
feroce, le Cri de la vengeance, ou l'Alleluia des honnétes gens, Donnez-nous leurs 
les ou prenex les nétres, le Crime des Jacobins, l'Agonie des Jacobins, les Jacobins 
sont f...., ef la France est sauvée Je ne suis plus jacobin, et je m’en f...., les Jaco- 
bins assassins du peuple, les Jacobins hors la loi, Pendant que la béte est dans le 
piége, il faut Cassommer. Quelques-uns de ces titres sont si grossiers que nous n’o- 
“ons les citer. Ils montrent que le Pére Duchéne a fait école méme chez ses adver- 
saires. 


222 LA QUESTION DE MONARCHIE 


longs témoignages, qui se succédent pendant plus d'une année, font 
parcourir au public épouvanté les cercles de cet enfer encore mal 
connu. Les noyades de la Loire se gravent dans l’imagination popu- 
laire comme la légende de la Terreur. Tous sentent d’ailleurs que 
laccusé n'est pas seulement le personnage subalterne dont on cha- 
tie justement les forfaits. L’accusé, c’est le parti tout entier, c'est le 
régime révolutionnaire lui-méme. La foule accueille les condamna- 
tions aux cris de: « Vive la République! » A chaque moment, c’est 
une occasion nouvelle pour le public de manifester l'horreur que 
lui inspirent les Jacobins. Un soir, au thédtre Montansier, un spec- 
tateur apostrophe son voisin : «Tu es l’assassin de mon frére! » Au 
thédtre des Italiens, une jeune fille de dix-sept ans, mademoiselle 
de la Tour-du-Pin, s’écrie, dans une subite attaque de nerfs : « Les 
Jacobins, ce sont eux qui ont tué mon pére et ma mére. Otez ce 
sang! » Le thédtre joue d’ailleurs un réle assez important dans cette 
réaction. Il faut se rappeler le succés de certaines comédies satiri- 
ques en 1848, pour comprendre l’effet produit par cette pi¢ce venge- 
resse, que l'administration essaye parfois d’interdire : Les Aristides 
modernes ou lintérieur d'un comité révolutionnaire. Le public recon- 
nait les types : Aristide, un voleur de mauvais lieu, que la révolution 
a fait sortir de Bicétre, Scevola, le coiffeur, Caton, l’ancien laquais, 
appelé naguére Champagne, renvoyé par ses maitres, et qui les a 
fait guillotiner. On les voit régner dans leur comité, étaler leur cor- 
ruption, leur avidité, leur cruauté et leur ignorance grotesque. Mais 
au dernier acte, l’officier municipal, accompagné des gendarmes, 
pénétre dans ce tripot et arréte, au nom de la Convention délivrée 
par le 9 thermidor, ces fripons et ces assassins. Quels applaudisse- 
ments 4 |’entrée des gendarmes! Un sexagénaire, incarcéré pen- 
dant la Terreur, loue une loge pour assister 4 toutes les représen- 
tations. Il exulte, et s’écrie : « Oh! comme je me venge de tous ces 
coquins-la! » Le régne du gendarme et de la loi remplacant celui 
des |;rigands et de Varbitraire, voila ce que l'on applaudit au théatre, 
ce que l’on demande dans la vie réelle. Mais & cela se bornent les 
vues politiques de la réaction. 

La « jeunesse dorée » personnifie alors assez bien ce mouvement 
d’opinion. Qu’est-elle? d’ou vient-elle? que veut-elle? La nation n’est 
pas, a celte époque, tout cntiére 4 l’émotion produite par les souf- 
frances des viclimes, 4 !’horreur qu’excite la cruauté des bourreaux ; 
il y a aussi chez elle un désir ardent de s’amuser et de s’étourdir. 
Cette société, fille du dix-huiliéme siécle, frivole et corrompue, sans 
foi déja avant la révolution, et maintenant sans culte et sans prétre, 
éprouve le besoin, moins de racheter tant de fautes par la pénitence 
et la réforme morale, que de se dédommager des années que la Ter- 


OU DE REPUBLIQUE. 223 


reur vient de faire perdre pour le plaisir. On comprendrait mal ce 
temps si on méconnaissait ce qu'a de complexe cet état des esprits, 
ce mélange de deuil et de joic, de ressenfiment et d’oubli, d’exalta- 
tion ctde légéreté, de pleurs et de rires. Dans les almanachs de prison 
qui sont alors & la mode, aprés les récits les plus pathétiques sui- 
vent les !-nuts rimés plaisants, les chansons érotiques, par lesquels 
quelque bel esprit a charmé les loisirs de sa détention. A cété du tri- 
bunal o& l'on juge Carrier, de la Convention qui s’entre-déchire, 
des faubourgs muets et sombres ou le peuple meure de faim, Pa- 
ns redevient la ville du plaisir‘. I] n’y a plus de salons; aussi se 
presse-t-on 4 des bals publics par abonnement, ot les femmes, pa- 
rées, plutét que vétues, de costumes romains ou mythologiques, val- 
sentavec le premier venu. Les entrepreneurs de féles se font une con- 
currence effrénée; ce ne sont que décors, grottes, feux d’artifice, 
pantomimes. Les bals sont installés partout : dans des hdtels, des 
couvents, des églises. On danse aux Carmélites du Marais, au couvent 
des Carmes, encore tout chaud du sang de septembre, et jusque dans 
les cimetiéres. Au-dessus de la vieille inscription qu’on lisait encore 
sur la porte de l'ancien cimetiére de Saint-Sulpice : Has ultra me- 
las beatam spem exspectantes, requiescunt, un joli transparent rose 
annonce : Bal des Zéphirs. 

Dans cette société frivole régnent quelques femmes d'une’ beauté 
éblouissante et de moeurs faciles : Madame Tallicn, madame Rovere, 
madame de Beauharnais; elles encouragent la réaction, félicifent et 
récompensent de diverses maniéres les jeunes gens qui se vantent au- 
prés d’elles de leurs exploits contre les Jacobins. Lacretelle rapporte 
qu'un jour madame Tallien fut si contente d’un de ses articles qu’elle 
lui permit de « baiser un bras digne de la Vénus du Capitole. » Mais, 
ajoute-t-il, « peu de temps aprés, je vis la méme faveur accordée a un 
dépaté montagnard converti, ce qui me fil revenir 4 moi-méme. » La 
politique de ces gens est bien simple : ils s’inquiétent peu de la ré- 
publique ou de la monarchie; ils ne tiennent qu’a jouir librement: Ils 
en yeulent surtout aux Jacobins de prétendre les ramener au régime 
du brouet et 4 la livrée du sans-culottisme. 

Ace monde du plaisir se rattache la jeunesse dorée, dont on 
chercherait vainement l’origine dans un parti, surtout dans le parti 
royaliste. C’est madame Tallien qui donne V’idée de l’enrégimenter ; 
Cest le journal de Fréron, l’ancien proconsul de Toulon, l’ami de 


‘ Le jeune Bonaparte, alors inconnu, en est tout surpris. « Les voitures, écrit-il, 
les élégants reparaissent, ou plutét ils ne se souviennent plus que comme d'un 
long songe qu’ils aient jamais cessé de briller... Les femmes sont partout... Aussi 
les hommes en sont-ils fous, ne pensent-ils qu’a elles, et ne vivent-ils que par et 
pour elles. » 7 


224 LA QUESTION DE MONARCHIE 


Tallien, qui la convoque 4 venir défendre la Convention, et, dés le 
soir méme, deux ou trois mille jeunes gens, appartenant au com- 
merce, aux letires, aux théatres, aux écoles, aux bureaux des ad- 
ministrations, se réunissent au Palais-Royal, armés de batons et 
de cannes A épée; ils portent le costume « 4 la victime » : habit carré 
et décolleté, cheveux pendant sur les cétés, coupés par derriére ou 
retroussés avec des tresses appelées cadeneltes, pour rappeler la te- 
nue des condamneés conduits 4 l’échafaud, souvent un crépe au bras. 
Presque chaque soir, quand les Jacobins s‘attroupent autour des Tui- 
leries pour menaccr les comités de la Convention, les jeunes gens se 
réunissent, entonnent le Réveil du Peuple, la « Marseillaise » de la 
réaclion, et tombent sur les révolutionnaires le baton a la main. Le 
plus souvent, ils sont vainqueurs et reménent grand train leurs ad- 
versaires jusque dans les faubourgs, aux applaudissements des bour- 
geois se metlant aux fenétres pour rire de la déconfiture de ceux qui 
les ont fait si souvent trembler. D’autres fois, ce sont des cxpédi- 
tions plus retentissantes. On fait le siége du club des Jacobins : on 
défonce les portes; on fouette les tricoteuses et on batonne les sans- 
culottes. Un autre jour on brise les bustes de Marat; om brile 
son mannequin et on en jette les cendres a l’égout. Le 43 germinal 
et le 4* prairial, les muscadins aident, le fouet 4 la main, & expul- 
ser de la Convention la populace qui l’a envahie. 

Mais c’est toujours aux cris de: Vive la République! vive la Con- 
vention! Ces jeunes gens s‘offensent d’étre traités de royalistes, el 
disent dans une proclamation adressée aux habitants des faubourgs : 
« Vous vous rappelez que nous enlevames ensemble la Bastille et le 
repaire du tyran. Vous retrouverez en nous vos fréres d’armes du 
14 juillet et du 10 aout. Ne laissons pas luire le moindre espoir pour 
la vigilante aristocralie. » Tel est, du reste, le langage général a celte 
époque. Les sections de Paris, celles qui donneront quelques mois 
plus tard, au 13 vendémiaire, le signal de l’insurrection, protes- 
tent, tout en demandant des mesures terribles contre les Jacobins, 
de « leur exécration pour la royauté et ses vils partisans. » Elles ju- 
rent « de vivre et de mourir pour la république une, indivisible et 
démocralique. » 

Il est permis de croire que ces jeunes gens, ces bourgeois des sec- 
tions parisiennes, ne sont pas au fond de bien chauds républicains, 
et u’ont pas si grand enthousiasme pour le 10 aout. Ils croient, en 
parlant ainsi, arriver plus facilement au seul but qui leur tienne au 
ceeur, chatier et expulser les jacobins. Ils aiment peu la Convention, 
mais ils se servent d’elle; ils la méprisent aussi bien & cause de sa 
docililé présente que de sa violence passée, mais leur dessein est de 
la dominer, non de la détruire. De méme pour Ja république; il ne 


OU DE REPUBLIQUE. 5 


leur parait pas qu'il soit question ni qu'il y ait possibililé de la ren- 
verser; ils n’ont pas l’esprit assez libre pour réfléchir & ses chances 
de durée; ils lui demandent seulement de faire l’ceuvre de réparation 
el d'épuration qu'ils désirent. Fort indifférents, en réalité, a toutes 
ees questions de forme constitutionnelle , leur reconnaissance et 
leur affection est acquise au régime qui satlisfera leurs sentiments de 
justice et d'indignation. A la république de profiler, si elle le peut 
et le veut, de cette disposition des esprits. 

C'est en lout temps une erreur trop fréquente chez ceux qui vivent 
dans ce qu’on appelle le monde polilique, de croire tous les individus 
rigoureusement classés dans un de nos partis monarchique ou ré- 
publicain. La masse, le plus souvent, n’appartient 4 aucun. Plus que 
jamais il en était ainsi ala fin de 1794 et au commencement de 1795. 
Les grandes déceptions rejcttent encore davantage dans |’empirisme. 
Que restait-il d’ailleurs.des rarlis eux-mdmes au lendemain de 
celle Terreur qui les avait tous disloqués, proscrits, décimés? 
Les opinions s'usent, les caractéres se briscnt au frottement et au 
choc des révolulions. C’était bien de celte société que l'on pouvait 
dire ce qu’écrivait Hoffmann dans son petit journal satirique le 
Menteur, l'un de ceux qui, sous le Directoire, feront la guerre Ja 
plus vive aux vieux révolutionnaires : « Un bonhomme disait : Je 
n'aime pas le Menteur, parce que je ne sais pas quelle est son opi- 
nion. Oh! bonhomme, tu ne le sauras jamais. Une opinion? Est-ce 
qu'on peut en avoir? Es-tu bien sur toi-méme d’en avoir unc? » 


Il 


Est-ce a dire qu’en dehors de la Vendée ou de l’émigration il n’y 
ait plus alors aucun royaliste? Ce serait une erreur. Seulement, a 
cerlaines heures, au lendemain de grandes fautes ou de persé- 
cutions terribles, les partis, humiliés ou intimidés, tout en ayant 
conservé leurs adhérents, ont perdu confiance en eux-mémes, et 
n’osent plus se montrer. Les royalistes sont dans l'un de ces cas 
aprés thermidor. Ils sont eucore « la classe sous le couteau. » Plu- 
sieurs des leurs sont enrdlés dans la jeunesse doréc, mais en qualité 
d’adversaires des Jacobins, non comme royalistes. Les concessions 
qu’ils se croient obligés de faire 4 l’esprit du moment les condui- 
sent souvent fort loin. Un écrivain qui, aprés le 15 vendémiaire, 
sera condamné 4 mort par contumace sur accusation de conspiration 
monarchique, le futur rédacteur de la Quotidienne, M. Michaud, 


226 LA QUESTION DE MONARCHIE 


insérait en 1795 dans l’Almanach des Muses, une piéce de vers qui se 
terminait ainsi : 


Oh! si jamais des rois et de la tyrannie 
Mon front républicain subit le joug impie, 
La tombe me rendra mes droits, ma liberté. 


Ducis, qui, au fond, était royaliste, sacrifiait sans plus de scrupule 
ala muse républicaine. 

Tous les témoignages confirment le désarroi et le découragement 
complet des partisans de Ja monarchie. Ce ne sont pas seulement les 
républicains modérés qui constatent avec Thibaudeau « le discrédit 
extréme du royalisme. » Un agent de l’émigration, M. de Montgail- 
lard, déclare dans les premiers mois de 1795 que « la situation des 
royalistes est pitoyable. » A la méme époque, le plus clairvoyant 
des écrivains monarchiques, Mallet du Pan, admet qu’un tiers de la 
France voudrait le rétablissement de la royaulé; mais, ajoute-t-il, 
« les royalistes purs ne sont pas encore revenus de la terreur qui a 
frappé le royaume entier de léthargie; ils sont, en général, dans 
une impuissance totale d’action et méme de volonté. Nul person- 
nage pour les rallier et les conduire. » Quant aux royalistes consti- 
tutionnels qui comprennent encore « une grande partie des bourgeois 
et des propriétaires de la campagne, » leur parti, privé de ses chefs 
est, toujours selon Mallet du Pan, « aussi dispersé et presque aussi 
insignifiant que celui des aristocrates. » Tous les partisans de la 
royauté lui paraissent donc encore dans la triste situation qu'il dé- 
peignait ainsi quelques mois auparayant : 


a Cette masse si nombreuse est abattue par l’effroi, par ses défaites, par 
le plus profond découragement ; loin d’étre en état de rien oser, elle n'a 
pas méme la pensée d’une résistance possible. Sa douleur est inerte et 
passive, elle appréhende de montrer ses souffrances ; elle ressemble aux 
négres quis ‘étranglent avec leur langue plutdét que de se plaindre, et la 
plupart cherchent leur sdreté dans la dissimulation ou affectent le tivisme 
le plus outré... L'idée, l'image, l’habitude de la royauté s'effacent en rai- 
son de l’intervalle qui s’écoule depuis la destruction du tréne, et en raison 
de la consistance que prend la république. On s'accoutume & regarder le 
retour d'un roi comme un chateau en Espagne ; et de ce sentiment a une 
tendance naturelle vers le premier ordre de choses qui prometira paix et 
securité, la distance n'est rien. » 


Cette derniére idée préoccupe vivement Mallet du Pan et souvent 
il y revient ; on lit dans une lettre adressée par lui, le 1° novembre 
4794, a Pabbé de Pradt : 


OU DE REPUBLIQUE. 997 


« La masse commence a oublier qu'il y ait jamais eu un roi, et une fois 
la paix faite au dehors et un régime doux au dedans, le peuple n'aura plus 
dinterét a deésirer un autre ordre de choses. Ceux qui y aspirent, étant 
sauvés des cachots et des guillotines, se contenteront d’une mauvaise au- 
berge, sans faire un pas pour atteindre un chateau oi ils seraient beaucoup 


mieux loges. » 


Les royalistes peuvent-ils au moins compter sur les campagnes? 
Mallet écrit, en juillet 1795, dans une note destinée 4 Louis XVIII : 


« Ecrasées sous Robespierre, les campagnes respirent aujourd’hui, elles 
s'enrichissent de la misére des villes, elles font des gains fabuleux; un sac 
de blé paye au fermier le prix du bail d'une terre. Les paysans aisés sont 
devenus calculateurs, agioteurs, achétent des meubles recherchés, se dis- 
putent les ventes des biens d’émigrés, n’acquittent aucune imposition, se 
felicitent journellement de l’abolitign de la dime et des droits féodaux, et 
seront jusqu’au changement de cette prospérité, jusqu’au retour d’une 
nouvelle oppression, assez contents de leur sort pour recevoir la républi- 
que sans murmures. » 


Toutefois , Mallet du Pan ajoute avec une finesse d’observation 
dont l’expérience présente permet de sentir tout le prix : « Is rece- 
vront la république sans y croire, car tout en aimant le régime 
aclucl, ils pensent toujours qu’on reviendra un jour & un roi quel- 
conque. » 

Parmi les hommes modérés, sympathiques par origine et par 
gout a la monarchie constitulionnelle, presque tous ceux qui étaient 
mélés activement 4 la vie politique se déclaraient pour la républi- 
que. L’un des représentants arrétés au 31 mai et qui passait géné- 
ralement pour monarchiste, Lesage, le jour méme ou i] reprenait 
possession de son siége, déclarait en son nom et au nom des autres 
proscrits « qu’ils feraient 4 la patrie le sacrifice des maux qu’ils 
avaient soufferts et qu’ils combattraient également le royalisme et 
le terrorisme. » Jugeant la monarchie impossible, ces dépulés se 
résignaient 4 la république pourvu que celle-ci devint plus juste et 
moins violente. On comptait plusieurs de ces convertis ou de ces 
résignés sous condition dans la commission chargée de préparer la 
coustifution républicaine de |’an lil ; c’étaient avec ce méme Lesage, 
Boissy d’Anglas, Lanjuinais. Ils travaillaient de bonne foi 4 créer, 
sous le nom de république, un régime viable. Boissy d’Anglas élait 
choisi comme rapporteur, et dans son rapport il allait jusqu’a dé- 
clarer que le 10 aout était « le principe de nos vicloires au dehors. » 
Dans une autre occasion, il s’écriait 4 1a tribune : « La royauté! ah! 
qu'ils sont coupables ceux qui voudraient persuader au peuple 
qu'elle pourrait diminuer ses peines et qu’il serait possible de con- 


228 LA QUESTION DE NONARCHIE 


server avec elle quelque apparence de liberté!... Je necrains pasle 
royalisme ; s'il se montre, il sera anéanti... Guerre aux traitres qui 
voudraient ressusciter le terrorisme, la royauté ou le despotisme. » 
Cétait parler selon le godt du temps; il vaudrait mieux pour 
l’honneur de Boissy d’Anglas qu’il n’y cut pas si largement sacrifié. 
Mais qu’un tel homme ait cru nécessaire et prudent de faire ces sacri- 
tices, n’esl-ce pas un signe que le courant général, méme parmi 
les modérés, n’était pas alors opposé a la république? 

Les royalistes constitulionnels demcurés en dehors des assemblées, 
et par suite moins compromis dans les événements de la révolution, 
nes engageaient pas aulant; toutefois ils considéraient sans mauvais 
youloir ct sans parti pris les conventionnels modérés qui travail- 
laient 4 organiser le mieux possible les institutions républicaines. 
L’un de ces royalistes, Lacretelle, en rend témoignage. Ses amis et 
lui n‘avaient pas sans doute grande confiance dans la fondation dé- 
finilive de la république, mais ils laissaicnt faire, dans l’impossibi- 
lite ot ils Gtaient de faire eux-mémes autre chose; ils comptaient 
que la nouvelle constitution aurait au moins cet avanlage, de les 
débarrasser de la bande qui avait trop longtemps opprimé et désho- 
noré la France. 

Quelques-uns méme de ces anciens constitutionnels, plus con- 
vaincus de limpossibilité, ou en tout cas des périls d’une restaura- 
tion, se ralliaient neltement 4 la république. Madame de Stael était du 
nombre. Au début de la Révolution, elle ne s’était jamais montrée 
républicaine ; bienl6t méme, au spectacle des événements, elle avait 
paru perdre ses illusions sur la constitution de 4794. Elle s’élait 
ofierle, en 1792, a aider la fuitede la famille royale. Retirée en Suisse 
aprés le 10 aout, vivant dans un pelit groupe d’émigrés, clle avait 
écrit une défense de la reine. Le 9 thermidor lui ayant ouvert les 
portes de Paris, elle y rentrait républicaine. La premiére, elle te- 
nait salon chaque décade. On rencontrait chez elle des royalistcs 
comme Lacretelle, des modérés comme Boissy d’Anglas, des conven- 
tionnels comme Chénier. Benjamin Constant, venu 4 Paris en 1795, 
jeunc, mais déja au fond trés-désabusé, était l’un des habiltués de ces 
réunions, Il se proclamait & celte époque « Tallieniste. » « Le salon 
de madame de Stael, raconte-t-il plus tard, se trouvait alors peuplé 
de quatre a cinq iribus différentes ; des membres du gouvernement 
présent, dont elle cherchait 4 conquérir la confiance ; de quelques 
échappés du gouvernement passé, dont l’aspect déplaisait & leurs 
successeurs ; de tous les nobles rentrés qu’elle était 4 la fois flaltce 
et fachée de recevoir; des écrivains qui depuis le 9 thermidor avaient 
repris de l’influence, et du corps diplomatique qui élaitaux pieds du 
Comité de salut public en conspirant contre lui. » Madame de Stael 


OU DE REPUBLIQUE. 329 


employait sa merveilleuse éloquence et son prestige de femme célébre 
i tenter de réunir toutes ces « tribus » diverses sur le terrain d’une 
république modérée dont les Daunou, les Boissy d’Anglas, et les 
Lanjuinais seraient les maitres. Benjamin Constant saisissait 1l’oc- 
casion d’une attaque dirigée par quelque feuille jacobine, pour 
publier une lettre ot il « donnait sa parole d’honneur que madame 
de Stael était républicaine. » C’était 4 ce groupe de néo-républi- 
cains qu’on pouvait rattacher Roederer, ancien constituant, devenu 
en 1794 et 1795 rédacteur d’une feuille importante, le Journal de 
Paris. Il combattait vivement les Jacobins, et soutenait la jeunesse 
dorée. Mais ce qu'il réclamail de la Convention c’était « un gouver- 
nement énergique, républicain sans populacité , un gouvernement 
qui ramendt tous les royalistes de bonne fot, ceux qui ne voulaient 
gue la sreté des personnes et des « propriétés. » 

Pouvait-on prévoir que la France, délivrée au 9 thermidor, ne 
ferait pas plus mauvais accueil a la république ! Rappelez-vous com- 
ment celle république, dont l'idée méme était absolument ¢tran- 
gére au mouvement national de 1789, a été imposée par la violence 
et ’audace d’une faction. Rappelez-vous comment, baptisée dans 
le sang de septembre, sacrée sur |’échafaud du 21 janvier, elle n’a 
été, suivant |’énergique expression d’un contemporain, qu’une a ser- 
vitude agitée. » Rewbell, l'un des futurs auleurs du 48 fructidor, 
n’avouait-il pas 4la tribune de la Convention que les Jacobins 
« avaient rendu le régime républicain si odieux, qu’un esclave 
courbé sous le poids de ses fers edt refusé d’y vivre? » Le pre- 
mier mouvement de la réaction, quand elle peut librement écla- 
ler, ne va-t-il donc pas étre d’emporter le régime au nom duquel 
tous les forfaits ont été accomplis et auquel semble associée la fac- 
tion dont on ne veut plus! Voici qu'au contraire la réaction 4 ses 
débuts ne s’en prend pas 4 la république. On l’accepte ou, tout au 
moins, on s’y résigne ; on y voit un moyen, le seul méme qui sem- 
ble alors 4 la portée de l’opinion, de combaltre le terrorisme en 
quelque sorte sur son propre terrain. On est disposé, sinon par sym- 
pathie et confiance, du moins par nécessité ou par timidité, 4 laisser 
le temps 4 cette république de prouver qu'elle peut étre un gou- 
vernement sans désordre et sans arbilraire. Cette preuve faite 
n’eut peut-étre pas suffi pour fonder 4 tout jamais la République en 
France. Mais elle eit sauvé son honneur, et désormais son nom 
net pas été uniquement associé dans l esprit des générations futu- 
res au souvenir de régimes révolutionnaires ayant passé stériles et 
destructeurs comme la tempéte. 

A ces dispositions de |’esprit public vraiment inespérées, on pour- 
rait dire si peu méritées, comment vont répondre les hommes qui 
sont encore maitres du pouvoir et qui se disent « les républicains? » 


LA QUESTION DE MONARCHIE 


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La surprise est grande chez les terroristes unis au 9 thermidor 
pour renverser Robespierre, de voir éclater la réaction, conséquence 
inattendue pour eux de leur victoire. En face de cette réaction, ils 
se divisent. Quelques-uns qui vont conserver le nom de Monta- 
gnards n’admettent pas qu'il puisse étre seulement question de 
renoncer 4 la Terreur. Ils veulent réprimer ce mouvement d’opinion 
comme Robespierre l’aurait fait. Ce sont les plus forcenés ou les 
plus compromis, ceux qui sont liés au régime de sang par tempé- 
rament ou par crainte des comptes qu'il leur faudrait rendre : Collot 
d’Herbois, Billaud Varennes, Lebon, Carrier, Barrére sont les plus 
connus. Ils paraissent d’abord ne s étre méme pas rendu compte de 
la révolution qui s ‘est accomplie dans l’esprit public. Ils continuent, 
non sans.une sorte de naivelé, 4 parler le langage, hier officiel, 
devenu odieux aujourd hui. A ceux qui demandent la clémence, ils 
croient fermer la bouche en invoquant l’autorité du « profond et 
judicieux Marat. » Ils répétent la vieille formule « la terreur 4 l’or- 
dre du jour; » on les interrompt et on leur crie : « !a justice! » Ils 
s’arrétent ébahis comme si on leur répondait dans une langue morte 
dont ils auraient perdu le sens. Ils ne peuvent pas davantage enlen- 
dre parler de liberlé, surtout de liberté de la presse. « Il serail 
insensé, disent-ils, de la demander pour les aristocrales. Quant aux 
patriotes, ils n’en ont pas besoin puisquils ont l’imprescriplible 
droit de crier aux armes contre les tyrans, et qu’ils seront toujours 
assez forts pour ne pas se laisser imposer silence par les aristocra- 
les. » Cependant, la réaction grandit toujours. Les fidéles du terro- 
risme sont réduils 4 la défensive. Ils ne reculent que pas 4 pas. 
C’est avec une stupéfaction indignée qu’ils voient les prisons s’onvrir, 
la législation de 1793 entamée, et surtout les poursuites commen- 
cées contre quelques-uns des leurs. « La révolution n’inspirera 
plus de confiance, s’écrie Collot; ce qui était bien l'année dernicre 
sera un crime aujourd hui. » Acculés, forcés, en quelque sorte dans 
leurs taniéres, les anciens Jacobins apparaissent tout troublés par la 
rage et par la peur. Madame de Stael qui les a vus nous les dépeint 
« lisant leurs plaidoyers avec une figure pale et nerveuse, allant d’un 
colé 4 Vautre de la tribune de la Convention comme un animal 
féroce dans sa cage. Etaient-ils assis, ils se balancaient sans se 
lever ni changer de place avec une sorte d’agitation slationnaire qui 
semblait indiquer seulement l'impossibilité du repos. » Enfin avant 
de succomber, ils veulent tenter un dernier retour offensif. « Le lion 


OU DE REPUBLIQUE. 331 


va se réveiller, a dit Billaud Varennes avec un cri de béte fauve, 
déchirer ceux qui ont osé le braver, broyer leurs membres et nager 
dans leur sang. » Mais les émeutes de germinal et de prairial avor- 
tent et n’aboutissent qu’a la proscription des principaux Montagnards 
qui sont emprisonnés, déportés ou guillotinés. C’est un parti qui 
disparait. 

Parmi les vainqueurs de thermidor, a cété des fanatiques qui pré- 
tendent résister de front a la réaction, sont les habiles qui au pre- 
mier moment croient pouvoir, en lui faisant sa part, l’exploiter 4 leur 
profit. On les a appelés les Thermidoriens : Fréron, Legendre, Ché- 
nier l’ainé, Merlin de Thionv:lle, Lecointre, Barras, Bourdon de 
V’Oise, et le chef, le vrai type de cette bande, Tallien, ancien clerc 
de procureur, septembriseur, proconsul non moins impitoyable a 
Bordeaux que Collot 4 Lyon, incapable et vil, ayant toules les cor- 
ruptions, mais ni idées, ni principes, féroce souvent, mais trop vicieux 
pour étre fanatique, plus cynique que passionné, altéré moins 
encore de sang que de pouvoir et surtout de jouissance et d'argent, 
joignant 4 une cruauté insouciante une sorte de facilité 4 jouer 
homme sensible qui lui donne parfois les apparences de |’ humanité; 
tel est le personnage dont la popularité et la prépondérance vont 
étre pendant quelques mois le signe le plus humiliant de la déca- 
dence de cette époque. Pas plus que les Montagnards, les Thermido- 
riens ne s’atlendaient 4 la réaction ni ne la désiraient. Mais ils ont 
appris de Danton, dont ils sont presque tous les disciples, une sorte 
d’aisance sans vergogne 4 se plier aux circonstances e! 4 tourner 
avec le vent. Ils n’ont pas plus d’embarras 4 délivrer les prisonniers 
aprés thermidor qu’ils navaient eu de scrupule en septembre & les 
égorger. Le passé ne les géne ni ne leur pése. Ils nen ont aucun 
repentir, et presqu’aucun souvenir. Ils s’étonneraient que d’aulres 
eussent meilleure mémoire. 

Ils se séparent donc des Jacobins obstinés pour appuyer la réac- 
tion et, avant tout, s’appuyer sur elle. Ils croient pouvoir la satisfaire 
par des concessions qui ne les diminueront pas eux-mémes; ils 
espérent y trouver au contraire une force pour dominer leurs 
rivaux de la Montagne et régner sans partage. Ils descendent des 
hauteurs de la gauche pour s’asseoir en pleine droite. La rhétorique 
de la sensibilité remplace chez ces déclamateurs celle du terrorisme. 
On entend le boucher Legendre lui-méme s’écrier 4 la tribune de 
la Convention : « Si je possédais des biens qui eussent appartenu a 
l'une de ces victimes, jamais Je ne pourrais trouver de repos. Le 
soir en me promenant dans un jardin solitaire, je croirais voir dans 
chaque goulte de rosée les pleurs de l’orphelin dont j’occuperais 
Vhéritage. » C’est d'ailleurs pour ces anciens Cordeliers, pour ces 


232 LA QUESTION DE MONARCHIE 


blasés de la démagogie, une sensation nouvelle de se voir une sorte 
de popularité dans le monde des honnétes gens, de mériter les encou- 
ragements caressants des belles aristocrates qu’ils rencontrent le soir 
dans quelque bal et d’étre qualifiés pompeusement dans les chants 
de la jeunesse dorée de a législateurs humains, » dont on célébre 
« la contenance auguste. » Ils se félicitent d’avoir si habilement sau- 
vegardé leurs intéréts et leurs personnes dans cette redoutable 
liquidation du passé, et d’étre, dans le partage qui se fait au sein 
méme de la Convention, du cété des juges, quand il y avait si peu de 
raison pour les distinguer des accusés. 

Ils trouvent bien que celte réaction va plus vite qu ils nes’y alten- 
daient. Aprés le 9 thermidor, ils ont fait transporter solennelle- 
ment la dépouille de Marat au Panthéon, ont proclamé que la 
proscription des Girondins avait sauvé la France, tant ils se dou- 
taient peu que quelques semaines plus tard, l’opinion les oblige- 
rait 4 se démentir, a4 découronner Marat et a flétrir le 31 mat. 
Fermeture des Jacobins, désaveu de la constitution de 1793, 
poursuites contre les Montagnards, rappel des Girondins proscrits, 
toutes ces décisions ne sont prises qu’aprés de longues résistances 
des Thermidoriens. Mais ceux-ci cédent quand la poussée devient 
trop forte, et méme ils prennent alors Vinitiative de la mesure 
qu‘ils ont commencé par combaltre, atin de s’en faire honneur vis- 
a-vis de Popinion. Etrange et piteux spectacle que celui de cette 
assemblée qu’on se plait souvent 4 entourer d'un prestige de gran- 
deur terrible !;Aprés avoir été contrainte par la peur 4 se décimer, 
la voici réduite, toujours par la peur, & se renier elle-méme. Epou- 
vantée de voir se dresser contre elle les spectres de ses crimes et 
de ses hontes, tous ces revenants sanglants, — égorgés de septem- 
bre, guillotinés du tribunal révolutionnaire, noyés de Nantes, mi- 
traillés de Lyon, — elle désavoue son passé, se confesse lache pour 
diminuer sa responsabililé au prix de son honneur, flétrit comme 
des jours d’ignominie les dates sinistres qu'elle élevait naguére au 
rang des fétes nationales, et croit apaiser la conscience publique en 
iinmolant elle-méme quelques-uns des siens dont elle voudrait faire 
des boues émissaires. Efforts impuissants, humiliation inutile! La 
Convention ne cesse de se faire craindre que pour se faire mépri- 
ser. Elle est sifflée au thédtre. « On discute moins a4 présent les 
crimes de chaque députe, écrit, le 43 mars 1795, une Anglaise sé- 
journant alors en France, que l’insignifiance de tout l’assemblage, 
et les épithétes de tarés, usés, corrompus, ont presque remplacé celles 
de coquins et de scélérals'. » 


1 Un séjour en France de 1792 & 1795, traduction de M. Taine. 


OU DE REPUBLIQUE. 233 


I] fallait le cynisme des Thermidoriens pour se mouvoir & I'aise 
et porter la téte haute au milieu de toutes ces palinodies. Sans prin- 
cipes et sans convictions, ils ne pensent qu’d eux, 4 leur convoitise 
et a leur sécurité. Tant que la réaction ne parait menacer ni l'une ni 
l’autre, ils ne brisent pas avec elle. Ils veulent bien que le régime soit 
changé 4 condition que le pouvoir reste entre leurs mains. Ils ne se 
font pas scrupule ‘de passer des Jacobins aux muscadins, pour- 
vu que ceux-ci leur assurent la continuation des avantages qu’ils de- 
vaient a ceux-la. Ils se résignent a laisser donner un coup de balai 
sur la vieille ordure révolutionnaire, sion leur garantit, pour nous 
servir d'une expression connue et cynique, qu’ils seront« du cété du 
manche ». Mais bientdt ils semblent s’arréter, inquiets. Que s’est-il 
donc passé? C'est qu’ils ont vu se mettre en avant, dans la Conven- 
tion, des hommes moins compromis, moins usés. Ils redoutent que 
ces hommes ne paraissent naturellement désignés pour étre les 
chefs et les représentants du régime nouveau, de la république 
modérée. 

Les députés de la Plaine n’avaient eu aucune initiative au 9 ther- 
midor : ils avaient seulement prété leur concours aux assaillants, 
quand la victoire leur avait paru certaine. C’étaient bien ces hom- 
mes au ceur pusillanime qui, interrogés sur ce qu’ils avaient fait 
pendant la Terreur, répondaient comme Sieyés : « j’ai vécu, » ne 
comprenant pas que leur honte était de n’avoir pas mérilé de mou- 
rir. La chute de Robespierre clle-méme ne leur a pas rendu tout 
de suite le courage. Pendant plusieurs mois, ils sont restés timi- 
dement el obscurément en seconde ligne derriére les Thermido- 
riens. Leur silence et leur humble réserve semblent reconnailre que 
le gouvernement, méme devenu clément, appartient toujours de 
droit a loligarchie révolutionnaire. Cependant, avec le temps, ils 
s enhardissent. L’impression est vive le jour of Siéyés reparait 4 la 
tribune. Thibaudeau, Cambacérés, Durand-Maillane, Boissy-d’An- 
glas, suivent son exemple. Les Thermidoriens y voient des rivaux. 
Mais en voici de plus redoutables encore. Ce sont les cent et quel- 
ques survivants des Girondins et autres modérés proscrits aprés le 
34 mai, auxquels on permet enfin de venir réoccuper leurs places. 
Les Tallienistes, qui sentaicnt le péril, avaient longtemps reculé de- 
vant cette mesure. Un sang plus énergique et plus pur est ainsi 
infusé dans la majorité de la Convention. Ces nouveaux venus sup- 
plantent les Thermidoriens dans la faveur du public. Celui-ci com- 
prend d’instinct que les Lanjuinais, les Daunou, les Pontécoulant, 
les Lariviére, ont plus qualité que Tallien ou Chénier pour réprouver 
la Terreur, dont ils ont été Jes victimes, non les complices. Leur 
autorité s'accroit chaque jour, et les révolutionnaires peuvent avec 

23 Avan 1873. 16 


235% LA QUESTION DE MONARCHIE 


jalousie et inquiétude en mesurer I’étendue, quand ils voient ces 
hommes, unis aux meilleurs esprits de la Plaine, composer la majo- 
rité de la commission chargée de rédiger la constitution, et se trou- 
ver ainsi désignés pour en diriger plus tard la mise en pratique. 

Les Thermidoriens se demandent d’ailleurs s’ils ne sont pas me- 
nacés dans leur sécurité autant que dans leur pouvoir. Ils sont 
troublés, en reconnaissant que leur passé n'est pas aussi oublié 
qu’ils l'imaginent. En effet, & mesure que lopinion voit grandir 
dans la Convention des représentants moins compromis, a qui elle 
peut remettre avec plus de confiance le soin de continuer }’cenvre 
entreprise aprés thermidor, la mémoire lui revient sur les antécé- 
dents de ces terroristes déguisés en champions de la justice et de Ja 
clémence; et avec la mémoire, un sentiment chaque jour plus vif 
de dégout et d’éloignement. Ces hommes s’en apercoivent, alors 
méme qu'on ne leur fait encore aucun reproche direct. Ils sentent 
comme une réprobation vengeresse, invisible et muette, qui monte 
autour d’eux et les enveloppe. Ils essayent d’impudentes justifica- 
tions. Madame de Stael, toule disposée qu’elle est alors 4 l’indul- 
gence, en est indignée, et elle déclare que « ces apologies sont la 
plus incroyable école de sophisme 4 laquelle on puisse assister'. » 
Yainement les conventionnels, oubliant qu’ils sont accusés et non 


4 Qn pourrait faire un recueil de ces aphorismes et de ces métaphores avec les- 
quels les révolutionnaires prétendaient échapper a la responsabilité de leurs actes : 
« Un peuple qui a fait une révolution ne doit jamais regarder en arriére. » (Le- 
gendre.) — « Lorsque le vaisseau est 4 flot, on ne demande point par quelles ma- 
neeuvres le pilote l’'a sauvé. » (Clauzel.) — « L'architecte, en achevant son monu- 
ment, ne brise pas ses instruments, ses ouvriers. » (Lindet.) — « Une révolution 
est un combat 4 mort... Les morts laissés sur le champ de bataille avaient-ils mé- 
rité de perdre la vie? A quelque parti qu'ils appartiennent, ils sont confondus et 
enterrés péle-méle. Tel est le sort de la guerre. » (Raffron.) 

Mais le sophisme le plus curieux est peut-étre celui de Carnot. C’est toute une 
théorie du mandat imperatif qui doit étre recommandée 4 nos démocrates moder- 
nes. D’aprés Carnot, les représentan{s doivent, non pas imposer leur maniére de 
voir, mais énoncer la volonté du peuple, quand méme ils seraient convaincus que 
le peuple se trompe. Or « le peuple peut se tromper, mais il n'est jamais coupable, 
car il agit sur lui-méme. » La Convention, en faisant sous la Terreur des lois mau- 
vaises, et qu’elle savait mauvaises, n'a fait que son devoir, parce que le peuple 
avait manifesté vouloir ces lois. Puis, le peuple éclairé a reconnu les vices de ces 
lois: la Convention, en les rapportant, a encore fait son devoir. « Tel est, dit Car- 
not, le principe irréfragable de la démocratie représentative. » 

Ces sophismes, d'ailleurs, ont encore cours aujourd’hui, et les jacobins moder- 
nes entendent également innocenter — et innocenter au nom de la république — 
les hommes de la Terreur. Voici ce que, dans son dernier ouvrage sur le Directoire. 
écrit M. Michelet a l'occasion précisément des terroristes poursuivis aprés le 
9 thermidor . « Que le monde crie contre eux, ce n’est pas a la république de pu- 
nir Camour féroce, éperdu, qu'ils eurent pour elle. Collot ne se reprochait rien. 11 
pouvait étre accusé par les royalistes sans doute, non par les républicains. » 


OU DE REPUBLIQUE. 935 


juges, prétendent-ils s’accorder eux-mémes un pardon que leur re- 
fuse la conscience publique. « Ne nous reprochons ni nos malheurs 
ni nos fautes, dit Lindet, que nous est-il arrivé qui n’arrive 4 tous 
les hommes jetés 4 une distance infinie du cours ordinaire de la 
“vie! » — « Votons l’oubli, » s’écrie un autre conventionnel '. L’opi- 
nion ne ratifie pas ce vote et persiste 4 ne pas oublier. 

Ainsi ébranlés dans leur popularité présente, menacés pour leurs 
crimes passés, les Thermidoriens abandonnent peu & peu leur pre- 
miére taclique. Ce n’est pas un revirement brusque et opéré avec 
ensemble. Les uns changent plus tét, les autres plus tard : ils sont 
déroutés et troublés. Il ne leur est plus possible, d’ailleurs, de re- 
venir brutalement au terrorisme, l’élan est perdu et l’opinion, de 
son cété, a trop marché. Toutefois, 4 travers ces tdtonnements, il 
est facile de voir, au bout de quelque temps, que Tallien et ses amis 
s’éloignent définitivement de l’opinion modérée et qu’ils se rappro- 
chent des Montagnards. 

Ils cherchent 4 dissimuler le vrai motif de leur changement, ils 
parient de république ef de royalisme. Cela n’est pas sincére. Le 
royalisme, — on l'a vu, — n’est pas en cause dans cette premictre 
réaction aprés la chute de Robespterre. Les représentants mo- 
dérés, dont lautorité grandissante alarme tant Jes Thermidoriens, 
n’en veulent pas 4 la république; ils le déclarent formellement. 
{Is travaillent sincérement a faire la constitution républicaine. 
Bien plus, quand il s’agit des émigrés ou des prétres, ils s’asso- 
cient, avec une triste condescendance, 4 toutes les violences révo- 
lutionnaires. His ont tellement peur d’étre soupgonnés de roya- 
lisme, qu’aucun d’eux n’a le courage de faire entendre quelques 
paroles d’humanité en faveur de Louis XVII, cet enfant infortuné, 
qu’on laisse en ce moment méme mourir de consomption et de 
mauvais traitements dans la prison du Temple. D’ailleurs, comme 
pour mieux montrer que c’est 4 la république modérée que les 
Thermidoriens en veulent sous le nom de royalisme, ils iront bien- 
{Ot jusqu’a expulser de Paris madame de Stael, au moment méme 
ot: celle-ci se brouille avec plusieurs de ses anciens amis, & cause 
de la trop grande ardeur de son néo-républicanisme. 

Au fond, les Thermidoriens se soucient peu des insfitutions républi- 


4 « Depuis deux ans, disait, non sans une sorte de naiveté sincére, un député ob- 
scur, nous adorons le lendemain ce que nous avons brisé Ja veille ; nous briserons 
demain ce que nous adorons aujourd'hui... Si nous voulions rechercher nos délits 
politiques, lequel de nous n’aurait pas 4 trembler?... Youlez-vous exercer unc jus- 
tice inflexible, alors h4tons-nous d’appeler des successeurs; car ces murs, qu'on 
fatigue de clameurs impolitiques et antisociales, ne renfermeront plus que des ac- 
cusés, des accusateurs et des juges. » 


23 LA QUESTION DE NONARCHIE 


caincs ou, du moins, ils y tiennent seulement en tant qu’elles garan- 
tissent leurs inléréts personnels. Aucun d’eux n’aurait songé& se sa- 
crifier pour sauver la république, el tous auraient sacrifié volontiers la 
république pour se sauvcr. lls le montreront plus tard, au 48 bru- 
maire. Déja, cette époque, s’il faut en croire Mallet du Pan, qui est 
en situation d’étre bien informé, Tallien et Barras sont en négo- 
cialions el en intrigues avec les royalistes, et keur premiére con- 
dition est toujours quon ne les recherche pas pour leur passé, 
et qu’o: leur garantisse leur fortune’. « Les Thermidoriens dont 
Tallien est le chef, dit plus tard Mallet,.dans une nole rédigée 
pour l’empereur d‘Allemagne, sont des hommes perdus, indiffé- 
rents 4 lout systéme de gouvernement républicain ou monarchique, 
faisant de la révolution un trafic, et cherchant a tout prix leur do- 
mination et leur fortune. » 

Le seul dessein que ces hommes poursuivent alors en sc rappro- 
chant des Montagnards, est d’opposer aux modérés l’union étroite 
et désormais permanente de tous les personnages compromis dans 
la révolution. Leur cri de ralliement c'est le meurtre du 21 janvier. 
Se sentant par 14 éternellement mis au ban des régimes honnéles, 
ils s’allient pour empécher de les établir. Ils reviennent sans cesse 
a cette date fatale, ils en sont comme obsédés. C’est, et ce sera, 
jusgu’au 18 brumaire, le grand argument de ceux qui veulent 
les rassembler dans une action commune, les détourner d'une 
concession, les déterminer & quelque acte de violence contre I'o- 
pinion. Déja, peu de mois aprés la chute de Robespierre, un 
Thermidorien inquiet de la réaction, Thuriot, disait : « Oui, ci- 
toyens, en yotant la mort du tyran, nous avons consenti 4 tout 
risquer, tandis que ceux qui n’ont pas coopéré 4 ce grand acte 
nont rien hasardé. » Quelques mois plus tard, un Montagnard, 
Dubois Crancé, fait écho & Thuriot : « Citoyens, s’écrie-t-il, il est 
une classe d’‘hommes en France pour qui vous éles tous des terro- 
ristes ; car tous, vous avez déclaré le roi coupable de haute trahison. » 
La préoccupation maladive et inquiéle de ces régicides éclale jusque 
dans l’affectation qu’ils mettent 4 faire célébrer & grand fracas, 
avec accompagnement de discours, de poésies, de serments de hai- 
nes, de manifestations théatrales, l’anniversaire du 24 janvier’; ils 


‘ Mémoires et correspondance, II, 120-121. 

* La célebration de cet anniversaire sera l'une des grandes préoccupations du 
Directoire. A laderniére fate de ce genre qui aura lieu en 1799, le ‘poéte Lebrun, 
en fort mauvais vers, exprimait assez naivement le sentiment d’inquiétude qui était 
au fond de toutes ces réjouissances : 


La voix d'un peuple entier n'est jamais criminelle, 
Et nous le sommes tous, si Louis ne l'est pas. 


OU DE REPUBLIQUE. 257 


simaginent étendre ainsi sur la nation cette tache de sang que, 
comme lady Macbeth, ils ne peuvent effacer de leurs mains. Ils sur- 
veillent le public d'un ceil anxieux pour bien s’assurer qu’il devient 
leur complice par ses réjouissances. Rien n'est étrange comme la 
susceptibilité de ces esprils troublés. Les artistes du Conservatoire 
avaient été appelés, suivant l’usage, le 24 janvier 4795, 4 se faire 
entendre dans Ia salle de ta Convention. IIs jouaient un morceau d’un 
caraclére grave et recueilli. Des représentants interrompent, indi- 
gnés : « Les musiciens, s‘écrient-ils, ont-ils donc l’intention de dé- 
plorer la mort du tyran? » Gossec, le directeur du Conservatoire, 
s excuse de son mieux : «Il avait seulement voulu, dit-il, exprimer 
les douces émotions qu’inspire aux dmes sensibles Je bonheur d’étre 
délivrées d’un tyran. » 

On posséde maintenant tout le fond dela politique du parti répu- 
blicain pendant les années qui vont suivre, le secret de la lutte 
acharnée que cette aristocratie du régicide soutiendra contre 1’opi- 
nion. Peu importe que la souveraineté nationale manifeste des vo- 
lontés opposées; peu importe que l’inlérét de la république elle- 
méme exige que le pouvoir passe en des mains moins compromises. 
Pour ces démocrates et pour ces républicains, le pays et la républi- 
que ne sont rien ; mais, pour ces hommes a conscience trop chargée, 
le pouvoir est une place de sdreté qui les garantit contre la justice 
humaine. A l’opinion qui, au lendemain de fa Terreur, consentait a 
oublier l’origine et le passé de la république, et se montrait préte & 
l'accepter pourvu qu'elle se séparat de la tradition et du personnel 
révolutionnaires, Jes hommes au pouvoir répondent que cette sépa- 
ration est impossible et que la seule république est celle qui se 
fait un blason d’un nouveau genre avec l’échafaud du 24 janvier. 

Avais-je tort de dire que tout est abaissé 4 cette époque? En 1789 
et dans les années qui ont suivi, il y avait sans doute, chez les révo- 
Julionnaires bien des erreurs, des idées fausses, des passions coupa- 
bles; mais au moins, dans cette terrible offensive contre la société 
ancienne, on voit un but poursuivi, des idées jetées en avant, la 
préteution de renouveler tout un monde. Aprés thermidor, les révo- 
lutionnaires n’ont plus de ces projets ni de ces réves. Ce sont des 
gens pratiques et désabusés qui n’ont qu'une préoccupation : rester 
au pouvoir malgré l’opinion, et y rester non pour y appliquer telles 
doctrines, pas méme pour y opérer tel bouleversement, mais unt- 
quement pour jouir et pour étre en sidreté. Voila le dernier mot de 
cette orgueilleuse génération. De Voffensive, elle s'est réduite 4 la 
défensive, et quelle défensive! celle des parvenus qui ne veulent pas 
lacher le bien mal acquis, celle des fripons et des assassins qui ont 
peur du gendarme et du juge. 


238 LA QUESTION DE MONARCHIE 


IV 


Le revirement des Thermidoriens ne pouvait intimider ni arréter 
une réaction devenue, depuis quelques mois, beaucoup plus _puis- 
sante et hardie. Il l’irrite au contraire et la provoque 4 porter plus 
loin et plus haut ses coups. L’opinion, combattue dans ses plus lé- 
gitimes réclamations par les républicains et au nom de la républi- 
que, n’élait-elle pas poussée, contrainte en quelque sorte a s'alta- 
quer a cette république elle-méme? On n’est donc pas surpris de 
discerner au printemps de 1795, sept ou huit mois aprés la chule 
de Robespierre, les premiers symptémes d’un ferment royaliste 
qu’on aurait vainement cherché jusqu’alors. Ces symptémes appa- 
raissent avec des caractéres divers 4 Rouen, & Lyon, dans le Midi. On 
voit se méler au mouvement parisien et y prendre une part de jour 
en jour plus active et plus importante, des hommes dont le noma 
une signification nettement royaliste : Pastoret, Vaublanc, Delalot, 
Quatremére de Quincy. Dans la presse, ce n’est plus comme au 
lendemain du 9 thermidor, |’Orateur du peuple, de Fréron le Ther- 
midorien, qui donne le ton 4 !’opinion. Cette feuille est dépassée, 
éclipsée par des journaux nombreux, brillants, souvent passionnés, 
dans lesquels écrivent des monarchistes de la valeur de Fontanes, La 
Harpe, Martinville, Bertin de Vaux, Bertin d’Antilly, Lacretellc jeune, 
Michaud, Richer de Serisy, Hoffmann, Fiévée. Quelques-uns des mus- 
cadins de la jeunesse dorée se mettent 4 porter, non plus seulement 
Vhabit « a la victime » qui était une protestation contre l’échafaud, 
mais|’habit gris 4 revers avec collet vert ou noir, qui est l’uniforme 
des chouans et semble une protestation contre la république. Au 
mois d’avril, le bruit, alors inexact, se répand que la Convention 
va se dissoudre. Les passants se saluent dans les rues par ces mots : 
« Nous voila quittes; ils s’en vont les brigands! » — « Les gens, 
écrit 4 cette époque un témoin, sautillaient et caracolaient comme 
incapables de contenir leur satisfaction. On ne parlait de rien que 
du a petit » (le jeune Louis XVII) et des nouvelles élections; j’obser- 
vai avec plaisir que toul le monde était d'accord pour exclure tous 
les députés actuels'. » Un rapport de police constale « que le 
42 juillet, au Thédtre des Arts, le passage de Ja tragédie de Phédre, 
ot il est fait allusion aux princes malheureux qui ont été punis in- 
justement, a été applaudi trois fois de suite et a produit un effet 


1 Un séjour en France de 1792 4 1795, p. 274. 


OU DE REPUBLIQUE. 239 


étonnant. » Dés le mois de mars, Rewbell exprimait 4 la tribune ses 
inquicludes : « Nl faut, disait-il que la Convention connaisse }’état 
actuel de l’opinion 4 Paris. On dit beaucoup que le cri de : Vive la 
république! est entendu avec indifférence dans nos thédtres. En 
méme temps, dans les rassemblements qui se forment chaque jour 
ala porte des bouchers et des boulangers, on insinue que cet élat 
de disette durera ‘tant que nous n’aurons pas la constitution de 
1791. » En effet, ce n'est pas seulement dans la bourgeoisie que ce 
mouvement se produit, et au moment des insurrections de prairial 
et de germinal on a entendu sorlir du milieu méme du peuple ré- 
volutionnaire, ce cri étrange : « ponner nous un roi et un morceau 
de pain. » 

Toutefois, en constatant ces symptomes d’un réveil royaliste, il 
faut se garder de les exagérer. Le sentiment dominant est toujours le 
besoin de se débarrasser des Jacobins. On a plus l’horreur du régime 
révolutionnaire que !e désir de rétablir le roi. « Les monarchistes 
eux-mémes, écrit Mallet du Pan, en aodt 1795, se défendent en ce 
moment centre Ja Convention pour échapper 4 la tyrannie beaucoup 
plus que pour refaire la royauté. » Les sections de Paris protestent 
toujours contre l’accusation de royalisme ; elles le font, il est vrai, 
avec moins de netteté que quelques mois auparavant. Elles se eroient 
encore obligées de parler une sorte de jargon révolutionnaire, de rap- 
peler « les baionnetles des despotes, brisées au 14 juillet. » Aprés 
le massacre des émigrés de Quiberon, elle§ félicitent la Convention. 
« Le récit de ce triomphe, tlisent-elles, a électrisé nos dmes. » 
Quand elles attaquent les Jacobins, c’est, 4 les entendre, parce que 
ces Jacobins, « par un autre chemin, tendent aussi a l’anéantisse- 
ment de la république. » 

Quelle est, dans ce langage, la part de la tactique et celle de la 
sincérité? Dans quelle mesure !’opinion modérée se partage-t-elle 
entre le monarchisme feuillant ou le républicanisme girondin? A-t- 
elle méme un parti bien arrété? Peut-étre, s'il lui élait possible de 
choisir sans effort, préférerait-elle la monarchie ; mais, fatiguée par 
tant d’entreprises, désenchantée par tant de déceptions, elle n’a pas 
assez de confiance dans les remédes constitutionnels pour acheter 
aucun d’eux au prix d’une crise. C’est l’état que Mallet détinira si 
bien quelques mois plus tard : « On préférerait généralement la 
royauté, si on pouvait, 4 son réveil, la trouver rétablie sans secous- 
ses etsans dangers; mais la crainte de ces dangers et de ces secousses 
est mille fois plus forte que le désir de la royauté. » Aussi, en juillet 
1795, le méme écrivain met-il en garde Louis XVIII contre les illu- 
sions. Il ’avertit qu’il n’existe « aucun parti royaliste. » Sil y a du 
royalisme dans l’esprit public, c’est « un royalisme vague et incer- 


240 LA QUESTION DE NONARCHIE 


tain, sans énergie aucune; » il y a « éloignement pour toute insur- 
rection dans le sens monarchique; on est au désespoir, mais ce 
désespoir n’inspire aucun projet. » 

Cet état de esprit public que constatait du dehors Mallet du Pan, 
ne devait pas échapper dans Paris aux esprits clairvoyants du 
parti royaliste et devait leur prouver combien il serait imprudent 
d’arborer ouverlement leur drapeau. Des journalistes, au fond pres- 
que tous monarchistes, qui, aprés thermidor, avaient entrepris la 
guerre contre les révolutionnaires, et dont l’influence croissait cha- 
que jour, avaient l’habitude de se réunir dans une sorte de comité 
pour concerter leurs efforts. On trouvait saus doute dans cette réu- 
nion quelques-uns de ces esprits étroits et courts, voués aux opi- 
nions extrémes, « ressource, comme l’écrit finement madame de 
Stael 4 Mallet du Pan, de ceux qui ne peuvent embrasser qu’une 
idée 4 la fois; » prenant pour du courage en face de leurs adver- 
saires, des violences provocantes et des témérités fanfaronnes qui 
n’étaient trop souvent au fond qu’une faiblesse intéressée et complai- 
sante pour les passions de leurs lecteurs, plus occupés de.se faire un 
pelit renom de coterie en flattant ces passions que de ne pas com- 
promettre les intéréts de leur cause, d’autant moins embarrassés du 
reste de leurs théses absolues, que, se bornant a écrire, ils ignoraient 
cette responsabilité de l’action qui fait comprendre la nécessité des 
tempéraments, et souvent méme oblige 4 transiger. Mais, a cdté 
d’eux, il y avait des esprits plus sages, plus politiques. Leur senti- 
ment l’emportait, 4 cette époque, dans la réunion des journalistes. 
« Pour agir dans un concert parfait, rapporte Pun d’cux, Lacre- 
telle, on avait pris la résolution de se borner 4 une ligue défensive 
contre la tyrannie perpétuée de la Convention. On ne produisait 
aucun projet politique. On évilait de s’expliquer sur la forme du 
gouvernement qu’il conviendrait d’adopter. » Les modérés persis- 
taient dans cette sage tactique, malgré les imprudences des ardents. 
a Réclamer contre toutes Jes horreurs qui déshonoraient la Révolu- 
tion, écrivait alors Lacretelle dans son journal, atlaquer toutes les 
lois qui portent le caractére de l'injuslice et de la barbarie, voila 
mes principes contre-révolutionnaires ; faire des voeux pour une au- 
torité forte et sagement balancée, détester l’arbitraire, me soumet- 
tre aux lois, n’attendre que du temps leur perfection, voila mon 
royalisme. » 

La préférence trés-décidée de ces écrivains était sans doute pour 
la monarchie, mais, i] ne leur avait pas semblé possible, au premier 
moment, de renverser Ja république. Jls se bornaient 4 poursuivre 
un redressement ct une épuration de la législation, qui, dans leur 
pensée devaient toujours diminuer un peu la distance qui séparait 


OU DE REPUBLIQUE. 244 


de la constitution monarchique. Plus tard, en voyant les révolution- 
naires se refuser a satisfaire opinion, se cramponner au pouvoir 
et identifier la république 4 la tradition Jacobine, ils comprennent 
que leurs adversaires rendent & la royauté quelque espérance d’a- 
venir : mais ils voient aussi avec quels ménagements il faut agir, 
quel serait auprés de l’opinion le tort de ceux qui parailraient pro- 
voquer une crise, ct comment, si la république peut étre tuée, elle 
ne peut l’étre que peu 4 peu et par les républicains eux-mémes. 

Toutefois, plus on va, plus, grace 4 ces républicains, 4 Virritation 
croissante qu’ils provoquent dans l’opinion par leur égoiste résis- 
tance, les chances d'abord si douteuses et si lointaines de la royauté, 
paraissent se fixer el se rapprocher. On se laisse aller 4 la monar- 
chie, moins pour ses mérites propres, dont on ne parle guére, que 
par dégoul et fatigue des républicains, dont on parle beaucoup. Ce 
mouvement devient méme 4 un moment si rapide, que les esprits 
les moins porlés aux illusions dans le camp monarchique, croient 
presque toucher au ttiomphe. Mallet du Pan, qu’on a vu si déses- 
péré il y a peu de mois, a, dans le cours de]'été de 1795, quelques 
jours de confiance, comme il n’en a pas encore conny et nen con- 
naitra plus. Lacretelle, recueillant ses souvenirs, dit « qu’avec de 
la patience et de la circonspection, on serait arrivé certainement 
4 la monarchie. » — Qui donc va arréter cette ceuvre des républi- 
cains travaillant avec tant de succés, 4 rétablir une royaulé jugée 
tout a I’heure impossible? Ce sont des royalistes. 


V 


Souvent déja le témoignage de Mallet du Pan a été invoqué dans 
le cours de cette élude. Il va l’étre plus encore et en matiére par- 
ticulicrement délicate. N'importe-t-il pas dés lors de se deman- 
der le degré de confiance que mérite ce témoin? Mallet du Pan a été 
trop longtemps laissé dans l'ombre, et, quand il y a vingt ans, ona 
publié ses Mémoires et sa Correspondance, ils n’ont pas eu du pre- 
mier coup le retentissement et autorité qu'ils méritaient. Aujour- 
d’hui, on en comprend mieux la valeur. On voit, non sans sur- 
prise, sous le feu des événements, heure par heure, ce journaliste 
porter sur la révolution des jugements fermes et sensés, qui sont 
souvent les nétres aujourd'hui, mais auxquels nous ne sommes ar- 
rivés qu’en passant par des alternatives d’imprécations aveugles ou 
d’exaltations béates, et, qu’aprés plus d’un demi-siécle d’expérience 
révolutionnaire, bien chérement achetée. L’intérét de cette lec- 


242 LA QUESTION DE MONARCHIE 


ture est d’autant plus vif et plus poignant, que les conseils adressés 
par Mallet aux parlis de cette époque, l'analyse sagace et doulou- 
reuse faite par luidu mal social d’alors, semblent s appliquer a notre 
temps. Nous nous reconnaissons, hélas | et, l’on dirait que ces écrits 
vieux de qualre-vingts ans sont un livre de politique contempo- 
raine. | e - 

Génevois de naissance, Mallet du Pan ctait venu en 1785 a Paris; 
il y rédigeait la partie politique du Mercure. En 1789, et dans les an- 
nées qui suivent, demeuré journaliste, il combat a cOté de ses amis 
du parti constitutionnel, Mounier, Malouet. Cet étranger, plus dé- 
voué que bien des Francais, ne quitte son poste périlleux qu’a la 
derniére extrémilé, la veilledu 10 aout, et parce que la confiance de 
Louis XVI, l’a chargé d'une mission secréle auprés des cabinets 
européens. Retiré d'abord en Suisse, pourchassé plus tard par Je gou- 
vernement francais et ne trouvant d’asile qu’en Angleterre, il tra- 
vaille et luite toujours, observant les événements, entretenant une 
vaste correspondance, publiant des brochurts, des journaux, écri- 
vant des notes pour les princes francais ou les souverains étrangers, 
cruellement éprouvé par les échecs de sa cause, plus encore par les 
contradictions et les fautes de ceux dont il défend les intéréts, mais 
jamais vaincu par la mauvaise fortune; en 1800, il meurt d’épuise- 
ment, ne cessant d’écrire que quand la plume lui tombe des mains. 

« Monsieur, qui vous a lu, vous estime, » lui écrivait, sans jamais 
avoir vu, M. de Maistre. En effet, la droiture de Mallet éclate dans 
tous ses écrils, comme dans sa vie entiére. On aime a le voir relever 
le role que lui ont donné les événements par ce haut respect de soi- 
méme, cette dignité modeste, mais ferme, celte indépendance si 
noblement susceptible. Il disait son avis tout haut, sans demander 
la permission & personne. C’est avec une sorte de fierté, parfois 
méme de brusquerie bourgeoise et démocratique, qu'il servait la 
cause de l’aristocralie et des princes. « Autant que j’ai pu vous 
connailre en vous lisant, lui écrivait encore M. de Maistre, vous 
aimez & faire justice. » Se taire sur ce qu’il voyail, sur ce qu'il 
croyail vrai et utile, lui était insupportable; c’est ce qu’il appelait 
Je tourment du silence. Son indépendance était garantie par son 
désin|éressement. Jamais il n’avait regu de ces pensions dont étaient 
souvent graliti¢s alors les hommes de lettres. « Louis XVI, a-t-ii pu 
dire, m’honora de sa confiance, sans m’honorer jamais de ses bien- 
faits. » En France, il passait presque tout son temps dans sa famille, 
fréquentant peu les salons. Dans l’émigration, il vécut pauvre. Quand 
il mourut & Londres, ses amis durent se coliser pour faire face aux 
frais de ses funérailles, et il fallut que le gouvernement anglais vint 
en aide & sa famille qu’il avait laissée sans ressources. 


OU DE REPUBLIQUE, 243 


Mallet n’est pas un philosophe, comme il y en avait tant alors, 
pliant les faits 4 des théories préconcues ; ce n’est pas a la facon de 
M. de Maistre, un de ces voyants et de ces prophétes pénétrant dans 
les desseins providentiels plus avant que dans les faits de ce monde ; 
ce n’est pas un de ces maudisseurs emportés de ]’école de Burke ; 
. e’est un observateur positif, sincére, clairvoyant et prévoyant : il re- 
cueille les fails et les juge au jour le jour. Formé a la vie publique 
au milieu des agitations de Ja démocratie génevoise, il joint au bon 
sens lucide et vaillant, qui est dans sa nature, une expérience des 
révolutions qui manque complétement 4 la génération francaise de 
cette époque. Il demeure toujours maitre de lui-méme en un temps 
ou presque tous les tempéraments ont comme des crises nerveuscs, 
ou tant d’‘hommes, méme éminents et braves, perdent la téte et sen- 
tent leur coeur défaillir. Au milieu des illusions de 1789, il ne se 
laisse pas étourdir, il voit le péril et dénonce le stérile orgueil de ces 
éléves de Rousseau qui répudient l'histoire, méprisent les faits, et pré- 
tendent renouveler le monde, quand ils ne savent méme pas réformer 
le gouvernement de leur pays. Dans |’épouvante et ’horreur de 1792 
et de 1793, il ne déraisonne pas comme tant d’autres, et observe 
avec sang-froid. Aprés thermidor, i] suit, d’un regard non trouble, 
les phases et les chances de la maladie, voit ce qui est, non 
ce qu'il désire, et dit ce qu’il voit sans s’inquiéler si cela plait ou 
non. Du premier au dernier jour, sans faiblesse comme sans empor- 
tement, il mérite vraiment qu’on lui applique cette devise qu'il a 
inscrite sur un de ses ouvrages : nec temere, nec timide. 

Tel est homme : qui pourrait dés lors contester l’autorité de son 
témoignage, surtout quand il s’agit, comme on est amené mainte- 
nant a le faire, de juger les royalistes ! Si quelqu’un en était tenlé, 
1 suffirait de lui rappeler ce que Mallet répondait lui-méme, 
avec une fierté émue et spirituelle, un jour ot quelques émigrés 
avaient voulu le récuser et le désavouer. « Au prix de quatre ans 
écoulés sans que je fusse assuré en me couchant de me réveiller li- 
bre ou vivant le lendemain, au prix de trois décrets de prise de 
corps, de cent et quinze dénonciations, de deux scellés, de quatre 
assauts civiques dans ma maison, et de la confiscation de toutes mes 
propriétés en France, j'ai acquis les droits d’un royaliste, et comme 
ace titre, il ne me reste plus 4 gagner que la guillotine, je pense 
que personne ne sera tenté de me le disputer. » 


O16 LA QUESTION DE MONARCHIE 


VI 


Le royalisme qu’on a vu pendant l’été de 1795, faire tout 4 coup 
des progrés si rapides dans l’opinion parisienne et qui semble pres- 
que toucher au succés, n’a aucune ressemblance, aucun lien avec 
celui de l’émigration ou de la Vendée. Par un sentiment de patrio- 
tisme qu’exalfent encore plusieurs années de guerre glorieuse, il 
repousse foute complicilé avec |’étranger. Par désir du repos, il re- 
doute la guerre civile. Mais, avant tout, il ne veut pas de l’ancien 
régime. En se détachant de la rspublique, il reste attaché a la 
révolution. L’ancien régime a laissé un souvenir tel que Ja Terreur 
elle-méme n’a pu I'effacer. J] a en outre contre lui la coalition in- 
vincible des intéréts nouveaux créés par la révolution : intéréts des 
vassaux émancipés, des débiteurs libérés, des acquéreurs de biens na- 
tionaux, des soldats devenus officiers. Qu’on yjoigne la susceptibilité 
inquicte de tous ceux qui se sentent, fit-ce seulement par leur adhé- 
sion silencieuse et inerte, une part de responsabilité dans les événe- 
ments accomplis depuis cing ans, et l’on comprendra que la France 
pourra abandonner la république, renoncer 4 Ja liberté, mais 
qu'elle ne retournera jamais 4 l’ancien régime, qu'elle repoussera 
absolument tous ceux qui voudront ou seulement parailront vouloir 
Py ramener. 

Mallet du Pan l'a compris dés le premicr jour. «11 est aussi 
impossible, disait-il de refaire Vancien régime, que de batir 
Saint-Pierre de Rome avec la poussiére des chemins. » Au lende- 
main du 9 thermidor, quand il n’y avait encore aucun mou- 
vement monarchique, il constatait que le royalisme pur, était 
sans force aucune 4 !’intérieur et que si un jour il y avait lieu d’agir 
contre la république, ce serail seulement par le royalisme con- 
stitutionnel, « placé comme intermédiaire entre les aristocrates 
et les républicains, servant de dépét 4 toutes les conversions » et 
complant encore, malgré tant de perséculions, de trés-nombreux 
partisans. « Les racines cachées sous une grande surface, disait 
Mallet, repousseront de toules parts au moment ou la tyrannie ré- 
publicaine s’affaiblira.» C’est en effet ce qui se produisait quelques 
mois plus tard, et le perspicace observateur définissait exactement 
alors le véritable caractére du royalisme parisien : 


La majorité de la garde nationale est 89 (Lettre du 9 juillet.) — Les 
quatre-vingt-neuvistes dominent de plus en plus dans les sections. (Lettre 


OU DE REPUBLIQUE. 245 


du 16 aout.) — Les papiers publics vous peignent l’esprit qui anime les 
sections. Ce sont les patriotes de 1789, les amis des constitutionnels ral- 
liés aux royalistes qui ont le bon sens de se serrer 4 eux et les républi- 
cains dégoités qui ont produit et dirigé cette impulsion... Rappelez-vous 
ce que je vous ai dit 4 Schaffouse de l'infaillible influence qu’allaient 
recouvrer les constitutionnels. (Lettre de septembre 1795.) 


Tous les temoignages contemporains confirment celui de Mallet. 
Lacretelle et ses amis n’admettaient pas que la royaulé put se réta- 
blir autrement que par une « impulsion del’inlérieur. » — « Le nou- 
veau sentiment était spontané, dil-il plus tard, en rappelant les 
événements de cette époque, aucune intrigue de |’étranger ne I’a- 
vait fait naitre. Rien ne se liait méme aux projets des royalistes de 
l'Anjou, du Poitou et de laBretagne. Le royalisme n‘était pas 4 Paris 
comme en province une condamnalion absolue de tous les principes 
de la révolution. » Mathieu Dumas, l’ancien membre de la droite a 
la Législative, activement mélé au mouvement des sections, affirme 
dans ses Souvenirs que «1'esprit général de la population parisienne 
était le retour 4 la constitution de 1791.» Avec un tempérament 
foutefois : l’expérience avait profité et on voulait corriger les défauts 
reconnus de cette constitution. C’est encore ce que constatait Mallet 
du Pan : 


Les constitutionnels convaincus de la nécessité de réformer la constitu- 
tion qui les a perdus institueraient aujourd hui une monarchie limitée mais 
non écrasée, comme en 1794, par le pouvoir du peupleou de ses délégués. 
(Note écrite en janvier 1795. ) — La plupart penchent pour la constitution 
de 1794 avec une augmentation de pouvoirs pour le roi. (Lettre du 19 
avril.) — Les constitutionnels qui abandonnent l’acte de 1791 considérent 
sous cent rapports différents la maniére de le refondre ; mais les points 
fondamentaux de l’opinion générale sont l’affaiblissement des prérogatives 
populaires, le renoncement au fatras des droits de I"homme, la puissance 
royale considérablement augmentée, et la représentation publique réservée 
aux seuls propriétaires. (Note pour Louis XVIII, 5 juillet.) 


Lacretelle rappelle de son célé la sagesse de ce royalisme qui n’é- 
tait un retour ni a l’ancien régime, ni aux erreurs de 17914 : 


Comme il y avait moins de présomption dans les systémes, il y régnait 
plus de bon sens. On commencait a s‘entendre sur le mot de liberté... 
D’un autre cété, la nécessité d'une autorité forte, émanée du principe de 
la légitimité, était profondément sentie. Les opinions de MM. Malouet, 
Mounier, Lally, Clermont Tonnerre, opinions auxquelles Mirabeau et Bar- 
nave élaient revenus vers la fin de leur carriére, et que léloquence de 
Cazalés avait souvent développées, survivaient seules 4 tant de vagues hypo- 
théses, 4 tant d’essais aveutureux. Les écrivains royalistes qui dominaient 
a celte époque les avaient embrassées avec zéle. 


246 : LA QUESTION DE MONARCHIE 


Rien de plus heureux que de telles dispositions; mais pour que ce 
mouvement put sc développer et aboulir, il y avait une condition 
premiére, c'est qu’il ne fat pas découragé, compromis, contrarié 
par la royauté elle-méme. 

Tant que Louis XVII fut le réprésentant du droit royal, le ré- 
tablissement'de la monarchie apparaissait comme un acte de 
politique intérieure. Le fils de Louis XVI pouvait, du Temple 
passer aux Tuileries, sans intervention des étrangers, sans ra- 
mener avec lui aucun entourage d’ancien régime. On reprenait 
Phistoire en 4792, non en 4788. Le nouveau roi n‘était-il pas 
d’ailleurs mineur encore pour plusieurs années? De 1a la _ per- 
spective d’une régence qui serait confiée aux royalistes constitu- 
tionnels, auteurs de la restauration. Mallet du Pan nous apprend 
que tout un plan de ce genre avait été préparé, que des répu- 
blicains y avaient été gagnés, ef qu’on devait rédiger dans cette vue, 
la nouvelle constitution. Mais, pendant ce temps, le royal enfant, 
dont la vie n’était plus, depuis deux ans, qu’un supplice atroce et 
une longue agonie, s’éteignait peu 4 peu. Sa mort, survenue le 
8 juin 1795, n’était pas seulement l'un des épisodes les plus na- 
vrants de histoire révolutionnaire, c’était un événement politique 
considérable, qui bouleversait bien des projets, et portait une af- 
teinte grave, irréparable aux espérances royalistes. Mallet du Pan, 
avec sa perspicacité habituelle, le comprenait tout de suite, et il 
écrivail, dés le 17 juin, au maréchal de Castries : « Paris et les mo- 
narchistes sont consternés ; tousles rapports et toutes les réflexions 
me font craindre que cette perte inopinée ne consacre la République. » 
Un mois plus tard, il montrait les royalistes modérés, se rapprochant 
des républicains, et il indiquait comme cause de ce rapprochement, 
« la mort du jeune foi, qui livrait les constitutionnels 4 la merci 
des émigrés. » 

Du coup, en effet, la royauté sortait de France. Un prince émigré, 
Monsieur, devenu Louis XVIII, succédait aux droils de sun neveu, 
l’émigration n’était plus seulement une fraction du parti monar- 
chique, fraction compromettante, dont Louis XVI et Marie-Antoinette 
s’étaient souvent plaints avec amertume; elle devenail le siége 
méme du pouvoir royal. 

I] convient de ne pas se rendre complice des injustices dont les 
émigrés ont été souvent victimes. Est-ce ici que l’on voudrait ou- 
blier ce qui doit étre dit pour excuser leur départ de France, mé- 
connaitre ce qu'il y a eu de chevaleresque dans leurs erreurs, 
d’esprit de sacrifice dans leur obstination et leur aveuglement, ce 
que |’on retrouve souvent de patriotisme dans ces cceurs demcurés 
francais sous l'uniforme étranger? Qui ne compaticait aux soul- 


OU DE REPUBLIQUE. 247 


frances de ces exilés, quand on les voit, reculant, chaque jour 
plus loin, devant les progrés des armées républicaines, chassés de 
ville en ville par des bourguemestres intimidés, errant, dénués 
de ressources, le long de ces routes d’Allemagne, ow ils peuvent 
lire, gravé sur des écriteaux: « Défense aux émigrés francais 
et aux juifs de s'arréler en ce lieu plus de vingt-quatre heures. » 
Laissons aux esprits, 4 la fois mesquins et passionnés, le triste et fa- 
cile plaisir de railler cette petite cour nomade de Vérone, de Blan- 
kenbourg et de Miltau, of le prétendant, & la merci des caprices 
@un prince allemand ou russe, fait observer cependant la vicille 
étiquette, parle le vieux langage, et voit, par la douloureuse, mais 
inévitable loi des faiblesses humaines, se perpétuer autour de lui les 
vieilles rivalités, les vieilles intrigues, le vieux favoritisme; pour 
les eeurs plus hauts et plus justes, ce n’est pas un spectacle vul- 
gaire et sans grandeur que cette conscience de la race et du rang, 
par laquelle le roi se sent aussi roi dans les miséres de J’exil que 
dans les splendeurs de Versailles, cette dignité, toujours impertur- 
bable, et paraissant a l'aise 14 ot d’autres seraient humiliés, cette 
confiance inaltérable dans Je droit, qui refuserait d’acheter un adou- 
cissement ou méme le succés au prix d’une transaction. Peut-on 
oublier d’ailleurs combien 11 est difticile aux exilés de connaitre et 
de comprendre leur pays? « Cette peine de l’exil, dit M. de Tocque- 
ville, a cela de cruel, qu’elle fait beaucoup souffrir et n’apprend 
rien. Elle immobilise l’esprit de ceux qui |’endurent, le détient 
a jamais dans les idées qu'il avait concues, ou dans celles qui 
avaient cours au moment ot il a commencé... C’est comme l’aiguille 
quireste fixée sur l'heure & laquelle on l’a arrétée, quel que soit dés- 
ormais le cours du temps. On dit que c’est leffet d’un travers par- 
liculier 4 esprit de certains exilés. Je crois que c'est le mal com- 
mun de l’exil; peu y échappent. » 

Cependant il ne s’agit pas de chercher dans quelle mesure la con- 
duite de l’émigration peut étre excusée, par quels cOtés elle doit 
inspirer le respect ou la compassion; il s’agit, avec la sincérité de 
l'histoire, d’en préciser la-portée et les conséquences politiques. Or, 
lest certain que la royauté, désormais associée 4 cette émigration, 
est, surle but et les moyens, en contradiction avec l’opinion de I’in- 
lerieur. Et n’est-ce pas cette opinion seule qui peut amener une 
restauration ? 

Aussitét aprés Ja mort de Venfant infortuné, aux droits duquel il 
a succédé, Louis XVIII publie 4 Vérone une « Déclaration. » C’est un 
document solennel et qui peut étre décisif. L’ancien comte de Pro- 
vence est un esprit libre, sceptique, nullement passionné, imbu des 
idées du dix-huitiéme siécle, suspect aux « purs » en 1789. Son 





248 LA QUESTION DE MONARCHIE 


intention est évidemment conciliante ; il croit, en rédigeant sa Décla- 
ration, faire de grandes concessions, dissiper les malentendus ct ra- 
mener les esprils. Cela méme fait ressortir davantage combien cette 
France du dehors, dont le document royal exprime les idées les plus 
modérées, est loin de la France du dedans, 4 laquelle on s'imagine 
ainsi parlcr un langage agréable ou seulement intelligible. L’opinion, 
— et il faut entendre par 1a, non-seulement les républicains, mais 
aussi les monarchistes, — n'est pas, a tort ou a raison, en disposition 
de gouler cette affirmation du droit supérieur de la royauté, qui 
daigne pardonner a des sujets coupables et repentants, mais qui re- 
pousse absolument toute idée de transaction avec la nation; elle ne 
goute pas davantage cette résolution de tenir pour non avenue, tout ce 
qui s’est fait depuis 1789, et de revenir a ce qu’on appelle la vicille 
constitulion francaise, sauf, aprés que le roi aura élé d‘ubord réta 
bli dans la plénitude de ses droits, a voir s'il ya leu de réformer 
quelques abus. Et, malgré le soin habile avec lequel tous les termes 
de la Déclaration ont été mesurés, que d'expressions froissantes, ne 
serail-ce que la phrase sur « les succés si funestes » des armées 
francaises ! En voyant a quel point le séjour 4 l’étranger a fait perdre 
de vue, 4 un prince trés-fin, l'état réel de l’opinion, on se rappelle 
la phrase, trop vraie, hélas! de M. de Tocqueville, sur ce mal de 
l’exil qui « n’apprend rien et qui immobilise J’esprit. » 
Mallet du Pan comprend la faute et en gémit : 


La Déclaration n'a servi qu'a diviser, qu'd irriter, qu'a indigner, qu’a 
refroidir. Les Doulcet, les Bourdon, les Legendre, les Tallien disaient au 
peuple : « Voila ce que le roi vous apporte! et le roi répond : Cela est vrai 
et je le signe. Combien sont criminels ceux qui ont dicté ce manifeste et 
qui conduisent les affaires a Vérone! Vous savez que le maréchal de Cas- 
tries est de retour a Eisenach, il ne m’a pas écrit une ligne; ce silence et 
celui de Vérone sont une réprobation formelle : Je m'en console; mais 
comment se consoler du délire des mesures? — On parle de clémence, 
de pardon! Henri 1V vainqueur dans Paris et pardonnant 4 des sujets 
désarmés, faisait grace en effet, puisqu’il était le maitre de punir; 
Mais en conscience en sommes-nous 14?... Jamais celte majorité im- 

mense de monarchistes de toutes couleurs et de révolutionnaires en rési- 
piscence me se rendra a discretion; si l'on s’écarte de cette vérité de 
fait on se prépare un abime de calamités. Tous voudront des garanties, 
des conditions, et ils les chercheront dans la forme du gouvernement. Au 
reste le sujet est épuisé, je n'y reviendrai plus ; je vois un systéme opi- 
nidtre de perséverer dans ligne ot l'on s'est mis depuis 1789. — La plura- 
lité des Francais ayant participé a la révolution ne se rendra jamais 4 dis- 
crétion a l’ancienne autorité.— Les royalistes de l'intérieur sont au désespoir 
de cette conduite du roi et des émigrés. J'ai recu de la part de personnes 
du plus grand nom et les plus dignes de considération des reproches 





OU DE REPUBLIQUE. 240 


amers Ace sujet, elles se plaignent que les émigrés jouent aux dés la téte 
de leurs parents et de leurs amis ; qu’ils ne se forment aucune idée de ce 
guest devenue la France, et que leurs discours et leurs projets sont un 
ordre de martyre pour tout ce qui leur appartient dans l’intérieur... Ona 
fait au dehors tout ce qui était nécessaire pour éteindre les semences de la 
royauté. (Lettres des 16 ee 16 septembre, 28 octobre 1795; Note a 
Lowis XVIII.) 


Les observations ne sont pas du reste bien recucs 4 Vérone. Le ma- 
réchal de Castries répond briévement a Mallet « qu’il voit comme lui, 
mais que des avis contraires combattent sa facon de voir et de ju- 
ger. » Mounier est moins bien traité encore. Le prince de Poix est 
disgracié : « Vous voyez, écrit & ce propos Mallet, qu’on s’est haté 
d'appliquer les principes de la Déclaration... Il n’est pas un révo- 
lutionnaire, dit-il dans une autre lettre, qui ne doive rester tel en 
apprenant de quelle indigne maniére sont traités ceux qui ont dé- 
fendu avec le plus de constance et de courage les intéréts de la mai- 
son de Bourbon. » Et il ajoute : « Je ne puis plus étre bon a rien 
dans le syst@me que !’on poursuit ef qui peut-étre aménera bientot 
des regrets superflus. » Lally-Tollendal écrit de son cdté qu’ll ya 
«trop de duperie, méme trop de niaiserie 4 parler des bonnes in- 
tentions d’un régne qui débute ainsi. » 

Ce qui est plus facheux encore que le langage du roi, ce sont les 
commentaires qui y sont donnés par le prince de Condé, le comte 
d'Artois, et surtout par les écrivains ou les beaux parleurs de |’ émi- 
gration. Mallet du Pan ne se lasse pas de montrer le mal que font 
cles propos de nombre de gens de l’armée de Condé qui, 4 table 
@héte, 4 Bale, viennent journellement promettre la roue 4 quicon- 
quen’a pas pensé comme eux, » et les « cent brochures journaliéres » 
ou «cette profession de foi est manifestée. » Jl écrit dans une note 
destinée 4 Louis XVII: 


L’opinion générale se représente les princes et les émigrés comme des 
einemis implacables et irréconciliables, de qui il n'y a pas plus a attendre 
de liberté, de traité, de sireté, de merci que de Robespierre. Les écrits — 
journellement publiés au dehors ont rendu ce préjugé aussi fort qu'il peut 
dre... Il faudrait le désaveu le plus éclatant de tous ces brochuriers 
incendiaires, de tous ces frénétiques massacrants qui parlent a l’armée de 
Condé, dans les cabarets, dans les cercles, comme Gengis-Khan ne parlait 
pas 4 la téte de deux cent mille Tartares. 


Parmi ces publicistes de l’émigration plusieurs déclarent d’ailleurs 
bien haut qu’ils en veulent surtout et réservent, pour le jour du 
triomphe royal, leurs plus terribles chatiments , non pas aux Jaco- 
bins, mais & ces monarchistes constitutionnels, dont Je concours 

- B Avan 1875, 47 


250 LA QUESTION DE MQNARGHIE 


était cependant indispensable a toute entreprise sérieuse. C’est le ca- 
ractére constané des opinions extrdmes de hair plus les modérés qui 
les touchent, que les adversaires. placés a l’extréme opposé. Ceux-ci 
le savent du reste et dirigent d’ordmaire contre ces infortunés modé- 
rés, ainsi pris entre deux feux, leurs assauts les plus rudes. « Vain- 
queurs, dit un émigré, nous balayerons Tes immondices consti- 
tutionnelles. » On met couramment « Lafayette 4 coté de Jourdan 
Coupe-Téte, Cazalés au niveau de Talleyrand, Malouet. au-dessous 
de Robespierre, Mallet du Pan plus bas que Gorsas, Carra qu Bris- 
sot. » Un écrivain grave, qui sera plus tard ministre de Louis, XVIII, 
M. Ferrand, écrit que « M. Malouet mérite d'dtre pendu, bien 
quil soit honnéte homme, attendu qu'il est essenliel de faire dans 
celte classe un exemple de fa punition due aux opimions dangereu- 
ses. » Mallet parle. d'une brochure intitulce : Revélations impor- 
tantes, oi l’on « se vante d’avoir pravoqué tous les excés des Jaco- 
bins pour déjouer les constitutionnels et les manarchiens, pour 
pousser la révolutton aux extrémes et armer les puissances. » 
D’ailleurs, le prince de Condé ne répond-il pas 4 ceux qui le pres- 
sent de seconder plus. activement Pichegru : « Encore six mois de 
guillotine et de misére; le peuple en a. besoin; cela aplanira bien 
des difficultés‘? » C'est toujours cette criminelle et falle chimére 
du bien devant sortir de lexeés.du mal, qui a fait commettre tant 
de fautes au début de la révolution, maladie tenace que les événe- 
ments n’ont pu guérir, et dont les désolants symptomes ont reparu 
depuis, 4 chaque crise, dans quelques esprits faibles et troublés. 
L’un des plus extravagants parmi ces brochuriers royalistes est 
M.d’Entraigues, qui doit jouer plus tard un réle,au moins fort louche, 
dans la saisie des papiers de l’aflaire Pichegru. Il jouit malheureuse- 
ment alors d’un grand crédit a la petite cour de Vérone. Il écrit et fait 
répandre a Paris des factums ow il place sur le méme rang les Consti- 
tuants et les Mortlagnards, déclare les auteurs du serment du Jeu de 
Paume « régicides au premier chef, plus coupables que les Jacobins 
et indignes de pardon. » Mallet rapporte de lui ce propos : « Mont- 
. losier me trouve implacable, if a raison; je serai le Marat de la 
contre-révolution, je ferai tomber cent mille tétes et la sienne Ia 
premiére. » 
Toutes les violences des écrivains royalistes étaient aussilét repra- 
duites par les journaux révolutionnaires et cilées & Ia tribune de la 
, Convention. Mallet en est désespéré : 


« Je vous laisse 4 penser I'impression que ces horreurs ont faite a 
Paris, chacun y alu sa destinde, chacun, s’est dit: Entre des ennemis si 


& Montgaillard, Mémoire. concernant la truhiton de. Pichegue: 


OU DE REPUBLIQUE. 954 


implacables et les républicains qui nous tendent kes bras, il n’y a pas a 
hésiter. Un royaliste exalté dans ses prin¢ipes purs, mais sage dans sa 
conduite et observateur sensé, me mande du 5 de ce mois : « Ona aliéné 
«tous les royalistes constitutionnels et tous ceux ‘qui le moins du monde 
« ont participé a Ja révolution de 1789... »—Ge qui fait pleurer, c'est que 
lécrivain (M. d’Entraigues) parle, agisse au nom du roi et paraisse avoir 
era une grande part 4 sa confiance. (Lettres du 9 et du 16 juil- 
1793.) 


Qu’importe d’ailleurs aux émigrés? Is n’espérent, ne désirent 
rien de l’intérieur. Ils comptent sur les armes de |’étranger. C'est 
parmi leurs fautes l'une de celles qui froissent le plus encore aujour- 
dhui le sentiment national. Toutefois , st Pon veut faire cuvre 
@historien, non d’homme de parti, il faut se reporter aux idées du 
temps. Autrefois, non-seulement pendant Pépoque féodale, mais 
aussi sous l’ancien régime, le patriotisme semblait, surtout pour les 
classes nobles, étre attaché 4 la famille royale plus encore peut-étre 
qu’au sol. En outre, les liens de parenté entre les maisons souve- 
raines ct entre les aristocraties des divers pays rendaient beaucoup 
plus fréquent et plus naturel qu’aujourd’hui le service politique 
et militaire 4 l’étranger. De 1a a faire intervenir cet étranger dans 
une guerre civile, il n’y avait qu’un pas, et il ne faut pas remon- 
ter plus haut que Condé et Turenne pour voir ce que les mceurs du 
lemps toléraient. Ainsi on explique comment ces gentilhommes si 
francais par le coeur combattaient sans scrupules 4 cété des Autri- 
chiens ou des Russes contre la Convention qui avait tué leur roi, 
comment Louis XVIII, qui devail, en 1844, montrer une susceptibilité 
patriotique si viveet si digne, pouvait écrire,en 1795, qu'il « demandait 
sontrdne» aux ministres anglais, et ajouter : « Je travaille 4 prolonger 
la guerre extérieure, que je regarde comme un mal nécessaire. » 
Graces 4 Dieu, un grand progrés s’est accompli depuis lors, et on ne 
peut accuser les royalistes d’étre demeurés en arriére. Pendant: 
que « l’internationalisme » démagogique cherche 4 détruire dans 
le peuple toute notion de patrie, et que « l’internationalisme » 
de l'industrie et de la finance I’affaiblit trop souvent dans une par- 
tie de la bourgeoisie, on a vu il y a trois ans, dans les rangs d’une 
armée républicaine, comment les fils d’émigrés entendent le pa- 
triotisme. 

La grande faute des royalistes de l’émigration sur ce point, comme 
sur tous les autres, est d’étre demeurés obstinément et aveuglé- 
ment stationnaires pendant que Yopinion du dedans a marché. Ils 
en sont toujours au patriotisme d’ancien régime, et ils ne voient pas 
que depuis 1789 un sentiment national nouveau, aussi susceptible 
que profond, s’est emparé de toutes les Ames. [ls ne se doutent pas 


959 LA QUESTION DE MONARCHIE 


de la répulsion qu’ils provoquent, de l’abime ainsi creusé entre leur 
royaulé et cette France nouvelle, que l’éloignement ou l’aveuglement 
semblent leur cacher. Mallet du Pan s’en rend compte : 


La ressource de la guerre étrangére est usée maintenant dans le fait et 
dans l’opinion. Rien n’égale le mépris qu’on porte en France aux armes et 
& la politique des alliés, si ce n'est la haine non moins générale qu’ils ont 
inspirée. Ces sentiments sont aussi prononcés chez les monarchistes que 
chez les républicains. Tout le royaume, sans distinction de parti, se ral- 
liera éternellement contre les étrangers considérés comme ennemis de la 
France et non comme ennemis de la révolution. (Note a Louis XVIII, 
guillet 1795.) — Que l'Europe reconnaisse ou non le roi, cela ne vaut pas 
six liards; c'est de la France et non d’étrangers battus, conspués, hais, 
que le roi doit se faire adopter. (Lettre du 16 aout.) 


Bientét, cependant, les victoires des armées républicaines ne per- 
mettent plus guére de compter sur le succés de la coalition. Alors on 
reporte toutes les espérances sur des intrigues, sur des conspira- 
tions ridicules tramées par des agents subalternes. A cette époque, 
ces agents se multiplient 4 l’infini, la plupart payés grassement sur 
les fonds anglais : les uns honnétes, mais sans jugement; les autres, 
peut-étre aussi liés avec la police frangaise qu’avec les princes qu’ ils 
disent servir. Louis XVIII leur adresse de volumineuses instructions, 
bientét aux mains du gouvernement révolutionnaire, qui s’em- 
presse de les publier. Le comte d’Artois, qui se croit homme d’ac- 
tion, mais qui s’agite plus qu’il n’agit, en a un grand nombre a ses 
ordres. Le prince de Condé, 4 lui seul, en commissionne plus de 
cing cents. Du reste, tous ces agents nobtiennent 4 grands frais 
d’autres résultats que d'entretenir les illusions des émigrés ou de 
compromettre les princes et les monarchistes. On retrouve aussi 
leur main dans cette triste et stérile intrigue du général Pichegru, 

ou un commandant d’armée frangaise livre aux Autrichiens ses 
plans de campagne, combine avec l’ennemi la défaite de ses troupes 
et écrit ensuite : « I} me faut de l’argent pour mes soldats, car la 
royauté est pour eux au fond d’une bouteille de vin. » 

Les royalistes constitutionnels sentent bien le tort que leur font ces 
agents, et Mallet du Pan, dans une note 4 Louis XVIII, indique parmi 
les mesures urgentes : 


Faire disparattre cette nuée d'émissaires , de ministres ambulants, de 
cerveaux timbrés, de légats qui affluent partout, les uns avec des brevets 
de Sa Majesté, les autres avec les patentes de M. le prince de Condé, les 
troisiémes avec des commissions britanniques, se croisant en tous sens, 
racontant leurs missions aux tables d'hdte et jetant sur la cause royale 
une défaveur, une confusion, un mépris qui écartent absolument toutes 
les personnes raisonnables. 


OU DE REPUBLIQUE. 253 


Un autre moyen encore plus funeste, auquel les royalistes de 
I’émigration recourent alors pour rétablir la royauté sont ces expé- 
ditions désastreuses comme celle de Quiberon, impuissantes comme 
celle de l’ile d’Yeu. On fait ainsi périr de braves gens, sans autre 
profit que de compromettre irremédiablensent du méme coup tout 
ce qui se fait 4 l'intérieur pour Ja royauté, Lacretelle rapporte la 
« consternation » stupéfaile et indignée des royaise®S de Paris en 
apprenant la folie de Quiberon. Mallet du Pan ne tarit p75 SUF ce 
sujet : 


Renon¢ons pour jamais 4 toutes ces expéditions chevaleresques qui n'ont 
pas le sens commun et qui brident toutes les ressources intérieures. Nous 
wila recules peut-étre de plusieurs années, au moment oi, avec de la pru- 
dence, de l'art, dela conduite on fat arrivé au port. On a rouvert les cachots, 
les échafauds et réduit les royalistes de l’intérieur & la plus déplorable si- 
tuation. (Lettre du 2 aot 1795.) — Qui que ce soit ne pouvait ni n’osait par- 
ler de royauté lorsque les émigrés, coalisés avec les Anglais, en parlaient 
en Bretagne les armes 4 la main... Les monarchistes ne redoutent rien 
lant que nos grandes mesures, nos grandes armées, nos grands projets 
dont nous avons vu de si grands résultats. (Lettre du 16 aout.) — Mon 
Yeu constant est de plus fort qu’on renonce, une fois pous toutes, 4 ces 
expéditions d’aventuriers, et qu’on veuille se persuader que le meilleur 
service 4 faire est de ne rien faire du tout. Mettez-vous bien dans l’esprit 
que toutes les fois, et partout o vous vous présentez les armes a Ja main, 
vous devenez les alliés de la république et que vous ne servez & autre chose 
qua perpétuer le pouvoir de la Convention , qu’é paralyser les royalistes, 
qu’a faire leur désespoir,-qu'a leur créer mille dangers et qu’a rallumer la 
haine dont le systéme émigré est l'objet... Encore un coup, posez votre ton- 
nerre imputssant : c'est une partie d échecs, et non une tambourinade que 
vous aves ad jouer. (Lettre du 23 septembre.) 


Ce qui frappe le plus dans la conduite des princes et de l’émigra- 
ion, c’est absence compléte d’entente avec ces royalistes modérés 
demeurés en France, qui, seuls cependant, pouvaient fournir 4 la 
monarchie quelque chance de retour. Vainement Mallet du Pan se fa- 
liguait& répéter : « Ce n’est pas 4 nous 4 diriger l’intérieur, c’est lui 
quidoit nous diriger... I] faut écouter l’intérieur si l'on veut entrepren- 
dre quelque chose de solide. » On agissait comme si ce mouvement 
de l'intérieur n’existait pas. On parlait comme si I’on ne se souciait 
aucunement de Je seconder ou méme seulement de le ménager. Les 
agents n’avaient aucun lien avec les directeurs de ce mouvement. 
Les expéditions étaient lancées sans les consulter, sans les préve- 
hir, et précisément 4 ’heure ot les monarchistes parisiens voyaient 
lopinion revenir 4 eux, pensaient toucher presque au succes et 
avaient le plus besoin qu’aucune témérité du dehors ne vint effarou- 


24 LM QUESTION DE MONARCHIE 


roucher l’esprit public en voie de conversion. Il semblait que ce 
fussent deux causes distinctes et presque ennemies ; seulement ce 
qui aggravait le mal, c’est que par Ja mort de Louis XVI la royauté 
était désormais de l'un des deux cdtés, et du mauvais. 

Toute l’émigration approuvait-elle donc ces folies et en &tait-elle 
r esponsable ? Sans doute, & coté des cerveaux britlés qui parlaient 
et s'agitarent I plus, il y avait autour des princes quelques esprits 
sages CO™ me le maréchal de Castries, M. de Saint-Priest, M. de 
Sa" te-Aldegonde, qui, au fond pensaient & peu prés, sinon sur les 
‘principes, du moins sur la ligne de conduite, comme Mallet, Mou- 
nier, Malouet, Lally-Tollendal, Montlosier; mais ils étaient peu 
nombreux. Ils estimaient que leur alfachement leur interdisail une 
contradiction trop publique. Quand ils avaient fait secrétement leurs 
ebservations, leur conscience était en repos, et mélancoliquement 
' résignés, ils demeuraient d'autant plus fidéles & cette cause quads 
la voyaient plus désespérée par l’effet mémede tant de fautes. Quant 
4 la grande masse de ces gentilshommes dévoués et intrépides qui 
ne se piquaient pas de faire de Ja politique, mais de se battre pour 
leur roi et pour leur Dieu par conviction ou par honneur, n’étant 
pas dirigés et éclairés, ils suivaient naturellement les plus bruyants. 
Leur earactére les portait 4 se méfier des modérés. Cette facon pro- 
vocante d’arborer son drapeau flaltait leur courage. Ces espérances 
de revanche compléte leur souriaient comme un dédommagement 
de leur misére présente. D’ailleurs absolument ignorants de l esprit 
public, dont ils n’avaient méme pas su se rendre compte quand ils 
vivaient en France, Yopinion se limitait pour eux aux bavardeges 
de quelques salons ou aux propos de bivouac de l’armée de Condé. 

Que pouvaient donc les efforts de Mallet? Avertissements, suppli- 
cations, objurgations, menaces, rien n’était écouté. C’est un spec- 
tacle émouvant et poignant que celui de ce droit esprit qui apercoit 
le péril, le montre, et cependant ne peut empécher ses amis de s’y 
précipiter. Il voit le pauvre vieux navire, déji si battu des vents, 
mais qui tient encore la mer, courir aux écueils par la maladresse 
et la folie de l’équipage ; il crie : Garde 4 vous! indique de quel cété 
i] faut diriger le gouvernail; on le repousse comme un importun. 
I) ne songe pas cependant & quitler ce navire sur lequel il s’est 
embarqué passager volontaire. Il y reste, lors méme qu'il le sent 
sombrer. On ne sait quoi plus admirer, de sa sagacité ou de son 
dévouement, de son indépendance ou de sa fidélité. On entend ses 
cris de désespoir contenus, et d’autant plus navrants. Mais, parfois 
aussi, on est tenté avec lui de perdre patience. « Si le roi pense 
autrement, s’écrie-t-il, il finira comme le roi de Sidon par étre jar- 
dinier... La monarchie rétablie ne le sera pas pour vous; vous serez 


00 BE REPUBLIQUE. ii] 


repoussés par ceux qui l’acront refatte comme par ceux qui Pont 
détroite, et Sa Majesté trainera avec vous enoore de longnues ‘années 
dans l’exil... Je vous dirais des cheses exécrables 4 ce sujet, tout 
mon sang en.est soulevé. » Pnfin, il laisse échapper, danssa douleur 
irritée, cette prédiclion qui ne devayt que trop se réaliser :-« Stul- 
torum magister est eventus. ‘Ces ‘messieurs peuvent ¢tre aujourd hui 
fort tranquilles sar ta qualité de la monarchie qui s‘établira en 
France, caer H n'y aura point de monarchie au teut. ‘Les derniers 
Stuarts raisonnérent et se conéuisirent comme on ratsonne et comme 
on se condum au dehors; ‘on finira comme ‘eux. » 


Vi 


Ainsi repeussée par Ja royauté ‘vers taquelle elle tait disposée & 
s¢laisser glisser, l'opmion va-t-elle donc prendre son parti de de- 
meurer en république? Aussi bien , ume orcasion se présente de ‘se 
débarrasser sans violence de ce qui tui déptait et Tinquitte Ye plus 
dans cette république, ‘des républicains. La constitution nouvelle 
est fimie ; ceuvre imparfaite mats sérievse Pesprits modérés, elle 
est, par certains cétés, plus conservatrice que toutes celles ‘qui ont 
été délibérées depuis 1789; elle établit deax chambres, limite le suf- 
frege universel, organise les élections 4 deux degrés. D’ailleurs quels 
qu’en soient les défauts, c’est enfin un gotrvernement régulier et 
legal, aprés trots années d’arbitraire révolationnaire, et trois années 
quiomt paru trois siécles. La Convention n’a plus qu’é se séparer. 
Bans quetques jours, en fera ces élections libératrices, auxquelles 
aspire depuis si tongtemps ta nation oppriméc. 

Lsuffit de consrdérer l'état de Vesprit public pour savoir ce que 
Ton pourrait atlendre d’un scrutin libre et sincére. Tout te vieux 
personnel révolutionmmaire, thermidorien ou montagnard, ‘serait st- 
rement Gliminé. Les royslistes purs, partisans de la politique de 
lémigration, n’ont pas plus de chance d’étre élus. L’opinion parait 
disposée 4 nommer des répubficains modérés et non compromis, ou 
des monarchistes constitutionnels qui, surtout aprés la Béclaration 
royale et aprés Quiberon, ne refuseraient pas 4 tne répablique dé- 
gagée da régime révolutionnaire, au moins le temps de faite ses 
pPreuves. Ne sont-ce pas, en effet, des candidats de ces muances di- 
verses qu’on verra thoisir dans la partie des élections qui sera ‘ats- 
ste libre? Et, quand le nation sera contrainte de nommer des con- 
Veationnels, ne fere-t-elle pas eux rares membres de la vieille 


Assemblée qui peuvemt passer pour se rattacher 4 ces opinions mo- 


236 LA QUESTION DE MONARCHIE 


dérées un succés plus significatif encore? Lanjuinais sera désigné 
par 75 départements, Boissy d’Anglas par 72, Pelet de la Lozére 
par 74, Pontécoulant par 33, Thibaudeau par 32, Daunou par 25. 
Qu’on laisse donc les électeurs librement choisir, qu’on remette 
4 des modérés et 4 des hommes nouveaux le soin d’appliquer la 
constitution, qu'on prenne parmi eux les membres d’un Directoire 
qui sera en accord avec la majorité des Conseils et avec celle du 
pays, et, la république aura la meilleure chance, sinon de se 
fonder, du moins de vivre avec quelque durée et quelque honneur. 

Mais la faction qui s’était emparée de la France au 10 aoit n’en- 
tend pas la rendre 4 elle-méme. Assurer ainsi l'avenir de la répu- 
blique importe peu 4 ces républicains. Ils ont trop de convoitise, 
ils craignent trop les comples qu'il Jeur faudraitrendre, pour ne 
pas vouloir rester quand méme au pouvoir. Ils sentent que les 
élections leur seront contraires, ils cherchent alors 4 les supprimer. 
Plus que jamais, les Thermidoriens font cause commune avec les 
Montagnards. C’est ensemble, et avec la complicité d’une partie de 
l’ancienne Plaine, qu’ils soutiennent et font voter ces fameux dé- 
crets de fructidor, la manifestation la plus audacieuse, avant le coup 
d’tat de 1797, du cynisme avec lequel ces hommes sont résolus, 
en dépit de la volonté nationale, 4 se cramponner au pouvoir. IIs at- 
tribuent de leur propre autorité aux membres de la Convention les 
deux tiers des places dans les nouveaux Conseils. Ils font, il est vrai, 
ratificr cette sorte d’usurpation posthume par le peuple; grace 4 la 
province, qui n’a aucune initiative, et peut-étre aussi 4 la maniére 
complaisante dont on fait le dépouillement des voix, on réunit, tant 
bien que mal, une majorilé. C’est, avec le vote de Ja constitution 
montagnarde en 1793, l’inauguralion du régime plébiscitaire, sur 
la valeur duquel on n’a plus aujourd’hui d’illusion. Seulement, il 
n’est pas inutile de le remarquer en passant, ces plébiscites, viola- 
tions dissimulées de la volonté nationale— non moins que les coups 
d’Etat militaires qui en sont la violation brutale — ont été introduits 
par les républicains dans les procédés de notre démocratie contem- 
poraine avant d’étre employés par les césariens. 

Les décrets des « deux tiers » soulévent une clameur de dégout 
et d'indignation dans tout ce qui pense et parle librement, non-seu- 
lement chez les royalistes, mais aussi chez ceux qui s‘étaient le plus 
nettement ralliés 4 la république. Madame de Staél rapporte que 
« ces décrets produisirent une sensation terrible et rompirent tout 
a fait le traité tacitement signé entre la Convention et les honnétes 
gens‘. » Parmi les modérés, 4 Paris surtout, la colére et Je scandale 


‘ Benjamin Constant attaqua ces décrets dans un journal; cela ne l’empécha 
pas, il est vrai, quelques jours plus tard, de composer pour Louvet un discours en 


OU DE REPUBLIQUE. 2517 


sont grands. Rien n’est mieux fait pour redonner de !’élan au mou- 
vement monarchique, si déconcerté quelques jours auparavant par 
laconduite du roi et de l’émigration. 

Mais une fois de plus — et ce n'est pas la derniére — les roya- 
listes viennent au secours des républicains révolutionnaires. Au lieu 
de compter sur le mouvement grandissant de l’opinion, la seule 
force qui soit 4 leur disposition et qui, par les élections, désormais 
annuelles, assure aux modérés un triomphe prochain, ils préten- 
dent brusquer la crise, et, & la grande joie de la faction jacobine, 
relévent le défi que leur a jeté la Convention. Ce n’est plus seule- 
ment la faute de l’émigration, mais aussi celle des monarchistes de 
Pintérieur, qui cédent 4 leur irritation, d’ailleurs trés-naturelle, et 
se laissent entrainer par les plus ardents de leur bord, notamment 
par quelques écrivains. 

La part considérable de la presse dans la réaction éclatée aprés 
thermidor a déja été signalée. Plus la Convention s’est discréditée en 
s‘identifiant aux intéréts révolutionnaires, plus la direction de I’opi- 
nion est tombée exclusivement aux mains des journalistes. Une telle 
situation est toujours facheuse. Les journalistes parlant sans étre 
obligés d'agir sont facilement poussés, ne serait-ce que par l'empor- 
tement de la polémique et Je besoin de faire du bruit, aux exagéra- 
tions et aux témérités. Quand ils sont livrés 4 eux seuls, sans entente 
avec des hommes politiques mélés aux affaires, bientdt les plus vio- 
lents d’entre eux donnent le ton et ménent les autres. C’est ce qui 
est arrivé en septembre 1795. Lacretelle raconte que dans cette sorte 
de conciliabule d’écrivains, dont il a été déja parlé, les prudents ont 
fini par étre débordés. Sans doute, on n’ose pas encore arborer le 
drapeau royaliste: on ne serait pas suivi. « Je n’ai rien vu, rien en- 
tendu, dit Mathieu Dumas dans ses Souvenirs, qui ait dd me faire 
penser que Ja nation pit étre 4 cette époque entrainée jusqu’a une 
restauration. » Mais on entreprend une campagne de renversement 
sans arréter ce que l'on fera aprés. 

On est, d’ailleurs, loin d’étre d’accord sur-le lendemain, méme 
entre royalistes. Lacretelle, qui apparfenait & ce que ’on pourrait 
appeler la droite modérée, rapporte une conversation qu’il eut alors 
avec Richer de Serisy, rédacteur de I’ Accusateur public, type curieux de 
journaliste d’extréme droite, qui, au début de la révolution, avait 
até & la fois collaborateur du journal satirique des royalistes, les 
Actes des apdtres et ami de Camille Desmoulins, léger et absolu, cou- 


sens opposé. Il assistait 4 Ja récitation de son ceuvre oratoire, et il avait le désap- 
pointement — c'est lui-méme qui le raconte — d’entendre dire 4 tout le monde 
que jamais Louvet n’avait si mal parlé. 


O88 LA QUESTION DE NONARCHIE 


rageux et ‘hableur, flattant les passions, mais compromettant les in- 
téréts de son parti; il était de ta famille de ces écrivains qui se sen- 
tent plus habiles 4 attaquer qu’a défendre, qui gottent fort Poppo~ 
sition sans ménagement d’uwe mmorité sans espoir et le sans-zéne 
d'une politique irresponsabte ; leur conduite fait soncer 4 ces bohé- 
miens qui s'installent au milteu dun édifice en ruine, y allument 
leur feu, et se disent peut-¢tre qu'ils seratent bien moins 4 leur aise 
si l’édifice, au lieu @étre délabré, était encore un palais. Voici cette 
conversation, piquante par plus d’un cdté, telle que la rapporte La- 
cretelle ‘. 


« Eh bien Lacretelle, me dit Serisy, vous apprétez-vous 4 combattre? 
— Sans doute. — Comptez-vous sur la victoire? — Paut-étre. — J'aime- 
rais mieux un ton plus affirmatif... Occupons-nous, i en est temps du ré- 
sultat de la victoire. Ne voyez-vous pas que c’est le rétablissement des 
Bourbons ? — Si la nation le veut ; mais elle ne les appellera que condi- 
tionnellement. — Je vous entends, vous étes un feuillant encrovité. — Ce 
que je puis vous assurer, c’est que les sections de Paris ne marchent pas 
sous l’étendard du drapeau blanc, et qa’eltes ne veulent pas avoir traversé 
une révolution peur rentrer sous un régime qui tenvbait de vétasté, et que 
nos armées veulent un autre fruit de leurs victoires. — Que voulez-voes 
donc ? — La constitution actuelle qu’on fertifiera par degrés et qu’on ap- 
prochera le plus possible des formes mottarchiques. — C’est-a-dire que 
tout l'effort de notre génie est d'appliquer sur nos maux un emplatre con- 
stitutionnel et mame républicain. Je le juge mieux, et Je ne vois peur les 
guérir qu'un reméde héroique. — Sans disputer sur le mot, je ne veux 
pas, du moins encore, d'un reméde que le malade repousserait avec em- 
portement. — Ainsi, les constitutionnels s’engagent dans un terrible tom- 
bat pour rester A peu prés au poste ot ils se trouvent — Mais en se met- 
tant 4 l’abri des lois révolutiormaires et de ta dictatare conventiomnelte. 
— Je reconnais dans ce programme, permettez-moi de voes le dire, un pea 
de la niaiserie feuiliantine... Nous he sommes donc unis, que pour quatre 
ou cing jours. — Du moins nous ne serons pas politiquement unis plus long- 
temps suivant toute apparence. » 


Cette division jusque dans le sein du petit groupe royaliste montre 
le péril de la lutte ouverte dans Jaquelle on se jetait téte baissée. 
Madame de Staél cherchait 4 en détourner les modérés. Vers cette 
époque, elle réunissait les principaux d’entre eux dans un diner et 
leur faisait, avec cette éloquence qui devait souvent lui faire re- 
gretter de ne pouvoir monter & une tribune, une sorte de discours 
dont un des auditeurs a conservé l’analyse. 


« Averz-vous affaire, disait-elle, entre autres choses, 4 des hommes préts 
4 vous céder la place! Ces disciples.de Danton, ces vieux cordeliers ne 


1 Lacretelle, Diz années d'épreuve, p. 254. 


OU DE REPUBLIQUE. a9 


roient-ils pas qu’‘ils s’agit ici pour eox de vie ou de mort? Ils vous com- 
battront avec an pouvoir absola qu’fs gardent encore, et avec des armes 
qe tous ne connaisser pas, celles des révolutionnaires. Vous étes bien 
nents 4 parler souverainetd du peuple; vous bégayer une langue qu’ils 
commssent mieux que vous, et qu’ils ont fabriquée pour leur usage... C'est 
wn débat qui ne pourra se terminer que par les armes... Ne voyez-vous pas 
ces régunenis qui bordent vos murs?... Je ne vois que du sang, et le sang 
de mes amis inutilement versé! Tout a l"heure, M. de Laharpe ne doutait 
pas de Ja victoire, parce que l’opinion publique est de votre cdté; mais 
gardez-vous bien de la compromettre avec la force matérielle. Les sectictns 
de Paris ont, aprés la victoire du 4 prairial, rendu leurs canons a la Con- 
vention nationale... Ges canons vont étre tournés contre vous; je demande 
4M. de Laharpe de quel calibre sont les canons de l’opinion publique. 
Eh, messieurs, gardez et ménagez cet ascendant de l’opinion publique; 
cest elle qui renversera, mais par degrés, Jes Icisrévolutionnaires. » 


Madame de Staél ajoutait que Daunou, Lanjuinais, Boissy d’Anglas, 
allaient étre probablement nommés directeurs, mais que si l’on 
risquait la lutte et si l’on était battu, les vainqueurs profiteraient 
de l'occasion pour choisir des « hommes d’une énergie révolution- 
naire prononcée qui péserait tout enti¢re sur les modérés. » D’ail- 
leurs, elle redoutait autant la victoire que la défaite : elle avait peur 
des royalistes extrémes, et cherchait a mettre en garde contre eux 
les constitutionnels modérés'‘. 

Mallet du Pan, lui aussi, voyait avec regret l’imprudence com- 
mise. Ii se plaignait de cette « impétuosité nationale qui ne sail rien 
altendre, » et qui se jette dans une insurrection « convoilée par leg 
conventionnels. » Il attribuait méme cette faute aux émigrés, « aux 
brilots qui ont été lancés de Suisse, de Londres, de Mulheim. » 
lally-Tollendal ne gémissait pas moins de voir « s’égarer » un « mou- 
verment si pur. » 

Mass la parole n'est plus 4 la prudence ; les évyénements se précipi- 
lent. Les sections reprennent, au service d’une cause plus honnéte, 
quelques-uns des procédés, quelques-unes des théories du Paris ré- 
Yolutionnaire *. On se lance sur une pente qui méne droit a la lutte 
armée ; mais on s’y lance en aveugie, sans avoir rien préparé, rien 
concerté. Tout s'improvise au jour le jour, au hasard des délibéra~ 
lions des sections, sans direction centrale. Parler de conspiration 
royaliste ou autre, ce seraif faire grand honneur aux meneurs. Les 
souvenirs, ou plutét les aveux contrits de tous ceux qui ont pris 


‘ Lacretelle, Dix anndes d’éprenve, p. 254. 

* Sur ce point, je me permets de renvoyer 4 ce que j'ai dit dans une étude sur 
Paris capitale pendant la révolution francaise (Correspondant du 10 novembre 
1872, p. 500 4 503), 


260 LA QUESTION DE MONARCHIE 


la part la plus active & ce mouvement, de Lacretelle, de Fiévée, de 
Morellet, sont concordants. Depuis le jour ot Lacretelle avait causé 
avec Serizy, rien n’avait été davantage précisé et convenu sur ce que 
l’on ferait le jour et le lendemain. Quant aux conventionnels, ils dé- 
sirent « une journée: » ils ont fait venir des troupes, ont armé ce 
qui restait de Jacobins, et se réjouissent fort de l'occasion qui leur 
est offerte de redonner, par une sorte de coup d’Etat légal, un peu 
de vigueur a leur pouvoir usé. 

- Enfin, le 13 vendémiaire, la lutte éclate. Les témoignages des 
' contemporains, de Thibaudeau, de Lacretelle, de Réal, portent a 
croire que ce sont les conventionnels qui ont tiré les premiers coups 
de feu; ils avaient, en tout cas, empéché les accommodements tentés 
par quelques modérés. On sait le résultat : le canon de la Con- 
vention a facilement raison de ces bandes de gardes nationaux mal 
commandés militairement, non dirigés politiquement. La défaite est 
compléte , et les conventionnels peuvent, sans plus d’opposition, 
s’‘emparer des deux tiers des places dans les nouveaux Conseils. 

Mais, dés le lendemain, les nouvelles qui arrivent des opérations 
électorales montrent aux vainqueurs a quel point |’opinion leur est 
partout hostile. L’alarme est grande 4 la Convention. « Avant trois 
mois, s’écrie Tallien avec une colére inquiéte qui n’était pas sans 
quelque naiveté, la contre-révolution sera faite constitutionnelle- 
ment. » Il demande des mesures de « salut public, » autrement dit 
que I’on sauve la révolution et surtout les révolutionnaires inconstitu- 
ttonnellement. Les heures de la Convention sont comptées. Le 5 bru- 
maire, dans quelques jours, les nouveaux pouvoirs créés par la 
constitution doivent entrer en fonctions. Les Thermidoriens et les 
Montagnards, avec une sorte d’agitation fébrile, s’efforcent d’em- 
ployer le peu de temps qui leur reste pour ressusciter ce qu’ils peu- 
vent du régime terroriste, se fortifier contre les modérés dans le 
poste qu’ils ont usurpé par les décrets de fructidor, et regagner, par 
Ja force momentanée que leur donne la victoire de vendémiaire, un 
peu du terrain que leurs adversaires leur ont enlevé par I'opinion. 
Bien plus, Tallien et Barras concoivent ]’audacieux dessein de casser 
les opérations électorales, de retarder la mise & exécution de la 
constitution nouvelle, et de prolonger la dictature de la Convention. 
Iis se croient sdrs d’entrainer l’Assemblée, intimidée et ahurie. C'est 
effort supréme de la faction du 10 aot. Mais Thibaudeau 8’y op- 
pose; sa fermelé rend quelque courage aux modérés de la Plaine, 
qui repoussent cet attentat par trop éhonté contre la souverainelé 
nationale. Ce n’est, du reste, que partie remise pour les républi- 
cains ; ils sauront bien imposer au 48 fructidor ce qu’on leur re 
fuse aujourd’hui. En altendant, ils se contentent d’arracher & la ma- 


OU DE REPUBLIQUE. 261 


jorité, pendant les quelques heures qui restent, l’odieuse loi de 
brumaire; ils créent ainsi des catégories entiéres de proscrits, 
incapables de toutes les fonctions, livrés 4 la discrétion du gou- 
vernement; et ils déterminent ces catégories d’une facon assez 
vague et assez large pour exclure de la vie politique une grande 
partie de ces modérés, dont la popularilé croissante les alarme : 
loi d'arbitraire, d’exclusion, de défiance contre l’esprit public, qui 
couronne dignement I'ceuvre de la Convention ! 

Enfin le 4 brumaire, 4 deux heures et demie de l’aprés-midi, le 
président déclare que la Convention nationale a terminé sa mission, 
et qu’en conséquence la session est close. « Quelle heure est-il? » 
demande un député. — Une voix répond : « L’heure de la justice. » 


Arrivé au terme du premier acte, dans ce triste drame qui se © 
traine du 9 thermidor au 48 brumaire, il est naturel des'arréter un 
moment pour se demander : Ou en est-on, aprés ces quatorze mois, 
de la question posée & la France au sortir de la Terreur, république 
ou monarchie? 

La monarchie a eu son heure de grande espérance. I] semblait 
que la nation s’y trouvait ramenée naturellement. Les républicains 
avaient, en quelque sorte, forcé la réaction provoquée par la Ter- 
teur a s’altaquer 4 la république elle-méme. Mais, 4 l’époque ot 
lon est parvenu, aprés la Déclaration de Louis XVIII, aprés le 
désastre de Quiberon, aprés la rude défaile du 13 vendémiaire, 
la cause royale parait perdue 4 ses partisans les plus dévoués et 
les plus perspicaces. « Nous voila retombés dans un abime sans 
fond, écrit Mallet du Pan le 28 octobre 1795, en apprenant l’échec 
des sections parisiennes. II] n’y a que ceux qui savent par combien 
defforts, de patience, d’écrits, de leviers, de fautes de la part de la 
Convention, on avait tiré Paris de sa léthargie, qui puissent juger 
combien il sera difficile de ramener de telles conjonctures. » Puis, 
il revient sur cette malheureuse Déclaration qui a peut-étre plus 
fait encore que le‘canon de vendémiaire pour la ruine des espéran- 
ces royalistes, et sans laquelle le roi « serait devenu le chef et le di- 
recteur du mouvement sectionnaire. » Quelques jours plus tard, le 
4 novembre, il reprend encore son triste refrain : « Nous voila re- 
tombés dans un abime dont je ne puis mesurer ni le diamétre ni la 
profondeur. » Enfin il écrit en janvier 1796 ? « Depuis le 15 vendé- 
miaire, le découragement est général...; personne ne peut parler 
du roisans se faire rire au nez. » Il est vrai que les émigrés ne par- 
lagent pas sa tristesse. Un de leurs journaux, le Courrier, rédigé 
par l'abbé de Calonne, « doutait, » dans la crise qui a précédé 
le 13 vendémiaire, « pour quel parti il fallait fixe des veux, » ct il 
aoutait que « Jes sections ce Paris étaicnt trcp républicaines pour 


462 LA QUESTION DE MONARCHIE 


qu’on ne restat pas indifférent & cette querelle. » — « Nos émigrés, 
écrit Mallet, sont généralement trés-contents de cette catastrophe (le 
43 vendémiaire), parce que nombre de constitutionnels étaient mé- 
lés 4 ce mouvement, parce qu'on n’y prenait pas tout de suite la li- 
vrée de l’ancien régime, et que le rayalisme de ses auteurs ne parais- 
sait pas généralement avoir ses seize quarliers. » Aussi esl-ce sous 
le coup de ces événements et de ces impressions que, quelques mois 
plus tard, Mallet du Pan écrira cette prophétie d'une précision si re- 
doutable : « Nous approchons de l’agonie... Les princes se sont per- 
dus et se perdent. On ne recouvrera la monarchie que sur des mon- 
ceaux de cvendres et de cadavres, et apres avoir vu un usurpaleur en 
saisir et en conserver les rénes peut-étre fort longtemps. » 

La république a-t-elle au moins gagné ce qu’a perdu la royauté? 
Ceux qui ne se payent pas de mots et d’apparence ne peuvent avoir 
cette illusion. La victoire est plus mortelle encore pour les vain- 
queurs que pour les vaincus. La seule chance de vie et d'honneur 
pour la république était d’étre délivrée des mains de cette faction 
impure et criminelle dont le pays avait dégodt et horreur, et 
d’étre remise aux mains de représentanfs nouveaux, non com- 
promis , librement et complétement élus. Par une sorte de coup 
d’Etat parlementaire, et par un coup de force dans les rues de 
Paris, la faction a réussi définitivement 4 l’emporter sur la volonté 
nationale; elle garde la république comme sa prisonniére, ou, 
pis encore, elle la fait apparaitre comme sa complice. Le pays 
désespére donc de trouver, sous cette forme de gouvernement, 
le régime transformé, régulier, réparateur dont il a un si vil et 
si profond besvin. Ce n’est plus & ses yeux que la révolution con- 
tinuée, la révolution dont il est las et dont il ne veut plus. De li 
entre l’opinion et cette bande d’usurpateurs, un germe de conilils 
dont on peut ne pas prévoir dés lors tous les incidents, mais dont 
issue sera nécessairement fatale & la république. 

D’ailleurs, le 13 vendémiaire ne met-il pas en méme temps sous 
nos yeux l’'instrument par lequel la république sera tuée? Tous les 
publicistes l’ont reconnu, et, entre tous, M. de Tocqueville : l’un des 
caractéres de cette journée est l’avénement du militarisme, le soldat 
substitué au peuple pour les ceuvres violentes de la politique inté- 
rieure! C’est la un phénoméne nouveau et grave dans Vhistoire,dela 
révolution. En 1789, l'armée ne se montre un moment que pour s¢ 
débander devant l’insurrection. Puis, elle disparait de la [place 
publique. Elle en est tenue jalousement éloignée ; elle est surveillé, 
dominée, parfois méme terrifiée par les représentants en mission. 
On ne l’apergoit plus qu’au loin, sur la frontiére. Elle s’y aguerti 
et devient un corps pendant que la nation s’énerve et se dissout, 
elle s’illustre pendant que les partis se déshonorent, elle grandit 


OU DE REPUBLIQUE. 263 


4 mesure que tout s abaisse. Et voici qu’au 13 vendémiaire, ce sont 
les républicains révolutionnaires eux-mémes, qui n’ayant plus aucun 
appui dans l’opinion, mais ne voulant pas lacher le pouvoir, vont 
chercher cetle armée pour les défendre, la sollicitent de prendre 
parti, la font voter avec fracas, invitent ses généraux a devenir des 
hommes politiques, la flattent, l’exaltent, la prennent en quelque 
sorte par la anain pour lut faire franchir cette frontiére idéale de la 
liberté civile, ce Rubicon qui, comme dans ka république remaine, 
retenail les légions loin du sénat, et enfin l’introduisent l’arme au 
poing dans le Forum. Une fois dedans, elle n’en sortira plus. Pro- 
tectrice du gouvernement aujourd’hui, elle en sera Ja maitresse 
demain. En Je défendant, elle a dd apprendre 4 le mépriser. Elle 
sest instruite d’ailleurs de sa force, et aussi de la faiblesse de ce 
peuple fatigué par la révolution; elle s’est rendu compte de la faci- 
lité de certaines victoires. Les conventionnels, dans leur imprévoyant 
égoisme, se refusent 4 écouter les avertissements de Lacretelle, leur 
rappelant au nom des Parisiens alarmés « combien le despotisme 
militaire est 4 craindre dans les républiques et que Rome y trouva 
letombeau de sa liberté, lorsqu’elle était encore défendue par la 
vertu de Caton et l’éloquence de Cicéron. » Ils se rassurent er enten- 
dant le soldat crier : « Vive la république! » et en le voyant partager 
leur haine révolutionnaire contre le royaltsme. Qu’ils regardent 
donc 2 la téte de 'armée dans cette campagne d'un nouveau genre, 
disposant avec sang-froid ses canons pour mitrailler Ja garde natio- 
nale, ce jeune officier de petite taille, au visage maigre et pale qui 
semble consumé par un feu intérieur, aw parler bref, au regard 
pénétrant et impérieux, au profil césarien. Son nom, encore peu 
connu, se prononcait alors 4 l’itahtenne : Buona-parte } 

La royauté rendue pour le moment mmpossible en grande partie 
par les fautes de ceux qui se eroient seuls royalistes, la république 
frappée de mort par les crimes de ceux qui se disent seuls républi- 
cains, le militarisme introduit dans nos discordes civiles et y ayant 
éprouvé sa force, Bonaparte nommé général de }’ «armée de Yin- 
térieor, » voila ce qui apparait au lendemain du 43 vendémiaire. 
Toutefois le dénodment qui, dés cette époque, semble fatal, se fera 
attendre quatre années. Pendant ce temps le mal se développera 
avee des caractéres nouveaux qu'il importe d’examiner ; pendant 
ce temps aussi, avant d’échouer définitivement au 48 brumarre, 
sur les bas-fonds du césarisme, il ¥ aura encore d’honnétes efforts 
pour aborder au port de la monarchie libérale, ou pour faire relache 
dans celui de la république modérée. Ce sont ces derniéres et dou- 
loureuses vicissitudes qu'il convient maintenant d'étudier. 


Pau. Taureau-Danein. 
La suite prochainement. 


UN LIVRE POSTHUME 
DE LAMARTINE’ 





Ce livre est du plus grand intérét pour l'histoire littéraire. Remer- 
cions la main pieuse qui l’a recueilli: elle a préparé des éléments 
indispensables au portrait du plus beau génie de notre temps. Rien 
ne manquerait sans donte 4 la gloire du maitre si ces fragments 
étaient restés inconnus; mais il manquerait beaucoup 4 I’instruction 
des critiques et beaucoup 4 nos jouissances. 

Outre des nouveautés charmantes, nous trouvons dans ces pages 
inédites l’abrégé le plus exact de la grande ceuvre que nous connais- 
sions: Le poéte s’y montre sous ses faces les plus diverses, et ce 
recueil suffirait pour nous révéler la nature de son esprit et pour 
marquer sa place. 

Le volume s’ouvre par deux tragédies écrites en 1813, pendant 
la premiére jeunssse de l'auteur. C’est un tribut payé au gout du 
temps. Le génie le plus original ne peut soustraire aux influences 
régnantes ses premiers coups d’aile; mais son essor l'emporte bien 
vite au-dessus des courants inférieurs. 

La Médée de Lamartine, oubliée de lui et retrouvée par hasard, 
vaut certainement comme conception la foule des Médées qu’on a 
mises au thédtre. Comme style et comme langue poétique, elle révéle 
déja l’écrivain supérieur. Tandis que les tragiques du premier 
empire copient et affadissent les vers déja si prosaiques et si déco- 
lorés des piéces de Voltaire, le noble instinct du jeune débutant le 
porte vers un meilleur modéle. Destiné, quand il aura trouvé sa 


‘ La librairie Hachette doit publier le mois prochain un volume de poésies pos- 
thumes de Lamartine. Notre ami et collaborateur M. de Laprade jugel’ceuvre et is 


présente au public dans les pages remarquables qu'il veut bien nous communi- 
quer. 


UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 265 


voie, 4 devenir par l'incomparable mélodie de son style l’heureux 
rival de Racine, il s’attache & lui dés ses premiers pas. C’est 14 sur- 
tout ce qui nous frappe et nous instruit dans la Médée. 

Zoraide, sujet d’invention et dont nous n’avons que deux actes 
écrits 2 la méme époque, nous parait inférieure. Quelques souve- 
nirs de Zaire et de Mahomet qu’écartait un sujet grec comme Médée 
se font sentir dans les idées et dans le style de Zoraide ; la piéce n’y 
gagne en aucune fagon. 

L'admirable fragment de l’épopée du Chevalier qui resplendit & 
cité de ces essais de tragédie, nous montre ce que devient le génie 
du poéte quand il a trouvé sa sphére propre, et qu’il s'y déploie 
librement. La vigueur, l’originalité, la belle couleur de ce morceau, 
ne tiennent pas seulement a la virilité d’un esprit plus mir, A la 
justesse, 4 l’élévation supérieure de ses points de vue; elles tiennent 
aussi beaucoup au genre de poésie plus approprié a sa vocation, 
dans lequel il se meut sans entrave et sans guide, comme le souve- 
ram créateur des régions qu’il va parcourir. 

Lamartine n’est pas un poéte dramatique, il est quelque chose de 
plus. | 

Lanature d’esprit, les qualités d’ame nécessaires pour imaginer 
un ensemble de poémes comme les Visions excluent le génie du 
thédtre. L’épopée telle qu’on la concevait jadis, celle d'Homére et de 
Virgile, du Tasse et du Camoéns, l’épopée historique et guerriére 
suppose des intelligences plus vastes que la tragédie ; le génie épique 
a besoin de plus d’espace pour déployer ses larges ailes. Que sera- 
donc quand le poéte passe du domaine de l’histoire 4 celui des con- 
ceptions religieuses, et des faits politiques 4 ceux de la cosmogonie 
morale ; alors que le poéme se déroule, non pas seulement a travers 
une partie de notre globe, mais dans les régions infinies que par- 
courent les ames et dans le sein méme de I'Kternel ? 

Lamartine, ce poéte des nobles amours, que l’en a voulu confiner 
dans |'étroit vallon de l’élégie, et dont on essaye de faire un mélan- 
colique entre Millevoye et Musset, Lamarline est par-dessus tout un 
poéte religieux, un philosophe, un mage de la nature, le poéte de 
l'universel et du divin. Pas une Ame, que je sache, dans toutes les 
littératures, n’a eu plus profondément que la sienne le sentiment, 
lintuition de Vinfini; pas un poéle n’a réussi comme lui 4 nous 
faire voir l’invisible, & nous faire toucher l’immensité, & nous eni- 
wrer de l’omniprésence de Dieu. 

Dante a fait l’épopée de la théologie scholastique, du patriotisme 
italien, des haines et des perfidies florentines, et enfin de ce césa- 
Tisme qui depuis tant de siécles est le réve de l’Italie aprés avoir 
élé la honte de ’humanité. On ne saurait admirer avec trop de pzs- 

25 Avan, 1873, ; 18 


266 UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 


sion, éludier avec trop de patience l’incomparable style de Dante ; 
chacun. de ses-vers est un bas-relief d’airain. On a écrit des milliers 
de volumes 4 son éloge, et l’on n’a rien dit de trop. Mais nous ose- 
rons affirmer que, malgré le sujet de son poéme, la sincérité de sa 
foi catholique, son profond savoir en théologie, Dante est un poéle 
aussi peu religieux que tous les autres poétes italiens. C'est avant 
tout, comme'la plupart des grands hommes de son pays, un politi- 
que ; son épopée de la théologie chrétienne est l’épopée de la colére. 
Malgré les splendeurs de son Paradis, c’est & juste titre que son 
Enfer seul est resté populaire. Le théologien catholique est dominé 
chez lui par le politique florentin, le poéte religieux par l‘homme 
de parti. Aprés nous avoir montré l'enfer comme la base du monde 
moral, sa haine le pousse en dehors de toute justice et de tout sens 
commun dans la peinture de‘Salan, de celui qui selon la théolocie 
dantesque porte au fond de l’abime tout le poids de la création. 
Dussé-je ¢tre seul et contre tous, je déclare que dans aucune poésie, 
méme dans les épopées panthéistes de l’Orient ot fourmillent les 
monstres 4 mille tétes et les divinités insensées, je ne connais rien 
de grotesque, d’impie et de révoltant comme ce diable a trois bou- 
ches qui remdche pendant toute l’éternité les nobles Ames de Brutus 
et de Cassius avec celle de Judas. 

Certes, la politique n’est pas absente du poéme de Milton; la révo- 
lution d’Angleterre y laisse des traces incontestables; l'enfer y tient 
aussi une trés-large place. Mais, aprés tout, cet Anglais révolution- 
naire et protestant se montre plus religieux, plus humain, plus 
chrétien que l’autoritaire ct le catholique Dante. A cété de Milton, je 
me sens.plus loin de la théologie du moyen age, cela est sir; mais 
je me sens plus prés des véritables régions divines et plus en plein 
dans le monde moral. Comme écrivain, comme artiste et sculpteur 
de la parole, l'Anglais Milton est naturellement trés-inférieur a !'Ita- 
lien Alighieri, le plus étonnant par le style de tous les poé{es moder- 
nos, mais sa foi chrétienne est aussi vive ; et, malgré son dpreté 
puritaine, sa religion est moins terrifiante que celle de la Divine 
Coméddie. 

La terreur disparait entiérement de l'épopée de Lamartine. A tra- 
vers les épreuves nécessaires pour nous rendre capables de |’éter- 
nelle béalitude, l’d4me humaine se donne carriére dans ces poémes 
avec toute la sécurité de la foi, de l’espérance et de l’amour. Cet 
esprit pacifique, cette incapacité de hair, cette indulgence univer- 
selle qu’on a reprochée 4 Lamartine historien et politique, et qui 
sont, en effet, trés-discutables chez un homme d’Etat, deviennent 
chez le penseur et le poéte les plus hautes qualités; elles forment 
Vélément essentiel de esprit religieux. C'est l’immensité de ]’amour 


UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 267 


et des aspirations vers l’infini, c’est la certitude dans l’attente du 
bien, c’est la perpétuelle adoration de la bonté de Dieu, qui nous 
frappent surtout dans fa conception épique de Lamartine. Voila 
pourquoi nous disons hardiment qu’elle est la plus religieuse entre 
toutes celles qui nous soient parvenues. C’est aussi la plus vaste, 
car elle n’embrasse pas seulement une époque, fut-ce la période 
cosmogonique et }’dge de Eden, mais toute la durée de notre monde, 
depuis V’apparition de lame sur la terre jusqu’A son retour dans le 
sein de Dieu. C’est la plus spiritualiste, car le drame s’accomplit 
tout entier dans l’ame elle-méme et dans l’ordre moral. Il ne s’agit 
pas des destinées d’un empire, de la prise d’une ville, de la fondation 
d'une dynastie ; il s’agit des destinées éternelles de l'homme, de 
Pétre intelligent et libre, de ce qu’il y a de plus grand dans l’uni- 
ters aprés Dieu lui-méme. 

Sur ces dix Visions, qui devaient embrasser tout le cycle du déve- 
loppement humain, nous n’avons que deux poémes complétement 
achevés : Jocelyn et la Chute @un ange. Mais le plan subsiste ; il est 
reproduit dans ce volume avec des fragments inédits. Ce plan suffit 
pour nous faire connaitre )idée-mére, la philosophie de cette con- 
ception, et Jocelyn, ce chef-d’ceuvre de notre poésic, nous montre 
comment l’ceuvre edt été exécutée, si l’auteur avait pu se consacrer 
lout entier 4 ce monument. 

Chacune de ces dix Visions marque & la fois une des grandes épo- 
ques de l’histoire et un des degrés par ot |’dme tombée se reléve en 
expiant ses fautes. L’homme regoit dans chacune de ces phases de son 
existence une iniliation supérieure, se rapprochant par chaque vic- 
toire sur lui-méme de la vie bienheureuse 4 laquelle Dieu I’a des- 
tiné. L’idée d’une chute primitive, la douleur considérée comme le 
chitiment de cette chute, comme l’instrument de l'expiation et le 
grand ressort du progrés moral, telle est l’idée parfaitement ortho- 
doxe qui domine tous ces poémes. Cette idée s'impose 4 toutes les 
philosophies dignes de ce nom. L’éternelle présence de la douleur 
sur ce globe ne permet 4 l’esprit de concevoir aucun drame sérieux 
ou elle n’apparaisse. Il s’agit de la montrer dans sa véritable es- 
sence, ’expiation, et dans son but, la réhabilitation et le progrés. 
Ceux qui prétendent expliquer la destinée humaine sans J 'idée de la 
douleur, ceux qui en nient la nécessité et n’en voient pas le but, 
ceux qui prétendent la supprimer ici-bas par la science, ne sont 
méme pas des enfants! | | | 

Mais la douleur deyenue nécessaire par la faute primitive, le mal 
créé par la chute, n’ont pas, aux yeux de l’auteur des Visions, une 
telle prépondérance dans l’univers, que le poéte soit entrainé par 
une imagination terrifiante, comme celle des chantres de l’enfer, A 


268 UN LIVRE POSTHUME DE LANARTINE. 


faire du mal un principe indestructible, et a proclamer son éter- 
nité. Les Visions finissent par une victoire complete du bien, par la 
véhabilitation de l’4me tombée, et par son immortelle glorification. 

Le fragment de la huiticme Vision, inconnu jusqu’a ce jour, et in- 
titulé le Chevalier, est un morceau trés-important et d'une exécu- 
tion achevée. Il a du moins recu toute la perfection sans minutie 
que Lamartine, ce merveilleux improvisateur, donnait a ses vers Si 
faciles et si abondants. Lamartine est dans notre liltérature, dans 
toutes peut-étre, le trouveur par excellence; aucun poéte n’abonde 
comme lui en vers qui semblent étre sortis de l'dme de |’auteur, et 
de la langue qu’il parle, comme une fleur sort de la séve et du ra- 
meau. 

Ce simple épisode, ou les personnages ont 4 peine le temps d’in- 
diquer leur caractére, a la plus grande valeur comme peinture ; c’est 
un vrai type de la description et du génie pittoresque dans Lamar- 
tine. Le talent du poéte comme paysagiste est reconnu; mais sa su- 
périorité en ce genre et les allures de son pinceau ne sont peut-étre 
pas bien comprises. L’art de peindre le monde extérieur par la pa- 
role a été poussé trés-loin de nos jours ; certains poétes savent nous 
faire voir et toucher les objets matériels, de telle sorte que leurs 
tableaux émeuvent nos sens et nos nerfs presque autant que la réa- 
lité; il ne s’agit pas pour eux d’interpréfer poétiquement la nature, 
mais de la reproduire presque mécaniquement. Les peintures de 
Lamartine, si vives qu’elles soient de couleur, et surtout ses paysa- 
ges, ont une tout autre portée. Ils expriment la vie, l’esprit, l’éme 
des choses, mieux encore qu’ils n’en reproduisent la forme sensible. 
Je ne dirai pas que Lamartine idéalise la nature dans le sens de cor- 
riger et d’embellir, mais il l’anime et la spiritualise, il en fait jaillir 
tout ce qu’elle renferme de moral et de divin. La nature devient 
sous son pinceau, non-seulement un portrait de lame humaine, | 
mais comme une esquisse de la Divinité; linfini s’y refléte, l'intelli- — 
gence ef l’amour s’en exhalent de toutes parts. Lamartine peint toute 
chose d’une facon tellement fluide, transparente, intellectuelle, que 
les formes prenneut des ailes sous son pinceau; toute la création | 

semble vivre de la vie de l’esprit et s’envoler dans une perpétuelle 
ascension vers l’intelligence et l’amour supréme dont elle émane. 
D’autres poétes abaissent et matérialisent l’expression des choses les 
plus élevées, comme pour mettre les objels en contact avec nos 
sens el leur soustraire, au profit du relief et de la couleur, tout ce 
qu’ils expriment du monde moral. Ces peintres épaississent, alour- 
dissent la physionomie de toute chose et Jusqu’aux paysages les plus 
éthérés. Dans les tableaux de Lamartine, la a semble vivre 
comme les acteurs; la nature entoure les personnages comme une 








UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 269 


substance vive et sympathique en perpétuelle communion avec leur 
ame; le paysage se développe, ondule et flotte autour des héros du 
drame comme, dans une symphonie de maitre, l’accompagnement 
se déroule autour de la mélodie. 

L’épisode inédit du poéme du Chevalier nous montre ces qualités 
du paysage et des descriptions de Lamartine 4 un degré aussi élevé 
que Jocelyn lui-méme. Le génie tout particulier que ce maitre apporte 
a peindre le monde extérieur fait de lui, par excellence, le poéte de 
la nature; d'autres n’en sont que les imagiers et les photogra- 
phes. 

Les piéces lyriques qui complétent le volume datent des époques 
les plus diverses de la vie de Lamartine. Quelques-unes sont d’une 
grande beauté. Les stances 4 César Alfieri, écrites du temps des Mé- 
dilations, et omises, on ne sait pourquoi, dans ce recueil, sc termi- 
nent par de nobles vers qu’on dirait pensés par Corneille, ct qui pos- 
sédent de plus que les siens la musique et l’accent propre au poéte 
lyrique. 

Aux bords:de Ia Seine ou du Tibre, 
Sous un consul ou sous un roi, 


Sois vertueux, tu seras libre, 
Ton indépendance est en toi. 


Le Lac et PIsolement', ces deux chefs-d’ceuvre, reproduils avec 
quelques variantes et des strophes inédites, sont devenus, suus cette 
forme nouvelle, de précieux documents pour la critique. Lamartine 
corrigeait fort peu ses premiers jets; sa composition élait souvent 
une sorte d’improvisation, tant elle était rapide. Jl écrivait d’un trait 
sir, comme les poétes grecs, comme tous ceux qui sont les inven- 
leurs, les originaux, les trouveurs par excellence; mais la clair- 
voyance et le jugement sévére du critique ne lui manquaient point, 
quoique son esprit sympathique l’appliqudt rarement aux produc- 
tions d’autrui. Un scrupule de discrétion et de spiritualisme délicat, 
tel que n’en connaissent pas les poétes de |’école rivale, avait fait ef- 
facer par l’auteur du Lac deux strophes entiéres, toutes deux fort 
belles, mais d’un accent plus vif et plus passionné que les autres. 
La piéce, telle qu’elle est connue, ne différe de la version primitive 
que par cette suppression et par le changement de trois hémisti- 
ches. Ces derniéres corrections montrent une sureté de sens critique 
gue le maitre exercait trop rarement. 

I serait difficile de donner aux lecteurs et aux auteurs d’aujour- - 
dhui une idée exacte de ce que fut Lamartine pour la société dans 


‘ L'lsolement est reproduit avec les variantes dans la Correspondance de Lamar- 
tine, t. Il, p. 228. Pour le Lac, voyez la piéce dans ce volume des Poéstes inédites. 


270 UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE, 


laquelle il apparut, il y a un demi-siécle et pendant les vingt années. 
de splendeur intellectuelle qui ont marqué les derniers régnes des 
Bourbons. Ceux-la seuls pourront nous comprendre qui ont vu, 
comme nous, la fin de cette brillante période et qui se sont ouyerts 
4 la vie de esprit sous l'influence encore dominante des poétes et 
des orateurs de ce temps. 

On admire a présent par-dessus tout l’adresse mécanique des pro- 
sateurs et des rimeurs, la force de leur tempérament, l’habileté avec 
laquelle ils reproduisent pour le toucher et pour la vue les détails de: 
la nature matérielle, la surexcitation contagieuse de leurs nerfs et 
l'ivresse d’alcool que leurs tableaux communiquent 4 nos sens. Au 
lieu de la peinture du monde idéal,on ne retrouve plus dans les ceu-- 
vres d'imagination que la photographie coloriée des réalités les plus 
basses. Un des témoignages les plus innocents de celte importance 
exclusive donnée 4 la forme aux -dépens de la pensée, a Ja nature- 
aux dépens de l’esprit, c’est ce nom d’artistes que les écrivains de 
nos jours, prosateurs et poétes, acceptent si volontiers et qui les 
achemine fatalement vers celui d’artisans. Lamartine, graces & 
Dieu, est le moins artiste de tous les poétes; il est par excellence le 
chanteur et l’enchanteur, il est le magicien et le charmeur des Ames, 
entre tous ceux qui se sont servis de la parole humaine. Si la plus 
haute fonction de la poésie est d’interpréter la nature dans le sens de 
l'idéal, d’en extraire pour ainsi dire tout ce qu’elle renferme d’in- 
telligence et d’amour, de la mettre en sympathie avec le coeur hu- 
main, et d'en faire vis-a-vis de nous linfaillible truchement de la 
pensée divine, l’auleur des Harmonies et de Jocelyn est 4 coup sir le 
premier représentant de la grande poésie dans notre littérature et — 
peut-étre dans toutes Ics littératures de l'Europe. | 

Les vrais poétes s’adressent tous & d’autres facultés qu’é l’imagi- 
nation’ sensible ; ils provoquent en nous autre chose qu’une simple- 
volupté de l’esprit. Leur ceuvre n'est pas seulement douce, elle est 
belle de la beauté morale. Ils nous communiquent un surcroit de 
vie intérieure; ils nous raniment, ils nous persuadent, ils nous in- 
struisent; c’est-a-dire qu’ils nous dressent 4 tous les nobles combats 
de esprit et a l’exercice des vertus difficiles. 

‘Lamartine fait pour nous quelque chose de plus, et c’est 14 ce que 
jappelle sa magie. Il nous prend sur ses ailes; il nous enléve & des 
hauteurs ou plus rien de grossier, de vulgaire, de médiocre n’appa- 
rait 4 nos regards. Durant ce voyage, il transforme dans le divin 
{toutes les choses 4 l’usage de notre ame et cette 4me elle-méme. 
L’amour, quand il s’exprime dans l’incomparable mélodie de ses 
vers, n’est plus seulement un bonheur, il devient une vertu. Un 
simple regard jeté par le poéte sur la nature s’accompagne d'un es- 


UN LIVRE POSTHUNE DE LAMARTINE. 274 


sor de ’Ame tout entiére vers le Créateur. Ses moindres études de 
paysage sont des esquisses du monde invisible. 

Chacune des promenades que nous faisons avec lui dans les foréts 
ou sur les gréves est une contemplation et une priére. Il n‘a pas 
besoin de dogmatiser comme certains rimeurs qui prétendent avoir 
charge d’dmes; il nous saisit d’une main irrésistible , nous arrache 
4 nous-mémes et 4 la terre, nous enléve 4 travers les sphéres en un 
ravissement continu, et nous précipite dans le sein de Dieu. 


Ainsi, quand laigle du tonnerre 
Enlevait Ganyméde aux cieux, 
L’enfant s’attachant a la terre 
Luttait contre I'oiseau des dieux ; 
Mais entre ses serres rapides 
L’aigle, pressant ses flancs timides, 
L’arrachant aux champs paternels, 
Et, sourd 4 Ja voix qui l’implore, 

Il le jetait, tremblunt encore, 
Jusques aux pieds des immortels !. 


Les Ames d’aujourd’hui seraient plus diffieiles & déraciner de la 
terre que celles des premiers lecteurs de Lamartine. Je doute que sa 
voit divine, s'il chantait encore, fit battre les cocurs de la jeunesse 
comme les nétres ont battu aux strophes des Méditations et-des Har- 
monies. Est-ce limmortelle poésie qui a vieilli? est-ce que dans la 
sociéié présente lés hommes naissent trop vieux pour gouter ce lait 
etce miel de l’age d'or? — : 

Je ne sais; mais avoir compris, avoir aimé, avoir adoré cet. mcom- 
parable chantre du divin dans la nature et de l’idéal dans l'amour, 
c'est pour ceux de notre génération plus qu'un souvenir de volupté, 
Cest un sujet d’orgueil. Plaignons la société polie et les classes cul- 
tivées si elles arrivent 4 préférer 4 Lamartine n’importe lequel de 
ses contemporains. Je verrais dans cette préférence un notable 
abaissement du niveau moral tout autant que du gout littéraire. 

Mais la faveur publique revient au grand poéte spiritualiste. 
[intelligence frangaise a trop d’exactitude et de noblesse pour se 
préter longtemps aux débauches de |’imagination et des sentiments 
grossiers. D’ailleurs ces aberrations du gout n’atteignent jamais le 
groupe des Ames délicates qui forment dans tous les temps le vrat 
public de la poésie. Les adorateurs de Lamarline composent une 
sorte d’église indestructible et qui doit survivre aux écoles les plus 
bruyantes et les plus populaires. 

Pour nous, I’un de ses disciples, aprés tant d’autres, et l'un des 


' Méditations, 'Enthousiasme. 


273 UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 


amis de son auguste et douloureuse vieillesse, nous lui rendons un 
vérilable culte, depuis le jour ot nous nous sommes éveillés 4 la vie 
de l’esprit. "1 est le créateur des régions enchantées ou vécut notre 
jeunesse : nos plus pures, nos plus hautes jouissances, c’est a Ini 
que nous les devons; l’age lui-méme n’émousse pas la vivacité de ce 
sentiment et n’en altére pas la sereine profondeur. 

Le sens critique devient avec les années plus susceptible et plus 
chagrin. Quand on vieillit, le plaisir de lire naivement s'évanouit 
quelquefois dans I’habitude et le besoin de juger. La poésie de La- 
martine est la seule que nous relisions encore avec notre dme de la 
vingtiéme année. Il semble qu'elle nous communique son éternelle 
jeunesse. L’incomparable musique de ce vers endort Ja critique 
comme la lyre d’Orphée endormait les gardiens et les juges infer- 
naux. Mais cette ivresse est aussi bienfaisante que d’autres sont dé- 
létéres. L’Ame s’en réveille fortifiée et rajeunie, purifiée dans ses 
amours, agrandie dans ses conceptions , plus ardente et plus vive 
dans son essor vers l’infini. 

Les illusions mémes que le poéte a fait naitre ont été des bien- 
faits. Malheureux qui ne les a pas un moment partagées ! Lamartine 
a traversé la politique, comme une aurore pleine de promesses. Les 
espérances de paix, de liberté, de fraternité qui ont fasciné la France 
et l'Europe pendant quelques jours de ce siécle se rattachent a son 
nom. Est-ce par sa faute qu’elles se sont si vile évonouies ? 

Il a porté dans toutes ses aspirations sociales la hauleur et la dou- 
ceur de ses vers. Il fut par-dessus tout l'homme et le poéte du grand 
amour. Par quelle veine que s’épanche son inspiration, Ja poésie 
ou l'éloquence, je défie que dans toute cette Ame on trouve une seule 
goutte de fiel. Au niveau de Ia beauté de ses poémes, l’avenir met- 
tra leur pureté et leur bienfaisance. 


Victor pe LapRaDeE. 


LES PENSIONS DE RETRAITE 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS 


Tandis que, frappé, comme tout le monde, des inconvénients de 
la loi qui régit les pensions de retraite, je m’efforgais, par diverses 
publications, d’appeler l’attention sur un systéme nouveau, déja 
éprouvé dans l'industrie privée, qui substitue 4 la pension |'épar- 
gne capitalisée, la question faisait sans bruit un pas ‘décisif. Le 
ministére de la marine s'occupait de l’ organisation et du recrutement 
dan corps de fonclionnaires spéciaux pour la conduite des affaires 
idigénes en Cochinchine. Cette magnifique colonie, dont je me 
plais 4 rappeler que la France est redevable 4 l'amiral de la Gran- 
diére, a un immense avenir. Il y a malheureusement une ombre au 
tableau : l’insalubrité de son elimat débililant. Qu’offrir aux jeunes 
gens d'élite qui en affronteront le péril, non pas en aventuriers du 
commerce, & la poursuite des gains rapides, non pas en déclassés 
ni en dissipateurs, ayant un passé & faire oublier, non pas méme en 
esprits ardents, acceptant un exil de quelques années en vue du 
plus prompt avancement de leur carriére, mais en collaborateurs 
serieux, dévoués, persévérants d’une haute mission? Il serait triste- 
ment dérisoire de n’avoir & leur présenter qu'une pension. viagére & 
lage de soixante ans, aprés trente ans de services et de retenues 
sur leurs traitements. 

La Caisse de Prévoyance, constituée en capital d’épargne avec 
livret individuel, répondait merveilleusement 4 ce besoin. M. le 
baron Benoist d’Azy, directeur des colonies, l’a compris aussitdt. 
M. l'amiral Pothuau, ministre de la marine, sur l’avis conforme et 
unanime du Conseil d’Amirauté, s'est associé avec empressement & 
sa pensée. Le décret du 10 février, inséré au Journal officiel du 24, 
a été rendu. L’institution est entrée dans l’ordre des réalités ac- 
complies. 


274 LES PENSIONS DE RETRAITE 


Le systéme est trés-élastique, et se préte & toutes les circonstances, 
sans que son mécanisme soit changé. Ainsi la durée requise de ser- 
vices, pour que le droit personnel du fonctionnaire 4 son livret d’é- 
pargne soit acquis, a pu ici étre réduite 4 douze ans. S’il meurt & une 
époque quelconque dans lJ intervalle de ces douze années, le mon- 
tant du livret est dévolu & sa famille, ce qui est un encouragement 
puissant au mariage. On a pourvu avec bienveillance aussi au cas de 
maladie. Aucune retenue n’est exercée sur les traitements. Une sub- 
vention annuelle est versée a la Caisse de Prévoyance. Mise en regard 
des traitements de chaque grade, elle représente une proportion qui 
varie de 30 4 40 pour 100 environ. Ce n'est pas trop pour la rési- 
dence de la Cochinchine, ce serait beaucoup trop en France. Le taux 
des intéréts composés est judicieusement déterminé d’aprés une 
échelle qui dépend, chaque année, du cours de la rente francaise 
au 31 décembre, et la Caisse de la Cochinchine fonctionne exacte- 
ment comme celle dont j’avais proposé l'établissement en France. 

Dans l’excellent Rapport de l’amiral Pothuau, qui précéde le dé- 
cret d’institution, on lit les considérations suivantes : 

« ... Il est donc juste de garantir 4 ceux quis’y dévouent..., aprés 
un nombre restreint d’années de séjour, une retraite ou des res- 
sources qui leur assurent une existence honorable. 

« C’est pour le pays un devoir d'honneur, vis-a-vis des agents qui 
exposent leur vie et compromettent leur santé 4 son service, de re- 
connaitre et de récompenser ces sacrifices... 

« Les versements successifs, yariant suivant le rang de l’inté- 
ressé, donnent lieu 4 louverture d’un compte individuel pour tout: 
inspecteur ef administrateur. ls permettent d’assurer & chacun 
deux, au moment ov 11 quittera la carriére pour des causes autres 
que la révocation, uN capirat en proportion avec la durée et l’im- 
portance de ses services effectifs dans la colonie. Ces sommes sont 
bonifiées des intéréts capitalisés chaque année... 7 

« La ne se bornent peas les avantages de cette caisse. Les sommes 
versées... peuvent étre remises 4 la veuve, aux enfants, petits-en- 
fants et ascendants du fonctionnaire alteint par la mort 4 quelque 
période que ce soit de sa carriére. 

- « Cette garantie rendra également plys faciles et plus avantagéux 
les mariages ; et si l’on considére que la vie de famille upporte géné- 
ralement des habitudes plus réguliéres et plus douces, donne aux 
caractéres plus. d’assiette, prévient des écarls gros de scandales, on 
sera amené 4 reconneitre l'importance de l’institution et le bénéfice 
qu’en recueillera l’administration, tant au point de vue du service 
que de l'influence a exeércer sur les populations indigénes. » 

On ne saurait mieux dire, ni mieux marquer les buts que doit 


DES FONCTIQNNAIRES PUBLICS. 275 


alteindre l'institution nouvelle. Mais je le demande, ces considéra- 
tions n’ont-elles pas un caractéye frappant de justesse, sous toutes 
les latitudes? sont-alles dans la dépendance.du climat, et faudra-t-il 
leur appliquer, en l’amendant, ‘le mot de Pascal : « Vérité en ae 
du tropique, erreur ay dela? » 

Est-il plus juste, en France, d’imposer au fonctipnnaire des reter 
nues qui sont absorbées au budget annuel, confisquées et perdues 
pour sa famille, s'il a le tort de mourir en activité de services, 
peut-€tre aprés quarante années de dévouement? 

Est-il plus satisfaisant, en France, que le fonctionnaire n’ait 
jamais une épargoe, un capital, un patrimoine a transmettre, et 
qu ‘il n’envisage pas d’autre perspective, s’il parvient a la vieillesse, 
qu'une rente viagére qui s’éleint avec lui? 

Est-il d’une moindre utilité morale et sociale, en France, de faci- 
liter les mariages? 

Enfin, importe-t-il moins, en France, d’attirer, de retenir dans 
les emplois publics Jes sujets d’élite, et d’asgurer le bon recrute- 
ment des cadres de l’administration? 

Non, tout cela n’est pas affaire de climat. Le climat doit influer 
sur les chiffres, sur la mesure des sacrifices de l’Etat, sur le nombre | 
dannées de services exigées du fonctionnaire qui se déyoue, il 
n'altére pas les principes. Aussi, malgré la spécialité de son objet, 
le mémorable décret du 10 février m’apparait comme un véritable 
éyénement, d’ou datera nécessairement, un peu plus tét ou un peu 
plus tard, la réforme du vicieux systéme de la pension mere des 
fonctionnaires publics. | 

foublie trop peut-étre que la plupart de mes lecteurs ne sont pas 
des fonctionnaires familiers avec la joi de 1853. Il convient que 
Jexpose avee quelque délail en quoi consiste cetie mauvaise loi. Ce 
Nest pas moi qui la qualifie aussi sévérement. L’ Assemblée. natio- 
hale a instifué use commission des services administratifs, qui s'est 
livrée & une laborieuse enquéte. Par l’organe de son rapporteur, 
Phonorable. M. de la Monneraye; la Commission conclut dans les 
lermes suivants : « La loi de 1853 est venue consolider un robarvais 
régime, et n'a satisfait personne. .». 

Je rencontre d’abord les retenues sur Jes traitements. On eroit 
communément qu elles se montent 45 pour 100..C’est une erreur, 
elles dépassent 6 pour 100 en.réalité. L'Etat a imaginé, en effet, 
de s’approprier en entier Je premier mois de tout traitement et de 
toute augmentation de.traitement; le tolal des retenues, comparé & 
la masse des traitements,:donne par: suite ume proportion de 6 4/4 
pour 400 environ. Je suis, je l’avoue, adversaire déclaré, en prin- 





916 LES PENSIONS DE RETRAITE 


cipe, du svstéme des retenues. J’aime que le travail regoive sa 
rémunération intégrale. Je me souviens de l’'adage du vieux droit 
francais, que j’appliquerais volontiers ici : « Donner et retenir ne 
vaut. » Néanmoins, si la retenue était versée au crédit du fonction- 
naire, entreposée dans un comple d'épargnes, productive d'intéréts 
et amassant un patrimoine, mes objections perdraient beaucoup de 
leur force. L’Etat exigerait la prévoyance des agents qu'il appelle- 
rait 4 son service, se chargeant de gérer et de faire fructifier leurs 
économies pour les leur remettre 4 l’dge de la retraite, pour les 
remettre en cas de décés a leurs familles. Aucune idée de justice ne 
serait blessée, et celte sorte de tutelle pourrait étre acceptée comme 
un bienfait. 

Malhecureusement, il n’en est pas ainsi. Les retenues ne sont en- 
treposées & aucun compte et ne produisent aucun intérét. Elles 
disparaissent aussitdt qu’elles sont exercées, absorbées-en bloc 
dans le budget des recettes. Il n’en reste plus de trace, et.il n’y a 
jamais ouverture 4 une restitution quelconque. L'arlicle 5 de la lor 
du 10 juin 1853 s’en est expliqué nettement : « Les fonctionnaires 
supportent les retenues, sans pouvoir les répéter dans aucun cas. » 

L’aliénation est donc compléte. Le fonctionnaire que sa santé 
altérée oblige a se retirer en le réduisant a la détresse perd ses rete- 
nues. Le pére de famille qui meurt en activité de services ne transmet 
4 ses enfants aucune part des retenues qu'il a subies pendant trente 
ou quarante ans. Ce résullat est douloureux et méme odieux. Cela 
ressemble singuli¢rement 4 une confiscation. 

Pour éviler d’infliger ce nom aux conséquences de la loi de 1855, 
et peut-éire dans un autre but plus pratique, on a inventé récem- 
ment, depuis qu'on parle tant de ] impot sur le revenu, un assez Ccu- 
rieux euphémisme. Les retenues seraient simplement un impét sur 
les revenus professionnels des fonctionnaires publics. Le mot a eu 
du succés, les fonclionnaires l’ont commenté avec une certaine com- 
plaisance, se flattant d'échapper par 14 aux menaces de l’impdt gé- 
néral sur le revenu, en opposant la maxime: Non bis in idem. Cette 
ingénieuse interprétation n’aqu’un défaut, celui d’étre absolument 
erronée. L’impét se discute et se vole tous les ans, sa quotité est 
variable, tandis que la loi de 1853 a slatué pour toute la durée de 
la carriére administrative et méme de la vie du fonctionnaire. Le 
caractére propre de la loi, l’excuse de ses rigueurs est qu'elle est un 
contrat, un véritable contrat de rente viagére. L’article 5 porte : 
« Les fonctionnaires... ont droit pension. » L’artice 5 : « Le droit & 
« la pension de retraite est acquis par ancienneté... » L’article 17 : 
« Les pensions... sont inscrites au grand-livre de la Dette publique. » 
Partqut l'aftirmation d’un droit et la reconnaissance d'une dette de 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 277 


Etat, dans certaines conditions de services rendus. Les fonction- 
naires achétent cet engagement conditionnel de 1’Etat par les rete- 
nues qu ils subissent, autrement dit ils payent une prime annuelle 
d’assurance qui est d’une quotité déterminée de leurs traitements. 
Telle est l'exacte vérité, rien ne ressemble moins 4 un impét, et 
J’engage les fonclionnaires 4 ne pas compter sur leur interprétation 
pour se sousfraire au sort commun des contribuables. 

Si ce caractére de contrat, ratifié par le fait de l’acceptation d'un 
emploi public, interdit au fonclionnaire de récriminer au nom du 
droit, de prononcer les mots de spoliation et de confiscation, il 
n’mterdit pas au moraliste, & l’économiste, au législateur de dis- 
cuter les clauses du contrat lui-méme au nom de l’équité sociale, 
de l’utilité générale et de la science financiére. Sous tous les rap- 
ports Ja discussion est accusatrice, et je maintiens d’abord que 
appropriation, par l’Etat, des retenues du fonctionnaire qui meurt 
& son service a quelque chose d’odieux. 

Au moins, le chiffre de la rente viagére promise est-il en corréla- 
tion avec celui des retenues subies ou des primes payées par le titu- 
laire, comme Je voudraient toute arithmétique et toute justice 
distributive? Pas le moins du monde. La rente viagére dépendra 
d’éléments complétement différents, empiriques, arbitrairement 
fixés par la loi. Elle sera calculée sur la moyenne des six derniéres 
années de traitement. Elle est limitée, par d’autres dispositions 
arbitraires, 4 la moitié, aux deux tiers, aux trois quarts du traite- 
ment moyen, enfin 4 un maximum infranchissable, tandis que rien 
ne limite l'accumulation des retenues. C’est encore profondément 
inique. 

Qu’on vyeuille bien supposer une pareille opération traitée quarante 
ams d’avance avec une compagnie d’assurances, laquelle, en échange 
des cotisations payées, s’obligeraif & servir au contractant, 4 partir 
de |’Age de 60 ans, une rente viagére dont Je chiffre, absolument 
indépendant des cotisations, limité d’ailleurs 4 un maximum, dépen- 
drait du hasard des émoluments moyens des emplois qu’aurait 
occupés le titulaire entre 54 et 60 ans. La combinaison serait 4 bon 
droit trouvée absurde. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est le contrat 
rédigé par le législateur de 1853. ; 

Est-ce tout? le chiffre de la rente viagére aura-t-il quelque corré- 
lation avec l’4ge du rentier? Pas davantage. Ayez50 ans, si un cer- 
tificat de complaisance vous a permis de prendre votre retraite dés 
cet Age, ayez 60 ou 70 ans & Pépoque de I’entrée en jouissance, |’Etat 
n’y fera aucune différence. Pourtant, une rente viagére de 6,000 fr. 
vaut environ 74,000 fr. & lage de 50 ans, 58,500 fr. a l'dge de 

60 ans, elle ne vaut plus que 39,500 fr. & Y’age de 70 ans. L’ktat 


378 LES PENSIONS DE RETRAITE 


n’y regarde pas de si prés, il ignore que la valeur une rente via- 
gére dépend mathématiquement de I'dge du rentier:; il ne se préoc- 
cupe pas de ce détail. En sorte que le fonctionnaire retraité a |’4ge 
de 70 ans aura pu compter vingt ans de plus de services, avoir subi 
vingt ans de plus de retenues, et recevoir en échange une récom- 
pense qui sera 1a moitié & peine de celle concédée a son collégue, 
retraité 4 l’Age de 50 ans. 

Est-ce tout? ai-je épuisé les anomaties? Non. Le fonctionnaire de 
70 ans, s'il n’est cétibataire, ne laissera du moins trés-vraisembla- 
blement aprés lui ni veuve jeune ni enfants mineurs. Sa rente via- 
gére de 6,000 fr. est bien fa limite des engagements de I’Etat. Le 
fonctionnaire de 50 ans, au contraire, peut laisser, en mourant, des 
enfants mineurs ou une veuve qui aura trente ans 4 peine. Admirez 
ici les inconséquences du législateur de £853. Il a été impitoyable 
pour la famille du fonctionnaire qui meurt en activité de services, 
succombant peut-étre 4 l’excés du dévouement et du travail. Il la 
laisse dans la détresse, et confisque les retenues. Voici qu’il s’émeut 
de compassion pour la veuve de celui qui se reposait aprés avoir fait 
régler sa retraite. Voici qu’il lui promet la réversibilité de moitié 
de la pension. Naturellement, il ne s’nquiéte pas plus de l'age de 
Ja veuve qu'il ne s’était inquiété de l’4ge du mari. Si la veuve a 
trente ans, la pension de 3,000 fr., qui aune valeur d'environ 
48,000 fr. sera une dot qui lui facilitera le recherche d’un consola- 
teur. Et un nouvel engagement, évalué 48,000 fr., tombe & la 
charge de l’Etat, du chef du fonctionnaire retraité 4 Age de 50 ans. 
Afin d’abréger, je passe rapidement sur les secours temporaires aux 
orphelins mineurs, lesquels ont d’ailleurs peu d'importance. 

Financiérement, les pensions de veuves sont un supplément trés- 
onéreux 4 I’Etat. Si l’on se place au point de vue des services rendus 
par le fonctionnaire et des retenues qu'il a subies, ce supplément 
ne se justifie pas. Moralement et socialement, la combinaison est 
mauvaise, bien que l’intention soit bonne. Certes, ce n’est pas 
moi qui me plaindrai que le législateur ait pris souci de Vinfor- 
tune de la veuve. Mais les jeunes enfants, survivant au fonc- 
tionnaire qui meurt en activité de services et dans la force de l’Age, 
sont certainement, sauf exception, plus intéressants que la veuve du 
vieillard qui a déji joui de sa pension: A ceux-ld cependant, on l’a 
vu, la loi n’accorde rien, elle n’a pour eux que des rigueurs, elle 
réserve ses faveurs 4 la veuve du vieillard. Il en résulte que l’éven- 
tualité de la pension de veuve a d’autant plus de valeur qu’il y a une 
plus grande différence d’4ge entre le mari et la femme, et que le 
fonctionnaire, en se mariant, approchait davantage du réglement de 
sa retraite. Par la, ’Etat détourne ses agents de $e marier jeunes ; il 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 278 


semble leur conseiller d'attendre qu’ils aient dépassé la cinquantaine, 
alors que la pension de veuve apparaitra comme un douaire assuré. 
Aussi, épouser un fonctionnaire vieilli et au besoin valétudinaire, 
cela devient pour des jeunes filles une bonne spéculation, qui pourra 
dtre renouvelée, et.l’on voit, curieux détail, des femmes émarger a 
la fois au budget jusqu’a trois pensions de veuve, tandis que les 
familles des fonctionnaires morts en activilé de service sont laissées 
sans aucune ressource, réduites 4 importuner de leur misére |’ad- 
minisiration et 4 faire jouer tous les ressorts de la recommandation 
pour implorer des secours et des bureaux de tabae. 

J'ai critiqué en elles-mémes et dans leur conception les disposi- 
tions de la loi de 1853. Suivons-la dans ses conséquences adminis- 
tratives et financiéres, 

Voici comment s’exprime l’honorable M. de la Monneraye, rap- 
porteur de la Commission des services administratifs : « Les condi- 
« ions actuelles des retraites rendent 4 peu prés impossible |’élimina- 
« tion des non-valeurs... Quand il faudrait prononcer la révocation 
«contre des employés, on se borne 4 les changer de bureau et il 
«n’en résulte rien de plus qu’un déplacement de non-valeurs. Voila 
<certes un bien grand inconvénient qui semble inhérent au régime 
« desretraites, et qui a également pour effet d’abaisser, par les mau- 
«vais exemples, le niveau général des volontés. Il serait done a 
«désirer, & tous égards, que |’Etat put étre exonéré de ce lourd 
« fardeau. : 

Jen’ajoute rien & ces paroles, elles sont d'une vérité frappante, 
elles suffisent 4 prononcer la condamnation sans appel de |’institu- 
tion. Oui, administration est encombrée d’employés usés, négli- 
gents, inexacts, qu'on nose pas congédier. Que font-ils 1a? Ils atten- 
dent paresseusement |’dge de la retraite. Ils découragent le mérite 
en nuisant & l'avancement des sujets, d’élite. Ils imposent 4 nos 
finances le lourd fardeau de leurs traitements d’activité pour des 
fonctions qu’ils remplissent mal, avaut de leur imposer celui de 
leur pensions, et M. de la Monneraye a eu bien raison de le dire, ce 
mal est inhérent au régime des retraites. 

Les conséquences financiéres se résument dans J’inscription au 
grand-livre de la dette publique d'une charge toujours croissante 
de pensions viagéres. La charge atteignait au dernier budget prés de 
quarante millions pour les seules pensions civiles. La compensation 
des retenues, au budget des recettes, étant d’environ quinze millions, 
le sacrifice de l'Etat se rapproche déja de vingt-cing millions. La 
progression ne s’arrétera pas lA, et le mode vicieux de calculer les 
pensions sans tenir compte. de Page des tilulaires ne permet pas 
den assigner le terme. Toutes'nos commissions du budget depuis 


280 LES PENSIONS DE RETRAITE 


plusieurs années s’effraient de cette progression, toutes appellent 
une réforme, et l'honorable M. de la Monneraye termine aussi son 
rapport par la déclaration suivante : « En résumé, votre sous-com- 
« mission, sans formuler nettement une proposition... appelle 
a cependant de ses veux une révision de la lot de 1855. » 


Pourquoi toutes les critiques, toutes les doléances n’ont-elles jus- 
qu’a présent abouti 4 aucun effort sérieux de réforme? Car je ne 
trouve pas sérieux le projet mis en avant par quelques personnes de 
supprimer a la fois les retenues et les pensions, d’abroger la loi de 
4853 sans la templacer par une autre institution, de briser tout 
lien durable et de déchirer tout contrat entre ]'Etat et les fonction- 
naires. Ce projet par trop radical n’est pas autre chose qu’un aveu 
d’impuissance. I] détruirait la carriére administrative, il détruirait 
l’administration elle-méme, il condamnerait ]’Etat a n’avoir plus que 
des agents de hasard, recrutés au mois ou 4 la journée, comme on 
embauche des terrassiers et des magons sur la place de |'Hotel-de- 
Ville. 

Je suis profondément convaincu que la cause de la stérilité des 
imaginations qui se sont exercées sur cette question est qu’on est 
resté imbu d’un préjugé invétéré, du préjugé méme de la pension 
de retraite. C’est 4.cette idée que je m’atlaque résoliment. Pension 
de retraite, pension alimentaire, rente viagére, quelque nom qu’on 
lui donne, je soutiens que c’est une idée fausse, tout au moins deve- 
nue fausse dans notre état de civilisation et dans nos mceurs actuel- 
les; qu'il faut l’abandonner pour lui substituer l’idée vraie de 
l'épargne et du patrimoine. Si je parviens & établir cette démon- 
stration, on verra bientét se dégager la solution du probléme. 

Le préjugé est trés-ancien. ll s’explique par !’ignorance ow |’on 
était de la science financiére, du calcul des rentes viagéres d’aprés 
les Ages, et de la fonction des intéréts composés dans |’accumulation 
de l’épargne. Il remonte 4 l’&poque ot les uns se faisaient presque 
un scrupule religieux d’épargner pour l'avenir, comme si c’était 
douter de la Providence ; ou d'autres entassaient, cachaient, enfouis- 
saient des piéces d'or et des écus improductifs, croyant sincérement 
que la thésaurisation était la meilleure forme de l'économie ; et les 
gouvernements et les particuliers constituaient des rentes viagéres 
en accordant uniformément le taux de 10 0/g 4 tous les Ages. Il reste 
encore dans notre législation de l’enregistrement une trace frappante 
du préjugé. Pour la perception des droits, un usufruit et une pen- 
sion viagére sont toujours évalués & dix fois le revenu. 

Je demande la permision de citer un exemple de nos meeurs 
domestiques, qui me semble se rattacher étroitement au sujet que je 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 284 


traite. Quand, dans une maison aisée, un serviteur s'est recommandé 
par une longue fidélité, il arrive d’ordinaire que les maitres lui 
font un legs par leur testament. De la part d’une femme qui a recu 
les soins d'une servante dévouée, c’est d’un usage constant, c’est 
considéré comme Vacquit d'une dette. Or en quoi consisle le legs? 
Presque foujours en une pension viagére. Le capital est une trés- 
rare exception. La pension léguée est d’une somme fixe et ne dépen- 
dra aucunement de |’a4ge qu’aura le bénéficiaire, Age indéterminé 
dailleurs au moment de la confection du testament. Elle a ce double 
caraclére d'élre, dans la pensée inspiratrice de la disposition, la 
récompense des longs services, et, dans le mode de réalisation, un 
moyen exclusivement personnel d’existence, une pension alimen- 
taire. Si je ne me trompe, le lecteur apercoit clairement déja |’assi- 
milation. 

Cette pratique est-elle bonne, et doit-on continuer de la con- 
seiller ? Oui, si le titulaire de la pension est célibataire et avancé en 
age, comme en fait c’est le plus souvent le cas de la servante dé- 
vouée. Elle a vécu de sa place tant qu’elle l’a occupée; elle vivra en- 
suile de sa pension, sans autres besoins, en se reposant. Mais si le 
lifulaire est un homme d’un age encore peu avanceé, s'il est pére de 
famille, j'affirme que la pratique est mauvaise, et que le legs d’un 
capital vaudra mieux, sous tous les rapports. Il vaudra mieux pour 
les hériliers, qui s’affranchiront immédiatement de la dette, qui 
nauront pas 4 s’embarrasser du service importun d'une pension, 
divisée, plusieurs fois subdivisée pendant un quart de siécle ou da- 
vantage entre des rameaux dispersés de la famille. Chacun a connu 
l'importunité de ces pensions et s'est surpris peut-éire 4 trouver que 
le pensionnaire vivait bien longtemps! — Il yvaudra mieux aussi 
pour le Jégataire, qui pourra acheter un champ et le cultiver avec 
ses enfants, ou fonder un commerce qui fera du capital recu la 
base d’une aisance progressive, qui transmettra lui-méme le bien- 
fait quand il mourra, qui aura, en un mot, un patrimoine. S’il lui 
convient d’ailleurs d’aliéner le capital et de le convertir en une rente 
viagére, n’en est-il pas libre? Pourquoi lui imposer cette aliéna- 
tion? Je n’hésite donc pas 4 conseiller aux maitres bienveillants qui 
désirent récompenser la fidélité d’un serviteur de lui léguer, non une 
pension, mais un capital. 

Maintenant, je rentre dans ma thése, ou plutdt jene l’ai pas quittée 
un seul instant. La législation des pensions est sous l'influence des 
mémes préjugés et des mémes ignorances. La retraite a aussi le dou- 
ble caractére d’étre la récompense des longs services, et un moyen 
d’existence oisive exclusivement personnel, une pension alimentaire. 
Le serviteur de |’Etat mis a la retraite vivra de sa pension en se re- 

25 Avan 1873, i9 


282 LES PENSIONS DE RETRAITE 


posant, aprés avoir vécu de sa place, exactement comme la vieille 
servante célibataire; l'institution n‘a pas plus de profondeur sociale 
que cela. L’Etat ne s’inquicte pas plus des ages, il ne craint pas plus 
d’embarrasser et de charger l'avenir de pensions viagéres dont il n’a 
pas songé davantage 4 peser le fardeau. Sauf le correctif de la ré- 
versibilité éventuelle aux veuves et aux orphelins mineurs, qui est 
un commencement de repentir, une vue jetée vers une solution 
meilleure, I’Etat ne prend pas plus de souci de la famille de ses ser- 
viteurs. Quant 4 la puissance de |’épargne, quant 4 l’importance so- 
ciale du patrimoine, quant 4 Pintérét social aussi, et tout a la fois 
moral et administratif de favoriser les mariages des fonctionnaires, 
quant au spectacle douloureux de la famille en détresse du fonetion- 
naire qui meurt en activité de service, quant aux séductions 4 offrir 
pour attirer et retenir dans les carriéres publiques les sujets d’élite, 
— le législateur n’a rien apercu de tout cela. L’Etat semble un de 
ces maitres comme il y en a trop, qui aiment 4 ne s’entourer que de 
serviteurs célibataires. 

Si ces considérations sont comprises, si l’on est pénétré, comme 
je le suis, de la conviction qu’il y a la une question administrative, 
sociale et morale de premier ordre, une initiative féconde a pren- 
dre, un grand exemple, une grande lecon & donner 4 )’industrie 
privée, dans un intérét social qui prime tous les autres, la solution 
est facile, et l’on acceptera, au besoin, les sacrifices nécessaires. 

Entre l’administration d une fortune privée et celle de la fortune 
publique, il y a, en effet, cette différence que, pour la premiére, les 
dépenses doivent étre incontestablement subordonnées aux ressour- 
ces constalées, tandis que, pour la seconde, les ressources dotvent 
étre, non moins incontestablement, subordonnées aux besoins. C'est 
excuse et la justification de tous les impéts, de tous les emprunts. 
Je me suis interdit de traiter ici des questions politiques, je ne les 
effleure qu'incidemment et pour éclairer mon argumentation. Les 
désastres de la guerre nous ont imposé une dette gigantesque de 
cing milliards 4 payer au vainqueur : on a su trouver, devant cette 
échéance, dans de grands efforts patriotiques, les ressources néces- 
saires pour l’ucquitter. On considére la réorganisation de V’armée 
comme une nécessilé : on trouve d’autres ressources pour y sub- 
venir. La ville de Paris, malgré la pénurie de ses finances, veut 
rebatir son Hoétel de-Ville. Elle ouvre un concours et saura y pour- 
voir. — Je ne discute pas, je constate. 

Donc, si l'on estime, a priori, que la bonne organisation de l'ad- 
ministration frangaise est aussi une question capitale, une nécessité 
sociale urgente; si l'on reconnait que le régime de Ja loi de 1895 
est détestable; si l’on considére son abrogation immédiate, méme 4 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 285 


l'égard des fonctionnaires actuels, comme une mesure de salut; si 
lon est amené 4 conclure que, pour indemnité des droits acquis, il 
faut consacrer 4 ja réforme um emprunt spécial de quelques cen- 
laines de millons, en supprimant quelques régiments et.en ajour- 
nant quelques travaux publics, répulés d’une moindre urgence, ce 
n'est pas moi qui réclamerai. Je serais prét 4 voter la réforme 
intégrale et unmédiate, avec indempilé des droits acquis, pour 
cause d’utilité publique. 

Pourtant, raes prétentions sont beaucoup plus modestes. Je ne 
demande pas de résilier d’antorité le contrat qui lie l’Etat envers les 
fonctionnaires actuels. Je ne propose que d’arréter les effets dc la 
la de 1855, d’en prononcer la liquidation, et de fonder, pour les 
fonctionnaires qui entreront désormais au service de |’Etat, une 
institution nouvelle, un contrat nouveau, en harmonie avec les vé- 
rités de la science financiére, avec les intéréts sociaux, avec les con- 
sidérations d’ordre moral que je me suis efforcé de meltre en lu- 
miére. 


ll est temps que je trace te plan de cette insfitation. Bien que je 
Paie appelée nouvelle, elle n’est pas une utopie, elle a recu d’une 
expérience de vingt-trois ans, dans une vaste administratiort privée, 
la consécration du plus éclatant succés, et le lecteur se souvient 
qa'un décret vient de l’appliquer: aux fonctionnaires spéciaux de la 
Cochinchine. 

Elle peut se formuler de la maniére suivante : 


1° Abolition de la pension de retraite. 


Cest ce qu'il y a de plus radical dans le projet, qui s'attaque ici 
a un préjugé trés~enraciné. 

Je suis frappé de ]’étrange puissance des mots. Le pére de famille 
qui place 4 fonds perdu, en dépouillaat d’avance ses enfants, est 
justement flétri par |’opinion. C'est une ignominie trésrare. On aime 
mieux s’imposer toutes les privations que d’aliéner le patrimoine. 
le jeune homme qui, avant de savoir s’il fondera une famille, con- 
sacrerait ses économies a s’assurer des rentes viagéres paruilrait un 
insensé, Changez le mot, ne parlez que de s’assurer une pension de 
retraite. Ce sera exactement la méme chose qu'une rente viagére. 
Pourtant, aprés avoir flétri le rentier, on loue, on honore le pen- 
sionnaire. — Je ne me lasserai pas de combattre ce préjugé, qui 
donne une renle viagéxe pour prix et couronnement de toute une vie 
de labeur. Je suis Pirréconciliable eanemi de la rente viagére, parce 





284 LES PENSIONS DE RETRAITE 


qu’elle est précisément le contraire de |’épargne, la destruction du 
capital, le renversement de l’esprit de famille. | 

La rente viagére est et doit demeurer licite. Elle peut se justifier 
par les besoins et la situation personnelle du rentier. Que le céliba- 
taire avancé en Age, alteint par des revers de fortune, voyant son 
foyer désert et n’espérant plus rien du travail, se résolve a la né- 
cessité d’aliéner son capital pour assurer Ja subsistance de ses vieux 
jours, ilnesera certainement pas blamable. Le fonctionnaire retraité 
qui se trouvera dans cettre situation sera libre d’accroitre ainsi son 
aisance, comme tout autre petit capitaliste. Celui qui aura une 
compagne, une sceur, une Vieille mére sera libre de se conslituer 
une rente viagére réversible. Les tarifs des compagnies d’assurances, 
peut-étre ceux d’une Caisse publique annexée & la Caisse de pre- 
voyance des fonctionnaires, lui donneront & cet égard, selon ses 
convenances, des facilités bien supérieures 4 la seule réversibilité 
partielle & la veuve, accordée par la loi de 1853, et le chilfre de la 
rente, calculé d’apres l’4ge ou les dges, ne sera limité par aucun 
maximum arbitraire. Du moins, s'il choisit une rente viagére, c est 
qu'il l'aura voulu. L’Etat ne la lui aura pas imposée dés les jours de 
sa jeunesse, en le traitant comme un interdit, pourvu d'une pension 
alimenfaire. 

Un vice éclatant, Bien que rarement observé, de la pension de re- 
{raite, ainsi promise a l’avance et qui n’est pas acceplée par le choix 
libre et actuel du pensionnaire, c’est aussi qu’il pourra, quand il en 
sera mis en jouissance, étre atteint déja d'une maladie qui lui pré- 
sage une mort prochaine. La pension viagére est alors sans valeur. 
Quoi de plus choquant que de voir un fonctionnaire qui a subi pen- 
dant quarante ans des retenues, mis & la retraite, au moment ou la 
vie Yabandonne, recevoir pour récompense de quarante ans de 
loyaux services une rente viagére dont il ne touchera qu’a peine ou 
deux trimestres! Sil a des enfants dénués de ressources, quelle ne 
sera pas son amertume! — Quand le choix sera facultatif, le fonc- 
tionnaire infirme se gardera bien de demander une rente viagére. 

Ainsi, dés ce premier point, le systéme que je recommande est, 
sous tous les rapports, préférable 4 celui de la pension de retraile, 
et ne peut laisser aux fonctionnaires, quelles que soient leurs con- 
venances, aucun regret. 


2° Ouverture d'un compte individuel, en capital et intéréts com- 
posés. 


Je ne saurais trop insister sur les avantages et les séductions du 
livret individuel reflétant le compte et mis entre les mains de cha- 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 285 


que employé. L’adolescent lui-méme sent aussitét la puissance de 
l’épargne. 

On conviendra que la lointaine perspective d’une pension de 
retraite dont il jouira dans une quarantaine d’années, s’il persé- 
vére un tel laps de temps au service de I’Etat, est peu attrayante; 
il est beaucoup plus touché des retenues qu'il subit. Montrez-lui 
son livret qui commence, qui progresse tous les ans, qu'il dépend 
de lui de grossir encore ou d’abandonner, vous faites de lui, & 
"instant méme, un capitaliste et un conservateur. A chaque aug- 
mentation de traitement qu'il obtient, il voit avec joie croftre la pro- 
gression de l’épargne. Quand il pense & se marier, il montre son 
livret comme une dot et un patrimoine. 

Pai pratiqué le livret pendant une expérience de vingt-trois 
ans. J’ai pu comparer l'amour de l’employé pour son livret 4 celui 
du paysan pour les premiers sillons qu’il posséde. Avec quelle 
allégresse le paysan recevrait l’assurance de reculer, chaque année, 
sans bourse délier, les limites de son champ, et verrait jalonner 
d’avance les sillons nouveaux qui s’y ajouteraient | 

Quant aux fonctionnaires dun rang élevé, le livret prendra une 
importance toujours proportionnée 4 celle de leurs fonctions. Rien 
n’en arrétera le progrés. On n’entendra plus,ce que me disait un 
directeur général: « J’ai, depuis longtemps, atteint le maximum 
de la retraite éventuelle que me réserve la loi de 4853, c’est une 
pension viagére de 6,000 francs. Quelques services que je rende 
désormais a I’Etat, il ne m’en sera tenu aucun compte. » — A quoi 
je répondais : « Si l’institution que je recommande avait élé adop- 
tte au début de votre carriére, ce n’est pas une rente viagére de 
6,000 francs, c’est un capital de 200,000 francs, peut-ttre, qu’en 
vous retirant, vous recueilleriez, pour prix de vos éminents ser- 
VICES. » 


3° Subventions annuelles dla Caisse de prévoyance. 


Le lecteur m'attend sans doute ici, comme au défilé périlleux et 
difficile 4 franchir. J’avoue n’en étre pas trop intimidé, 

Vai recommandé a l'industrie privée, comme source d’alimenta- 
tion des caisses de prévoyance, la participation aux bénéfices. L’Elat 
n’a pas de bénéfices 4 répartir entre ses employés. Il faut done cher- 
cher d’autres sources. 

lly en a une, assez abondante déja, qui est toule trouvée : les 
retenues sur les traitements. 

Au lieu de les absorber au budget des recettes, quoi de plus fa- 


286 LES PENSIONS BE RETRAITE 


cile que de les verser effeetivement & une caisse de prévoyance, 
chargée de les répartir en comptes individuels et de les faire fructi- 
fier 4 intéréts composés? | 

Le rétablissement des retenues 4 un compte productif d'intértts 
suffirait-il pour assurer un sort convenable aux fonctionnaires, sans 
aucun sacrifice de l’Etat? Non, certes, et il est d’aillears univer- 
sellement reconnu que l’Etat doit s’*imposer, dans ce but, des sa- 
crifices. Il leur donnera la forme de subventions annuelles, tov- 
jours précises et proportionneties aux traitements, votées avec le 
badget et ne faisant peser sur l’avenir de nos finances le fardeau 
d’aucun inconnu. 

Mais je m‘interromps ici, me bornant & ‘ces seules indications. 
La discussion du projet, dans ses conséquences financiéres, exi- 
gerait des développements que je dois réserver pour une Elude 
ultérieure. 


fk oe 
4°: Attribution du livret & la véuve, aux enfants ou aux ascendanis 
du titulaire qui meurt en activité de services. 


Je n’ai pas 4 m’étendre longtemps sur cette disposition. Eile 
n’a besoin que d’étre énoncée pour qu'on en apercoive |'immense 
bienfait. Elle saffirait, 4 elle seule, pour recommander |'institulion, 
et pour élablir son éclatante supériorité sur le régime de 1a pension 
de retraite. . 

Jai déja dit qu'elle fait du livret une dot, et facitite singulire- 
ment les mariages. 

C’est 4 dessein que je ne propose pas l'attribution aux héritiers 
en général. Si le livret entrait dans l'hoirie du fonctionnaire dé- 
cédé, il pourrait étre Pobjet de dispositions testamentaires, i 
pourrait élre saisi par des créanciers, il subirait toutes les forma- 
lités et les droits des successions, trés-souvent avec des exigenccs 
de conseils de famille et de minorité; on verrait des successions 
répudices, d’autres acceptées sous bénéfice d’inventaire; la caisse 
de prévoyance serait embarrassée d'une foule de \tquidations con- 
tenlieuses, pour de petites sommes qui se dévoreraient en frais. La 
disposition que je présente prévient tous ces inconvénients. File 
est, d’ailleurs, conforme au principe de linstitution, qui ne re 
connatt pas de dreit personnel de propriété au titulaire avant I'ac- 
complissement de certaines conditions de services que fa mort la 
empéché d’accomplir. La bienveillance de Etat promet seulement 
de faire jouir du livret la veuve, les descendants ou les sscen- 
dants : cette bienveillance n’a pas & se porter sur les collatéraux. 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 287 


Dés lors, tout est facile et expéditif. Un formalisme spécial trés- 
prompt, trés-peu dispendicux, un simple acte de notoridlé, suffira. 
Le bienfait parviendra rapidement & son adresse, quitie et net de 
tous droits et frais. 

La loi déterminera dans quelles proportions le montant du livret 
sera remis a la veuve, aux descendants ou aux ascendants. C’est un 
point de détail a régler. | 


O° Altribution du montant du livret au titulaire, comme droit acquis 
aprés un cerlain nombre d’années de services. 


Sous le régime de la loi de 1855, le concours de deux condi- 
tions est nécessaire pour que le fonctionnaire ait un droit acquis & 
la pension de retraite. Ti faut qu’il ait 4 la fois trente ans de ser- 
vices et soixante ans d’age. D’ot il résulte que le fonctionnaire, 
entré dans la carriére 4 Age de dix-huit ans, n‘aura aucun droit 
acquis avant d’avoir accompli quarante-deux années de services. 
est, je pense, permis de trouver la condition rigourcuse. 

Sous le régime proposé, if sera possible de l’adoucir double- 
ment, de réduire 4 vingt-cing ans le temps de services requis, et 
leminimum d’dge 4 cinquante-cing ans. Je crois méme qu'on pour- 
rail, sans inconvénient, se contenter de l'une ou de lautre condi- 
lion, au lieu d’en exiger le concours. Ce qui importe a !Etat, c’est 
que le lien soit une garantie sérieuse de fidélité, et c'est surtout 
de s'attacher les sujets d’élite. Par ailleurs, i! n’a aucun intérét 
financier & retarder la liquidation des livrets, et comme les fonc- 
lionnaires qui se retirent ne sont pas toujours immédiatement rem- - 
placés ou peuvent avoir des remplacants qui ont des traitements 
moindres, les retraites seront plutét une économie. Or, sauf le cas 
exceptionnel d’impérieuses convenances personnelles, quelle appa- 
rence qu'un homme de valeur et d’avenir voudra, jeune et valide 
encore, abandonner les avantages de sa carriére, en arrétant la 
progression de son livret? Ce sont les mécontents et les paresseux 
qui seront portés 4 se retirer dés qu’ils pourront liquider leur livret: 
ls seront rarement a regretter. 


6° Attribution du montant du livret au titulaire, avant age de la 
retraite, dans certains cas déterminés. 


C'est encore un bienfait considérable de l’institution que d’attri- 
buer le mentant da livret au titulaire qui se retire pour des raisons 
de santé et & celui qui est congédié par suppression d’emploi ou ré- 


288 LES PENSIONS DE RETRAITE 


duction de personnel. J’ai ajouté : ou par tout autre motif, et ict je 
me préoccupe peut-étre des intéréts de |’administration plus que de 
ceux des individus , de ceux du moins qui n’auront pas un meérite 
reconnu et qui donneront des sujets de plainte. Qu’on veuille bien 
se souvenir de ce que je disais plus haut, aprés l’honorable M. de la 
Monneraye. L’administration est encombrée d’agents usés ou néghi- 
gents, de non-valeurs, qu'on n’ose pas frapper des rigueurs de la ré- 
vocation, qu’on supporte par humanilé jusqu’a lage de la retraite. 
Ils nuisent 4 l’'avancement des autres, ils embarrassent et déconsi- 
dérent l'administration. Désormais il sera facile de Vaffranchir de 
ces parasites. Ce sera une menace salutaire qui stimulera le travail, 
l’assiduité, la décence des mceurs et des habitudes. Les chefs immé- 
diats pourront souvent négocier amiablement des retraites anticipées 
qu’il sera aisé de motiver sur des raisons de santé ou de réduction 
de personnel, en ménageant l’amour-propre des fonctionnaires ré- 
formés. Au besoin, le congédiement sera prononcé d'office. On 
pourrait craindre les abus de l’arbitraire. Je remarque que dans les 
administrations privées les employés sont toujours susceptibles 
d’étre congédiés. Les emplois en sont-ils moins recherchés, et 
voit-on jamais les chefs de l’industrie se priver capricieusement des 
services des collaborateurs d’un mérite reconnu? J’admets pour- 
tant, comme garantie contre l’arbitraire, que le congédiement d’of- 
fice ne puisse pas étre prononcé sans l’avis d’une commission admi- 
nistrative, instituée prés de chaque ministére, peut-étre prés de 
chaque direction générale, C’est encore un point de détail 4 régler ; 
mais i] n’échappe a personne que |’administralion gagnera beaucoup 
en acquérant la facullé d'épurer le personnel et d'éliminer les non- 
valeurs. : 


7° Déchéances. 


Les déchéances seront restreintes 4 trois cas seulement : 

Celui de démission volontaire ; 

Celui de révocalion encourue; 

Celui de mort, sans que le fonctionnaire décédé laisse une veuve, 
des descendants ni des ascendants. 

On peut poser la question de savoir si, dans ces cas, le montant 
du livret sera supprimé au profit de l’Etat, ou s’il se répartira entre 
les autres comptes individuels. Je me prononce pour la seconde so- 
Jution, qui a été adoptée déja par la Compagnie d’assurances géné- 
rales. La Compagnie n’a pas voulu hériler de ses employés célibatai- 
res, ni confisquer & son profit le pécule de ceux qu’elle est amenée & 


DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 289 


révoquer. Elle s’en trouverait génée dans l’exercice de son autorité. 
Elle ne reprend donc jamais rien de ce qu’elle a une fois versé a la 
caisse de prévoyance, elle répartit 4 la fin de chaque année les dé- 
chéances entre tous les comptes restés ouverts. J’estime que l’Etat 
doit pareillement éviter tout ce qui ressemblerait & une confis- 
cation. 

Pestime de plus que la répartition doit se faire, non d’une ma- 
niére générale entre tous les fonctionnaires, mais entre ceux de cha- 
que département ministériel et plutét méme, comme je le disais 
tout a heure, de chaque direction générale. L’enregistrement, par 
exemple, les douanes, la magistrature ont un personnel assez vaste 
pourqu’on y concentre la répartition des déchéances. Si dans quel- 
ques carriéres les démissions sont plus fréquentes et les célibataires 
plus nombreux, on pourra en conclure avec certitude qu’elles sont 
plus ingrates que les aufres ; il sera équitable que les fonctionnaires 
qui y persévéreront profitent de ces compensations. Le seul jeu des 
déchéances deviendra ainsi un élément instructif de statistique ad- 
ministrative. 

Daprés Pexpérience de la caisse de prévoyance de la Compagnie 
dassurances générales, je ne pense pas, au surplus, que la réparti- 
tion des déchéances représente, en moyenne, au dela d’un supplé- 
ment annuel d’environ demi pour cent du montant de tous les 
livrets, 


8° Administration distincte et gestion financiére sé¢parée de la caisse 
de prévoyance. 


Ladministration et la gestion financiére sont deux choses trés- 
différentes. 

J’entends par administration l’ensemble des dispositions qui au- 
ront pour objet de constafer les droits et la situation de chacun, de 
prendre acte des démissions, des révocations et des décés, d'écou- 
ler les réclamations, et finalement d’ordonnancer tous les régle- 
ments. Je pense qu'elle devra étre confiée 4 diverses commissions 
spéciales, sous l'autorité d’une commission supérieure qui assistera 
un directeur général. I] ne peut pas étre de mon dessein de tracer 
le plan détaillé de cette organisation ; c’est 4 un réglement d’admi- 
histration publique 4 y pourvoir. 

Quant 4 la gestion financiére, il est clair qu'elle sera confiée au 
ministére des finances. La caisse de prévoyance des fonctionnaires 
publics aura une existence propre et un directeur général, comme 
la Caisse des dépdts et consignations. Je crois que ce serait une faute 
que de les confondre. La Caisse des consignations a des habitudes de 





299 LES PENSIONS DE RETRAITE BES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 


formalisme minutieux et contentieux qui seraient rebutantes pour les 
fonctionnaires et pour leurs familles. La caisse de prévoyance n‘aara 
d’ailleurs & faire, extérieurement, qu'un service de trésorerie. 

Je dois réserver pour l'étude ultérieure que j'ai annoncée ce que 
j'ai a dire de la gestion financiére de la caisse de prévoyance. 


J’achevais le présent travail lorsque j'ai appris que quatre honora- 
bles membres de ]’ Assemblée nationale, MM. l'amiral de Montaignac, 
le marquis de Plasuc, Léon Riant et Audren de Kerdrel, venaient de 
présenter 4 l’Assemblée, dans la séance du 24 mars dernier, une 
proposition de loi portant eréalion d'une caisse nationale de prévoyance 
des fonctionnaires civils, laquelle est précisément, en substance, }'in- 
stitution sur laquelle je m’efforgais, de mon cété, d’attirer Palten- 
tion du public. L’exposé des motifs est aussi un résumé, habilement 
fait, des considérations que je m’atlachais a développer. 

J’applaudis vivement 4 cette initiative. Je suis heureux de voir 
l’Assemblée saisie directement de l’examen d’une question aussi ca- 
pitale pour l'administration fraucaise, et j’espére qu'elle saura la 
résoudre. 

Aurrep p& Couacr. 


THERMIDOR 





MARIE-THERESE ET DAME ROSE 


QUATRIEME PARTIE 


LA GRANDE BATAILLE ! 


V 
QUAND LE SOIR FDOT VENU. 


-La nuit était arrivée, brdlante, et pourtant sereine, Quelques 
lanternes jetaient une lueur fumeuse au coin des rues; d'autres lan- 
lernes et des torches de résine portées a la main traversaient la foule, 
qui grandissait d’heure en heure. Une série de petites lumiéres poin- 
tillaient la facade de la Maisoa Commune. Mais la lumiére qui tom- 
bait du ciel pur et des étoiles scintillantes suffisait @ distinguer les 
groupes et les individus. 

La place se couvre d’hommes, de baionnettes, de piques. La 
foule des sectionnaires armés augmente d’heure en heure. A ce mo- 
ment la Commune |’emporte sans conteste ; elle continue de parattre 
seule en scéne. L'immense majorilé du peuple réuni sur la Gréve, 
et toutes les sections qui n’avoisinent pas les Tuileries, ignorent 
méme que la Convention est en séance. Pour ceux qui le sayent et 
qui reviennent soit de la place du Carrousel, soit des tribunes de 
Assemblée, les députés nesont autre chose qu'une réunion de ba- 


* Yoir le Correspondant des 25 septembre, 10 et 25 octobre, 10 et 25 novem- 
bre, 10 décembre 1872, 10 et 25 mars et 10 avril 1875. 





292 THERMIDOR. 


vards désespérés. Les quelques rares partisans des Comilés sont 
pourchassés, Jes porleurs d’ordres officiels sont arrétés; il y cna 
déja quatorze emprisonnés 4 la maison d’arrét de la Mairie. L’Agent 
national Payan vient de demander que les presses des journalistes 
soient bris¢es. La Commune vient d’ordonner aussi qu'on fit de fré- 
quentes patrouilles. : 

Du reste, en attendant que le mouvement qu'elle essayait de com- 
muniquer aux sections se déclarat irrésistiblement, la Commune se 
livrait 4 une rhétorique désordonnée pour tenir en haleine et elle- 
méme, et le peuple des tribunes, et le peuple de la place; elle uti- 
lisait toutes les vieilles parades démocratiques, toutes les fleurs de 
la rhétorique révolutionnaire. Elle était habile, on le devine, dans 
l’art d’enfiévrer, de colérer, d’exalter les bons sans-culvttes, et elle 
savait mieux que M. de Petit-Val qu'il ne faut pas les laisser s arré- 
ter, se refroidir et réfléchir. Enfin, nous le répétons, elle voulait par- 
dessus tout ’empécher de savoir ce qui se passait & la Convention; 
elle envoyait plus fréquemment de ses membres sur la place, pour 
haranguer tantdt les canonniers, tantdt les gendarmes. 

— Silence! silence! cria tout & coup la foule. Regardez! regar- 
dez | 

Un groupe considérable paraissait aux fenétres de 1l’Hdlel de Ville, 
quis’éclairérent vivement. Le peuple reconnut son maire, son agent 
national , son favori Moenne, substitut de l’agent national, et une 
foule d'autres officiers municipaux qui, avec un ensemble par- 
fait, poussérent un cri fort, retentissant, en étendant la main vers 
une affiche. C’était le Conseil qui venait préter serment, sur les Droits 
de I'Homme, d’anéantir la faction des conspirateurs nouveaux qui 
voulaient assassiner le peuple et la liberté. 

L’enthousiasme se réveilla de plus belle, et dés lors, jusque vers 
onze heures, tout contribua 4 l’entretenir. Tous les événements se 
succédaient favorables. La Convention paraissait de plus en plus 
muctte ; les proclamations de la Commune devenaient de plus en plus 
sonores ; et surtout, surtout les sections commengaient a répondre 
& l’appel du tocsin de I’Hétel de Ville. 

Les cris de joie qu’avait causés |’apparition du Conseil général se 
changérent bient6t en applaudissements : Hanriot, et sept autres pa- 
triotes délivrés avec lui, traversaient la place, escorlés par Coffinhal 
et par Damours, agitant triomphalement les cordes dont le général 
avait été Jié, et suivis par Pourvoyeur, qui brandissait son sabre en 
poussant des cris rauques. Mais bient6t toutes les maisons tremble- 
rent sous les clameurs frénéliques d’enthousiasme : une députation 
nombreuse de la Société des Jacobins, la sainte, la pure, l’infaillible, 
la mére et la maitresse dela Révolution, se rend au Conseil. 


THERMIDOR. 295 


— Bon! bon! cria Justin Pourvoyeur, qui revenait des Tuileries, 
voila notre coup réussi; les jacobins arrivent & la Commune! 

Et saulant de joie, et saisissant quelques voisins, qui prirent a 
leur tour quelques citoyennes du voisinage, il organisa une ronde 
gigantesque qui bondit en entonnant la Carmagnole. 

— Mais, dit un petit homme 4 la voix percante, ce n’est pas tout 
de danser et de crier, il s’agit de savoir de qui la Commune tient ses 
pouvoirs. 

Notre nouveau brave, le vaillant Piqueprune — car c’était lui qui 
venait voir la physionomie des choses — tombait fort mal. 

— Scélérat! hurla Justin Pourvoyeur, ne sais-tu pas que la Com- 
mune tient ses pouvoirs d’elle-méme! Mais tu as dévoilé {on infame 
aristocratie ; tu es un émissaire des conspirateurs de la Convention! 
Je Uarréte! Allons! embarqué pour l’audience de police! 

— Embarqué! cria la voix joyeuse d’un citoyen donnant le bras a 
deux autres qui s’en venaient chantant et oscillant légérement, n’y 
aurait-il pas ici quelque fils d’Amphitrite? Tiens! c’est mon voisin ! 
Respect aux fils de Mars! 

Et poussant vivement Justin, il débarrassa le petit poéte, qui s’en- 
fuit en criant : 

— Brigand de Justin! Je reviendrai bientét & la téte des sections 
des Arcis, des Lombards et des Gravilliers ! 

L'lroquois, Agricola et le sergent Barthélemy — c’élaient ceux 
qui revenaient de la barricre de |’Observatoire — se reprirent par le 
bras, et saisissant, en chantant plus fort que jamais, l’espion-ora- 
teur, ils le menérent, malgré ses cris, jusqu’au Port-au-Foin, a 
autre bout de la place, La, ils le poussérent dans un trou. 

— Ce n’est pas pour te faire mal, citoyen, dit Jacques, en riant de 
lout son coeur, c’est pour t’apprendre a ne pas étre brutal ; car on 
lrouve toujours plus fort ou plus nombreux que soi. Nous, nous 
sommes comme la Commune, nous tirons nos pouvoirs de nous-mé- 
mes. 

De grands cris, qui sortaient d’une troupe lancée & toute vitesse 
dans la direction du fleuve, les troublérent un instant dans leur ceu- 
we de justice. Une foule de sans-culottes et de tricoteuses, a la téte 
desquels on pouvait reconnaitre Testard, poursuivaient.un pauvre 
diabie. en hurlant : 

— A mort l’espion de Pitt! criait Testard. 

L’'homme ainsi poursuivi n’était autre que le neveu de dame Rose, 
revétu des habils de Samuel Vaughan. Le pauvre diable, orné de ce 
costume, beaucoup trop grand pour lui, avait regagné Paris en 
maudissant la méchanceté des Parisiens, et ’idée ambitieuse qui 
Pavait engagé & quitter son village. Pour son malheur, & la brune, 


924 THERMIDOR. 


il avait été rencontré par Testard qui, voyant ce costume, avait pris 
Jougleux pour Samuel, qu’il soupconnait fort d’étre un espion an- 
glais. Il ameuta conire lui la foule. Le jeune garcon essaya de se dé- 
fendre, et son patois, que la populace de la Gréve prit volontiers 
pour du baragouin britannique, empira sa situation. Son habillement 
étrange, celle redingote noire qui l'’engoncait, ce gilet qui dansait 
sur son eslomac, lui donnaient une physionomie des plus comiques 
sans doute, mais suspecte aux yeux de ces brutes, pour qui toule 
chose bizarre était matiére & soupgon et & dénonciation. On voulut 
le saisir; il se sauva. Testard se mit a la téte de la meute. Jougleux, 
hors d’haleine, hors de sens, sans voix et furieux, arriva au bord 
de l'eau. 

— A mort! a V’eau! hurla la foule. A l'eau Vespion! a l'eau! 
Qu’on le tue! , 

— Eh ben! je le veux. En surplus, je meurs de faim et de tout, et 
je suis malheureux comme un chien enragé. Je vous maudis tous, 
et Paris, et la République que les Parisiens ont faite. Avant ¢a, Je 
vous montrerai que je ne suis pas un Anglais, mais un franc Picard 
et qui se rebiffe quand on le pousse 4 bout, et puisqu’il faut mourir, 
je mourrai en compagnie! 

Aprés avoir débité cette oraison les larmes aux yeux, en gringant 
des dents, en montrant les poings et en excitant les rires de toute 
l’assistance, il sauta sur Testard, le serra dans ses bras vigoureux, 
et se précipita dans le fleuve avec lui. 

De nouvelles et plus violentes clameurs qui s’élevérent sur la 
place détournérent l’attention du groupe que l'enlévement de Testard 
hl un peu ahuri. Chacun s’empressa de regagner le milieu de la 

ve. : 
La Commune, sur la proposition de Louvet, venait de prendre une 
décision importante : elle venait de nommer un comité d’exécution. 
Elle avait déclaré la guerre et maintenant elle engageait le combat. 

Une nuée de proclamateurs quiltla la place, se répandant dans 
tous les quartiers pour annoncer cette décision, publier les noms et 
tenir la population en fiévre. 

Puis un grand mouvement avait lieu 4 la grand’porte de la Maison 
Commune. On venait d’apprendre que le maire avait fait nommer 
des commissaires pour aller chercher Robespierre l'ainé et lui obser- 
ver qu'il ne s'appartient pas, mais qu'il doit étre tout entier a la pa- 
trie. On avait chargé Tranquille-Fidéle Bailli de lui porter ce mot: 
« Le comité d'exécution nommé par le Conseil a besoin de tes con- 
seils. Viens-y sur-le-champ. » 

Le bon peuple se pressait pour voir leg traits de son idole persé- 
cutée. Robespierre jeune parut bientét, et entra dans |’Hotel aux 


THERMIDOR, 295 


applaudissements de la foule; mais l'ainé se faisait attendre. Le 
bruit courut bientét sourdement qu'il ne voulait pas venir. 

Cela était vrai. Maximilien voulait étre laissé 4 la Mairie, aux 
mains des administrateurs de police. I] était 14 parnmi des hommes 
dévoués, en sdreté, et pourtant apparemment prisonnier, c est-d-dire 
dans une situation légale. Il était absolument aceablé, presque hé- 
bété. Il ne sentait autour de soi aucun des appuis dont il avait be- 
soin pour entretenir son audace, pour se donner le courage qui lui 
manquait naturellement, pour exalter cette vanité, cette ambition, 
cetie fureur qui remplacaient en lui |’énergie; ses complices parle- 
mentaires étaient prisonniers, ses gardes du corps semblaient l'avoir 
abandonné, et ceux qui, comme le capitaine Front, comme Pour- 
voyeur, étaient ses gens de main et d’exécution, les fournisseurs ha- 
bituels, si je puis dire, de son sang-froid, avaient disparu. Il se sen- 
lait brisé, détendu, vide, alourdi, imbécile, comme au lendemain 
d'une orgie. 

Pourtant il eut, 4 ce moment encore, une lueur de son ancienne 
habileté, une seule et la derniére. Il voulait profiter de |’émeute sans 
avoir l’air d’y participer. Il voulait bien torturer, violenter, violer la 
loi, mais hypocritement, sournoisement, en s’agenouillant, et pourvu 
quelle gardat les vétements de la loi. En restant prisonnier on pou- 
vail !'assassiner, mais plus probablement on serait obligé de le juger, 
et alors le peuple le sauverait. En rompant ses chaines, il s’exposait 
a étre mis hors la loi, c’est-i-dire & étre exécuté sans jugement et 
sur une simple constatation d'identité ; car tel était l’effet légal de 
la déclaration de mise hors la loi. Enfin, et c’est ce qui parait 
avoir échappé a tous les historiens de Thermidor, il redoutait sur- 
tout d’étre l’esclave de la Commune. Il croyait et il crut jusqu’a la fin 
au succés ; il prévoyait le triomphe de cette nouvelle évolution de la 
Révolution, et il se disait que les membres du Conseil genéral étaient 
gens bien plus difficiles 4 manier que les Comités; il ne youlait pas 
avoir écrasé ceux-ci au profit des autres, mais 4 son bénéfice a lui. 
ll se souvenait du mal qu’il avait eu 4 détruire la précédente Com- 
mune des Chaumette et des Hébert, et il voyait clairement qu’en se 
rendant au milieu des officiers municipaux pendant la hataille, il 
Sexposait a devenir leur serviteur, tandis qu’en attendant les évé- 
nements, il sortirait de prison, leur maitre, le dictateur, le pacitica- 
teur. 

ll eut donc un moment de clairvoyance. Mais Tranquille-lidéle 
Bailli, aidé par les autres commissaires, lui fit vivement compren- 
dre qu'on n’est jamais le maitre, mais toujours |’esclave de la Révo- 
lution, quand on a commencé par étre son ami, et que nul ne peut, 
quand il lui platt, retirer son bras de cet effroyable engrenage. 








296 THERMIDOR. 


Maximilien céda. On partit pour la Maison Commune. Quand il ar- 
riva & la porte et que la portiére de sa voiture fut ouverte, il élait 
dans une telle angoisse, dans un tel trouble, qu’il se rejeta en ar- 
riére, instinctivement, pour ne pas sortir. Fidéle Bailli le poussa; 
il descendit pdle, égaré; les bras de dix municipaux s’ouvrirent 
pour le recevoir, et il avait l'air si étrange que Keraudren lui dit de 
sa voix railleuse : | 

— Rassure-toi donc, Robespierre, te voila au milieu de tes plus 
fidéles amis. 

Un hourrah d’enthousiasme qui s’éleva alors le rappela & lui- 
méme. Il se retourna. Il vit beaucoup de piques et de baionnettes. 
Il reprit courage, et se tournant vers les gendarmes qui I’avaient 
escorté, il leur dit : 

— J'ai toujours aiméles gendarmes ; continuez d’aigrir le peuple 
contre les conspirateurs. 

Il entra d’un pas assez ferme, toujours suivi par Keraudren, 
escorté par Pourvoyeur, qui élait descendu au-devant de lui et qui 
l'acclamait de ses épouvantables cris inarticulés. Il demanda ou était 
le capitaine Front. On lui répondit qu’il venait de partir pour La 
Force. 

L’influence défiante du nouveau venu ne tarda pas a se faire sen- 
tir : le Conseil décida que tout le monde continuerait 4 pouvoir en- 
trer dans |'Hdtel, mais que nul n’en sortirait plus sans ordre du co- 
mité d’exécution. Toutefois, la curiosité du peuple, qui murmurait 
déja, ne fut pas mise & une trop rude épreuve. On commenga bien- 
tot a entendre la voix retentissante de Brochet, qui, installé sur le 
couronnement du premier étage de la Maison Commune, publiait les 
décrets, que mille voix portaient aux deux bouts de la Gréve. 

Pendant ce temps, Victorien avait rejoint Petit-Val et Vulmer, qui 
se promenaient, préoccupés, 4 cdté de Samuel Vaughan, absolument 
silencieux. L’'Union Gosse se ruinait en chopines, en demi-setiers et 
en poissons pour entretenir quelque zéle parmi ses voisins décou- 
ragés, et dont un grand nombre commengait a ne plus savoir ce 
qu’il fallait croire et crier. A la lueur d’une torche, on voyait ¢a et la 
paraitre le long corps de Sagamore, dont Je visage paraissait plus 
sombre que jamais. Heurtevent revenait des environs de La Force, 
momentanément rassuré. Il demandait toujours 4 Victorien si l'on 
ne commencerait pas bientét quelque chose. Celdi-ci haussait les 
épaules. 

Une voix bien connue vint faire tressaillir nos amis, en chantant 
’hymne du Salpétre : 


On verra le feu du Francais 
Fondre la glace germanique ; 


TMERMIDOR. : 297 


Tout doit répondre a ses succés : 
Vive 4 jamais la République! 
Précurseurs de la liberté, 

Des lois et de l’égalité, 

Tels partout on doit nous connaitre, 
Vainqueurs des bons par la bonté 
Et des méchants par le salpétre. 


Vulmer s'avanca, suivi de ses amis, vers Je chanteur: 

— Eb hien, quoi? dit-il. Parle vile, mon ami. 

Mais le fou musicien ne répondit pas; il baissa les yeux et cher- 
cha au fond de sa mémoire les mots qui lui avaient été confiés. Entin 
il parla : 

— L'enfant adit : Capitaine Vingt-et-un-Janvier, entre 4 La Force 
pour enlever la ciloyenne. 

Vulmer recula comme s’il venait de recevoir un coup en pleine- 
poitrine; puis il fit un geste comme pour sélancer. M. de Petit-Val 
et Victorien le retinrent. 

— Yous ne pouvez nous quitter, Vulmer, dit le vieux gentil- 
homme a mi-voix. Voici vos compagnons, voila ]’ennemi; le combat 
ne peut farder 4 s’engager. Je jure sur Je nom de votre pére que Jje 
vous déclarerai un déserteur, 4 la face de toute la noblesse fran- 
caise. | 

— Nous quitter! dit L'Union-Gosse en grommelant. J'ai déja assez 
de mal & retenir les compagnons; si quelqu'un s’en va, tout se 
sauve, et moi avec. Aussi bien, aprés tout, ce n’est pas encore a nous 
qu’on coupe le cou; d’ici 14 nous verrons; et si ceux pour qui nous 
Youlons bien nous risquer sen vont, qu’est-ce que nous ferions 
bien ici? 

~— Vous Je voyez, mon pauvre camarade, dit Victorien d’une voix 
compatissante, il faut reprendre votre grand courage et vous rvidir. 
Hélas! si vous pouviez voir le fond de mon ceeur! Celle que j'aime 
par-dessus tout est la — il montrait le coin de la rue Jean-de- 
[épine — elle se meurt! elle est 4 cent pas de moi, et je n’ai pas 
voulu aller la voir pour ne pas m/’affaiblir, pour ne pas présenter un 
visage découragé A nos compagnons d’armes, en celte détresse de la 
patrie et de la liberté. 

Vulmer redressa le front; un triste sourire erra sur sa face, qui 
semblait, 4 la clarté dela nuit, livide et défaite. Ii serra silencieuse- 
ment la main a Victorien et 4 L’Union-Gosse ; puis il passa son bras 
sous celui du vieil ami de son pére. [I croyait qu'il allait tomber. 

Le fou musicien s’éloignait en répétant de sa voix lugubre : 

— Citoyens, n’oubliez pas que le premier décadi de thermidor est 
consacré au malheur ! 

23 Avan 4875. 20 


298 THERMIDOR. 


Vulmer tremblait de nouveau, comme si cette phrase lui annon- 
cait, en effet, quelque atroce infortune. Il sentit ses forces trahir 
sa volonté, et il fat tombé, si Samuel ne lui evt dit a V’oreille, en 
anglais : 

— Tenez votre ame! Jirai, moi! Je vous rapporterai des nov- 
velles sures, pour la bénédiction de mon propre amour! 

— Que Dieu vous bénisse, mon ami! 

L’Anglais se langa a la suite du musicien; mais Vulmer n’eut pas 
longtemps & le suivre des yeux: Sagamore et Batz les cherchaient; 
ils s’approchérent vivement. 

— Que tous nos amis se replient vers la rue Jean-de-Lépine, et 
qu'ils garnissent et défendent contre toute attaque l’entrée de cet en- 
tonnoir au fond duquel se trouve la maison de Coulongeon. Si !a 
Convention tire ’épée en ce moment, elle est vaincue. Mais elle a le 
droit.pour elle. Voyons si nous ne pouvons lui faire remporter la 
victoire sans guerre civile et sans répandre le sang... Si nous ne 
réussissons pas, ajouta Sagamore, nous nous ouvrirons un chemin 
jusqu’a la salle ot se tiennent ces ofliciers municipaux, ef tous ne 
verront pas le triomphe de Ja Commune. Peut-étre cela fera-t-il r- 
fléchir les démagogues qui leur succéderont. 


VI 


UN DUEL A COUPS DE DECRETS. 


Brochet, du haut de sa fenétre de I’Hétel de Ville, distribuait au 
peuple la parole communale au milieu des applaudissements. Tout 
d'un coup, un murmure confus et un frémissement mystérieux cou- 
rurent parmi la multitude: qui lentourait. Il put constater qu'elle se 
désagrégeait et que les groupes les plus éloignés de lui quiltaient 
le gros de la masse et se précipitaient vers la partie de Ja place ot 
débouchaient les rues Jean-de-Lépine et de la Vannerie. Ils trouvée- 
rent cette partie occupée dé par une bande considérable et silen- 
cieuse, et du premier étage de ]’une des maisons voisines, une voix 
qui grondait comme un grand vent, et 4 laquelle vingt: autres voix 
servirent d’écho, criait : 


« Le nonidi thermidor de l’an II* de la République Francaise, une el 
« indivisible, les oa ae eat Public el de Sdreté générale 
« réunis, 
« Arrétent : 
« Tous les membres composant les Comités de Surveillance des 


THERMIDOR. 239 


« quarante-huit sections de Paris, demeureront & leur posie, confor- 
« mément a la loi, et rendront compte ce soir et demain, d'heure en 
« heure, des événements qui peuvent survenir dans leurs sections. 

« Le présent arrété sera envoyé sur-le-champ aux Comités de Sur- 
« veillance des sections de Paris. 


« Billaud-Varennes, Barére, Vadier, Dubarran, Prieur, Carnot, 
« Lindet, Collot-d’'Herbois, Amar, Louis (du Bas-Rhin), 
« Voulland, Elie Lacoste, Moyse Bayle, David, Lavicomte- 
« rie, Jagot, Rhull. » 


lly eut un moment de stupeur. La Convention existait donc encore! 
elle était en séance! elle -acceptait la guerre! elle avait le courage 
de lutier contre la Commune! elle juttail énergiquement, habile- 
ment méme, car elle escamotait 4 son profit la permanence des 
sections. 

Quelques protestations s'élevérent, mais c’étaient les curieux sur- 
lout qui étaient venus, les fanaliques élaient restés auprés de Bro- 
chet, la curiosité ]’emporta, et l’on se tut. C’était d’ailleurs une pluie 
de décrets tous plus nets, plus affirmatifs, plus énergiques et plus 
pratiques Pun que |’autre. 

Défense de sonner le tocsin. Le Comité révolutionnaire de la Mai- 
son communale fera arréter ceux qui sonnent le tocsin dans cette 
section. 

La Convention nationale défend de fermer les barriéres. 

le commandant de la force armée de chaque section rendra 
compte de demi-heure en demi-heure. 

les tambours qui battent le rappel seront mis en élat d’arresta- 
tion, 

Les Comités de Salut Public el de Sureté générale réunis, arré- 
tent que le président de chaque section de Paris fera, sur-le-champ, 
publier la proclamation de la Convention nationale au peuple fran- 
(als, 

— La proclamation ! la proclamation ! qu’on nous lise la procla- 
mation! cria la foule. La proclamation! eh! l'homme a la voix de 
lonnerre, la proclamation! 

Mais ce n’était pas l’intention de l'homme 4 la voix de tonnerre. 

Batz qui, on l'a deviné, conduisait ceife affaire, voulait d’abord 
relourner une partie de l’opinion et réserver la proclamation pour 
plus tard. 

On entendit encore la voix retentissante qui reprenait : 

«Les Comités de Salut Public et de Sdrelé générale réunis arré- 
lent que le citoyen Lescot-Fleuriot, maire de Paris, sera sur-le-champ 


300 THERNIDOR. 


mis en état d’arreStation au Luxembourg, et le scellé mis sur ses 
papiers. » 

La voix se tut subitement. Les défenseurs de la Convention vou- 
laient en resler sur ce coup vigoureux, qui frappait ferme et droit le 
chef des ennemis. Balz, avec sa finesse gasconne, connaissait admi- 
rablement la démocralie parisienne. Il attendit. 

Quand Je peuple vit que tout Ctait fini, il lanca dans la nuit mille 
cris confus. Peu 4 peu quelque lumieére se fit: l’on put deviner que 
dans cette place ot tout 4 l’heure nul n’osait méme nommer, sans 
une injure atroce, les conventionnels, les’ nouvelles favorables 3 la 
Convention se répandaient par cent canaux cachés, et dont il eit 
-6té impossible de soupconner l’existence quelques instants aupara- 
vant. Le sentiment inné de la justice, le respect acquis de la loi, 
(justice et loi que la Convention représentait aux yeux de toute con- 
science), la fatigue et 1 horreur de la Terreur, la haine Jatente de 
toule la bourgeoisie parisienne contre la démagogie, le respect de 
la force, de Ja netteté, de |’énergie, qui s'impose toujours au popu- 
laire, firent jaillir tout brusquement un courant favorable. 

L’obscurité, qui donnatt courage aux timides, n’y nuisit pas, non 
plus que le voisinage de celte troupe vigoureuse qui entourait la 
rue Jean-de-Lépine, et tenait évidemment pour les Comilés. Autour 
delle il se forma, comme Batz l’avait espéré et deviné, une sorte de 
bourrelet d’ennemis plus ou moins déclarés de la Commune, d’ot 
partaicnt les cris, les nouvelles, les protestations. 

— Saisissons les aristocrates! criérent quelques voix, parmi les- 
quelles on pouvait reconnaitre celle de Justin Pourvoyeur. 

— Sergent, dit Jacques, il parait que les gens que nous jetonsa 
eau nagent bien.’Si nous donnions la chasse a ce brigand. Agricola, 
si tu ne sais pas mieux pendre... 

Ils se lanc¢rent 4 la poursuite de l’espion. L’Union-Gosse, Heur- 
tevent, et quelques-uns de leurs compagnons que ce tumulte de 
bataille réveillait se précipitérent & leur suite. Ils revinrent bientdt, 
aprés avoir échangé force horions, en constatant qu’ils en avaient 
donné plus quis n’en avaient recu, mais que pourtant ils avaient 
été repoussés. Au dela de celle sortie de frontiére, qui tendait 4 se 
former ct a grandir du célé occidental de la Place, la Commune 
élait toute-puissante... 

Brochet enflait sa voix et il langait décrets et nouvelles qui parais- 
saient répondre, coup pour coup, aux arrétés des.Comités de gou- 
vernement. | 

«a La Commune révolutionnaire ordonne, au nom du Salut Public, 
« 4 tous les citoyens de ne reconnaitre d’autre aulorité qu'elle, d'ar- 
« réter tous ceux qui, abusant de la qualilé de représentants du 


THERMIDOR. 301 


« peuple, font des proclamations perfides ; déclare que tous ceux 
«qui nobéiront pas a cet ordre supérieur seront traités comme 
« ennemis du peuple. » | 

En méme temps, la Commune fait saisir deux commissaires de la 
section des Arcis qui, conduils par notre mouton enragé, Endymion 
Piqueprune, se son! avancés jusqu'au milieu de Ja place pour pérorer 
en faveur du Comité de Salut Public. Cette fois encore, le petit poéte 
apu sesquiver, bien qu'il fit serré de prés par Justin Pourvoyeur 
et Bacon, qui faisaient rage contre les scélérats séides des conspi- 
rateurs conventionnels. Mais il ne voulut pas que son sauveur Agri- 
cola l’emmendat parmi les amis de la rue Jean-de-Lépine; « il avait 
mieux 4 faire, dans les sections des Arcis et des Lombards, » dit-il. 

Malgré tout, la Commune sentit quelque refroidissement dans la 
foule. Elle comprenait qu’il fallait tirer quelques nouveaux tours du 
sac démagozique. Le tocsin ne suffisait plus, la générale était sourde, 
les proclamations étaient combattues par des proclamations con- 
traires. Brochel annonga que pour démontrer au peuple le supréme 
danger de la nation, on allait... illuminer la Maison Commune. 

Au méme instant, une seconde députalion des Jacobins arrivait. 
hientét on entendit un grand bruit qui jaillissait de toutes les fené- 
tres ouvertes de la Maison Commune. Les tribunes et les Jacobins, 
unis au Conseil et aux représentants délivrés, venaient dé jurer de 
mourir plutét que de vivre dans le crime. Les applaudissements 
remplissaicnt tout I’hétel ef se conlinuérent en échos formidables 
jusqu’au bout de ta placc. | 

La Convention venait de perdre le terrain qu’elle avait gagné. 
Coffinhal proposa de se mettre a Ja téte des gendarmes et des canon- 
mers pour débusquer les scélérats qui empoisonnaient le peuple 
du coin de l’'infame rue Jean-de-Lépine. | 

Aprés beaucoup de recherches, Samyel Vaughan parvenait a 
ryjoindre Vulmer. 

— Il est vrai, lui dit-il en anglais, & mi-voix, que le scélérat de 
capilaine a pu entrer a La Force avec l‘autorisafion de la Commune. 
Ona vu entrer un ou deux autres individus avec lui. Je n’ai pu en 
savoir davantage. Ah! oui, le gedlier en chef de la Force a été ar- 
relé, et les clefs portées sur le bureau de la Maison Commune. 

Yulmer ne répondit rien. Il était comme un somnambule ne 
vivant plus que d’une vie machinale. I] s’était attendu 4 tous ces 
malheurs, et cette nouvelle angoisse qui l’atteignait frappait sur lui 
comme le fouet impitoyable qui retombe encore sur les chairs en 
lambeaux de l'homme condamné & périr sous le knout. Victorien 
lui dit quelques mots pour essayer de le consoler dans cette douleur 


302 THERMIDOR. 


que son dme aimante devinail. Une jeune femme, qui n’était autre 
que la citoyenne Coulongeon, s'‘approcha de Descluziers. 

— On vous demande 14 haut, dit-elle. La citoyenne Rose veut 
vous voir. 

Victorien tressaillit. Il fit un pas, puis s’arréta, en regardant 
Vulmer. 

— Allez-y, dit celui-ci d'une voix morne. Je n’aurai pas la 
cruauté de yous répéter ce que vous m‘avez dit. En aggravant volre 
douleur, je ne diminuerais pas la mienne. D’ailleurs — et son ccur 
si délicat et si doux triomphail de cette impression d'amertume qui 
venait de le surprendre — en allant la vous restez prés de nous et 
du champ de bataille. 

La citoyenne Coulongeon, ainsi que Ja presque totalité des hon- 
nétes femmes de Paris, détestait intérieurement la Révolution, qui 
avait rendu la vie difficile et inquiéte, toutes les denrées-hors de 
prix, et surtout qui éloignait de plus en plus les hommes du foyer 
domestique, en les jetant dans la fiévre politique, en les poussant a 
l’ivresse et 4 toute corruption. Elle avait fort. volontiers obéi 4 son 
mari quand celui-ci lui avait recommandé de mettre son apparte- 
ment 4 la disposition de ses nouveaux alliés. 

Mais elle n’avait qu’une chambre un peu propre. C’était celle-la 
qui donnait sur la place, et ot l'on avait mené dame Rose. Celle- 
ci, dont le délire momentané avait disparu, élait étendue toute 
habillée sur un lit. Elle n’avait pas recouvré la parole, et elle était 
restée hébétée, immobile. La citoyenne Coulongeon la regardait 
comme morte, et, assise & cété de ce lit mortuaire, elle ravaudait 
les bas de ses enfants, en songeant presque uniquement, il faut 
Vavouer, a Yinnombrable quantité de belles choses qu’on pourrait 
acquérir avec mille pistoles en or, quand cette infernale peste de 
révolution aurait disparu. . 

Pendant ce temps, Batz, le chevalier 4 la voix mugissante, et le 
cocher-chanoine, qui allait et venait, jouaient leur grande partie 
politique sans s’inquiéter de la jeune femme qui se mourait a cété 
d’eux. 

Mais i! était arrivé une étrange chose. Le corps inerte de Rose 
avait commencé a tressaillir dés Ics premié¢res proclamations du 
chevalier. Peu & peu, et 4 chaque nouvelle proclamation, elle s’était 
réveillée, puis redressée, pale, les yeux hagards, comme dut étre 
Lazare quand Notre-Seigneur le ramena du sein de la mort ; enfin, 
elle s’&tuit levée, écoufant, écoutant, écoutant. 

On supposa qu'elle subissait une sorte de magnétisme, d’électri- 
cité morale. Ces grands mots sonores de Ja république, ces phrases 


THERMIDON. 303 


puissanies et impérieuses que le chevalier lancait de sa voix 
presque surhumaine, et qui avaient éxercé un tel empire sur toute 
la vie de Rose, sur ses nerfs comme sur son dme, iui frappérent 
sans doute et les nerfs et l’dme avec leur puissance décuplée en- 
core par l'état d’excitation fébrile ow elle s’était lrouvée. Lile se re- 
dressa tout debout. 

— Je suis guérie, dit-elle 4 la citoyenne Coulongeon. Allez, je 
vous en prie, me chercher le citoyen Descluziers. 

Quand celui-ci entra, elle lui dit d’une voix faible : 

— Je vous ai envoyé chercher pour vous rassurer et vous encou- 
rager. Oul, vous faites bien de combaltre ces misérables. Ce sont 
les pires ennemis de la République. Maintenant, je suis guérie. Mais 
laissez-moi écouter encore. 

— Ma foi, chevalier, dit Batz, c’est un miracle. J’en accepte 
'augure. Car il nous en faut un autre. Ii parait que nous perdons 
du terrain. Allons, il faut le gagner tout d’un coup et faire le saut 
périlleux. Nous allons jouer en une phrase la partie supréme. 

— Laissez-moi boire un verre de vinaigre 4 la santé de la belle 
ressuscitée, dit en riant le chevalier. 

— Monsieur Descluziers, reprit Batz, Keraudren me mande qu’on 
Ya nous attaquer enforce, de | Hétel de Ville. Les imbéciles eussent 
da le faire depuis longtemps. Vous comprenez que ce serait échouer 
au port. il faut les occuper chez eux. Voici la proclamation de Ja 
mise hors la loi. Qu’un des ndires aiile Ja porter au sein méme de 
lassemblée du Conseil général. Je vous défends, comme votre capi- 
laine reconnu par vous et par tous, d’y aller. Je ne veux. pas qu’on 
accuse les royalistes d’avoir sacrifié leur allié républicain. Or ce 
message, c’est la mort presque certaine. 

— Virai, moi, dit dame'Rose, en essayant de marcher. 

— li y a parmi nous assez d hommes qui savent mourir, dit gra- 
vement Batz. 

Quand Victorien fut revenu dans la Place et qu'il cut expliqué son 
message, Vulmer lui arracha le papier. 

— C'est moi qui irai, dit-il en relevant le front. 

— Mais, dit vivement Viclorien, c’est la mort, et vous étes impor- 
tant daps votre parti. 

— Justement. Ce sont ces commissions-l& que nous n’envoyons 
jamais nos soldats faire en notre place. 

ll _partit en courant. Quelques- “uns, et surtout Jacques et Heurte- 
vent, voulurent le suivre. Mais la voix formidable du chevalier se 
a entendre. Tous s'arrétérent, et un immense silence s’étendit sur 

a foule. 

a République francaise une et indivisible! La Convention natio- 








304 THERMIDOR. 


nale met hors la loi tous les fonctionnaires publics qui donneraient 
des ordres pour faire avancer la force armée contre la Convention 
nationale ou pour l'inexécution des décrets qu'elle a rendus. 

a Elle met hors la loi les individus qui, frappés du décret d’ar- 
restation ou d’accusation, n’auraient pas déféré 4 la loi ou qui s’y 
seraient ensuite soustraits. 

« Elle met hors la loi Hanriot et ses satellites, Robespierre et les 
représentants ses complices. 

« Elle met hors la loi la Commune de Paris, qui a prété son aide 
& cette désobéissance 4 la loi. » 


Le silence se fit plus intense. Un murmure sourd, quasi crain- 
tif, courut la foule comme un vent d’orage qui gronde sourdement 
dans la cime des grands arbres. Un silence plus stupide encore que 
le précédent remplaga le murmure. Puis une portion du peuple se 
mit 4 courir en tous sens, pour s’enfuir, en criant : « Hors la loi! 
hors la loi! » 

Quelques minutes aprés, un grand tumulte avait lieu a la porte 
de l’Hétel. Une masse de citoyens et de citoyennes, forcant le cor-. 
don des sentinelles, descendait des tribunes et se sauvait comme une 
troupe d’oiseaux effarouchés. Payan, en signe de mépris, avait lu a 
haute voix le décret de la Convention, et, croyant exaspérer le peu- 
ple, il avait ajouté 4 la liste des séries mises hors la loi les ci- 
toyens des tribunes du Conseil général. Alors ces ciloyens, pris 
d épouvante, s étaient sauvés en passant par-dessus tout obstacle. 

Pourtant, chose bizarre, la victoire de la Convention élait encore 
loin d’étre certaine. La Commune pouvait l’emporter. I lui fallait 
sculement mettre en mouvement ces masses populaires armées qui 
altendaient la inactives depuis tant d'heures. 

— Maintenant, dit Batz en descendant sur la place, nous n’avons 
plus rien a faire qu’a altendre, en nous mélant 4 la foule, en aidant 
ce mouvement de retraite qui est évident, quoique pas encore dé- 
cisif. Pourtant, si je connais bien mes Parisiens, la fiévre doit com- 
mencer 4 passer aux communialistes. Je n’ai jamais révé de déma- 
gogues aussi ineptes que ceux-ci. Savoir si les autres vaudront 
mieux, et si Billaud-Varennes se montrera moins endormi que Ro 
bespierre. Voyons toujours si notre sabre ne tient pas trop au four- 
reau et si la sueur n’a pas gagné les amorces de nos pistolets. Et le 
citoyen Aristobule? 

— Pas de nouvelles, dit Sagamore. On l’a vu saisir et envoyer au 
Comité d’exécution. 

Batz se détourna et fit signe de regarder la poignée de son sabre 
pour dissimuler une larme qui mouilla ses ‘paupiéres. I] était alors 








THERMIDOR. 305 


onze heures. Un quart d’heure se passa, puis un autre, puis une 
heure, rien ne sé. décidait. 

Jusque vers minuit, la situation restait la méme: les gens de la 
Commune songeant & faire des proclamations aux armées, & tout 
préparer pour le lendemain; leurs partisans, sur la place, essayant 
de se remettre du coup qu’avail porté la mise hors la loi. 

Pourtant, il semblait que les proclamateurs gagés de la Conven- 
tion, gagnant peu 4 peu du terrain, s’‘approchaient de la place de 
Gréve. La ville paraissait, en effet, coupée en deux, et tandis que 
les crieurs conyentionnels hurlaient avec grand cortége de flam- 
beaux, depuis les Tuileries jusqu'au quai de |'Ecole, ceux de la 
Commune, avec un peu moins de torches, mugissaient depuis la 
Gréve jusqu’aé la barriére du Tréne renversé. 

Entre les deux bandes de hurleurs, les sections armées des Arcis, 
des Gravilliers, des Lombards, occupaient le quai Pelletier, et leurs 
sentiments paraissaient douteux. 

— Nécoutez pas tous ces scélérats, dit L’Union-Gosse. Moi, je 
dis une chose, c’est que mon parent, le citoyen Favereau, directeur 
de!’Arsenal, a refusé de livrer des cartouches 4 la Commune. 

L'adjudant général Fontaine traversa la place en toute hate, il 
courait offrir 4 boire et 4 manger aux seclionnaires. Le Conseil gé- 
néral venait d'apprendre qu'il y avait des signes de lassilue et de 
désaffection. Les gendarmes offraient de rendre leurs armes. Plu- 
Sieurs commissaires des sections venaient rechercher leurs hommes. 
la majori.é de ces sections prenait décidément une position expec- 
lante et ordonnait 4 ses milices de regagner le territoire de leurs 
circonscriplions respectives en attendant l’issue du combat. 

Bientét, la place se trouva dégarnie de troupes. Les canonniers 
eux-mémes, qui paraissaient si dévoués 4 Hanriot, s’éloignaient 
lentement. La populace de la section de Ja Maison Commune et des 
faubourgs tenait bon. La lutte continuait entre les avocats des deux 
causes. 

— Voila, dil Batz, un de nos amis qui parait mis 4 mal, la-bas au 
com de la rue du Mouton. A Ja rescousse | 
; = dégagea le personnage, qui n’était autre que l'équivoque 

ulac. 

— Oui, ce Conseil municipal, hurlait Dulac, est tout entier com- 
posé de fédéralistes et d’étrangers. Ce Fleuriot-Lescot, un Autrichien 
Belge! Ce Payan qui, en 95, a voulu soulever le département de la 
Deéme contre Paris | 

— Ha! ha! hal! dit la petite voix de Keraudren qui approchait, 
suivi de Vulmer, citoyens, yous avez parfois maudit les chevaliers 


306 THERNIDOR. 


du poignard, savez-vous ce que c’est que tous ces gens-la, je vais 
vous le dire : ce sont des chevaliers de la guillotine. 

Keraudren profita de l’enthousiasme causé par ces mots pour dire 
4 Batz: 

— D’abord, veuillez mc garder ce:citoyen Aristobule. Citoyen 
Dulac, je vous salue, je suis le citoyen Nicolas Contesenne, dit le 
Nestor. Ha! ha! pas vrai, L’Union Gosse? Ce citoyen Aristobule vient 
de jouer un jeu a se faire tuer dix fois, et sans un vieil ami de 
Robespierre qui était la.... Enfin, ce que je veux vous dire, c’est 
que ces gens-la sont, si vous voulez en croire un vieux paysan qui 
a l’expérience des choses, ces gens-la sont tous troublés par le dé- 
part des canonniers. Ils.ont encore beaucoup de cordes 4 leur are. 
Si vous les laissez reprendre haleine.... 

— Citoyen, merci, dit agent de Billaud-Varennes, je n roublierai 
pas Nicolas Contesenne. Je cours 4 la section des Gravilliers. Léo- 
nard Bourdon, qui y est tout-puissant, et Gamboulas, y sont depuis 
onze heures. Ils ont da préparer les voies. Puis j’arréterai toutes 
les patrouilles des Lombards et des Arcis, et je ferai barrer toutes 
les rues voisines de la Place, de facon & ce qu’aucun de ces mis¢ra- 
bles municipaux ne s échappe. 

— Nous n’avons plus qu’d attendre, Vulmer, dit Batz avec un 
accent touchant de compassion. Je vous jure que ces infames ter- 
roristes pris, nous nous rendrons 4 La Force et que nous y entre- 
rons, dussions-nous en faire le siége et y mettre le feu. 

— Je vous le promets que nous y entrerons, dit Keraudren avec 
un bizarre sourire. Mais écoutez donc, quelle heure est cela? Ah! 
deux heures. 

— Eh bien, dit Sagamore, c’est une heure que l’humanilé n’ou- 
bliera jamais. Regardez, regardez. — Et son regard morne s’animait, 
et son bras se tendait par un geste saisissant. — Voila la victoire. 

C’était un spectacle vraiment grandiose. 

Une foule immense débouchait du quai Pelletier. On n’apercevait 
tout d’abord qu’une masse considérable de lumiéres, torches, lumi- 
naires de toute sorte. Une troupe de canomniers, accompapnés de 
leurs canons, émergeait ensuite de la lumiére, et par un mouve- 
ment vif, bien digne de ces petits canonniers, renommés pour 
leur prestesse, tous les canons qui se trouvaient aux abonds de la 
place furent saisis et tournés contre la Maison Commune. Un déta- 
chement de ]'Ecole des jeunes Francais marchait ensuite. Puis, av 
centre d’un appareil de lumiére plus considérable encore, escortés 
d’une troupe d'huissiers de la Convention, paraissaient 4 cheval 
deux députés avec leur grand costume, leur écharpe, leur chapead 





THERMIDOR. 307 


a Ja Henri Vv et leur panache; enfin, derriére eux, une forét de 
baionnettes et de piques que refiétaient les torches. 

Cette troupe, fournie par les Arcis, les Gravilliers, les Lombards, 
s‘'arréta. Un silence solennel se fit. 

— Ciloyens, dit Léonard Bourdon, en agitant son sabre, c'est 
dans la Maison Commune qu’est le repaire des conspirateurs. C'est 
la qu'il faut marcher! Que le soleil n’éclaire plus les tyrans! 

— Bravo, cria Endymion, qui, comme un brave petil mouton 
enragé qu'il était, marchait a la téte des sectionnaires des Arcis, le 
bourdon de la Convention va écraser le tocsin de la Commune. Vive 
la Convention ! 

Toute l’armée répéta : « Vive la Convention! » et l’écho en fut ‘si for- 
midable, qu’il pénétra jusqu’au milieu de la salle ot Robespierre et 
le Conseil municipal étaient assembiés. 

Pourtant, Léonard Bourdon ne marchait plus. Jl se tourna vers 
Dulac : 

— Ces gens-li vont se défendre j 4 outrance; et il est & craindre 
que la Maison Commune ne soit minée, pour ensevelir ja Convention 
sous ses ruines, 

— A outrance! minée, dit Dulac avec un jurement! Eh bien, 
ceux qui resteront ici recevront plus d'éclaboussures que moi. Est- 
ce qu’il n’y a pas une vingtaine de braves sans-culottes qui veuillent 
venir avec moi? 

Petit-Val et quelques-uns de nos amis s’étaient élancés. 

— Que personne de nous ne bouge, dit Batz avec autorité, ce ne 
sera pas une bataille, ce sera une boucherie. Vous savez bien que: 
les terroristes sont laches quand ils n'ont pas devant eux des pri- 
ee a assassiner. Laissons ces gens-la faire leur besogne en 
amille. 

— Afin qu’il soit toujours reconnu que le plus grand mérite des 
revolutionnaires, dit le petit bailli de sa voix incisive. et railleuse, 
cest de s’exterminer les uns les autres. 

Quand Léonard Bourdon eut vu que Dulac et ses compagnons 
étaient entrés sans obstacle, et que rien ne sautait, il se précipita le 
sabre aux dents, un pistolet 4 chaque poing. 

Il était deux heures et demie. 

Malgré toule certitude de succes, les dmes n’étaient pas sans 
angoisse. Personne ne pouvait croire que ce pére de la République, 
Robespierre, que ce dieu de la démocratie, Robespierre, que ce 
chef i ‘oldtré et tout-puissant du peuple, Robespierre, personne ne 
pouvait croire que ce colosse de la Révolution, la Société des Jaco- 
bins, personne ne pouvait croire.que ce coryphée de Paris, la Gom- 
mune, pussent ¢étre ainsi renversés en une minute, sans combat, 


308 TUERMIDOR. 


presque sans effort. Le bailli volisirien lui-méme, le seul de tous 
nos amis qui ne songeat pas & la Providence, s’imaginail qu'il ré- 
vait. Pour quelques-uns, l’angoisse de Icur passion personnelle se 
joignait 4 l'inquiétude politique et patriotique. Heurtevent et Sa- 
muel se disaient qu’ils allaient bient6t, avant une heure peut-etre, 
délivrer leurs bien-aimées. Et ils regardaient avec une satisfaction 
égoiste Vulmer, le seul qui n’espérait plus rien. Victorien cherchait 
dans l'obscurité le pale visoge de Rose, qu’il croyait apercevoir a la 
fenétre de la rue Jean-de-Lépine. Lozembrune essayait de lever 
son front las vers les étoiles en se disant que sans doute c’élait 
d’un de ces yeux brillants que le regardait en ce moment sa fiancée. 
Car il était convaincu qu'elle était morte, il espérait qu’elle létait, 
il serait devenu enragé si on lui eut dit qu’elle n’avait pas élé tue 
par cet épouvantable capitaine Front. 

Le peuple assemblé sur la place était devenu, sinon muet, du 
moins grave. C'est 4 peine si plus d’un cri signale l’approche d'une 
civiére qui venait de sortir de )’Hotel. 

Elle s’avance portée par deux sans-culoltes, escortée par un pi- 
quier et un fusilier. Chacun s’écarte avec empressement. Nvest-ce 
pas le temps par excellence ot lon n’ose méme pas connaitre une 
victime, sous peine d'étre soi-méme martyrisé, le temps lache ou il 
suffit d’avoir regardé sans mépris un vaincu pour étre criminel! 

Sagamore s'approche gravement de la civicre, il fait un signe 
d’autorité aux porteurs qui s’arrétent. Il reléve respectueusement 
le voile qui couvre la figure d’un homme étendu sur Ia civére, il le 
fixe un instant avec une tristesse austére, puis il rabaisse le voile, et 
il dit de sa voix lugubre et profonde : 

— Robespierre, oui, il est un Dieu. 

Mais Robespierre ne doit plus jamais rien comprendre. Ij vient 
de soulfrir en un jour toutes les douleurs que le Seigneur réserve 
aux démons de Vorgueil, et son intelligence est morte. II est hé- 
bété, stupéfié. Il est devenu un animal sanglant et souffrant. Il 
lui reste encore l'instinct; il ne doit plus recouvrer la raison. Mais 
s'il lui'en reste encore une lueur, une lueur qui va bientdt s’é- 
teindre, il peut savoir, méme avant de comparaitre devant le Juge, 
le Juste, le Vrai, le Lumineux, il peut savoir ce qu’est la Révolution. 

Il n’y a que deux hommes qui l’insultent. La Tour la Montagne, 
le bourgeois révolutionnaire, Vappelle cannibale; et Justin Pour- 
voyeur, le prolétaire révolutionnaire, qui, pour se mieux sauver, a 
pris un bras de la civiére, donne un coup de pied & un chien en 
l'appelant Robespierre. Quant a Dulac, le gentilhomme révolution- 
naire, il fut le plus odieux des trois. Il accourail en se vantant, bien 
4 tort, d’avoir tué Maximilien. 








THERMIDOR. 309 


VII 


A LA FORCE. 


Quand Batz, Vulmer, Sagamore et quelques-uns de leurs amis 
arrivérent devant La Force, ils y trouvérent Heurtevent, Jacques et 
Agricola qui dansaient des rondes triomphales avec les hommes dela 
bande de Coulongeon. Ceux-ci avaient tellement bu pendant toute la 
soirée avec les gens du faubourg Marcel, a Ja confusion des ennemis 
de la patrie et de la liberté, qu’ils ne savaient plus bien quels étaient 
les ennemis. Ils ne l'avaient jamais exactement su, d‘ailleurs, et ils 
criaient de temps en temps : « Vive Robespierre ! 4 bas la Commune! » 
Mais ils n’ignoraient pas qu’ils élaient victorieux, et ils buvaient 
de plus belle & leur victoire. 

On n’eut pas grand’peine ‘4 enlever nos trois compagnons 4 leur 
tonde : on n’eut qu’a dire 4 Henrtevent que la citoyenne ne serait 
pas contente, Sagamore n’eut qu’un signe a faire a Jacques. Agricola 
vint se ranger, avec celte docilité qui le faisait lesclave de tous ceux 
qui le voulaient bien commander, auprés de ce nouveau camarade 
qui remplacait pour lui Ponrvoyeur. Jl croyait bien avoir apergu ce 
dernier parmi les soldais de Coulongeon, mais il était un bon homme 
et il ne voulait faire arriver aucun mal & ses anciens amis. Quand la 
ronde fut finie, la plupart des héroniens se couchérent et ne lardé- 
rent pas 4 ronfler aux étoiles. 

— Voila, dit Batz 4 Vulmer, une armée qui ne nous servira pas 
pour prendre La Force. 

Vulmer ne répondit pas. Il s’était assis, comme un homme affaissé, 
surun des bancs de pierre qui avoisinaient la porte, et il paraissait 
indifférent & tout. : 

— Ou est donc Coulongeon, ce brave grivois? 

— Grivois, grivois! Qu’est-ce qu’on veut au général Coulongeon? 
ria la voix bégayante d’un homme qui essayait de se lever d’auprés 
de Ja muraillle. Grivois, c’est un mot indécent pour un général en 
chef qui vient de battre ses ennemis et qui dort la veille de la ba- 
taille, comme Alexandre le Grand, prévdt, prévdt, le grand prévot. 

Et, avee un rire idiot, il retomba. Hl avait, lui aussi, travaillé de 
son mieux a faire entrer la persuasion dans la téle des sectionnaires 
du Finistére. ‘ : 

— ll était temps d’étre vainqueur sans combat, dit Batz, car avec 
des alliés comme ceux-la... 


310 THERMIDOR. 


— Qui, il était temps d’étre victorieux , car avec des gardiens 
comme ceux-la, les gens de septembre n’auraient pas eu grand obsta- 
cle 4 opérer dans les prisons, dit Keraudren. 

Vulmer tressaillit. Il ne savait pourquoi, mais il ne pouvait enten- 
dre parler, sans trembler, des crimes commis dans les prisons. 

On avait déja frappé en vain a la porte de la prison, rien ne ré- 
pondait. 

— Voyons, murmura Keraudren! cela doit réussir toujours! 

It tira un coup de pistolet contre la porte, et, certain que l’atten- 
tion élait décidément éveillée, il cria : 

—Au nom de la Convention nationale, victorieuse de tous ses en- 
nemis, malheur 4 qui lui résiste ! 

Un petit guichet s‘ouvrit. 

— Citoyen porte-clef, nous savons que le gedlier en chef a été mis 
en arrestation par la Commune rebelle, et, comme on ne t’a pas ar- 
rété avec lui, tu es suspect d’étre de connivence avec elle, continua 
Keraudren — et il avait touché juste, car le guichet s’ouvrit tout 
grand. — La Commune rebelle est anéantie, Robespierre I'ainé et 
son frére, Saint-Just, Couthon, Lebas, Hanriot, tous les conseillers 
vénéraux sont ou morts ou arrélés, leurs complices ont été déclarés 
hors fa loi. 

— Et qu’est-ce que vous me voulez? dit derriére le guichet une 
voix rude dont on sentait le tremblement. 

— Prends garde d’augmenter les soupcons de complicité qui pla- 
nent sur toi en te refusant d’exécuter un ordre de Ja Convention. 
Voici un ordre des Comités de gouvernement qui nous autorise 4 
entrer pour mettre en liberté... 

— Mais nous avons recu l’ordre de ne laisser sortir... 

— Scélérat, c'élait un ordre de la Commune rebelle. Tu oses l’in- 
voguer { 

— Mais je ne vois aucun porteur d’ordre des comités. 

— Ils sont assez occupés 4 enchatner tes amis du Conseil gé- 
néral. 

‘— Aucun administrateur de police. 

— Tu sais bien que les scélérats étaient tes amis et qu’ils ont été 
tous arrétés. Tu n’as pas montré tant d'obstination ce soir, quand des 
misérables se sont présentés ici au nom de la Commune rebelle; tu 
les as laissés entrer. 

— C’était au moment ot on arrétait le gedlier, il y a ew un instant 
de trouble. 

— Et c'est toi qui l’avais dénoncé, vil pierrotin, je le sais, sous le 
prétexte qu'il était un ami de Barére. Enfin, je te le dis une derniére 
fois, malheur 4 toi et & tes compagnons si vous résistez. Vous vous 


THERMIDOR. 314 


déclarez complices des conspirateurs et vous vous déclarez vous- 
mémes hors !a loi. 

Hy eut quelque bruit derriére la porte. 

— Voyons l’ordre, dit le sous-gedlier. 

— J'ai confiance en toi, ta téte en répond. Je prends ici 4 témoin 
plus de cent citoyens que je te remets l’ordre de nous introduire dans 
la prison pour délivrer trois citoyennes. Prends garde de détruire 
ou de changer l’ordre. Tes tours sont connus. 

—Le voila pris, dit Keraadren 4 Batz. L’ordre ne vaut pas grand 
chose, pursqu’il est signé Robespierre, Saint-Just et Couthon en méme 
temps que Billaud-Varennes. Mais il n’osera en arguer, il craindra 
que je ne l’accuse.... — 

— Entrez, citoyens, dit la voix. 

La porte s’ouvrit. Une dizaine d’hommes entrérent du dehors et se 
trouvérent dans une obscurité compléte, au milieu d’une atmosphére 
chaude et puante. 

— Mais fermez donc la porte, hurla la voix, allez-vous laisser en- 
trer tout Paris? 

La porle se referma, en effet. 

— Maintenant, citoyens, dit le premier porte-clef d'une voix rail- 
leuse, Vordre n'est pas en fort bon état, vous allez attendre le jour 
pour que nous y voyions plus clair. Et le jour ne vient pas de bonne 
heure 4 La Force. Soyez sages dans la souriciére, citoyens. Vous 
mayez l’air suspects. | 

— Pas mal joué, dit le petit bailli en souriant. Heureusement on 
be prend ‘pes sans vert le petit Keraudren. Seulement il nous faut 
de la lumiére et un gedlier. 

Sagamore s’élait lancé a Ja poursuite du malin sous-gedlier, et on 
lesenteadit qui s’éloignaient dans les corridors. Jacques avait mis 
la main sur le collet d’un autre qui cherchait 4 s’éloigner conformé- 
ment aux ordres de son chef. Il y eut un instant de lulte. Puis on 
coe Ja voix toujours bréve et un peu avinée de Jacques qui 

isait : 

— La, la, mon gargon, tu n’es pas si malin qu'un Indien ser- 
pent. Maintenant, écoute bien : foi de fils de Mars, je serre jusqu’é 
ce que tu te décides 4 crier grace, et grace ca veut dire, dans notre 
partois 4 nous, lanterne. Eh! eh! eh! eh! 

Jacques riait encore de son esprit quand le porte-clef saisi au collet, 
qui ne se souciait pas d'étre étranglé el qui n’était pas, du reste, 
un méchant homme, fit signe qu’il se rendait. 

— Vous témoignerez, citoyens, que je céde a la violence. C’est 
tout ce que je veux. Maintenant voici de la lumiére. 


ot2 THERMIDOR. 


Il alluma une grande lanterne. Et quand il eut vu qu'il n’avait 
aucun de ses collégues dans son voisinage, il dit & mi-voix : 

— Je veux bien faire tout ce qui est possible ; mais notre chef ac- 
tuel est un vrai scélérat, et st vous pouvez lui faire son affaire et faire 
revenir celui qu’on nous a enlevé ce soir, personne n'y perdra. Seu- 
lement je n’ai pas les clefs, on est venu les prendre, ce soir aussi, 
au nom de la Commune. 

— Hél hé! dit le petit bailli, la-a-a paix, Fi-i-i-déle Tran-an-quille, 
Bailli pour-our-our vous-ous Ser-er-vir... On n/a pas inutilement 
assisté au Conseil général de la Commune, et on n’a pas perdu la 
téte pendant la débandade. Voila les clefs, mon garcon. 

Le porte-clef ouvrit de grands yeux hébétés. 

— Vous voulez, & ce que disait le novveau gedlier, les trois ci- 
toyennes qu’on est venu demander plusieurs fois aujourd’hui... 

— Et, demanda Vulmer d’une voix haletante, qu’est-il arrivé la 
derniére fois qu’on est venu? 

— Je ne sais pas bien. Ce n’est pas mon quartier, el nous avons 
été tellement troublés par les nouvelles! Mais je sais ou sont les ci- 
toyennes, au bout d’un long corridor. Il y a beaucoup de zigzags et 
nous avons trois portes en fer a ouvrir par la, avant d’arriver. Je 
passe le premier. 

Ilse mit en marche avec sa lanterne, et toute la troupe suivit. 

— Aie! cria tout 4 coup Vulmer. 

— Quoi donc? demanda Batz. 

— Ah! ce n’est rien. 

Vulmer avait cru sentir Ja pointe d’un poignard effleurer son cou. 
Il secoua la téte en se disant que l’hallucination commengait. Il resta 
4 la queue de la troupe, regardant cette petite lumiére qui s‘avan- 
gait en sautillant le long de ces lugubres corridors, et cette petite 
troupe d’hommes silencieux dont les derniers semblaient ramper 
comme des monstres dans I’obscurité et dont les premiers dessi- 
naient des profils effroyables et fugitifs sur les murailles sales et 
humides. 

On arrivait aux trois grilles en fer qui fermaient le corridor, au 
bout duquel les trois jeunes femmes se trouvaient enfermées. Brus- 
quement la lumiére s’arréta, et celui qui la portait poussa un cri 
_ Mhorreur qui fut répété par tous. 

— Un cadavre, deux cadavres, trois cadavres, cria-t-il ; et dans 
son étonnement il laissa tomber sa lanterne, qui s’éleignit. 

Vulmer avait bondi. 

— Quoi donc! quels cadavres ? criait-il ; des cadavres de femmes. 
Ah! je le savais bien! Mais pourquoi trois! ! 


THERMIDOR. 313 


Personne ne lui répondait. Les uns n/avaient rien vu et criaient 
aussi fort que lui, les autres étaient tous occupés 4 chercher la 
lanterne et leurs mains rencontraient les cadavres déja froids et ils 
augmentaient le tumulte en poussant des cris d’horreur. Enfin la 
lumiére reparut. Vulmer s‘avanga. Il battit l'air de ses bras, et il 
fomba évanoui en murmurant : 

— Ah! pauvre, pauvre et brave enfant! 

Il tomba sur le cadavre du capitaine Monbayard, les deux autres 
étaient ceux du capitaine Front et de ’Enfant-Aristocrate. 

— Maintenant citoyens, dit le porte-clef, vous ne voudriez pas 
me perdre. Je vous en prie, n’allez pas plus loin, n’entrez pas dans 
le quartier des citoyennes. Restez en deci de la premiére grille. Je 
vais aller chercher les citoyennes vos épouses. Ici les lanternes ne 
manquent pas. : 

ll en alluma une, en effet, qu’il posa 4 cété des cadavres. fl ouvrit 
la premiére grille qui présentait de ces larges barreaux droits, entre 
chacun desquels on pouvait passer les deux bras. Il laissa la porte 
de cette grille entr’ouverfe et posa une lanterne encore prés d’une 
embrasure, ou plutdét d’une sorte de grande niche vide taillée dans la 
profondeur de l’épaisse muraille. fl disparut avec la lanterne qu'il 
portait, derriére la seconde grille, dont il laissa aussi la porte en- 
tr‘ouverte. 

Pendant ce temps, et tandis que Heurtevent et Samuel s’attachaient 
aux barreaux de la premiére grille, et que Batz essayait de faire re- 
prendre connaissance & Vulmer, Keraudren avec Jacques et quelques- 
uns des héroniens qui étaient entrés, essayaient de se rendre compte 
de ce qui était arrivé. Agricola restait derriére ; dans l'ombre, der- 
riére lui encore, se cachait un homme qu’Agricola faisait de silen- 
cieux et vains efforts pour chasser. 

— Voila, évidemment, ce qui est arrivé d’aprés la disposition des 
corps, dit Keraudren malheureusement trop occupé de cette enquéte 
pour s'inquiéter de la singuliére conduite d'Agricola. Le capitaine 
arrivait prés de cette grille lorsqu’il a été rejoint et atlaqué par Mon- 
bayard. Il y a eu lutte. Monbayard a regu, aprés plusieurs autres 
blessures, un coup de sabre qui lui a fendu le crane, et il est mort. 
Li-dessus, évidemment, le brave petit enfant s’est jeté sur le vain- 
queur et lui a enfoncé le stylet dans le cour. Le capitaine a eu en- 
core assez de force pour asséner sur la téte de l'enfant un coup qui 
l’a abattu et tué. Pourtant je ne vois pas de blessure... 

Un cride surprise et d’angoisses, échappé 4 Heurtevent, fit lever 
toutes les tétes. L’homme qui était derriére Agricola avait bondi en 
voyant, au bout du corridor, la lanterne qui revenait précédant trois 
femmes dont on distinguait vaguement les silhouettes. Il s’était pré- 

25 Avan, 1873. 24 


S14 THERMIDOR. 


cipité par la porte dela premiére grille qu’il avait refermée sur lui, 
avait bondi a travers la seconde porte; on avait entendu un cri fé- 
minin d’une angoisse inénarrable. L’homme avait reparu. fl avait 
repassé par la seconde porte, l’avait refermée sur lui, et il restait 
comme une béte fauve dans cette cage fermée par les deux grilles. 
Il s’élait jeté dans l’embrasure, et la, collé dans le coin, il agitait 
avec des rires épouvantables et des hurlements rauques un petit en- 
fant qui pleurait. 

Cet homme, c’était Pourvoyeur, et cet enfant, Heurtevent le recon- 
nut bientdt pour le sien. Mais lui et tous les assistants étaient réduits 
4 Pimpuissance. Pourvoyeur avait reliré les clefs et il les avait jetées 
a ses pieds, 4 cété de la lanterne qui éclairait d’une lueur lugubre 
son masque de tigre, ses yeux tout rouges de sang et sun visage sil- 

elonné de rides elfroyables. Il faisait tourner devant lui, en guise de 
bouclier, le petit étre, et il était protégé, par derriére et de chaque 
cdté, par les coins de l’embrasure. 

‘Heurlevent agitait les barreaux avec des hurlements de rage; les 
trois femmes, de l'autre cété, pleuraient, et l’on entendait sortir de 
la bouche d'Isabelle des appels d’un désespoir qui ne se peut ren- 
dre. Tous élaient consternés et se sentaient impuissants. Agricola, 
les larmes aux yeux, faisait trembler les barreaux de ses bras her- 
culéens ou accablait Pourvoyeur d’un torrent de reproches et d'in- 
jures. 

Jacques s était reculé et avait mis son fusil en joue, puis il ]’avail 
reposé avec un cri désespére. 

— Ah! misérable ivrogne, ldche coquin, disait-il, tu n’as plus 
de bras et de coup d’ceil quand il te faudrait le coup d’ceil d’un ange 
et le bras du bon Dieu. 

Et il continua de s'injurter' et de maudire l’ivrognerie. 

La joie que Pourvoyeur éprouvait du désespoir de ses ennemis lui 
rendit quelque peu de voix. On entendit un son lugubre, rauque, 
éteint, qui sortait de ce coin et qui disait : 

-— Pourquoi les aristocrates auraient-ils des enfanis quand moi, 
bon démocrate, je n’en ai pas ? 

~— Mais, lache et infame monstre, n’est-ce pas toi qui l’as tué ton 
enfant ? 

— Non, non, c'est vous qui l'avez tué en l’empéchant de devenir 
un bon républicain comme moi. Et je tuerai cet enfant-ci quand je 
vous aurai bien fait souffrir. 

Et toujours plus furieux, il faisait tourner comme un disque, avec 
une vivacilé verligineuse, le petit enfant qui rdlait, n’ayant plus de 
Voix, pour crier. 


THERMIDOR. 315 


Cétait une scéne épouvantable. Une voix grave se fit entendre, 
qui sortait de derriére le groupe des hommes. 

— Baissez la téte tous et priez. 

Et tout brusquement une détonation résonna, suivie d’un cri de 
rage. L'enfant faillit tomber. Pourvoyeur avait l’épaule droite brisée, 
son bras tombait inerte. Avec l'autre il avait ressaisi l’enfant et l’agi- 
tait plus vivement autour de lui, en. rugissant et en essayant de 
s’enfoncer de plus en plus dans le coin de l'embrasure. 

— Ton fusil, Jacques, dit encore la voix austére et calme de Saga- 
more. Au cceur cette fois. | 

Pourvoyeur, trompé, porta vivement l'enfant & lendroit menacé, 
une nouvelle détonation retentit ; l’enfant glissa en gémissant. Le bras 
gauche de Pourvoyeur tomba brisé le long du flanc. 

— Jette-toi 4 genoux, pour demander pardon 4 Dieu et 4 Phuma- 
nité de tes crimes, et tu auras la vie sauve. 

Le monstre répondit par un rire féroce, il leva le pied pour écra- 
ser la téte de l'enfant. 

— A moi maintenant, pour mon enfant, dit Heurtevent, d’une 
voix étranglée en tendant son bras armé d’un pistolet, 

Et Pourvoyeur tomba le front fracassé. 


XII 


EPILOGUE. 


Il est sept heures du soir. Le fol musicien gagne la barriére de 
l'Observatoire. Il est suivi par une foule du peuple qui vient de voir 
lexécution des deux Robespierre, de Saint-Just, de Couthon, de 
Lebas, d’Hanriot, de Lavalette, de Payan, de Lescot Fleuriot, de qua- 
torze autres démagogues, et qui se promet d’aller assister le 
lendemain 4 l’exécution des autres membres du Conseil général de 
la Commune. 3 

Quand il fut arrivé en face de l’Obseryatoire, le musicien s’arréta 
et jeta un coup d’ceil de mépris sur son cortége. 

— Citoyens, dit-il, nous avons triomphé des tyrans, c’est pour 
étre libre. Vous me tourmentez en me suivant comme vous faites.: 
Je ne suis pas un misérable comme vous qui avez applaudi 4 Fexécu+ 
tion de Robespierre tout autant qu’a celle dé la bonne sainte madame 
Elisabeth. Je suis un fou, j’ai mieux aimé étre un fou que de vous 
ressembler. Je vais vous chanter encore un couplet que mes amis 
Courigueres et Gaveaux ont composé et m’ont fait chanter ce matin. 


516 THERMIDOR. 


Aprés ¢a, vous me laisserez aller 4 mes affaires ou bien je vous 
accuse d’étre des robespierrots; et c’est moi qui l’ai vaincu. 

Alors d'une voix ample et grave — car le pauvre fou était un 
admirable musicien — il chanta : 


Peuple francais, peuple de fréres 
Peux-tu voir sans frémir d’horreur 
Le crime arborer la banniére 

Du carnage et de la terreur ? 

Tu souffres qu'une horde atroce, 
Et d'assassins, et de brigands, 
Souille de son souffle féroce 

Le territoire des Vivants. 


Aprés quoi il congédia, d'un geste royal, le groupe qui l’entou- 
rait et qui le combla d’applaudissemente frénéliques, et il continua 
son chemin en fredonnant. 

Quand il fut arrivéen face del’auberge du Garde-Frangaise, il frappa 
4 laporte. Barthélemy entr’ouvrit l'un des battants et conduisit le fol 
dans le jardin. Le musicien salua & droite et & gauche Ja nombreuse. 
compagnie qui s’y trouvait et se mit 4chanter avec une gravilé comi- 
que, l’air populaire : « Allons-nous-en, gens de la noce. » 

Il semblait, en effet, que le Dieu hymen eut transporté ses autels, 
comme eit dit le pauvre Crassus, dans ces lieux élyséens. Vulmer et 
Marie-Thérése se promenaient au fond du Jardin. Samuel Vaughan 
gesliculait 4 cété d’Adéle de Brion, qui souriait en rougissant, et le 
petit poéte Endymion Piqueprune racontait 4 mademoiselle de Brion, 
la cadetle, les épisodes de son héroisme des jours précédents. 

Batz et d’Antraigues discutaient. Sagamore et Jacques se tenaient 
graves el silencieux sous un rayon de soleil dont ils méprisaient les. 
atleintes. Monseigneur de Dampierre, agenouillé sous l’arbre om- 
breux ot: était mort le vieux chevalier, essuyait le front de 1’Enfant- 
Aristocrate, que soulevait Agricola et que l’abbesse couvrait de com- 
presses froides. Madame de Racontal rejoignait Endymion et lui 
jurait que son courage l’avait fait noble. Elle affirmait, 4 la grande 
rougeur de mademoiselle de Brion, qu'elle autorisait le petit poéte d 
déclarer sa flamme, et qu'elle ne bldmerait pas la mésalliance si 
Endymion voulait se marier avec un devant de veste de Circaca, a 
fond d’or de Lyon broché, a 6 louis l’aune, et avec un habit doublé de 
raz de Saint-Cyr, 4 7 livres 10 sous l’aune, galonné a la Bourgogne. 
Célait par de tels galons qu’il. devait expier la fortune qu’il avait 
acquise avec les biens nationaux. 

Un grand bruit vint interrompre la vicomtesse, et des cris de : 
Vive « L'Union Gosse! » annoncérent que les gens de Ja hanlieue rega- 
gnaient les villages, ivres comme des triomphateurs. Il y avait trop 


THERMIDOR, 317 


de charmes dans-ces voix avinées, pour que Agricola put y résister, 
il quitta poliment la compagnie assemblée dans le jardin et ne 
regretia pas ce bon mouvement. A la barriére, il rencontra Jacques 
Bry, qui amenait Genevieve dans Paris, ot elle devait devenir d’abord 
la citoyenne Bry, puis plusieurs autres citoyennes, et l’une des plus 
brillantes agioteuses du Directoire. 

Isabelle et Heurtevent, Victorien et dame Rose, conduits par le 
chanoine-cocher ne tardérent pas 4 remplacer Agricola dans le 
jardin. Coulongeon les suivait de prés, il n’avait pas recu son compte 
de pistoles. 

Le dréle n’était pas génant, maisil y avait une si apparente tristesse 
dans la physionomie d’Isabelle et-de Rose que le coeur des trois 
fancés se ferma. Le prétre se leva, Isabelle se précipita vers son 
frére. L’Enfant ouvrit les yeux. 

— Je crois que je ne mourrai pas, ma sceur, dit-il d’une voix 
faible. Je serais bien faché de mourir parce que j'ai eu bien du mal 
arester digne de notre pére. Je suis devenu un homme, et je vou- 
drais le montrer. Je n’ai pas eu peur quand je me suis jelé sur cc 
vilain qui venait de tuer le capitaine Monbayard. Mais j'aurais voulu, 
au lieu de le frapper, l’appeler au combat. Je suis encore trop petit. 

Heurtevent regardait cette scéne avec un front plissé et un visage 
sombre. Il y avait dans le regard d’Isabelle quelque chose d'inquiet 
etd'’effaré qui faisait peine 4 voir. Elle bergait machinalement son 
enfant endormi dans ses bras. : 

— Ma bonne petite sceur, dit l'Enfant, tu es triste, il ne faut pas. 
Jene mourrai pas. C’est ton enfant, et voila ton mari, n’est-ce pas? 
Le capitaine Monhayard était brave et bon, quoique fou. Ton mari, 
on dit qu'il est brave et bon et il n’est pas fou. Donne-moi ton enfant 
que je l’embrasse, et dis 4 ton mari de me donner la main. Les 
braves sont fréres bien plus que les démocrates. 

Isabelle mit avec une vivacité fébrile son fils dans les bras de 
’Enfant-Aristocrate, et elle se releva en fondant en larmes. Puis, 
par un mouvement brusque, elle tendit la main 4 son mari. 

— Je viens de faire quelque chose de mal, dit-elle. J’étais rue Saint- 
Honoré, en face de la rue Saint-Florentin, tout contre la maison ot 
Robespierre demeurait, quand la‘charrelte qui conduisait ce monstre 
au supplice y a passé. J'ai fait arréter la charrette. Je ne sais quelle 
fureur m’a animée, et je lui ai dit : « Va, scélérat, descends aux 
enfers avec les malédictions de toutes les femmes, de toutes les 
méres de famille. » Il m’a regardée comme regarde un chien 
blessé. J'ai senti un remords, comme si je devenais aussi lache que: 
lui et ses amis les Jacobins quand ils injuriaient leurs viclimes 
allant 4 la guillotine. Je sais bien que lui est le monstre Je plus 





318 * THERMIDOR. 


effroyable, et qu’elles étaient innocentes. Mais il était vamcu. Mon 
Dieu, dit-elle, pardonnez-moi d’avoir été si orgueilleuse. Je com- 
prends maintenant combien la passion peut nous entrainer. Mon 
mari, mon mari, dit-elle avec un cri déchirant, le pére de mon 
enfant ! 

Heurtevent se précipita vers elle, et s'agenouilla en pleurant avec 
des sanglots d'angoisse. 

— Reléve-toi, dit-elle, avec une sorte d’égarement. Tu as bien 
souffert. Tu vois clair maintenant. J] faut continuer l’expiation com- 
mencée. Je te pardonne. Ecoute, la guerre est forte aux frontiéres, 
va offrir ton sang & Dien. Va! reviens dans un an, si Dieu a voulu 
t’épargner. Va, je te serai une femme fidéle. Va, je t'aime ! 

Elle embrassa furieusement son enfant, et par un mouvement 
brusque elle le posa sous les lévres d’Heurtevent. Celui-ci, souriant 
et pleurant, se retourna roide comme un automate et se dirigea 
vers la porte. Puis il revint en courant, se jeta aux pieds de 1’Enfant- 
Aristocrate qu'il embrassa, et il se sauva avec un sanglot qui se ter 
mina par un sourire quand il vit qu’'Isabelle couvrait son fils de 
baisers. 

Les grosses larmes coulaient de tous les yeux. 

— Mon ami, dit Rose 4 Victorien, j’hésitais encore. Mais ces gens- 
la me donnent courage. 

— Chut, dit Descluziers avec un grave sourire, je sais ce que vous 
allez me dire. Vous croyez que vous ne m’aimez pas assez pour étre 
ma femme. Ne brisons pas notre avenir. Dans un an, moi aussi, je 
reviendrai vous demander votre main. 

I] quitta le jardin aprés avoir été serrer la main 4 Batz, & Lozem- 
brune et & Sagamore. 

Celui-ci qui était resté pensif releva le front. 

— Mes amis, dit-il, je vais, moi aussi, vous dire adieu, Jacques et 
moi nous retournons en Amérique. 

— Foi de fils de Mars et d’Amphithrite réunis, j’y pensais, et je 
me disais que, sauvages pour sauvages, j’aime mieux les vrais, 
Jaime mieux les Indiens, je dis, que les sans-culottes. Ils n’en ont 
pas plus les uns que les autres, c’est vrai. Mais les Indiens n’y 
pensent pas, et les Jacobins sont si furieux de ne pas en avoir qu’ils 
montrent leur dos a tout le monde et qu’ils tuent ceux qui ne parais- 
sent pas contents de ce joli spectacle. Au revoir la compagnie, Jac- 
ques I'Iroquois, auprés du lac des Quatre Cantons! Maintenant, si 
jamais il y a quelqu’un qui vous demande pourquoi Sagamore por- 
tait du linge sur sa téte, vous pouvez dire que c’est parce qu’il a élé 
scalpé. 

z Marquis, dit Marie-Thérése & Sagamore, veuillez attendre 


THERNIDOR. 319 


quelques jours. D’abord vous serez le témoin de notre mariage, puis- 
que M. l’abbé de Dampierre veut bien nous donner demain la béné- 
diction nuptiale. Puis nous vous accompagnerons jusqu’en Angle- 
terre, oti nous Irons avec sir Samuel et avec quelques autres, attendre 
- que la France devienne un pays civilisé. 

Sagamore s’inclina. Marie-Thérése prit Je bras de M. de Petit-Val, 
lederrier parent qui lui restait, pour regagner Meudon avec !’atte- 
lave du cocher-chanointe. Elle fit une révérence séche et polie 4 dame 
Rose, qui fronca le sourcil. 

— Eh bien, dit d’Antraigues 4 Batz, vous Je voyez, tout le monde 
quitte ce pays maudit. Nous, fous restons sur la bréche. Voulez- 
vous que je vous dise ce que je persiste 4 penser, baron? Eh bien, 
en abattant Robespierre vous avez commis une grosse faute. Vous 
avez fait disparailre la Terreur trop tét, et tellement que dans un 
sitcle il repoussera des Jacobins, des Sans-Culottes, des Terroristes. 

— Vous étes un réveur, comte d'Antraigues. Ces choses-la sont 
des ordures qu’on ne saurait détruire trop tét, avant qu’elles ne 
portent graine. 

— Que vous importe & vous, messieurs, dit tristement la Rose 
de la Liberté, ne savez-vous pas: que les Terroristes sont les meil- 
leurs avocats de la monarchie ? 


Cu. v’Hén:cautr. 


MACHIAVEL DIPLOMATE 


N. Machiavelli — Legazioni. — Opere tnedite. — Frammenti istorichi. 
| Lettere familiari. 


14 


VI 


Arrivé le 7 octobre 1502, 4 Imola, pour y remplir Ja mission que 
lui avait confiée le gouvernement florentin, Machiavel fut accueilli 
par César Borgia avec les démonstrations apparentes de la plus 
grande bienveillance. Dans leurs premiéres entrevues, il se laissa 
presque séduire par le charme attaché 4 la personne et & la parole 
de celui qui « connaissait si bien l’art de gagner les hommes et de 


_. Jes détruire 4 son gré. » Résistant toutefois & la séduction, il sef- 


forca d’opposer feinte 4 feinte, et de marcher toujours couvert, sui 
vant son expression, 4 l'exemple d’un adversaire qui cachait son 
jeu avec tant d’habileté. Aprés avoir exposé les sentiments d’affec- 
tion que la Seigneurie portait au roi Louis XII et au pape Alexan- 
dre VI, protecteurs les plus puissants du duc de Romagne, il 
démontra Ja nécessité of se trouvait Florence de conserver l’amitié 
de ces deux souverains. De cette nécessité et de la situation de la 
république florentine par rapport aux puissances dont elle était 
Valliée, découlait pour elle l’obligation toute simple de se maintenir 
en bonnes relations avec le prince devenu récemment le maitre de 
la Romagne. En réponse a cette ouverture, le duc se complut d’abord 
4 rappeler longuement la conduile qu’il avait tenue envers Florence. 
Il reconnut qu’é la suite d’une expédilion contre Faenza et d'une 


§ Voir la livraison du 25 février. 


MACHIAVEL DIPLOMATE, 331: 


tentative sur Bologne, il avait permis aux Orsini‘ et 4 Vittellozzo?, 
alors altachés 4 son service, de passer par Florence pour retourner & 
Rome. Il ajouta qu’en accordant ce passage, il n’avait pas voulu 
agir en faveur des Médicis, mais plutdt se concilier l’amitié du gou- 
vernement actuel de la république. Au surplus, il avait donné récem- 
ment une preuve nouvelle de ses bonnes dispositions, puisque c était 
jui qui, dans les derniers événements a’ Arezzo, avait urdonné a Vitel- 
lozzo Vitelli de se retirer ainsi que ses troupes. 

« Jécoutai attentivement tout cela, poursuit Machiavel dans sa 
dépéche. Il me dit non-seulement ce que je rapporte, mais il se 
servit des expressions que j’ai employées. Je ne vous répélerai pas 
ce que je lui ai répondu. Je m’attachai & ne pas sorlir des termes 
de ma mission ; je l'assurai que j’écrivais 4 vos seigneuries sur les 
parfaites dispositions ow il était, et j’ajoutai que sans doute vous en 
éprouveriez un plaisir singulier. Cependant, quoique Son Excellence 
montrat un grand désir de faire un prompt accord avec vous, et que 
je cherchasse 4 ’amener au point d’avancer quelque proposition 
particuliére, toujours il se tint au large, et je ne pus en obtenir que 
ce que j’ai écrit. » L’envoyé florentin ayant ensuite risqué une ques- 
tion sur le mouvement qui venait de se produire dans le duché 
d'Urhin, en faveur de l’ancien duc, naguére dépossédé par César 
Borgia, celui-ci, affectant l’indifférence A ce sujet, répondit qu’il 
luiimportait peu qu’on lui enlevat sa conquéte. « Je m'y suis montré 
trop clément, ajouta-t-il d’un ton plein d’amertume, et cela m’a beau- 
coup nui. J'ai pris, comme tu sais, le duché en trois jours, et je n'ai 
olé un cheveu 4 personne, hormis 4 messer Dolee, et 4 deux autres 
qui avaient comploté contre le Saint-Pére. Mais ce qui est plus fort, 
Jai confié des offices & plusieurs des premiers personnages de cet 
Etat; j’en ai chargé un, entre autres, de veiller a }a reconstruction 
d'une muraille dans la forteresse de Saint-Léo, et voici qu’il y a deux 
jours, sous le prétexte d'élever une poutre avec des paysans, il s’est 
emparé de la forteresse, qui maintenant est perdue pour moi. » 

Aprés cette confidence, au moins singuliére, de César Borgia sur 
les prétendus inconvénients de la clémence, confidence dont Machia- 
Yel se souvint plus tard en écrivant )’un des chapitres de son traité 


' étaient Paolo Orsini et Orsini, duc de Gravina, altachés, avant leur défec- 
lion, au parti de César Borgia, et tous deux membres de la famille connue en 
France sous le nom des Ursins. 

* Vitellozzo Vitelli, l'un des plus célébres condottiert de lépoque, s‘était en- 
gagé d’abord au service du roi de France, et avait passé ensuite & la solde des' 
Florentins. Aprés s‘étre donné enfin au duc de Romagne, il avait pris part au’ 
complot dit de la Magione, formé contre ce prince. 


522 MACHIAVEL DIPLOMATE. 


du Prince‘, une sorte d’entente apparente s’établit entre le duc et 
Venvoyé du gonfalonier Soderini. Deux jours ne s‘élaient pas écou- 
kés, que le prince fait appeler Machiavel, pour lui montrer et « lui 
faire toucher de la main » une lettre écrite de France, par monsei- 
gneur d’Arles, légat du pape auprés de Louis XII. Par cette lettre le 
prélat annoncait que le roi et le cardinal d’Amboise étaient disposés 
4 étre agréables au duc, et qu’a cette intention ils lui enverraient 
un corps de troupes. S’appuyant aussitét sur cette promesse for- 
melle de secours : « Secrétaire, s’écria-t-il, d’un air triomphant, 
voila la réponse que j'ai eve, quand j’ai demandé récemment & atta- 
quer Bologne ; tu vois comme elle est forte! Pense donc a l’appui que 
J aurai, lorsqu’il me faudra seulement me défendre : mes ennemis 
ne pouvaient pas m’attaquer dans un temps plus opportun pour moi. 
Actuellement je saurai de qui j’ai 4 me garder, et je connaitrai mes 
véritables amis. Je te confie cela; je te confierai tous les jaurs ce 
qui arrivera, afin que tu puisses en écrire 4 tes seigneurs, et qu’ils 
voient que je ne suis pas homme & m’abandonner, ni a manquer 
d'amis. Parmi ces amis, je veux compter tes seigneurs s’ils se font 
connaitre pour tels, et bien vite ; s’ils ne le font pas sur-le-champ, 
je les mettrai de cdté, et eussé-je de l’eau jusqu’a la gorge, je ne leur 
parlerai plus d’amitié, mais cependant en me plaignant toujours 
d’avoir un voisin & qui je ne puis pas faire du bien, et de qui je ne 
puis pas en recevoir. » 

Dans les entretiens qui suivent, le secrétaire florentin cherche 
surtout, d’aprés les nouvelles instructions de son gouvernement, 4 
connaitre les intentions du duc 4 )’égard de Vitellozzo Vitelli qui, 
aprés avoir commandé des troupes & son service dans le soulévement 
d’Arezzo, était devenu, ainsi qu’on |’a rappelé, l'un des principaux 
chefs de la ligue formée contre la domination tyrannique de César 
Borgia. Comme Machiavel ramenait souvent la conversation sur ce 
condottiére, dont l’ancienne inimitié contre Florence était égale a 
celle qu’il portait alors au duc de Romagne, ce dernier se décida 
enfin & lui faire cette réponse : « Je connais mes ennemis, dit-il, et 
Vitellozzo en particulier. On lui a donné trop de réputation, et je 


‘ C’est le chapitre xvi, intitulé : de la Cruauté et de la Clémence, et s’il vaut 
mieux dre aimé que craint. Tout en y établissant d’abord qu’un prince doit dé- 
sirer d'étre réputé clément et non cruel, l’auteur fait les réserves qui suivent : 
« Il faut pourtant bien prendre garde de ne point user mal 4 propos de la clé- 
mence. César Borgia passait pour cruel; mais sa cruaulé rétablit l’ordre et I'union 
dans la Romagne; elle y ramena la tranquillité et l'obéissance. Un prince ne doit 
oat pas s'effrayer de ce reproche, quand il s'agit de contenir ses sujets dans la 
fidélité. » 


MACHIAVEL DIPLOMATE, by 5) 


fuis assurer que je ne lui 9i jamais vu faire une chose digne d’un 
homme de cceur. I] est bon a dévaster les pays qui n’ont pas de 
défense, & voler celui qui ne le regarde pas en face, et a faire de 
semblables trahisons. Actuellement, il a donné |’explication de ce 
qui s'est passé devant Pise, puisqu’il m’a trehi, moi, étant mon 
soldat, et recevant alors mon argent. » Par ces derniéres paroles, 
renfermant une allusion & la conduite peu honorable de Vitellozzo 
lorsqu’il commandait l’armée florentine, Machiavel crut reconnaiftre 
que le duc, en confondant ses griefs personnels avec ceux de Flo- 
rence, était véritablement animé de bonnes dispositions pour la répu- 
blique. II pensa donc que l'occasion était opportune de réclamer du 
prince le sauf-conduit qu’il était chargé de demander en faveur des 
marchands ses compatriotes, qui auraient a faire des envois, ou a 
passer eux-mémes sur les terres du duc de Romagne. Celui-ci s’em- 
pressa de répondre qu’il l’accorderait trés-volontiers, en disant que, 
comme il ne s‘entendait guére & ces sortes de choses-1a, il convenait 
d’en parler 4 son intendant, messer Alexandro Spannocchi, ce que 
Machiavel fit immédiatement. « Quoique !’affaire soit bien engagée, 
écrit-i] & la Seigneurie, il_serait bon cependant d’avertir nos mar- 
chands comment ils s’engouffrent ici, dans un pays qui, au milieu 
de tant d’agitations, est aujourd’hui 4 l’un, demain a l'autre. » A 
Fappui de ses recommandations et des mesures de prudence qu’il 
conseille, il donne, en ambassadeur bien informé, l’énumération des 
forces de César Borgia, qui posséde une artillerie bien ordonnée, et 
aussi nombreuse que peuvent en avoir toutes les autres puissances 
de Vitalie. De plus, il est en aussi bons termes a la cour de France qu’ 
celle de Rome, et il écrit fréquemment & Ferrare. Sur ces questions 
lenvoyé de la république s’entretient journellement en compagnie 
d'un secrétaire du duc de Ferrare, et de messer Agapito, secrétaire 
de César Borgia. « Nous parlons de cela, dit-il modestement, comme 
entre nous autres secrétaires, et chacun dit ce qu’il croit utile & 
Pintérét commun. » 

Cependant la remise du sauf-conduit n’ayant pas été faite par Span- 
nocchi, Machiavel insiste de nouveau auprés du prince qui explique 
le retard par cette réponse : « Mais moi, pour que mes sujets soient 
protégés dans vos Etats, ne dois-je pas en avoir aussi quelque assu- 
rance? » Sur l'affirmation du secrétaire florentin que pareille faveur 
ne sera pas refusée au duc, dés qu’il en adressera Ja demande & la 
Seigneurie, le sauf-conduit est rédigé'; mais il doit étre expédié 
Seulement lorsqu’un acte semblable aura été accordé par la républi- 


' Dans cette piéce, dont une copie fut remise 4 Machiavel par le secrétaire 
Agapito, le duc s'intitule pompeusement : « César Borgia, de France, par la grace 


‘324 MACHIAVEL DIPLOMATE. 


que en ‘faveur des sujets du prince. L'affaire du sauf-conduit, qui 
servait de prétexte 4 sa mission, ayant élé ainsi menée a bonne fin, 
Machiavel put soccuper exclusivement des questions toutes politi- 
ques motivant, en réalité, sa présence 4 la cour d'Imola. Appliqué 
plus que jamais 4 l’observation attentive des acles et des paroles du 
Valentinois, il commence & saisir les premiers signes de la sanglante 
intrigue qui se noue mystérieusement autour de lui. Une de ses 
dépéches, du 27 octobre, laisse déja pressentir la catastrophe au 
moycn de Jaquelle le duc s’apprétait 4 terminer d'un seul coup la 
lutte avec les adversaires ligués contre sa puissance. « Celui gui 
examine, écrit-il 4 Florence, Jes avantages d’un parti et ceux du 
parti opposé, reconnait que ce seigneur (Borgia) est picin de cou- 
rage, d espoir et de confiance dans sa bonne forlune. Il est favorisé 
par un pape, favorisé par un roi, et il aregu des injures de ses ennemis, 
non-seulement dans un Etat qu'il voulait acquérir, mais encore dans 
un autre qu'il avait acquis. Ceux-ci sont allachés & leurs possessions, 
et, déja intimidés, avant méme de lui avoir fail injure, par la gran- 
deur de leur adversaire, ils sont aujourd’hui bien plus intimidés 
encore, depuis qu’ils se sont déclarés contre lui. Dans celte situa- 
tion, comment l'un pourrait-il renoncer a la vengeance, et les autres 
s’abstenir de la crainle? » | 

Sur ces entrefaites, et comme pour encourager les sinistres pro- 
jets du duc de Valentinois, |'avant-garde des troupes francaises dont 
envoi lui avait été annoncé, arrive 4 Faenza, au nombre de cing 
compagnies de cent lances. A celte nouvelle, l’envoyé florentin s’em- 
pressa d’aller, au nom de la Seigneurie, complimenter le chef de ce 
corps, messire Clermont de Montoison'. Celui-ci, se rappelant, ainsi 
que plusieurs de ses officiers, avoir yu Machiavel a la cour de France, 
l’accueille avec la plus affable courtoisie, et se déclare prét « a 
servir la république en tout ce qui pourra lui élre agréable. » Le 
récit de cette entrevue nous offre, dans les dépéches du secrétaire 
de Florence, un tableau aussi animé qu’intéressant. C'est, d'une 
part, Ja joie expansive que manifestent les seigneurs francais si 
contents de parler de leur pays natal sur une terre étrangére, et, de 
l'autre, la satisfaction non moins vive que ressent l’ex-représentant 
de la Seigneurie auprés de Louis XII, de pouvoir s’eniretenir avec 
ces aimables et loyaux chevaliers, des principales circonstances de 
Son voyage au dela des Monts. Bientot Ja marche d autres troupes 


de Dieu, duc de Romagne et de Valentindis, prince d’Adria et de Venafro, sei- 
gneur de Piombino, gonfalonnier et capitaine général de la Sainte Eglise Ro- 
maine. » 

‘ ll était de la famille de Clermont, qui se divisait en trois branches : celles 
de Clermont-Tonnerre, de Clermont-Montoison et de Clermont-Mont-Saint-Jean. _ 


MACHIAVEL DIVLOMATE. 325 


fort nombreuses, envoyées par le gouvernement francais, vient de 
nouveau éveiller la sollicitude de Machiavel. En présence des graves 
événements qui semblent se préparer, il redouble de vigilance, 
multiplie les questions, et transmet & la Seigneurie la réponse qu’il 
a recue d'un affidé de César Borgia. Suivant les secrétes révélations 
faites par ce personnage, qui parait fort au courant des projets de 
son maitre, le duc commence 4 trouver que I’hésilation de la Sei- 
gneurie & conclure le trailé qu’il lui offre est peu profitable pour lui, 
et encore moins pour la république. « Le duc sait trés-bien, dit-il, 
que le pape peut mourir d’un jour a l’autre, et qu'il lui est néces- 
saire, avant cette mort, de donner & ses Etats, s’il veut les conserver, 
un autre soutien que celui du pontife. Le premier appui qu'il recon- 
nait est le roi de France; le second, la force de ses propres armes. 
Tu vois qu'il s’est déja procuré 500 hommes d’armes, et autant de 
chevau-lécers qui, avant peu de jours, seront ici réunis et a sa 
disposition. Toutefois, comme il juge qu’avec le temps ces deux 
appuis pourraient ne pas lui suffire, i] songe & se donner pour amis 
ceux de ses voisins qui sont forcés de le défendre en se défendant 
eux-mémes. Ces voisins sont les Florentins, les Bolonais, Mantoue 
et Ferrare. » 

Poursuivant le cours de ses confidences intéressées, l’agent de 
César Borgia fit aussitét comprendre & Machiavel que, grace a d’ha- 
biles combinaisons, son maitre avait su rallier 4 sa cause les ducs 
de Ferrare et le marquis de Mantoue. I] tenait le premier par le ma- 
riage de sa sceur Lucrezia, qui avait recu une dot considérable ; le 
second, par la promesse d’un chapeau de cardinal pour son frére, 
et son projet d’union entre la. fille de César Borgia et son fils. La 
jeune princesse devait avoir en dot quarante mille ducats que paye- 
raient le marquis de Mantoue et son frére, en reconnaissance de la 
dignité cardinalice accordée 4 ce dernier. En ce qui touchait les Bo- 
lonais, il était question d’un accord particulier avec eux, mais dis- 
tinct de celui qui avait été conclu avec les autres confédérés. Cet 
arrangement, sollicité par le duc de Ferrare, désiré par Son Excel- 
lence le duc de Romagne, et avantageux pour les Bentivogli, devait 
seterminer heureusement. Aprés avoir fait ressortir ensuite les avan- 
tages que de bonnes alliances pouvaient donner & son mattre, et la né- 
cessité ot se trouvail la république d’unir ses forces aux siennes, afin. 
de conjurer les périls qui la menacaient, Pagent du prince ajouta : 
« Florence a deux plaies qui la feront languir, et méme, si elle n’y 
remédie, la conduiront & sa perte : l'une est Pise, l'autre est Vitel- 
lozo. Ne serait-il pas d'un grand avantage pour elle de rentrer en 
possession de cette place, et d’étre délivrée de cet ennemi? Le duc ne 
demanderait de son cété que l’honneur. de commander vos troupes, 


526 MACHIAVEL DIPLOMATE. 


comme il le fil jadis, honneur qu’il estime plus qu’argent ou tout 
autre chose. Si vous pouviez le satisfaire sur ce point, le reste s’ar- 
rangerait facilement. Ne m’objecte pas, touchant Vitellozzo, que le 
duc a traité avec lui et avec les Orsini. La ratification de cet accord 
n’est pas encore venue; mais en supposant qu elle arrive, il y a tou- 
jours, pour s’en tirer, des moyens qu'il vaut mieux laisser a entendre, 
ou exprimer de vive voix, que de les consigner par écrit. Afin que tu 
comprennes, sache donc qu'il est dans l’intérét du duc de sauver 
une partie des Orsini, parce qu’il a besoin, le pape mourant, d'avoir 
quelques amis 4 Rome. Mais de Vitellozzo, il ne peut en entendre 
parler, parce que Vitellozzo est un serpent venimeux, une forche in- 
cendiaire pour la Toscane et ]’Italie. Quoique tout cela ne vienne que 
‘de moi seul, écris-le au gonfalonier et au Conseil des Dix. Rappelle- 
leur aussi une chose qui pourrait arriver : c'est que le roi de France 
ordonnat a tes seigneurs de prendre le duc pour général a leur solde, 
et de mettre leurs troupes & sa disposition, car il vaut mieux, pour 
un service qu'on doit rendre, s‘exécuter de bonne grace, que céder 
4 la contrainte. » 

A ces déclarations non moins inattendues qu’'embarrassantes, Ma- 
chiavel, 4 qui son gouvernement avait prescrit de gagner du temps, 
se contenta de répliquer, d’une maniére générale, que le duc avait rai- 
son de prendre ses mesures, et de chercher & sassurer des amis. 
« Quant ala condotta, — je lui dis, comme parlant, moi aussi, en 
mon nom personnel, — que le duc ne pouvail élre comparé aux au- 
tres seigneurs, qui n’ont, pour ainsi dire, que la cape et l’épée ; mais 
qu’on devait le considérer en Italie comme un nouveau. souverain, 
auquel il est plus convenable de proposer une alliance, qu'un simple 
engagement militaire. Je fis aussi remarquer que, comme les amitiés 
entre puissances se maintiennent par les armes, et que les armes 
seules font observer les traités, Vos Seigneuries ne voyaient pas quelles 
garanties leur s